Pour une réforme de la Statistique en Afrique

Malgré son importance pour le développement économique et social, la statistique est relativement peu développée en Afrique subsaharienne. Un constat qui s'explique par la faiblesse de la diffusion des données et des effectifs de statisticiens. Une réforme profonde est nécessaire pour donner à la statistique son rôle de premier plan dans la prise de décisions.

Historiquement, l’ambition de connaître le nombre de citoyens et leurs caractéristiques a conduit les Etats à collecter des informations démographiques. Bien qu’étant les prémisses de la statistique publique, ces recensements révélaient déjà l’importance des statistiques pour la taxation, l’aménagement du territoire et la mobilisation militaire. De nos jours, le rôle de la statistique dans la gestion économique et sociale des Etats n’est plus à démontrer. Qu’il s’agisse de la maîtrise du chômage ou de l’inflation ou encore de l’orientation des politiques de lutte contre la pauvreté, les statistiques sont au cœur des enjeux de développement des nations et plus particulièrement des pays en développement.

Cette importance contraste avec le constat de la faiblesse de cette branche dans les pays d’Afrique subsaharienne. En effet, le système statistique dans les pays d’Afrique subsaharienne est confronté à plusieurs difficultés qui entravent sa contribution au développement économique et social. C’est en substance ce que révèle le dernier rapport de l’ Observatoire Economique et Statistique d’Afrique Sub-Saharienne (Afristat) sur les systèmes statistiques nationaux. Ces difficultés concernent notamment les ressources humaines et la publication des données statistiques.

D’une part, le problème des ressources humaines se pose avec acuité dans la mesure où chaque institut de statistique (INS) dispose en moyenne de 30  statisticiens et démographes en charge de la production de toutes les statistiques de la nation. Cette moyenne masque une large disparité entre les pays puisque les effectifs varient de 9 en Guinée à 93 au Congo avec le cas particulier de la Guinée équatoriale qui ne possédait aucun statisticien en 2006. Ce constat vient corroborer l’état d’insuffisance de la formation des statisticiens en Afrique. En dehors des quelques écoles nationales dédiées principalement à la formation d’enquêteurs, les trois écoles sous-régionales que sont l’ENSAE-Sénégal, l’ENSEA-Abidjan et l’ISSEA-Yaoundé ne recrutent qu’en moyenne 150  étudiants par an en provenance de 20 pays Africains, soit moins de 8 étudiants par pays.

Par ailleurs, la structure de la formation dans les trois écoles a engendré des clivages très marqués entre les différents niveaux – entre les Ingénieurs Statisticiens Economistes et les Ingénieurs des Travaux Statistiques notamment – de sorte que très peu intègrent les Instituts de Statistiques à la fin de leur formation. Cependant, ils ne sont pas entièrement à l’origine de la faiblesse des effectifs dans les INS. Les institutions internationales et le secteur privé livrent une concurrence très rude pour embaucher le peu de statisticiens formés et plus particulièrement les meilleurs. Dès lors, les INS se retrouvent avec peu de statisticiens, en général ceux qui n’ont pas trouvé de débouchés chez les concurrents. Conséquence : une production insuffisante d’informations statistiques de qualité pour les décideurs.

D’autre part, même quand ces chiffres sont disponibles, leur exploitation en termes d’études socio-économiques susceptibles d’orienter les politiques publiques fait énormément défaut. Un rapide tour sur les sites Internet des différents INS suffit pour constater que nombre de données ne sont pas disponibles. En dehors des quelques rapports descriptifs, il n’existe aucun lien d’accès aux données d’enquête ou de comptabilité nationale. Même si certains ont une interface identique à celle de l’INSEE, la différence en termes de contenu est très significative.

La raison régulièrement évoquée pour justifier l’impossibilité d’accès aux données est leur sensibilité.  Alors que leur utilisation par des chercheurs devrait justifier leur diffusion, il n’existe pas à notre connaissance de loi régissant l’accès aux données en Afrique subsaharienne. L’obtention des données se négocié donc souvent au gré de l’humeur du statisticien en charge. Cette situation absurde – des données sont collectées mais pas utilisées –  n’encourage pas la recherche et constitue non seulement un frein au développement.

Une réforme profonde de la formation et de la recherche en statistique sont urgentes et nécessaires pour orienter les politiques de développement. Cette réforme devra notamment mettre l’accent sur une restructuration de la formation des statisticiens de même que sur l’accès aux données d’enquêtes dans un cadre règlementaire bien précis. Ce second axe de réforme est d’ailleurs promu par la Banque Mondiale qui conditionne maintenant le financement des enquêtes par la publication intégrale des données. Sans attendre d’être contraints de le faire, les Etats Africains gagneraient à favoriser l’accès gratuit aux données d’enquêtes et de comptabilité nationale. Il y va de la crédibilité des chiffres communiqués par les INS et du développement.

Georges Vivien Houngbonon, Statisticien diplômé de l’ENSAE-Sénégal