Le WAPP : le système d’interconnexion électrique ouest africain

De manière générale, il est important de souligner les actions positives menées en faveur du développement économique partout dans le monde, mais cela revêt une importance capitale lorsque ces actions sont posées dans la zone de turbulence qu’est l’Afrique de l’Ouest. En termes de développement énergétique, la réalisation de plusieurs projets de production électrique (barrages de Soubré en Côte d’Ivoire, de Bui au Ghana, de Kaléta en Guinée, etc..) dans cette zone est à saluer. Cependant, au delà de ces ouvrages de production électrique, le projet sur lequel nous voulons attirer l’attention est celui de l’interconnexion des réseaux électriques des pays de la zone. Produire de l’électricité c’est bien, mais l’acheminer vers tous les lieux de consommation l’est tout autant. C’est pourquoi la mise en place du système d’Echanges d’Energie Electrique Ouest Africain (EEEOA ou WAPP –West African Power Pool) constitue une avancée notable dans le développement de cette partie du monde.

Le WAPP est une institution spécialisée de la CEDEAO chargée dans un premier temps d’intégrer les réseaux électriques des 14 pays membres (tous les pays de la CEDEAO à l’exception du Cap Vert) et dans un second temps de gérer le marché unifié régional ainsi créé. Ces deux missions (le volet technique et le volet économique) sont très importantes pour assurer un approvisionnement en énergie électrique régulier, fiable et à des coûts compétitifs. Les avantages que présente ce système sont nombreux.

D’abord, avec l’EEEOA, l’intégration régionale se retrouvera renforcée. Le déficit de production d’un pays pourra être compensé par les excédents des autres. L’interconnexion entre le Ghana et la Côte d’Ivoire (CI) en est une parfaite illustration. Au départ, cette interconnexion a été réalisée dans le but de permettre au Ghana d’être alimenté par la CI. Mais en 2010, lors de la crise énergétique qui a secoué cette dernière, c’est plutôt le Ghana qui fournissait de l’électricité à la CI. Ainsi l’EEEOA favorisera la coopération entre les sociétés de production, de transport et distribution ainsi que la concertation entre les autorités de régulations du secteur.

Ensuite il est important de souligner qu’avec cette interconnexion, le rêve de marché commun de la CEDEAO va devenir une réalité, au moins dans le domaine électrique. L’EEEOA, c’est la création d’un marché de l’électricité de près de 300 millions de personnes. Certes le taux de couverture est relativement faible (le taux de couverture de la population en CI est de 40%, c’est pourtant l’un des plus importants de la sous-région), mais cette perspective est de nature à attirer plus d’investissement dans le secteur tant au niveau des installations de production et de transport qu’au niveau du développement du réseau dans chaque pays.

De plus l’interconnexion électrique permettra d’accroitre les capacités des installations de production envisagées par les sociétés productrices d’électricité. Selon les normes internationales, une seule installation de production d’électricité ne doit pas produire plus de 10% de la capacité d’un réseau. Ainsi plus le réseau est important et plus les puissances unitaires installées des unités de production d’électricité (barrages hydroélectriques, centrales thermiques, etc…) peuvent être élevées.

Ce projet permettra aussi de clarifier les coûts de transport et d’échange d’électricité. Les producteurs d’électricité pourront être mis en concurrence, ce qui devrait réduire le coût du kWh pour le consommateur final. Les activités de trading pourront ainsi être développées par les entreprises du secteur. Le marché de l’électricité sera donc hautement concurrentiel et très moderne.

Le seul bémol, si on peut l’appeler ainsi, c’est le financement du budget de fonctionnement du WAPP. Ce sont les états membres qui doivent financer les frais de fonctionnement de cette structure. Certains Etats ne règlent pas leurs quotes-parts, ce qui entraine des arriérés considérables. Cette situation peut engendrer la démotivation des équipes et ralentir la réalisation des projets. Il reste à espérer que l’irresponsabilité de nos dirigeants ne mette pas à mal ce beau projet.

 Stéphane MADOU

L’électrification de la Côte d’Ivoire, il reste du chemin…

Le samedi 10 Mars 2012, s’est tenue à Paris, une « journée de réflexion » sur différents sujets importants pour le développement de la Côte d’Ivoire : l’apport de la Diaspora, la place des NTIC, l’Education et la Politique Energétique. Cette journée a été organisée par un réseau de « jeunes cadres » ivoiriens engagés pour le développement de la Côte d’Ivoire. Elle a vu la participation de personnalités éminentes. Attiré par l’énergie, les travaux de l’atelier portant sur la politique énergétique du pays sont ceux qui ont le plus capté mon attention. Cet atelier avait pour but de réfléchir à la politique énergétique à mettre en place pour soutenir la croissance économique espérée par les populations en vue d’améliorer leur quotidien. De cet atelier, il faut retenir que la CI s’est dotée d’un document stratégique, qui donne les grandes orientations dans ce domaine, recense avec précision les projets à réaliser et les investissements à faire. En matière de production électrique, la stratégie de la CI est basée sur l’utilisation plus accrue du potentiel hydroélectrique (20% du potentiel de 12 000 MWh est utilisé aujourd’hui) du pays. Le début de cette phase nécessitant un temps de construction de nouveaux barrages (Soubré est le premier d’une longue série) de l’ordre de 7 ans, la CI a décidé de renforcer ses capacités en centrales à gaz. Et pour alimenter ces centrales à gaz, il est espéré de nouvelles découvertes et prévu la construction d’un gazoduc reliant ces champs aux centrales.

En conclusion, pour satisfaire la demande d’électricité qui croît de plus de 8% par an, deux sources d’énergie sont préconisées pour assurer la production électrique de la CI : le gaz et l’hydroélectricité. Ces options, qui peuvent apparaître comme les plus raisonnables, sont en réalité frappées du sceau d’une vision passéiste, non volontariste et trop libérale. Ceci pour plusieurs raisons : elles sont, en définitive, le renforcement de ce qui est déjà car la CI a aujourd’hui une capacité de production électrique installée de l’ordre de 1400 MW répartie, à peu près équitablement entre les installations thermiques et hydroélectriques. Elaborer une « nouvelle stratégie » pour confirmer l’ancienne. Tel est ce qui est proposé aux ivoiriens aujourd’hui.

Construire une stratégie sur l’hypothèse qu’on découvre des champs gaziers plus importants en CI pose déjà des problèmes évidents (Car si ces nouveaux champs gaziers ne sont pas découverts, que faisons-nous ?). Mais soit ! Construire un nouveau gazoduc indépendant de celui qui relie déjà le Nigéria au Ghana en passant par le Bénin et le Togo, en plus de ne pas être la solution la plus économique, apparaît comme une épine dans le pied de l’intégration régionale. L’idée de « mix » énergétique est ici réduite au minimum : 2. N’est il pas dangereux de se baser uniquement sur 2 sources pour la production électrique quand aujourd’hui l’heure est à des « mix » beaucoup plus variés (exemple : le Kenya avec une unité de production d’électricité à base de géothermie de 128 MW) ? En cas de sécheresse, comme celle de 1983 qui a provoqué des délestages en CI, que faisons-nous ?

Aucune incitation de l’Etat (avantages fiscaux, garantie du prix de rachat du kWh à un prix compétitif, etc…) n’est envisagée pour développer les énergies renouvelables (comme le solaire et l’éolien par exemple). Ceci au motif que ce n’est pas à l’Etat de mener ce genre de projet, l’investissement étant libre en CI, c’est aux investisseurs d’amorcer ce tournant décisif et salutaire sous nos tropiques. Au delà du dogme libéral qui sous-tend cette position et des problèmes techniques de connexion ou non au réseau qui compliquent davantage le problème, ces arguments sont donnés en sachant que sans coup de pouce de l’Etat, aucun projet de ce type ne saurait prospérer en Côte d’Ivoire. C’est le serpent qui se mord la queue. C’est ce genre de logique, qui relève au mieux d’un manque de vision, qui maintient l’Afrique à la traine. Le taux d’ensoleillement en Afrique (5,4 MW/m²/an) est plus élevé que celui de l’Europe par exemple (4 MW/m²/an). Il faut croire qu’il est normal que nous négligions ce type d’énergie et que les pays européens, moins bien lotis que nous par la nature, misent sur cette énergie. Pourquoi ne pas investir afin d’être leader, dans un domaine, pour une fois ? Devons-nous toujours attendre que les organisations internationales viennent nous montrer comment utiliser les immenses ressources dont nous disposons, en nous vendant au passage leur technologie ?

En CI, la stratégie pour l’électrification depuis 1960 a certes permis d’avoir un taux de couverture d’environ 40%, mais n’a pas apporté la lumière dans les endroits les plus reculés du pays. Cette stratégie était basée sur la production centralisée acheminée à travers des lignes électriques. Et quelle est la nouvelle stratégie proposée ? Une production centralisée acheminée à travers des lignes électriques. OUI, la même ! Vu les résultats de cette stratégie, il est étonnant voire révoltant qu’en 2012, les décideurs choisissent la même stratégie que celle des années 60 pour résoudre le même problème. En clair, l’Etat estime ne pas avoir les moyens de faire des efforts pour faciliter le développement des énergies renouvelables, énergies décentralisées, mais s’engage, à construire des lignes électriques pour électrifier tous les villages de Côte d’Ivoire. C’est contradictoire, coûteux et surtout cette politique va à l’encontre des intérêts des 57% des ivoiriens qui vivent en milieu rural. L’électricité, c’est l’éducation, la santé, le commerce, etc…

L’environnement, qui aujourd’hui est un problème planétaire, semble être le cadet des soucis de nos gouvernants. Utiliser du combustible fossile pour produire l’électricité, c’est accroitre les émissions de gaz à effet de serre, participer au réchauffement de la planète, favoriser la montée des eaux et accélérer ainsi la disparition de quartiers entiers à Port-Bouët par exemple. Vouloir attirer les entreprises internationales en négligeant à ce point cet aspect est une gageure car ces dernières intègrent aujourd’hui la composante environnementale dans leurs projets. Pour conclure, il est important de souligner l’utilité de ce genre de rencontre, ne serait ce que pour que les « jeunes cadres » prennent conscience du chemin à parcourir pour faire évoluer les mentalités afin de penser nous-mêmes et pour nous-mêmes notre développement.

Stéphane MADOU