Sandrine Lemare-Boly, une sénégauloise au pays de la Teranga

Sandrine Eco Maires (1)Enda Graf Sahel est un démembrement thématique de Enda Tiers Monde, ONG qui fait de l’intermédiation politique entre les Etats et des structures collectives à la base. Nous avons rencontré à Dakar Sandrine Lemare-Boly, qui y travaille. Facile de lire la passion dans ses yeux quand elle parle de cette structure que Emmanuel Seyni Ndione, héritier de Jacques Bugnicourt, avait mis en place. Emmanuel, avec qui Sandrine a décidé de travailler alors qu’elle était encore en France après avoir seulement lu son livre « Dakar , une société en grappes ». Nostalgique, Sandrine regrette le temps où « trouver des financements était facile ». Aujourd’hui, la crise mondiale aidant, les bailleurs préfèrent orienter leur accompagnement principalement au travers de l’aide budgétaire.

A Enda Graf Sahel, Sandrine s’occupe principalement de projets éducatifs, mais travaille également sur le secteur de l’agroalimentaire, celui des transports, des radios communautaires… L’éducation reste toutefois sa vraie passion. Selon elle, il devrait y avoir un modèle en trois strates d’encadrement de l’enfant au Sénégal. Il s’agit du daara (école coranique), de l’école communautaire et de la structure d’apprentissage. Ces trois structures dispensent un enseignement général, un enseignement religieux et transmettent un métier aux pensionnaires. Déjà douze initiatives de ce type sont en train d’être mises en place. Selon Sandrine, alors que « des jeunes avec bac + 26 cherchent en vain du boulot »,  pourquoi pas inverser la courbe et créer des citoyens capables de pratiquer un métier ? L’idée in fine est d’intéresser l’Etat en vue de le conduire à intégrer ce modèle articulé dans la mise en œuvre des politiques publiques dans le domaine de l’éducation. 

Née à Granville, elle a fait ses études universitaires à Caen dans cette Normandie qui a accueilli les derniers jours de Senghor. Après un Bac obtenu en 1992, Sandrine a eu un parcours atypique. Inscrite à la fac, elle n’y mettra les pieds que très rarement. « Etudiante par intérim », concède t-elle avec malice. Elle a travaillé pendant 7 ans comme assistante d’éducation en ZEP pour financer ses études. Celui qui lui transmettait les cours est devenu par le charme de la vie l’homme qui partage aujourd’hui sa vie. Cette formation en dehors des amphis ne l’a pas empêché d’avoir un parcours étonnant et détonnant. Maitrise de sociologie, DEA en Sciences politiques mention Etudes africaines, avec une spécialisation sur le Sénégal, DESS en Crises interventions humanitaires/ Développement et inscription en thèse. 

Le premier flirt avec le Sénégal eut lieu en 1996. Toutefois loin de la fraicheur matinale du village des pêcheurs de Yoff, c’est à Caen auprès de voisins Sénégalais de la cité Universitaire d’Hérouville-Saint-Clair, qu’elle eut d’abord un premier contact avec ce qui deviendra son pays. Comme si la Providence avait placé sur son chemin des individus chargés de baliser sa route vers le pays de la Teranga, après une projection de film suivie de débat sur le rôle du griot mandingue, elle posa, candide, la question de savoir s’il « y avait des griots au Sénégal » et « si c’était la même chose que les griots mandingues ? ». Les réponses sur le rôle social et politique du griot l’enchantèrent. Elle décida de s’y intéresser. C’est dans ce cadre que Sandrine vient au Sénégal depuis 1998 tous les ans, pendant 2 mois, pour des recherches sur le sujet. Curieuse, aventurière et avide d’éclectisme, elle se mêle toujours de tout. C’est ainsi qu’elle fit des piges pour RFI et Nouvel Horizon pour, dit-elle, s’ « introduire au plus profond de la société sénégalaise ». Elle réussit même à se procurer une carte de presse…

Sandrine est installée depuis 2006 au Sénégal. « Définitivement » s’empresse t-elle d’ajouter. Et comme pour mieux préciser ses mots, elle le dit en wolof : « fila deuk » (j’habite ici). Cette jeune femme est un antidote vivant aux constructions idéologiques racistes, prouvant qu'une normande de naissance peut parler de son patriotisme à l’endroit du pays de Cheikh Anta Diop. « Je parle wolof » enfonce-t-elle, car « c’est un manque de respect de ne pas parler wolof quand on décide de vivre au Sénégal, même dans un pays francophone ». Elle ajoute : « en France on demande aux candidats à l’immigration de parler français ». En effet. 

L'engagement de Sandrine ne s'arrête pas à son activité à Enda Graf Sahel. Elle respire aussi la politique à grande bouffée. A gauche, s’il vous plait. Impliquée en politique depuis ses années étudiantes par le biais de l’UNEF et diverses associations proches du PS, elle n’a cependant été encartée qu’en 2000. Mais elle quittera rapidement ses camarades car « ne supportant pas l’instrumentalisation ». Elle le répétera à deux reprises : « Je ne supporte pas l’instrumentalisation. » Sandrine est convaincue que même en dehors des appareils, elle fait de la politique tous les jours dans le cadre de son engagement de militante sociale. Les Primaires citoyennes du PS lui donne l'occasion de renouer avec l'engagement partisan. Elle crée le comité de soutien à François Hollande qu’elle a soutenu « depuis le départ ». Elle y tient. Grâce à un bon réseau dans la presse, ca marche rapidement. Dans la foulée, elle rejoint la section PS de Dakar et décidant de « rester folle » elle envoie sa candidature à la Fédération des Français de l’Etranger. Elle est élue et y s’occupe de l’intégration des nouveaux adhérents et du développement des adhésions. Parcours fulgurant !

Au PS, elle s’intéresse surtout à l’Aide Publique au Développement, la coopération décentralisée, les rapports France-Afrique et les questions d’immigration. « J’avance à mon rythme, sans avoir les dents longues. Je suis contente là où je suis », confie-t-elle. Pour preuve, elle cite Kocc Barma : Nitt nitay garabam » (l’homme est le remède de l’homme). Son viatique. Infatigable, Sandrine vient de se lancer dans un autre chantier qui relie ses deux pays, toujours dans son rôle d’opératrice. Il s’agit d’Ecomaires Afrique. L’idée est de mettre en place des réseaux d’élus africains, dans un premier temps sur le Sénégal, et d’instaurer des liens de coopération avec les Maires français, de toutes obédiences politiques, regroupés dans l’association française Ecomaires sur les problématiques environnementales (développement durable, préservation de la biodiversité et changements climatiques). Engagée dans les législatives qui ont suivi la victoire de son candidat, elle bat campagne pour Pouria Amirshahi, candidat d’origine iranienne du PS dans une circonscription des Français de l’étranger, qui l'a finalement élu. 

Comment la jeune femme trouve t-elle le temps de mener de front toutes ces activités ? Surtout quand elle vous confie :  « Tous les jours à 18h, j’éteins mon ordinateur. Je rentre chez moi m’occuper de ma fille. Ma priorité, c’est ma fille ». Alors, si un jour de passage à Dakar, vous voulez faire la connaissance de Sandrine ou la soutenir dans son combat pour l’éducation au Sénégal, sachez que ce ne sera pas à 18h, car à ce moment, elle sera à la maison, en famille. 

Hamidou Anne