Le cacao, c’est un chiffre d’affaires global de 62 milliards de dollars par exercice. Cette seule donnée permet de comprendre que ce domaine est un enjeu économique à lui seul et regorge de problèmes inhérents à ce genre de marché.
Durant l’année 2011 les médias français se sont penchés sur la question du cacao par le prisme du travail des enfants : « Travail des enfants : le goût amer du cacao » (France 2, envoyé Spécial- 28 avril) ; « La face cachée du chocolat » (Arte- 6 octobre)
Si le travail des mineurs sera au centre de la réflexion, il ne faut pas oublier les intérêts purement économiques pour certains pays d’Afrique de l’Ouest, dont le cacao est la principale source de revenus.
Environ 4,1 millions de tonnes de cacao sont produites chaque année à travers le monde. La Côte-d’Ivoire et le Ghana étant les deux premiers pays producteurs avec respectivement 38% et 21% de part du marché mondial. D’autres pays sont de sérieux concurrents aux deux « géants » comme l’Indonésie (13%) et le Brésil (5%). [Données 2006 de la CNUCED]
Via les exemples de la Côte-d’Ivoire, et du Ghana on peut aisément comprendre l’importance du cacao en Afrique de l’ouest. Près de 20% du PIB de la Côte-d’Ivoire provient des revenus du cacao, pendant que, selon le gouvernement ghanéen, la moitié de la population ghanéenne vit, directement ou indirectement du cacao. 54% de la production ivoirienne est destinée à l’Union Européenne, contre 73% pour le Ghana ; et 33% au continent américain (Côte-d’Ivoire) contre moins de 20% pour le Ghana.
Cela dit, cette bonne santé observée dans l’exportation du cacao implique des pratiques illégales. Notamment, le travail des enfants.
Les esclaves du cacao
Selon le Bureau International du Travail (BIT), près de 260 000 enfants travailleraient au profit de la production et de la commercialisation du cacao, rien qu’en Côte-d’Ivoire. Inévitablement, cette donnée entraîne une multitude de questions : Pourquoi faire travailler des enfants ? Quelles conséquences pour leur avenir ? Quels traitements subissent-ils ?
Si les enfants sont préférés aux adultes, c’est bien sûr pour une question de coûts. Un enfant coutera toujours moins cher qu’un adulte en terme de main-d’œuvre. Ce n’est pas l’unique raison. 95% de la production mondiale de cacao est issue de petites plantations. Il existe environ 6,5 millions de planteurs. Sur le continent africain, 90% des plantations sont inférieures à 10 hectares. Au-delà du prix de la main-d’œuvre, si des enfants travaillent dans le cacao, c’est aussi pour une question de quantité de la main d’œuvre.
Cette pratique a pour conséquence essentielle l’absence de toute velléité d’ascension sociale. Ainsi, dans « Travail des enfants : le goût amer du chocolat », le jeune Bris, 13 ans, travaille au champ depuis deux ans déjà et déclare vouloir «(…) travailler dans les bureaux pour gagner de l’argent. » Son grand frère, Romaric, ne va plus du tout à l’école et se consacre exclusivement au champ. Le revenu global de cette famille de 11 membres est de 120 euros par mois. Face à cette absence de perspectives, la mère de famille souhaite que « [ses] enfants aillent travailler en ville. »
Le travail des enfants est une chose. L’esclavage des enfants en est une autre. Interpol a répertorié à ce jour, pas loin de 15 000 « enfants-esclaves » au service de l’industrie du cacao, dans toute l’Afrique de l’ouest. Des enfants souvent enlevés à leurs familles, puis maltraités et mal nourris sur leur lieu de travail. Dans « La face cachée du chocolat », les caméras d’Arte nous mènent en Côte-d’Ivoire à la rencontre d’enfants Burkinabés exploités par les planteurs et dans l’incapacité de s’exprimer du fait de la barrière linguistique.
En réponse à cela le BIT, tout comme Interpol, surveillent ces pratiques dans l’espoir de les endiguer. En 2009, une opération menée précisément par Interpol a permis l’arrestation de 11 trafiquants et la libération de 54 enfants esclaves.
Le premier responsable de cette situation : le marché
L’industrie agro-alimentaire au banc des accusés
La forte concurrence d’abord, puis la structure pyramidale du marché du cacao expliquent les pratiques mentionnées plus tôt. Il peut y avoir, de la production à l’exportation du cacao, jusqu’à 5 intermédiaires, qui s’assurent tous une marge de bénéfices. Les planteurs sont en contacts directs avec les «pisteurs » qui travaillent eux-mêmes pour les négociants. Ce sont les pisteurs qui décident du prix au kilogramme et les planteurs sont contraints de s’y plier. Du fait de la concurrence, le prix est ridiculement bas (1,45€/kg). C’est ensuite au tour des négociants de fournir en cacao, les grandes marques sous trois formes différentes : le produit brut, à savoir, la fève de cacao. Les produits dérivés tels que le beurre, la poudre ou encore la liqueur de cacao. Enfin, le produit fini : le chocolat. Le travail des enfants est économiquement avantageux pour les négociants qui peuvent effectuer des marges importantes en fournissant les grandes marques de chocolat. Ainsi les 3 grands négociants mondiaux, ADM(Américain), Cémoi (Français), Barry Callebaut (Suisse et n°1) y trouvent pleinement leur compte en vendant leurs produits aux Nestlé, Mars Incorporated et autres Kraft Foods.
En 2001, les multinationales du chocolat ont signé un protocole dans lequel elles assurent lutter contre le travail des enfants dans leur branche. Elles ont, par ailleurs, subventionné une structure : International Cocoa Initiative, dont l’unique travail est de combattre l’utilisation d’une main-d’œuvre mineur dans l’industrie du cacao. Cela dit, les faibles moyens donnés à cette organisation (3 millions d’euros de budget) tendent à prouver que ces multinationales ne voient pas forcément la disparition du travail des enfants d’un très bon œil.
Face au marché, il paraît impossible de trouver des réponses concrètes au fléau qui touche l’industrie du cacao. Seul l’Etat pourrait légiférer dans ce sens. Aujourd’hui, seuls 2% des plantations de Côte-d’Ivoire bénéficient d’aides. Depuis 1999, il n’y a plus, dans le pays, de prix minimum du kilogramme de cacao. Accorder plus d’aides et fixer un prix minimum pourraient être des premières mesures.
Cela dit, on observe depuis quelques années, une multiplication des parasites et autres maladies qui ruinent les récoltes. En 2009, 30% de la production mondiale de cacao a ainsi été perdue, poussant des pays comme le Brésil à se tourner plus intensément vers l’exploitation de l’hévéa pour le caoutchouc. Une conversion impossible pour des pays comme le Ghana et la Côte-d’Ivoire, pour qui le cacao est essentiel.
Face à la baisse de la productivité et donc des revenus, il y a fort à parier que l’exploitation des enfants n’est pas prête de s’arrêter.
Giovanni Djossou