Comment mettre fin à la « françafrique » ?

Dans un récent essai, Quelle politique africaine pour la France en 2012 ?, Thomas Mélonio, responsable de l’Afrique au sein du Parti Socialiste français, tente de définir les contours d’une politique de rupture vis-à-vis de la « françafrique ». Ce terme décrié aussi bien en Afrique qu’en France désigne des liens néocolonialistes d’un autre âge, un copinage politico-affairiste entre les élites responsables de la coopération entre la France et l’Afrique. Comme l’explique T. Mélonio, la françafrique « s’appuyait sur la défense d’une certaine idée de la France, volonté de puissance très spécifique à notre pays qui suppose de pouvoir mobiliser des pays amis en grand nombre, à l’ONU ou ailleurs, pour faire entendre puissamment la voix nationale ». Sytématisée par Jacques Foccart, elle est la continuation du lien privilégié entretenu avec les élites d’Afrique francophone insérées dans les réseaux d’influence métropolitains. Renforcée par la logique des deux camps propre à la guerre froide, la françafrique perdure de nos jours alors même que le contexte international et les réalités du continent africain ont énormément évolué. L’Afrique a diversifié ses partenariats économiques et politiques internationaux, elle connait des enjeux de développement différents des décennies précédentes, sa sociologie a profondément changé ainsi que ses revendications politiques. Fort de ce constat, et dans la perspective d’une potentielle alternance qui verrait le Parti socialiste au pouvoir à partir de 2012, Thomas Mélonio définit des axes de réforme à l’actuelle politique de la France envers l’Afrique.

Tout d’abord, il propose un changement de discours par rapport à celui que Nicolas Sarkozy a donné à Dakar en 2007. Il s’agirait de mettre en exergue la diversité des réalités africaines, de sortir d’une vision en bloc des problèmes et des solutions à apporter à l’Afrique. Et de reconnaître le dynamisme actuel du continent africain. Thomas Mélonio propose également un changement de discours et un important travail de mémoire sur la colonisation, sur le traitement non républicain d’Africains ayant participé à l’histoire de France notamment lors des guerres mondiales, et également sur le génocide rwandais et le rôle que y aurait joué la France.

Le second axe de proposition, qui concerne le soutien à la démocratie et à la défense des droits de l’homme, est plus convenu. L’auteur propose de nouer des liens privilégiés avec les dirigeants vertueux au regard de la démocratie et de l’Etat de droit, sans toutefois priver les populations mal dirigées de l’aide internationale. Il s’agirait alors de faire transiter le soutien par des ONG et des acteurs dignes de confiance. T. Mélonio propose d’augmenter la part de l’aide française transitant par les ONG d’1% actuellement à 5%, ainsi que celle allant aux fondations politiques, toutes sensibilités confondues.

Au-delà du soutien logistique en période électorale qu’il souhaite renforcer, le « monsieur Afrique » du PS interroge la nature de l’interventionnisme voire de l’ingérence française dans les processus démocratiques en Afrique. C’est en effet l’un des aspects les plus décriés et polémiques de la françafrique aujourd’hui, notamment après ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire. Pour éviter les images aux relents néocolonialistes, il propose de « mettre fin aux accords de défense dans les anciennes colonies et n’y conserver que les troupes et sites logistiques strictement nécessaires à la protection et à l’évacuation éventuelle des ressortissants français ». Cette protection des ressortissants pourrait d’ailleurs être mutualisée au niveau européen. Cela reviendrait à transformer les cinq bases françaises stratégiques en Afrique en bases militaires européennes. Selon l’auteur, cela ne serait pas une perte d’influence pour la France mais au contraire un marge de manœuvre supplémentaire pour ses militaires et son gouvernement.

La question du franc CFA est un autre symbole de la françafrique écorné. Si le choix de l’émancipation du CFA de l’euro incombe selon l’auteur avant tout aux dirigeants africains concernés, il reconnait cependant que la justification économique de l’arrimage de l’euro au CFA ne tient plus vraiment et qu’elle pénalise au contraire la zone CFA.

La dernière partie de l’essai critique la politique d’aide au développement de la France vis-à-vis de l’Afrique. Une critique sur le manque de lisibilité de cette aide, plus proche de 0,3% du PIB que du 0,5% affiché par le gouvernement (qui y rajoute les garanties sur les prêts ainsi que certains financements sur le contrôle migratoire), sur son manque d’efficacité et sur les trop nombreux objectifs qu’on lui assigne injustement, notamment sur le contrôle migratoire. Thomas Mélonio appelle à augmenter réellement l’aide au développement au niveau de 0,7% du PIB auquel la France s’est engagée, de renforcer l’aide bilatérale de la France, d’améliorer la transparence des accords de partenariat et de mieux s’appuyer sur les acteurs du changement en Afrique, et non plus sur les forces conservatrices.

Ces différentes propositions, et notamment celles sur la fin des accords de défense secrets, l’européranisation des bases militaires françaises, l’accord de principe sur le désalignement du Franc CFA sur l’euro et la fin de la gestion de ses réserves de change par le Trésor français, constituent des amendements importants à la politique traditionnelle de la France en Afrique francophone. Toutefois, on pourrait regretter que l’auteur ne pose pas les bases de ce qui pourrait constituer une nouvelle politique d’aide au développement de l’Afrique. L’auteur se contente d’appeler à une augmentation de l’aide française au développement sans s’aventurer sur la question de sa réorientation. Au-delà du discours droitdelhommiste sur l’implication plus grande des ONG dans la politique d’aide au développement, d’autres pistes gagneraient à être développées. Les mutations en cours sur le continent africain créent des conditions sans précédents d’un développement endogène, comme l’ont souligné Jean-Michel Severino et Olivier Ray dans Le temps de l’Afrique. Le défi principal de développement est d’accueillir sur les différents marchés de l’emploi africains les cohortes de jeunes à venir. Comme le soulignait de manière radicale et polémique Dambisa Moyo dans Dead Aid, les formes traditionnelles d’aide au développement tendent à créer un « syndrome hollandais » proche de celui d’une rente en matières premières, avec à la clé une faible compétitivité des facteurs de production internes.

Dans ce contexte, la France gagnerait à capitaliser sur la qualité du réseau entrepreneurial et sur la connaissance du tissu économique africain développé par l’Agence française de Développement (AFD, où travaille d’ailleurs M. Mélonio) pour fonder un nouveau type de coopération entre d’une part les PME et entreprises françaises ayant un fort capital technologique, des facilitées de financement, et d’autre part les jeunes entreprises africaines qui animent un marché en forte croissance de plus 100 millions de personnes solvables. Ces entreprises africaines à fort potentiel de croissance sont encore à la recherche de partenariats stratégiques pour des transferts de technologies et une plus grande facilité d’accès aux capitaux. Contrairement à la coopération chine-afrique, ce nouveau partenariat entre les entreprises françaises et africaines privilégierait l’emploi de la main d’œuvre locale et l’amélioration de sa productivité. Il s’agirait alors d’un vrai partenariat gagnant-gagnant, les entreprises françaises développant leur participation financière et stratégique dans des entreprises en forte croissance, au moment même où la croissance européenne est atone. Cette nouvelle politique de partenariat répondrait à une forte demande de realpolitik des pays africains vis-à-vis de leurs partenaires.

 

Emmanuel Leroueil

Vers l’autofinancement du développement en Afrique ?

Vers l’autofinancement du développement en Afrique ?

Avec un PIB[1] par habitant 17 fois inférieur à celui des pays avancés, l’Afrique Sub-saharienne représente aujourd’hui la région la plus pauvre au Monde. Les populations de cette région ont un niveau de vie largement en dessous de ceux des pays avancés. Par ailleurs, les diagnostics sur les défis liés au développement sont connus de tous. Qu’ils soient dans le domaine de l’éducation, de la santé, de l’agriculture et des infrastructures de communication et de transport, les besoins sont énormes. Dès lors, l’exécution des projets d’investissement publics identifiés requiert la disponibilité de moyens financiers importants. Où trouver ces moyens financiers dans un pays pauvre ?

La réponse évidente à cette question semble être les sources de financement extérieures. Qu’elles proviennent d’accords de prêts bilatéraux avec d’autres pays développés ou des prêts multilatéraux gérés par des institutions internationales telles que la Banque Mondiale ou le FMI, la principale question demeure l’autofinancement du développement. Or, le poids du financement extérieur demeure élevé en Afrique sub-saharienne. C’est le cas des pays de l’UEMOA où le taux[2] de financement des investissements publics sur ressources propres ne dépasse pas 50%. Toutefois, comme l’indique la figure ci-dessus, cet indicateur croît d’une année à l’autre indiquant une participation plus importante de l’Etat dans les investissements publics. Le taux de financement sur ressources propres est ainsi passé de 35% en 2000 à 50% en 2005, et cette tendance continue après 2005 bien que les données récentes ne soient pas disponibles pour l’extension du calcul.

Au regard de cette tendance continue à la hausse, l’on pourrait s’interroger sur les nouvelles sources de financement sur fonds propres des Etats Africains. Sachant que la valeur des investissements est également en constante augmentation, s’agit-il alors d’une amélioration de la fiscalité dans ces pays ? Dans le cas échéant, de quel type de fiscalité s’agirait-il? Ces questions constituent des points de réflexion qui ne seront pas abordés ici, faute d’information. Dorénavant, ce résultat constitue une note très positive dans l’appréciation du financement du développement en Afrique sub-saharienne.

En effet, abstraction faite des chiffres, les ressources financières actuelles de l’Etat sont très insuffisantes en Afrique. Cela est dû en premier lieu à la défaillance du système fiscal et en second lieu à la faiblesse de la croissance économique par rapport à son niveau potentiel. Malgré cette situation, si les Etats Africains parviennent de plus en plus à financer les projets de développement sur davantage de ressources propres, cela révèle une meilleure prise de conscience des dirigeants africains des conditions de vie des populations.

Par ailleurs, l’aide extérieure n’est pas mauvaise en soi, mais elle ne doit pas engendrer une situation de passivité et de dépendance chez les bénéficiaires que sont les Etats Africains. Au contraire, elle devrait servir de tremplin vers l’autofinancement des projets de développement à long terme. Fondamentalement, l’aide au développement ne peut se substituer à l’autofinancement dès lors que sa contribution dans le processus de développement est marginale. Comme l’a montré l’économiste zambienne Dambisa Moyo[3], l’efficacité de l’aide au développement est très faible et elle conduit à renforcer davantage une situation de dépendance, de corruption et de défaillance des  marchés.

En plus, les théories de l’économie politique nous enseignent que les populations sont susceptibles d’être plus engagées dans le contrôle de l’exécution des projets de développement – à travers le parlement et les organisations de la société civile – si les ressources financières proviennent de leurs taxes et donc de leurs efforts. Par conséquent, le financement sur ressources extérieures a tendance à renforcer davantage la mauvaise gouvernance. La mauvaise gestion de l’aide extérieure entraîne l’échec des projets de développement, ce qui n’assure pas le remboursement des emprunts. On assiste finalement à un rééchelonnement de la dette ou à son annulation.

En général, les motivations de l’aide au développement ne sont pas toujours d’ordre économique, comme ce fût le cas durant toute la période de la guerre froide. De plus, la mauvaise gouvernance encouragée par l’image de gratuité que porte l’aide extérieure n’assure pas les résultats escomptés. C’est ainsi que seulement une infime partie du montant de l’aide extérieure parvient aux populations. La majeure partie est destinée aux prestations de services administratives dans le transfert des ressources mobilisées. Le phénomène du « leaking bucket » frappe ainsi l’aide au développement : une bonne partie des ressources initiales est « perdue » dans le processus de leur mise à disposition.

Il est également possible d’envisager l’argument de l’efficacité économique des prêts bilatéraux entre pays ayant une large capacité de financement, comme la Chine actuellement et un pays en besoin de financement. Toutefois, il ressort de plus en plus que l’aide extérieure est fortement conditionnée par la situation économique dans le pays donateur. C’est ainsi que la crise financière de 2008 a incité les pays développés à davantage contrôler leur déficit budgétaire et à mettre en place des fonds de sécurité capables de financer les déficits budgétaires en cas de crise. Dès lors, les accords de prêts portent sur des montants moins importants.

Somme toute, il résulte que le financement du développement sur l’aide extérieure ne peut être qu’une phase transitoire vers l’autofinancement. La tendance vers l’autofinancement observée est une lueur d’espoir dans ce sens. Dès lors, il est souhaitable qu’une partie de l’aide extérieure soit allouée à la mise en place progressive d’un système d’autofinancement du développement.

 

Georges Vivien Houngbonon


[1] Source FMI WEO. Données en Parité du Pouvoir d’Achat, ce qui nous permet d’avoir une comparaison du niveau de vie économique.

[2] Il s’agit du rapport entre le montant des investissements financé par les ressources de l’Etat et celui des investissements financés sur appui extérieur.

[3] Dambisa Moyo, « Dead Aid : Why Aid is not Working and How There is a Better Way for Africa », éditions JC Lattès, 2009.