Le commerce intra-africain : un levier pour l’emploi des jeunes ?

uneAujourd’hui l’emploi des jeunes est au cœur de tous les débats économiques en Afrique. Alors que les recommandations se focalisent sur les politiques classiques de formation, d’entreprenariat et de création de « pôles emploi », le rôle du commerce intra-africain reste occulté. Dans cet article, nous examinons le lien qu’il peut exister entre l’accroissement du commerce entre les pays africains et l’emploi des jeunes. Cet exercice est en prélude au colloque du Club Diallo Telli sur le commerce intra-africain.

A l’échelle d’un pays, nous mesurons l’intensité du commerce intra-africain en utilisant la part des exportations de ce pays en direction de l’Afrique dans le total de ses exportations. Autrement dit, plus un pays Africain exporte vers une destination africaine, plus il est impliqué dans le commerce intra-africain. Quant à l’emploi des jeunes (15 à 24 ans), il est mesuré à travers deux indicateurs. D’une part, le taux de chômage des personnes ayant entre 15 et 24 ans ; et d’autre part le taux de participation de cette même catégorie de la population au marché du travail. La note technique ci-dessous donne plus de détails sur le calcul de ces indicateurs tout en précisant la source des données de même que les références temporelles.

Commerce intra-africain et chômage des jeunes

graph1Les résultats de cette analyse montrent qu’il existe un lien négatif entre le commerce intra-africain et le chômage des jeunes. En effet, comme le montre le graphique ci-contre, les pays qui exportent plus vers l’Afrique ont un plus bas taux de chômage des jeunes.

Ce résultat est davantage conforté lorsqu’on considère la variation de l’intensité du commerce intra-africain entre deux périodes, notamment 1996-2000 et 2007-2011. C’est ce que montre le graphique ci-contre qui présente la relation entre le taux de chômage des jeunes sur la verticale et la variation de la part des exportations vers l’Afrique entre les deux périodes. On y voit en effet que les pays ayant le plus augmenté la part de leurs exportations vers l’Afrique ont les plus bas taux de chômage chez les jeunes.

graph2Cependant, le taux de chômage peut être faible dans des pays où très peu de jeunes participent au marché du travail. Pour cela, nous regardons aussi le lien entre le commerce intra-africain et la participation des jeunes sur le marché du travail.

Commerce intra-africain et participation des jeunes sur le marché du travail

graph3Le graphique ci-contre montre que globalement les pays qui exportent davantage vers l’Afrique ont des taux plus faible de participation des jeunes au marché du travail. Cependant, lorsqu’on y regarde de plus près on constante que la relation n’est pas linéaire ; mais plutôt en U-inversé. Cela signifie qu’il existe un niveau de participation au commerce intra-africain qui maximise la participation des jeunes au marché du travail. D’après nos résultats, ce niveau est de 20%. Autrement dit, les pays dont moins de 20% des exportations sont à destination de l’Afrique peuvent encore augmenter le taux de participation des jeunes sur le marché du travail en s’impliquant davantage dans le commerce intra-africain. Toutefois, lorsque ce niveau est dépassé, une implication plus forte du pays est associée à une plus faible participation des jeunes sur le marché du travail.

graph4En réalité, la partie descendante de la courbe est tirée par quelques pays dont plus de 40% des exportations sont à destination de l’Afrique. Ainsi, nous examinons plutôt ce qui se passe lorsqu’un pays augmente ou diminue la part de ses exportations vers l’Afrique entre 1996-2000 et 2007-2011. Le graphique ci-contre montre que les pays ayant le plus augmenter leur participation au commerce intra-africain enregistrent les plus fort taux de participation des jeunes au marché du travail.

S’agit-il de liens causals ?

Alors que les graphiques ci-dessus décrivent à priori des relations de corrélation entre le commerce intra-africain et l’emploi des jeunes, la question qui survient est de savoir si ces relations peuvent être interprétées comme des liens de cause à effet. Peut-on dire que le commerce intra-africain réduit le chômage des jeunes tout en augmentant leur participation au marché du travail ?

Pour répondre à cette question, nous avions pris quelques précautions dans le choix des indicateurs et des références temporelles. Comme on peut le constater, les données sur l’implication des pays dans le commerce intra-africain datent de la période 1996-2000 pour le premier et le troisième graphe ; alors que les mesures du taux de chômage et de participation des jeunes ont été faites après les années 2000. On ne peut donc pas raisonnablement soutenir que c’est parce qu’un pays a un faible taux de chômage ou une forte participation des jeunes au marché du travail qu’il s’implique davantage dans le commerce intra-africain.

Par ailleurs, le choix de la variation de la part des exportations en direction de l’Afrique entre deux périodes permet de se débarrasser d’éventuels facteurs tiers qui pourraient être à l’origine des relations observées. Il peut s’agir par exemple de l’importance des activités manufacturières, de la position géographique (enclavement), ou de la part du secteur informel qui déterminent à la fois le niveau d’emploi des jeunes et l’implication d’un pays dans le commerce intra-africain.

Il en résulte donc que ces relations sont très probablement causales. Dans le cas échéant, le commerce intra-africain est effectivement un levier de réduction du chômage des jeunes et d’augmentation de leur participation au marché du travail. Concrètement, les résultats indiquent qu’une augmentation de 1 point (en%) de la part des exportations en direction de l’Afrique permet de réduire le taux de chômage des jeunes de 0.1 point et leur taux de participation au marché du travail de 0.3 point.  Ceci étant, ces résultats peuvent être limités par la qualité des données quoique nous ayons restreint l’échantillon sur les pays ayant les meilleures données. De plus, il reste à mettre en lumière les mécanismes qui sont à la base de l’impact du commerce intra-africain sur l’emploi des jeunes en Afrique.

 

Georges Vivien Houngbonon

 

Note technique :

Les données sur la part des exportations en directions des pays Africains sont tirées du rapport 2013 de l’UNCTAD sur l’état du commerce intra-africain. Ces données fournissent en pourcentage la part des exportations de chaque pays africain en direction de l’Afrique d’une part entre 1996 et 2000 et d’autre part entre 2007 et 2011.

Quant aux données sur l’emploi des jeunes, elles proviennent de la sixième édition de la base de données du BIT sur les indicateurs clés du marché du travail. Nous avons choisi les données les plus récentes pour chaque pays, puisque la date de disponibilité diffère suivant les pays. Cependant, la plupart des données datent de la période post-2000.

Pour le calcul des taux de chômage et de participation, se référer au document explicatif du BIT.