L’African School of Economics: un projet d’excellence

L’African School of Economics (l’école d’économie africaine, ASE) verra le jour à la rentrée de l’année scolaire 2014-2015. Son but est de répondre au manque d’écoles en Afrique où la formation et la recherche n’ont rien à envier à celles des meilleures universités du monde. ASE souhaite devenir une école de classe mondiale qui pourra contribuer au développement de l’Afrique à travers une formation excellente, des projets de recherche créatifs et des solutions innovantes et africaines pour éclairer les politiques et décisions économiques des pays africains.

Le projet de l’African School of Economics est porté et conduit par Léonard Wantchekon, professeur béninois d’économie politique à l’Université de Princeton. Il avait déjà créé en 2004 à Cotonou l’Institut de Recherche Empirique en Economie Politique (IREEP), un institut qui fournit une expertise en matière de gouvernance et de politiques publiques. L’ASE se veut un prolongement du succès de l’IREEP, qui incorporera tout ce qui fait le succès d’un grand département d’économie comme celui de l’université de Princeton ou de l’Ecole d’Economie de Toulouse.

A travers ses programmes de niveau Master : Master en business (MBA), Master en Administration Publique (MPA), Master en Mathématiques, Economie et Statistiques (MMES) et Master en développement (MDS), l’école préparera des professionnels africains à des postes managériaux importants dans les agences de développement ou les multinationales, de même que des entrepreneurs cherchant à monter leur propre entreprise. Elle réduira également la fameuse « fuite des cerveaux » en proposant à des étudiants de très grande qualité une formation du niveau des standards internationaux. L’école aura également deux programmes doctoraux (un doctorat en économie et un doctorat en management) à travers lesquels elle entend faire mieux entendre les voix et les avis africains les mieux informés dans les débats sur les questions qui touchent le continent.

Si comme on peut le voir dans un article paru sur TerangaWeb, des Masters MMES ou MBA de bonne qualité existent déjà dans la région au Sénégal (CESAG), au Cameroun (l’ISSEA), en Côte d’Ivoire (l’ENSEA) ou en Afrique du Sud (à l’université de Cape Town), l’African School of Economics entend se distinguer en proposant une formation plus complète et plus diversifiée : à la fois quantitative et qualitative, professionnalisante mais aussi académique, à forte composante managériale mais également encrée sur les sciences sociales, la recherche théorique et appliquée. L’école projette de recruter les meilleurs professeurs africains dans les disciplines qu’elle couvre et d’aligner leur rémunération sur les niveaux du marché mondial. A travers des partenariats avec de grandes universités et centres de recherche de par le monde (les universités de Princeton, Harvard, Yale, Columbia et New York aux Etats Unis, les universités de Laval et d'Ottawa au Canada, les Ecoles d’Economie de Paris et de Toulouse et l’Ecole Polytechnique en France, l’Ecole d’Economie de Londres et l’université d’Oxford au Royaume-Uni), l’école aura à sa disposition des professeurs affiliés provenant de ces institutions. Ces partenariats permettront également  aux étudiants de l'ASE d’interagir avec ces institutions académiques reconnues et d’avoir une ouverture internationale en Afrique et en dehors pour leur carrière, qu’elle soit en entreprise ou universitaire. ASE aura également trois centres consacrés à la recherche : l’IREEP qui existe déjà, l’Institut d’Etudes Africaines (IAS) et l’Institut pour le développement  du secteur privé (IPSD). En plus des opportunités de recherche que pourvoiront ces centres, ce seront également des véhicules qui assureront une partie du financement de l’école, qui engageront des partenariats avec des agences gouvernementales et des entreprises privées et qui donneront des emplois rémunérés aux étudiants désireux de financer en partie leurs études par ce canal.

Dans un récent article paru sur Terangaweb, Georges Vivien Houngbonon tout en se réjouissant de la mise en place imminente de cette grande école, posait la question de son accessibilité à tous et de sa représentativité à l’échelle du continent, sujette à caution par sa localisation géographique.

Il est vrai que le choix du Bénin pour implanter l’école peut susciter un débat. L’initiateur du projet invoque pour justifier ce choix le caractère démocratique du pays, sa relative stabilité politique de même que son bon classement en termes de respect des droits humains, son implantation géographique assez centrale et la relative qualité de son système éducatif. Le fait que ce petit pays qui était qualifié de «Quartier Latin de l’Afrique» soit francophone alors que les enseignements de l’école seront dispensés en anglais, permettra une attraction d’étudiants francophones et anglophones et facilitera les partenariats avec de grandes institutions académiques en France, au Canada et dans les pays anglo-saxons de premier plan. Mais l’attractivité de l’école viendra d’abord et avant tout de sa réputation d’excellence. Si elle arrive à remplir ses objectifs et à s’aligner sur les exigences internationales de qualité, de rigueur, de recherche et d’enseignements à la pointe de ce qui se fait dans le monde, elle attirera des étudiants africains de l’ensemble du continent. Ses partenariats ciblés avec des institutions dont la renommée n’est plus à faire ne feront qu’améliorer cette attractivité.

Quant au fait que l’école soit privée et donc payante avec des frais de scolarité qui seront vraisemblablement élevés, c’est en réalité un problème plus mineur qu’il n'en a l’air. D’abord de nombreux étudiants africains arrivent à trouver les moyens d’aller étudier en France, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, en quête d’une formation de qualité. Ils pourront la trouver, plus près d’eux et à des coûts relativement réduits. Quant aux étudiants brillants provenant de famille modeste, l’école proposera des bourses. Il y aura également des financements qu’ils pourront obtenir à travers la recherche dans les centres de l’école et des crédits dont l’obtention serait probablement facilitée par l'école.

Il est très important de noter que cette école fixera un standard et un exemple d’école de classe mondiale en Afrique. Ensuite, des écoles du même genre pourraient se multiplier sur le continent. Et comme le souhaite Georges Vivien Houngbonon dans son article, les Etats africains pourraient se saisir de cette initiative pour la répliquer. Il sera encore plus facile pour ces Etats d’octroyer des bourses aux meilleurs étudiants de leur pays pour aller y étudier, amoindrissant ainsi au passage les coûts de transport et le risque de faible attractivité de l’ASE pour les pays plus éloignés. L’African School of Economics a pour but de devenir une école du même niveau que les meilleures dans les disciplines qu'elle couvre et d'être un étendard de l’excellence africaine, c’est tout le mal que nous lui souhaitons.

Tite Yokossi

Pour une réforme de la Statistique en Afrique

Malgré son importance pour le développement économique et social, la statistique est relativement peu développée en Afrique subsaharienne. Un constat qui s'explique par la faiblesse de la diffusion des données et des effectifs de statisticiens. Une réforme profonde est nécessaire pour donner à la statistique son rôle de premier plan dans la prise de décisions.

Historiquement, l’ambition de connaître le nombre de citoyens et leurs caractéristiques a conduit les Etats à collecter des informations démographiques. Bien qu’étant les prémisses de la statistique publique, ces recensements révélaient déjà l’importance des statistiques pour la taxation, l’aménagement du territoire et la mobilisation militaire. De nos jours, le rôle de la statistique dans la gestion économique et sociale des Etats n’est plus à démontrer. Qu’il s’agisse de la maîtrise du chômage ou de l’inflation ou encore de l’orientation des politiques de lutte contre la pauvreté, les statistiques sont au cœur des enjeux de développement des nations et plus particulièrement des pays en développement.

Cette importance contraste avec le constat de la faiblesse de cette branche dans les pays d’Afrique subsaharienne. En effet, le système statistique dans les pays d’Afrique subsaharienne est confronté à plusieurs difficultés qui entravent sa contribution au développement économique et social. C’est en substance ce que révèle le dernier rapport de l’ Observatoire Economique et Statistique d’Afrique Sub-Saharienne (Afristat) sur les systèmes statistiques nationaux. Ces difficultés concernent notamment les ressources humaines et la publication des données statistiques.

D’une part, le problème des ressources humaines se pose avec acuité dans la mesure où chaque institut de statistique (INS) dispose en moyenne de 30  statisticiens et démographes en charge de la production de toutes les statistiques de la nation. Cette moyenne masque une large disparité entre les pays puisque les effectifs varient de 9 en Guinée à 93 au Congo avec le cas particulier de la Guinée équatoriale qui ne possédait aucun statisticien en 2006. Ce constat vient corroborer l’état d’insuffisance de la formation des statisticiens en Afrique. En dehors des quelques écoles nationales dédiées principalement à la formation d’enquêteurs, les trois écoles sous-régionales que sont l’ENSAE-Sénégal, l’ENSEA-Abidjan et l’ISSEA-Yaoundé ne recrutent qu’en moyenne 150  étudiants par an en provenance de 20 pays Africains, soit moins de 8 étudiants par pays.

Par ailleurs, la structure de la formation dans les trois écoles a engendré des clivages très marqués entre les différents niveaux – entre les Ingénieurs Statisticiens Economistes et les Ingénieurs des Travaux Statistiques notamment – de sorte que très peu intègrent les Instituts de Statistiques à la fin de leur formation. Cependant, ils ne sont pas entièrement à l’origine de la faiblesse des effectifs dans les INS. Les institutions internationales et le secteur privé livrent une concurrence très rude pour embaucher le peu de statisticiens formés et plus particulièrement les meilleurs. Dès lors, les INS se retrouvent avec peu de statisticiens, en général ceux qui n’ont pas trouvé de débouchés chez les concurrents. Conséquence : une production insuffisante d’informations statistiques de qualité pour les décideurs.

D’autre part, même quand ces chiffres sont disponibles, leur exploitation en termes d’études socio-économiques susceptibles d’orienter les politiques publiques fait énormément défaut. Un rapide tour sur les sites Internet des différents INS suffit pour constater que nombre de données ne sont pas disponibles. En dehors des quelques rapports descriptifs, il n’existe aucun lien d’accès aux données d’enquête ou de comptabilité nationale. Même si certains ont une interface identique à celle de l’INSEE, la différence en termes de contenu est très significative.

La raison régulièrement évoquée pour justifier l’impossibilité d’accès aux données est leur sensibilité.  Alors que leur utilisation par des chercheurs devrait justifier leur diffusion, il n’existe pas à notre connaissance de loi régissant l’accès aux données en Afrique subsaharienne. L’obtention des données se négocié donc souvent au gré de l’humeur du statisticien en charge. Cette situation absurde – des données sont collectées mais pas utilisées –  n’encourage pas la recherche et constitue non seulement un frein au développement.

Une réforme profonde de la formation et de la recherche en statistique sont urgentes et nécessaires pour orienter les politiques de développement. Cette réforme devra notamment mettre l’accent sur une restructuration de la formation des statisticiens de même que sur l’accès aux données d’enquêtes dans un cadre règlementaire bien précis. Ce second axe de réforme est d’ailleurs promu par la Banque Mondiale qui conditionne maintenant le financement des enquêtes par la publication intégrale des données. Sans attendre d’être contraints de le faire, les Etats Africains gagneraient à favoriser l’accès gratuit aux données d’enquêtes et de comptabilité nationale. Il y va de la crédibilité des chiffres communiqués par les INS et du développement.

Georges Vivien Houngbonon, Statisticien diplômé de l’ENSAE-Sénégal