Les déchets : gisement d’opportunités économiques au Congo

Cet article continue la série d'analyses développées par Vera Kempf sur la gestion des déchets et l'environnement en République du Congo. 

 

Le thème des déchets fait rarement la une, à tort. Réinventer du neuf avec du vieux, voilà une expérience innovante. C’est aussi le cœur de l’économie verte, ce nouveau concept dont le Congo Brazzaville a fait son fer de lance en matière de développement.

plastique Congo

Le Congo vise le statut de pays émergent d’ici 2025, et malgré ses 4 millions d’habitants, il observe aujourd’hui une croissance démographique rapide. Par conséquent, un niveau de vie en hausse et des habitudes de consommation plus polluantes sont à prévoir dans les prochaines décennies. A terme, une quantité de déchets plus importante va être générée.

Le gouvernement congolais, par le décret n° 2011 – 485 du 20 juillet 2011 [PDF], a interdit l’usage de sacs plastiques pour des biens de consommation, notamment alimentaires. Difficile aujourd’hui d’évaluer l’impact de cette loi, ses effets rebonds ou ses corollaires. Elle démontre cependant une prise de conscience des pouvoirs publics pour la question des déchets.

Entreprendre dans les déchets

Le manque de stratégie et de moyens publics en matière de déchets, ainsi que l’importance du travail à réaliser, ouvrent des opportunités réelles pour le secteur privé. Emergent ainsi à Pointe-Noire plusieurs PME bien décidées à s’emparer du marché. Parmi elles, nous avons rencontré SURYA et Healthy Environment. Deux exemples d’une application concrète de l’économie verte au Congo et une mise en avant des éléments qui freinent encore son développement.

Sans être philanthropiques, ces deux entreprises ont été créées avec le but affirmé de participer à l’amélioration des conditions de vie des populations. Elles ont un impact direct et observable sur la création d’emplois et sur la salubrité des quartiers dans lesquels elles opèrent.

Créer des emplois verts décents, voilà une des convictions du Bureau International du Travail (BIT) à propos de l’économie verte[1]. Un emploi stable, un salaire régulier, une profession valorisée, des conditions de travail sécurisées, et dans de nombreux pays africains, cela va de pair avec la sortie de l’informel. Les éboueurs informels sont encore nombreux dans les rues de Pointe-Noire, ils ont disparu des rues de Nkayi où la mairie a externalisé la gestion des déchets pour la confier à SURYA. En revanche, ce sont  190 emplois de créés à Nkayi et 90 à Pointe-Noire, pour ces seules deux entreprises actives sur le marché depuis deux ans et avec une parité hommes-femmes presque atteinte (48% – 52%). Après une période d’essai, les employés sont embauchés en contrat à durée déterminée renouvelable. Les éboueurs portent des tenues de travail adaptées à leur activité et reçoivent un salaire chaque mois, versé par un organisme de micro-finance.

Les difficultés du secteur

Patience et endurance sont nécessaires pour gagner la confiance des ménages qui s’en remettent souvent au secteur informel, pour démarcher des clients et collecter l’argent auprès des particuliers. Chaque entreprise a sa méthode de facturation : à la quantité, à la fréquence de collecte, à la distance… Même largement subventionnée comme à Nkayi, la contribution de 240 Fcfa demandée est parfois difficile à percevoir à la fin du mois. A cela se rajoutent les coûts élevés pour obtenir l’agrément étatique, et ceux de dépôts à la décharge municipale. A Pointe-Noire, pour 3m3 d’ordures les entreprises payent 3 500 Fcfa. Malgré ces difficultés de trésorerie et les coûts annexes, SURYA enregistrait en 2012 une progression de 21% de son chiffre d’affaires par rapport à 2011. Le green business est là, sous nos yeux.

Aller au-delà de la collecte

On ne change pas les mentalités en signant un contrat de service avec un ménage. Les immondices qui jonchent les rues ne rentrent pas dans les compétences des entreprises, elles constituent donc encore un risque important d’insalubrité dans les quartiers. Si l’on en croit cependant l’exemple de Nkayi après deux ans d’activité de SURYA, les décharges à ciel ouvert disparaitront avec le temps et le professionnalisme des entreprises, qui sensibilisent autant qu’elles assainissent.

L’implication du secteur privé dans les déchets permet une efficacité dans la collecte, premier maillon de la chaîne de gestion des ordures. Perdure la question du traitement et du stockage, que ces petites PME n’ont pas encore les moyens de prendre en charge. Enfouis dans les décharges municipales, ou incinérés, les déchets ne sont ni recyclés ni valorisés en dehors du secteur informel. Les entreprises le savent, et parlent d’avoir leur propre zone de stockage comme d’un objectif à atteindre à moyen terme, quand elles pourront vivre décemment de leur activité de collecte.

Pour rentrer complètement dans l’économie verte, les entreprises du secteur doivent encore relever l’enjeu de la valorisation. Pour cela, les financements demeurent essentiels. Un Fonds pour l’Economie verte en Afrique centrale devrait voir le jour sous peu. Espérons qu’il répondra à leur demande, ou que les mairies sauront inventer des partenariats dynamiques et exigeants pour le développement urbain.

l’Afrique et le changement climatique : une introduction

Les Africains considèrent qu’ils n’ont pas contribué au changement climatique mais qu’ils sont les premiers à en subir les conséquences les plus lourdes[i]. Dans cette série d'articles, nous nous proposons d’apporter un éclairage sur le changement climatique, ses impacts en Afrique, ses enjeux. Quelles sont les stratégies d’adaptation?


Dans ce premier article, commençons par expliquer la variabilité du climat et l’effet de serre global. 

AU COMMENCEMENT

Oxfam AfricaQuelques jalons pour se fixer les idées: La Terre telle que nous la connaissons s’est formée il y a 4,6 milliards d’années. Il y a 2 milliards d’années, un processus qui avait conduit à l’arrivée massive de l’oxygène dans l’atmosphère terrestre primitive, aboutit à la formation des premières vies «oxygénées». Depuis, la composition de l’atmosphère terrestre, cette couche gazeuse qui entoure la surface du globe, a connu d’intenses variations, liées aux activités géologiques et astronomiques. Les conséquences pour l’ensemble du globe étaient des alternances de périodes de refroidissement intenses dites glacières et d’autres de réchauffement global. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, ces périodes ont occasionné la disparition de certaines espèces et l’apparition et/ou l’évolution d’autres. Leurs vestiges formeront plus tard les hydrocarbures. A l’aide des informations qu’ils recèlent, les scientifiques ont mis en évidence et étudié une variabilité naturelle du climat à différentes échelles spatio-temporelles. Le climat par définition explique les conditions de l'atmosphère au-dessus d'un lieu à moyen et long terme (à la différence de la météorologie qui s'intéresse au court terme).

Il y a seulement 200 000 ans, c’est-à-dire très récemment à l’échelle de l’évolution globale, apparaît l’homo sapiens que l’on peut qualifier d’ancêtre de l’humain actuel. A une échelle infiniment plus petite, il y a 260 ans, la révolution industrielle a lieu. Commence alors une période d’exploitation en masse des ressources terrestres qui se poursuit de nos jours. Cela a-t-il un impact sur le climat?

L’EFFET DE SERRE

L’air est constitué essentiellement de deux gaz (Azote 78%, oxygène (dioxygène) 21%). Parmi la très faible quantité d’autres gaz présents, il y a les gaz à effet de serre (GES) dont le fameux gaz carbonique (CO2). Leurs conséquences, en revanche sur la vie sont très importantes. Ces gaz n'empêchent pas la lumière du soleil d'arriver jusqu'à nous. Ainsi, la journée, le soleil chauffe la surface du globe. La nuit, cette dernière restitue une partie de la chaleur sous forme de rayonnement infrarouge. Les GES empêchent ce rayonnement de repartir vers l'espace. Ils font ainsi office de "couvercle" en retenant l'énergie, maintenant une température élevée près du sol. C’est l’effet de serre naturel, qui assure ainsi une température clémente à la surface (plus).

Cependant, plus la concentration des GES augmente, plus ces derniers captent l’énergie, réchauffant ainsi l’atmosphère. Depuis la révolution industrielle, la production de l’énergie, le fonctionnement du système industriel repose essentiellement sur la combustion des ressources fossiles: pétrole, gaz et charbon; brulés ils émettent des gaz à effet de serre supplémentaire dans l’atmosphère. A l’effet de serre naturel, s’ajoute alors un effet de serre d’origine humaine. L’équilibre du système est rompu entrainant entre autres une élévation de la température globale[ii].

On n’a jamais vu un phénomène naturel aussi accéléré. Au rythme actuel, la tendance du réchauffement climatique risque d’être irréversible à l’échelle humaine bouleversant complètement le mode de vie actuel[iii]. En Afrique de l’ouest par exemple, le climat est caractérisé par une migration saisonnière des précipitations de l’équateur vers les régions du Sahel ; celles-ci débutent en mai sur la côte guinéenne, gagnent le Sahel en août et redescendent vers le golfe de Guinée en novembre. Ce processus est et sera de plus en plus perturbé, entraînant des conséquences socio économiques et environnementales importantes.

PAS RESPONSABLE? L’AIR N’A PAS DE FRONTIERE…POUR L’INSTANT

Du fait de sa faible industrialisation et de son retard de développement, l’Afrique ne contribue que très peu au total des émissions de gaz à effet de serre.

Source: globalwarmingart

Conscients du changement climatique et préoccupés par ses effets, les États ont adopté la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CNUCC) en 1992 à Rio de Janeiro. Cette convention reconnaît la responsabilité commune mais différenciée des États et prône le principe de précaution. Sur les bases de la CNUCC, le protocole de Kyoto, un accord international légalement contraignant pour les pays industrialisés – jugés plus responsables –  a mis en place un mécanisme de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Signé en 1997, il n’entrera en vigueur qu’en 2005. Des pays historiquement pollueurs tels que les Etats Unis refusent toutefois de le ratifier. Initialement valable jusqu’en 2012, le protocole restera en vigueur jusqu’en 2017; car les négociations pour trouver un accord post-kyoto n’ont pas aboutis. Pourquoi?

Dans les prochains articles nous analyserons les mécanismes mis en place par le protocole de Kyoto et nous verrons ce que l’Afrique en a tiré. Afin de mieux évaluer les impacts du changement climatique en Afrique, nous examinerons également les projections climatiques. Si ces dernières divergent d’une région à une autre y compris à l’intérieur du continent, alors quelle position africaine faudrait-il défendre dans les négociations climatiques?

Notons que d’un point de vue climatique, l’air ne connaît pas les frontières géographiques; les GES se mélangent rapidement dans l’atmosphère. Toute émission de GES  d’où qu’elle vienne est potentiellement nuisible partout. Inversement les réductions d’émissions faites de n’importe quel point auront un effet sur l’ensemble. 

Djamal Halawa

 

Crédits photo : Piotr Fajfer / Oxfam International Utilisation sous licence CC 2.0


[i] Voir les discours significatifs prononcés par d’éminentes personnalités africaines (site)

 

 

 

 

 

[ii]    Noter qu’il y a eu des Controverses_sur_le_réchauffement_climatique dont certains ont fait échos dans l’opinion publique. Toutefois nous pensons que cela reste du domaine des querelles scientifiques et qu’il ne change pas le consensus sur la réalité du changement global et la nécessité d’adaptation. Au besoin un article sera consacré à cet effet.

 

 

 

 

 

[iii] Voir la littérature sur le changement climatique http://www.un.org/fr/climatechange/reports.shtml Nous reviendrons sur ces aspects dans les prochains articles de cet opus notamment en étudiant le rapport du GIEC

 

 

 

 

 

Faire de la sauvegarde du Lac Tchad un exemple de coopération africaine

À l’heure du cinquantenaire de l’Union Africaine, il est utile de rappeler que les défis communs aux africains ne manquent pas. Sous nos yeux, au cœur de la bande sahélienne se joue un drame touchant 30 millions d’individus: la disparition du seul grand lac de la région. Des chercheurs de l'Institut de Recherche et de Développement affirment qu’il aurait perdu 75% de sa superficie ces 40 dernières années. Face à cette situation, comment pourrait s'organiser la sauvegarde du lac Tchad? Où en sommes-nous avec les projets annoncés? Quelle leçon de coopération pourrions-nous en tirer? Rencontre avec l’ambassadeur de la cause, Emile H. Malet, directeur de la Revue PASSAGES et du Forum Mondial Du Développement Durable, et fondateur du think thank ADAPes, espace de réflexion sur des questions de relations internationales liées à l'énergie et à l’environnement.

  • Pr. Malet, pourquoi avez-vous accepté d’être l’ambassadeur itinérant pour la sauvegarde du lac Tchad et en quoi consiste votre mission ?

Emile MaletJ’ai accepté la proposition d’être ambassadeur itinérant pour la sauvegarde du lac Tchad à la suite du 8e Forum Mondial du Développement Durable (FMDD) qui s’est déroulé à N’djaména en octobre 2010. Cela m’a été proposé par le Président de la République du Tchad Idriss Déby Itno parce qu’il a considéré que le lac Tchad devait avoir une forme de représentation diplomatique afin de mieux faire connaitre les urgences de développement de ce territoire en même temps que la précarité qui le menaçait. Organisateur de ce forum, j’ai accepté avec enthousiasme cette proposition.

Depuis, je m’attèle par les moyens que j’ai, c’est à dire par la revue PASSAGES et par tout notre système de communication, à faire connaitre les problèmes de cette région: assèchement, déforestation, pollution, migration anarchique, sous développement, manque d’électrification. Bref c’est une région qui est un très bel espace naturel mais qui accumule les difficultés socio-économiques et culturelles. À cela s’ajoute depuis quelques années une instabilité grandissante à cause des groupes fanatiques et terroristes. Tout celà rend la situation du lac Tchad préoccupante.

  • Quels sont les projets engagés dans le cadre de la sauvegarde du Lac Tchad?

Il y a des projets d’infrastructures globaux et des projets de sauvegarde immédiate.

Il est nécecssaire de restaurer toutes les infrastructures de la région, mais cela n’a pas été fait. Il faut trouver des accords entre tous les pays qui bordent le lac pour permettre de l’irriguer avec un niveau d’eau convenable. Nous n’en sommes pas là. Le lac Tchad manque toujours d’eau. Il y a des projets de dérivation mais ils ne sont pas financés. Sur un principe au moins, tout le monde est d'accord : il n’y a pas assez d’eau et il en faudrait plus. Mais comment faire? À ce niveau, il n’y a pour le moment ni d’accord opérationnel entre les différents Etats, ni de concours international qui permettrait cela.

Par exemple, pour qu’une dérivation éventuelle amène un niveau d’eau convenable – et soit efficiente – il faudrait totalement réaménager la région. Il y a une déforestation qui crée de l’assèchement et déstabilise le sol. Il est donc urgent de la stopper, voire de réimplanter des arbres en quantité, dessiner des routes, réaménager les plans d’eau, etc. Il y a des zones exondées qu’il faut traiter. Il faut  réserver certaines activités à l’agriculture d’autres à la pêche, à l’élevage. Il y a un travail de réaménagement global qui doit se faire.

Lac Tchad 2À coté de ces projets d’infrastructures globaux, il y a des projets divers qui sont financés. Le fond pour l’environnement mondial, par exemple, accorde des dotations financières de plusieurs millions de dollars à chacun des pays du bassin pour améliorer les échanges agricoles, l’élevage, la pêche etc. Le Cameroun par exemple reçoit de l’argent pour optimiser les récoltes autour du lac, le Tchad pour aménager les routes qui sont de son coté. De la même manière, il y a des projets éducatifs pour sensibiliser la population au développement durable. L’Union Africaine (UA) à travers la Banque Africaine de Développement (BAD) participe aussi à ces activités de développement.

Tout cela est bien mais reste insuffisant. Je crois que le lac Tchad est une urgence humanitaire et à ce titre doit faire l’objet d’un consensus de tous les pays qui le bordent  (Cameroun, Niger, Nigéria, RCA, Tchad et la Libye qui fait partie de la commission du bassin du lac Tchad (CBLT)) mais aussi de l’ensemble des pays africains. Il faut que l’ensemble des pays africains considèrent que le lac Tchad est une priorité humanitaire parce que dans l’histoire, un endroit où il y a de l’eau est une source de vie et par conséquent une source de développement. Et s’il y avait une conjonction régionale, voire africaine, pour que le lac Tchad soit une sorte “d’incubateur économique“, cela profiterait à toute l’Afrique parce que ce qu’on fait sur cette région, on peut le faire au niveau des bassins du Niger, du Congo. Aussi, cela pourrait déboucher sur des coopérations régionales.

L’un des gros problèmes est la question de sécurité des populations. Le terrorisme, les rébellions, le radicalisme religieux contribuent à déstabiliser et à insécuriser la région. Mais autour du lac Tchad les populations sont déjà totalement insécurisées par les conditions de vie. Elles sont précaires : il n’y a pas de véritable habitation, pas d’eau potable, pas de moyens de scolariser les enfants: il y a donc une conjonction de facteurs défavorables.

  • Vu l’urgence de la situation, pourquoi il n’y a toujours pas d’accord effectif entre les Etats ?

Il n y a pas d’accord entre les Etats parce que les intérêts ne sont pas toujours les mêmes. Les pays considèrent que l’amélioration de l’ensemble de la région du lac Tchad est une bonne chose, mais ils sont eux mêmes insécurisés et instables. Il y a eu tout récemment un changement de régime en Centrafrique. De même, l’instabilité en Libye affecte les autres pays du fait des milices armées venues de ce pays. Le TchLac Tchad 1ad est amené à prêter main forte aux troupes françaises au Mali; il est ainsi engagé dans une lutte interne. Le Cameroun comme le Nigéria font aussi l’objet d'attaque de milices terroristes et de mouvements fondamentalistes. Tous ces pays sont soumis à une instabilité liée à des raisons stratégiques ou économiques et, par conséquent, ils ne considèrent pas le lac Tchad comme une priorité, bien qu’ils reconnaissent tous qu’il y ait une urgence humanitaire. Le Tchad évidemment est beaucoup plus enclin à accorder une priorité à la sauvegarde du lac.

  • Quel rôle peut jouer la société civile ?

La société civile a un rôle fondamental à jouer pour améliorer la situation précaire des populations, mais, pour ce faire, il est important que les Etats soient en mesure de gouverner de manière stable leurs territoires et notamment les parties limitrophes du lac Tchad. Si les Etats ne sont pas en mesure d’exercer une gouvernance respectueuse et efficiente, le travail des ONG devient difficile. Pour le moment, les questions sécuritaires et stratégiques font que le lac Tchad n’est pas une priorité d’action pour les Etats, ce qui complique grandement le travail des ONG. Elles ont aussi un rôle important à jouer sur le plan éducatif. Je pense qu’il faut pousser les populations à avoir un comportement responsable ; par exemple, éviter de couper le bois à la base, arrêter les dérivations sauvages des cours d’eau… Les ONG peuvent aider les populations à mieux se former à l’agriculture, l’élevage et la pêche.

  • En dehors du désaccord entre les pays, quels sont les autres facteurs qui bloquent le financement des projets ?

La question de financement est conditionnée par certains critères socioculturels; les institutions ne sont prêtes à apporter leur concours qu’à la condition qu’il y ait un retour d’expérience satisfaisant. Or, quand on constate que les Etats de la région ne se mettent pas d’accord pour la coopération, que la déforestation continue, et que le développement comme les financements n’arrivent pas. Cela dit, et c’est là que le bât blesse: il y a des financements disponibles qui ne sont pas utilisés parce qu’il est impossible d’évaluer les travaux qui seraient faits à partir de ces contributions. Par ailleurs, il est vrai, du fait de la crise économique, que l’aide public au développement  (APD) des pays occidentaux a baissé, qu’il y a moins d’argent pour les actions de développement.

  • Qu’en est-il des financements dits innovants?

Ces financements sont orientés pour les activités répertoriées et étiquetées "développement durable". Or, il est très difficile d’engager par exemple un programme d’énergie renouvelable dans des territoires qui sont désertifiés et sans aucune ressource, parce que, plus vous allez vers des solutions écologiquement responsables, plus vous engagez des nouvelles technologies, et plus les populations doivent être éduquées dans cette voie. Le financement innovant va là où il trouve les conditions satisfaisant ce label écologique qui, malheureusement, n’est pas encore présent parce qu’on constate un retard socioculturel considérable autour du lac Tchad.

  • Auriez-vous un appel à lancer ?

Il faut tout entreprendre en même temps. Il faut que les Etats africains aient une meilleure gouvernance, il faut qu’ils fassent que la societé civile soit plus éduquée, mieux formée et ait accès à plus de responsabilité. En même temps que cet effort des Etats africains, il faut que les institutions internationales soient plus généreuses en financement et en projet. Par ailleurs, il faut qu’il y ait un accompagnement international au niveau des investissements, un accompagnement social, une certaine formation des populations; il ne faut pas simplement investir dans des projets et les laisser en déshérence. Il faut une conjonction de meilleure gouvernance locale et de plus de générosité dans les financements internationaux. La situation géostratégique doit s’améliorer. Dès qu’il y a insécurité, les investissements sont stoppés. Il faut donc arriver à une conjonction de plusieurs actions : plus de sécurité, une meilleure gouvernance, plus de générosité et que tout ça soit coordonné pour avancer vers un développement durable, et éviter ce qu’on a fait jusqu’à présent: un égoïsme des Etats ou des individus et qui se fait au détriment du bien commun. Mais si un jour nous arrivions, au niveau du lac Tchad, à cette gouvernance améliorée et à ce que la communauté internationale considère que c’est une urgence, à ce moment nous pourrons voir se développer un incubateur de développement et de prospérité qui serait non seulement un bien pour les pays limitrophes, mais aussi un exemple pour toute l’Afrique. C’est comme ça que les continents se sont développés: des poches de développement ont irradié l’ensemble des territoires.

Je pense qu’il faut faire émerger des solutions d’espoir. Les gens voyant qu’il y a des fleurs qui apparaissent quelque part, considèrent qu'elles peuvent aussi avoir leur place dans leur jardin; et, petit à petit, de nouvelles actions postives sont générées. Je crois qu’il faut donner confiance aux gens. Le développement, c’est aussi une question de confiance.

  • Un dernier mot pour la jeunesse africaine

Le continent africain a une pyramide démographique inversée par rapport celle de l’Europe, c’est à dire qu’il y a plus de jeunes en Afrique. C’est à la fois un facteur d’optimisme et de préoccupation. Un facteur d’optimisme parce que plus de jeunes signifie plus de vie, d’actions à venir, de perspective. C’est une préoccupation parce que l’Afrique aujourd’hui a fait des grand progrès au niveau de l’éducation et de la formation avec beaucoup de diplômés mais aussi beaucoup de chômage. Elle doit se prendre en main et ne peut pas, sur la question sociale, tout attendre des pays du nord qui eux aussi sont en grande difficulté économique. L’Europe, les USA, le Canada et tous ces pays qui avaient besoin d’une forte immigration notamment de jeunes diplômés, la restreignent aujourd’hui parce qu’ils sont confrontés au chômage. Réfléchir à cet aspect du problème et trouver des débouchés à toute la jeunesse, et notamment aux jeunes diplômés devrait être une préoccupation majeure.