Réformes du secteur de l’électricité en Côte d’Ivoire

C’est une lapalissade de dire qu’il est urgent de mener des réformes structurelles dans différents secteurs d’activités en Afrique, notamment en Afrique de l’Ouest et plus particulièrement en Côte d’Ivoire. Dans le domaine de l’électricité, un constat s’impose : un habitant de Côte d’Ivoire consomme en moyenne 170 KWh par an, tandis qu’aux Etats Unis, ce chiffre s’élève à 14170 kWh et en France à 6890 KWh. Si comme le révèlent certaines études, la consommation d’énergie en général (pas uniquement d’électricité) est en relation avec le niveau de développement, les chiffres précédents montrent, si besoin en était, l’urgence des réformes dans ce secteur afin d’avoir une production abondante, bon marché et d’augmenter le taux de couverture des populations.

 

A la faveur de la réforme du secteur de l’électricité, encouragée (pour ne pas dire plus) par les institutions financières internationales, la Côte d’Ivoire s’est dotée de trois sociétés d’Etat en remplacement de la défunte EECI1 qui croulait sous les dettes :

  • Une autorité de régulation du secteur a été créée. Elle est en charge du contrôle du concessionnaire et des producteurs indépendants. Elle est aussi responsable de l’arbitrage et des contentieux entre les différents intervenants et la clientèle.

  • Une société en charge de la gestion du patrimoine et de la gestion des flux financiers a vu le jour. Sa mission est de sauvegarder les actifs et les immobilisations de l'Etat en assurant la gestion des loyers résultant de la location ou de la mise à disposition de ce patrimoine ainsi que la gestion comptable et financière des investissements de l’Etat dans le secteur.

  • Une société d’ingénierie a été constituée. Elle est chargée de la planification de l’offre et de la demande en énergie électrique, de la maîtrise d’œuvre des investissements publics et du suivi technique des différents contrats et conventions de concession (contrôle des flux énergétiques).

En plus de ces sociétés d’Etat, une société privée dans laquelle l’Etat est actionnaire à 15% a une convention de service public. Cette dernière a un contrat d’affermage pour la production, le transport et la distribution de l’électricité. En clair, l’Etat lui loue ses installations (barrages hydroélectriques, lignes électriques, transformateurs, etc…) et elle a la responsabilité de l’exploitation et de l’entretien courant de ces dernières. Les gros travaux de réparation et d’entretien étant du ressort du propriétaire c’est à dire l’Etat.

Cette réorganisation du secteur s’est effectuée en vue de donner plus de place aux capitaux privés. Ainsi de nouvelles sociétés privées de production d’électricité sont apparues. Dans le jargon, elles se nomment les Producteurs Indépendants d’Electricité (PIE ou IPP en anglais). L’Etat ivoirien est aussi actionnaire minoritaire (15% environ) dans ces différentes sociétés, qui aujourd’hui sont au nombre de 2. Elles portent des projets de création et d’exploitation d’unités de production dans le cadre de conventions de concession de type BOOT (Build, Own, Operate and Transfer). Elles ont des contrats de type « Take or pay » avec l’Etat dans lesquels elles s’engagent à fournir une quantité minimale d’électricité que l’Etat est obligé d’acheter. L’Etat ivoirien s’engage aussi à fournir le combustible nécessaire à la bonne marche des installations. Cette formule sécurise les investissements et leur garantit une certaine rentabilité.

 

Il est indéniable que cette réforme finalisée en 1998 présente certains avantages. Elle permet l’afflux massif de capitaux privés pour assurer la production d’électricité. Cet afflux est salutaire au vu des besoins croissants du pays (8% de croissance de la demande par an) et du manque de ressources de l’Etat. De plus avec cette réforme, théoriquement, le recentrage de l’Etat sur ses activités régaliennes est censé aller de pair avec une plus grande responsabilisation du secteur privé. Ce qui engendre, une plus grande rationalisation dans l’utilisation des moyens et dans la gestion des entreprises. Enfin cette réforme montre une certaine volonté de modernisation de l’Etat ivoirien en vue d’assurer la compétitivité du secteur.

Cependant à la faveur du délestage important observé en Côte d’Ivoire en 2010, la question de la place de l’Etat dans le secteur se pose. En dépit des avantages évidents que l’Etat soit actionnaire des différentes sociétés présentées précédemment, des problèmes demeurent. Les investissements qui doivent être faits par l’Etat dans le but d’assurer la maintenance des installations ne sont pas faits. Les installations hydrauliques ne fournissent que 33% de leur énergie maximale (1750 GWh produits en 2010 pour une capacité de 5300 Gwh installés) à cause du fonctionnement en baisse de charge, des interruptions intempestives dues aux défaillances de matériel et plus généralement du non-respect du calendrier des investissements. C’est pourquoi la défaillance d’une turbine de 150 MW de la centrale d’un PIE en décembre 2009, a complètement rompu le mince équilibre offre-demande du système.

 

Il est nécessaire d'approfondir les réformes engagées à travers :

  • une plus grande clarification des missions des sociétés d’Etat créées avec éventuellement un regroupement de certaines d’entre elles,

  • une plus grande indépendance de l’Autorité de Régulation vis-à-vis de l’Etat et des sociétés privées du secteur,

  • un désengagement total de l’Etat des PIE afin d’exercer des contrôles sans conflit d’intérêt,

  • un renforcement de la part de l’Etat dans la société qui a la convention de service public en vue d’assurer une équité des citoyens par rapport à l’accès à l’électricité et d’avoir un plus grand pouvoir sur les prix pour le consommateur final.

  • une vente complète des installations de production publiques (barrages hydroélectriques par exemple) aux entreprises privées.

Ces aménagements permettraient de sortir du flou actuel qui entoure le secteur, de favoriser l’investissement afin de maintenir la qualité des installations et de donner la possibilité à l’Etat de concentrer ses moyens pour favoriser l’électrification rurale.

Stéphane MADOU

1 EECI : Energie Electrique de Côte d’Ivoire crée en 1952 et liquidée en 1998.

Crédit photo: africaexpress.fr

 

L’électrification de la Côte d’Ivoire, il reste du chemin…

Le samedi 10 Mars 2012, s’est tenue à Paris, une « journée de réflexion » sur différents sujets importants pour le développement de la Côte d’Ivoire : l’apport de la Diaspora, la place des NTIC, l’Education et la Politique Energétique. Cette journée a été organisée par un réseau de « jeunes cadres » ivoiriens engagés pour le développement de la Côte d’Ivoire. Elle a vu la participation de personnalités éminentes. Attiré par l’énergie, les travaux de l’atelier portant sur la politique énergétique du pays sont ceux qui ont le plus capté mon attention. Cet atelier avait pour but de réfléchir à la politique énergétique à mettre en place pour soutenir la croissance économique espérée par les populations en vue d’améliorer leur quotidien. De cet atelier, il faut retenir que la CI s’est dotée d’un document stratégique, qui donne les grandes orientations dans ce domaine, recense avec précision les projets à réaliser et les investissements à faire. En matière de production électrique, la stratégie de la CI est basée sur l’utilisation plus accrue du potentiel hydroélectrique (20% du potentiel de 12 000 MWh est utilisé aujourd’hui) du pays. Le début de cette phase nécessitant un temps de construction de nouveaux barrages (Soubré est le premier d’une longue série) de l’ordre de 7 ans, la CI a décidé de renforcer ses capacités en centrales à gaz. Et pour alimenter ces centrales à gaz, il est espéré de nouvelles découvertes et prévu la construction d’un gazoduc reliant ces champs aux centrales.

En conclusion, pour satisfaire la demande d’électricité qui croît de plus de 8% par an, deux sources d’énergie sont préconisées pour assurer la production électrique de la CI : le gaz et l’hydroélectricité. Ces options, qui peuvent apparaître comme les plus raisonnables, sont en réalité frappées du sceau d’une vision passéiste, non volontariste et trop libérale. Ceci pour plusieurs raisons : elles sont, en définitive, le renforcement de ce qui est déjà car la CI a aujourd’hui une capacité de production électrique installée de l’ordre de 1400 MW répartie, à peu près équitablement entre les installations thermiques et hydroélectriques. Elaborer une « nouvelle stratégie » pour confirmer l’ancienne. Tel est ce qui est proposé aux ivoiriens aujourd’hui.

Construire une stratégie sur l’hypothèse qu’on découvre des champs gaziers plus importants en CI pose déjà des problèmes évidents (Car si ces nouveaux champs gaziers ne sont pas découverts, que faisons-nous ?). Mais soit ! Construire un nouveau gazoduc indépendant de celui qui relie déjà le Nigéria au Ghana en passant par le Bénin et le Togo, en plus de ne pas être la solution la plus économique, apparaît comme une épine dans le pied de l’intégration régionale. L’idée de « mix » énergétique est ici réduite au minimum : 2. N’est il pas dangereux de se baser uniquement sur 2 sources pour la production électrique quand aujourd’hui l’heure est à des « mix » beaucoup plus variés (exemple : le Kenya avec une unité de production d’électricité à base de géothermie de 128 MW) ? En cas de sécheresse, comme celle de 1983 qui a provoqué des délestages en CI, que faisons-nous ?

Aucune incitation de l’Etat (avantages fiscaux, garantie du prix de rachat du kWh à un prix compétitif, etc…) n’est envisagée pour développer les énergies renouvelables (comme le solaire et l’éolien par exemple). Ceci au motif que ce n’est pas à l’Etat de mener ce genre de projet, l’investissement étant libre en CI, c’est aux investisseurs d’amorcer ce tournant décisif et salutaire sous nos tropiques. Au delà du dogme libéral qui sous-tend cette position et des problèmes techniques de connexion ou non au réseau qui compliquent davantage le problème, ces arguments sont donnés en sachant que sans coup de pouce de l’Etat, aucun projet de ce type ne saurait prospérer en Côte d’Ivoire. C’est le serpent qui se mord la queue. C’est ce genre de logique, qui relève au mieux d’un manque de vision, qui maintient l’Afrique à la traine. Le taux d’ensoleillement en Afrique (5,4 MW/m²/an) est plus élevé que celui de l’Europe par exemple (4 MW/m²/an). Il faut croire qu’il est normal que nous négligions ce type d’énergie et que les pays européens, moins bien lotis que nous par la nature, misent sur cette énergie. Pourquoi ne pas investir afin d’être leader, dans un domaine, pour une fois ? Devons-nous toujours attendre que les organisations internationales viennent nous montrer comment utiliser les immenses ressources dont nous disposons, en nous vendant au passage leur technologie ?

En CI, la stratégie pour l’électrification depuis 1960 a certes permis d’avoir un taux de couverture d’environ 40%, mais n’a pas apporté la lumière dans les endroits les plus reculés du pays. Cette stratégie était basée sur la production centralisée acheminée à travers des lignes électriques. Et quelle est la nouvelle stratégie proposée ? Une production centralisée acheminée à travers des lignes électriques. OUI, la même ! Vu les résultats de cette stratégie, il est étonnant voire révoltant qu’en 2012, les décideurs choisissent la même stratégie que celle des années 60 pour résoudre le même problème. En clair, l’Etat estime ne pas avoir les moyens de faire des efforts pour faciliter le développement des énergies renouvelables, énergies décentralisées, mais s’engage, à construire des lignes électriques pour électrifier tous les villages de Côte d’Ivoire. C’est contradictoire, coûteux et surtout cette politique va à l’encontre des intérêts des 57% des ivoiriens qui vivent en milieu rural. L’électricité, c’est l’éducation, la santé, le commerce, etc…

L’environnement, qui aujourd’hui est un problème planétaire, semble être le cadet des soucis de nos gouvernants. Utiliser du combustible fossile pour produire l’électricité, c’est accroitre les émissions de gaz à effet de serre, participer au réchauffement de la planète, favoriser la montée des eaux et accélérer ainsi la disparition de quartiers entiers à Port-Bouët par exemple. Vouloir attirer les entreprises internationales en négligeant à ce point cet aspect est une gageure car ces dernières intègrent aujourd’hui la composante environnementale dans leurs projets. Pour conclure, il est important de souligner l’utilité de ce genre de rencontre, ne serait ce que pour que les « jeunes cadres » prennent conscience du chemin à parcourir pour faire évoluer les mentalités afin de penser nous-mêmes et pour nous-mêmes notre développement.

Stéphane MADOU