Annus Malum ou Annus Bonum ?

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Par rapport à 2013, l'année 2014 a connu moins d'événements significatifs. Cependant, lorsqu'on regarde en Afrique, les populations civiles et certains hommes politiques ont passé soit un Annus Malum ou un Annus Bonum.[1] Cet article revient sur ces événements phares afin de constituer une référence par rapport à laquelle les événements de l'année 2015 pourront être mis en perspectives.

Annus Malum pour les populations Guinéennes, Sierra-Léonaise et Libérienne qui ont été frappées par l'éruption de l'épidémie de maladie à virus Ebola en 2014. Nul besoin de refaire l'arithmétique macabre pour évoquer la violence de cette épidémie. Au-delà de ces populations c'est tous les Africains qui ont vécu sous la peur de voir les perspectives d'émergence économique ralenties par une épidémie dont le vaccin ne leur était pas accessible. Alors que le problème du manque d'infrastructure est pointé du doigt pour expliquer la propagation de l'épidémie, on ne peut pas manquer de souligner le manque extrême de recherche médicale en Afrique sur les maladies tropicales, surtout lorsqu'on sait que le virus a été identifié depuis 1976.

Annus Malum pour les populations Nigérianes obligées de vivre sous la terreur du groupe islamiste Boko Haram. Cette terreur a atteint son paroxysme lorsque le 14 avril, plus de deux cent filles ont été enlevées à Chibok dans le Nord-Est du pays. Au delà de l'émotion que cette situation peut susciter, il est intriguant qu'elles n'aient pas eu le bonheur de fêter les fêtes de fin d'année avec leurs proches et amis dans le premier Etat producteur de pétrole en Afrique. Il ne se passe plus une semaine sans qu'un attentat n'arrache la vie à des personnes vacant tout simplement à leurs occupations quotidiennes. Cette situation met en évidence que le terrorisme se nourrit surtout de la pauvreté et des inégalités. La redistribution des richesses et la mise en place de politiques sociales dans les couches vulnérables de la société devraient donc être privilégiées comme solutions de long terme de prévention du terrorisme.

Annus Malum pour les pays producteurs de pétrole en Afrique avec la chute vertigineuse des cours du pétrole. Cette situation vient leur rappeler que la dure loi de l'offre dont l'abondance fait nécessairement baisser les prix, mais aussi la dépendance du cours par rapport au contexte géopolitique et au progrès technologique notamment dans les énergies renouvelables. Il convient dès lors d'envisager l'utilisation des moyens financiers générées par ces ressources naturelles pour construire les bases d'économies nationales moins dépendantes des ressources naturelles et génératrices de recettes publiques pour le financement des infrastructures du développement.

Annus Malum, voire même "Annus Horibilis" pour Blaise Compaoré qui s'est vu obliger de fuir son pays comme un vulgaire individu après avoir consacré 27 années de sa vie à se faire réélire président de son pays. Ce triste sort vient rappeler aux dirigeants qui s'éternisent au pouvoir ou qui ont l'intention de le faire la nécessité de favoriser le renouvellement du leadership. Au cœur de ce constat se trouve la question de l'organisation de la vie politique dans les pays Africains. Tout se passe comme si lorsqu'il n'existe pas d'opposition ou tout simplement une organisation politique capable de proposer une alternative, les dirigeants au pouvoir profitent pour mettre la main sur certains secteurs importants de l'économie ou ne sont plus découragés de commettre des délits ou crimes. Dans ces conditions, quitter le pouvoir est tout simplement synonyme de vulnérabilité.

Faut-il dire Annus Bonum pour la francophonie qui a échappé à la règle en renouvelant son leadership avec en prime une femme, fruit du métissage, en la personne de Michaëlle Jean ? Certains Africains y verront plutôt un Annus Malum dans la mesure où le nouveau président n'est pas de nationalité africaine. Ces malentendus montrent à quel point le défi de l'intégration culturelle reste à relever au sein de l'espace francophone pour faire en sorte que les peuples qui y vivent fassent abstraction des "différences administratives" pour embrasser l'idéal de partager une langue commune qu'est le français.

Faut-il dire Annus Bonum pour la démocratie en Afrique qui semble faire des progrès avec l'élection d'un président démocratiquement élu à Madagascar et en Tunisie ; mettant fin à des transitions politiques instables. Cependant, à y voir de près, le pouvoir n'a fait que changer de tête à Madagascar alors qu'en Tunisie il reste dans les mains d'une génération dont on se demande si elle mesure encore les enjeux des décennies à venir. Que ce soit en Tunisie ou au Burkina Faso, voire même en Egypte, partout où des soulèvements populaires ont renversés des régimes existants, force est de constater que l'absence d'une alternative crédible, ou du moins d'une structure d'idées, laisse place à la régénération de l'ancien régime.

Pris ensemble, ces événements viennent rappeler une fois de plus en quoi les questions liées à la santé, à l'éducation, à la création et à la redistribution des richesses, ainsi que celles liées au fonctionnement des institutions politiques demeurent des défis à relever en Afrique. Alors que le continent s'engage dans une phase de croissance, quelles sont les stratégies sur lesquelles ces gouvernements devraient miser pour s'assurer que cet épisode de croissance soit la promesse de futures Annus Bonum pour l'ensemble des populations africaines. Il est vain d'en fournir les détails ici, mais nous nous tâcherons de proposer dans un prochain article une présentation schématique des alternatives qui s'offrent aux gouvernements africains. En attentant, Annus Bonum à tous.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Les termes latins "Annus Malum" et "Annus Bonum" se traduisent comme "Mauvaise année" et "Bonne Année" respectivement.