Parlez-moi de courage….

Le futur ? Je préférais celui d’avant
J-M. Gourio, Brèves de comptoir
 
Je n’ai jamais été, je l’avoue d’emblée, très courageux. J’ai failli mourir comme un con, pendu à quatre cents mètres du sol, à la sangle d’ouverture automatique d’un parachute, parce que tremblant de peur j’avais trébuché juste avant la sortie. J’ai fait semblant d’être « de gauche » pendant deux ans à mon arrivée à Poitiers, parce que ça passait mieux. J’ai cru en Dieu, trois fois par an, jusqu’au bac, juste avant les examens de fin de semestre et la remise des prix, parce que ça marchait.  J’ai attendu une semaine, après le début des récents affrontements à Abidjan, avant d’appeler ma famille parce que je craignais que personne ne me réponde. Pire : la dernière fois que je me suis battu, c’était il y a trois ans. Avec une fille, qui plus est. J’ai gagné, évidemment. On a les victoires qu’on peut.
 
Et à la façon du boutonneux- puceau de fond de classe qui arrive à se convaincre que le sexe c’est sale et que Dieu l’interdit, je m’étais fait une théorie très personnelle sur ce point : ‘on compense l’absence de génie par ce qu’ils appellent vulgairement la « Bravoure »’. Ça m’a pas mal servi. Plutôt que d’admettre qu’à tout prendre on aimerait bien ne pas se faire écraser la gueule contre le mur, il suffit juste de dire « je ne crois pas en la violence ». L’autre a l’air ballot pendant deux secondes et plutôt qu’une vraie raclée on s’en sort avec une claque. Plutôt que de finir en loques, sans chaussures, les lèvres en sang, dans le sable de la cour de récréation, il suffit juste d’ignorer l’abruti qui gueule « ta mère con » juste à sa droite – « quand je lis Baudelaire, je n’entends rien d’autre que sa voix ». Et d’autres conneries du même genre.
 
Maintenant que je suis trop vieux pour la chicane – si à vingt-deux on en est encore à se mettre sur la gueule, c’est qu’on a raté sa vie – ; trop amoureux de la vie pour mourir « pour mon pays » ; des femmes pour me battre pour elles ; et c’est maintenant que je regrette un peu le « courage » d’avant.
 
Avant, les dictateurs et autres « hommes à poigne » avaient le ‘courage’ de se suicider, aujourd’hui ils prennent un avocat. Il n’y a pas longtemps encore, les « Braves » étaient ceux qui mourraient à la guerre pour des causes auxquelles ils croyaient. Aujourd’hui, les « vrais hommes » sont ceux qui envoient mourir des jeunes désœuvrés pour des idées auxquelles plus personne ne croit. Hier encore, le courage c’était de pardonner aux bourreaux de la veille, aujourd’hui c’est d’assurer que la « torture, ça marche ». À l’époque, avoir le « courage de ses idées » c’était d’écrire le Discours sur le Colonialisme, aujourd’hui c’est de pondre celui de Dakar. Il y a une trentaine d’années, en Ouganda, les plus courageux combattaient Amin Dada, aujourd’hui ils tabassent des homosexuels. Le courage avant c’était de cacher des Juifs aujourd’hui c’est de dénoncer des sans-papiers. Avant le courage c’était de tuer pour Dieu, aujourd’hui c’est de… tuer pour Dieu en passant à la télé.
 
Avant le courage c’était d’imaginer le futur, aujourd’hui c’est de regretter le passé. Serais-je, sur le tard, devenu courageux, moi aussi ?

Joël Té Léssia