Sami Tchak. De l’écrivain, j’ai lu bien des romans. De l’essayiste, rien ! Son essai La Couleur de l’écrivain qui vient de paraître aux éditions La Cheminante est donc mon premier. La Couleur de l’écrivain, un essai ? C’est vite dit ça! Au fond, cet ouvrage est un ovni ou si on suit le regard de l’éditeur, une comédie littéraire ou essai-comédie si tant est que ce genre existe.
Enfin, une chose est évidente : sur 224 pages, l’écrivain togolais offre à ses lecteurs une œuvre à cheval entre fictions narratives et réflexions personnelles. Le tout organisé en trois parties essentielles.
La première partie titrée peau et conscience aborde des questions relatives au statut des écrivains noirs francophones, surtout ceux appelés aujourd’hui les écrivains de la nouvelle génération, confrontés aux problématiques de l’engagement, de la réception de leurs œuvres, de leurs rapports à la langue française ; toutes préoccupations au cœur même du contraste qui définit l’écrivain noir francophone marginalisé au centre(Paris) et méconnu dans la périphérie (son pays, le Togo pour Sami Tchak). Et puisque « l’écrivain, l’artiste, ne soulève pas des montagnes » (p. 96), Sami Tchak aboutit, exemples à l’appui, à la conclusion selon laquelle le génie à peindre la condition humaine dans ce qu’elle a de plus universel, de plus spirituel et de plus intime, reste le seul engagement qui peut permettre à l’écrivain d’être au-dessus de la mêlée. Ces réflexions de l’auteur sont accompagnées ou illustrées par des nouvelles plus ou moins courtes, notamment « Joe ne reviendra plus » (p.24), un beau texte qui prévient du piège de l’enfermement par l’intermédiaire d’un père qui console sa fille. Ou la nouvelle « Vous avez l’heure ? » qui met en scène la haine raciale et la complexité des rapports entre les hommes dont la justice ne concerne pas les pigeons (p.39), peut-être parce que seuls les oiseaux, comme dirait Kossi Efoui, savent encore que les hommes ont des racines aériennes.
La seconde partie de La Couleur de l’écrivain a pour titre comédie littéraire. Avec ironie en effet, Sami Tchak questionne le monde des écrivains, leurs forces supposées, leurs prétentions avérées, leurs ego et leurs diverses quêtes. « A y regarder de près, c’est une planète de putes, les charmes en moins, chaque pute se fabriquant une mythologie sur les montants de ses avaloirs, sur ses ventes » (p. 144), conclut-il. Mais alors, quelle position pour Sami Tchak sur cette planète d’écrivains ? Chacun trouvera une réponse à la lecture de son présent livre ! Cependant, on sait, par les réflexions qui ont suivi, que des écrivains échappent à cette lecture. Parmi ceux-ci, on trouve les préférés de l’auteur: Dostoïevski, Gracq, Tolstoï et tous les autres à qui il emprunte des extraits ou consacre des réflexions par admiration, par jeu d’intertexte ou par « affinités électives » (p.175) comme c’est le cas dans la troisième partie consacrée à Ananda Devi.
En effet, intitulée éloge de la Sarienne, la troisième partie de l’œuvre lève le voile sur une complicité littéraire et une amitié singulière qui existe entre le romancier togolais et la romancière indo-mauricienne. Le lecteur se rendra compte que les univers des deux auteurs sont assez proches et qu’ils en viennent à se faire des clins d’œil dans leur texte : Ananda Devi est présente dans le roman Hermina de Sami Tchak tandis que ce dernier est « l’ange noir » dans Les Hommes qui me parlent de la première. L’hommage rendu par l’auteur de Place des fêtes à l’auteure de Pagli, puise à la fois dans le réel et le fantastique. Et cette caractéristique scripturale s’applique à toute l’œuvre.
La Couleur de l’écrivain est un ouvrage qui joue à flouer, par la force de l’écriture, les frontières entre le réel, le rêve et le fantastique, voire le fantasme. Ce qui est déjà observable dans bien des romans de cet écrivain togolais, notamment dans Hermina. Mais dans ce dernier livre, le côté essai se construit sur des éléments concrets puisés dans:
– Les voyages de l’auteur : Sami Tchak exploite ses voyages pour questionner des réalités complexes. Par exemple, son voyage au Tchad lui permet de poser le problème de l’urbanisation des villes et les errements de la jeunesse des pays sous-développés (N’djamena, p. 89). Ses voyages en Algérie permettent la réflexion sur l’importance de la lecture, la mémoire et la construction du présent (La leçon de l’aveugle, p.99). Et le retour dans son Togo natal en 2007, il en parle encore avec cette déception due au dysfonctionnement du champ littéraire togolais où ceux qui doivent ou peuvent produire la valeur des œuvres, sont passifs ou versent dans des considérations qui ne tirent pas la littérature togolaise vers le haut. Ah, Sami Tchak, laissez-moi vous dire que la situation n’a pas vraiment changé au Togo !
– Des débats et communications littéraires qui résument la vision de l’auteur sur des questions qui le concernent. Le texte sur l’engagement (p.75) reste le plus important par la précision et la pertinence du point de vue de l’auteur. Dans ces réflexions et ces prises de position, le lecteur découvrira encore la culture de cet écrivain qui pousse les références jusqu’à l’agacement.
Au-delà du côté essai, La Couleur de l’écrivain est une histoire de rencontres et d’échanges. Rencontre de l’auteur avec des personnes et des espaces réels qui ont donné naissance à des récits de voyage au propre comme au figuré. Rencontre avec les personnages et les univers de d’autres écrivains qui ont permis des jeux de miroir, rendant le texte très imagé, sauf « le temps des chinois » (p.117), récit-allégorie qui ne se laisse pas lire facilement, tellement les images s’enchevêtrent ! Hormis cela, La métaphore y est et vous emporte sur les rives des souvenirs de l’auteur qui peint son parcours et celui de son père avec des couleurs de son Togo natal.
Au final, cette œuvre est un bilan, une évaluation romancée de son parcours et de sa pensée pour un Sami Tchak qui va sur ses 60 ans. C’est à ce titre qu’on peut comprendre la récurrence dans l’œuvre du thème de la mort et de la quête de l’immortalité par la littérature. Et l’auteur de conclure, lucide :
« La littérature est une illusion, la mort, un instant où nous sommes amputés de tout, un instant de solitude absolue »
p. 196. Edition La Cheminante
Bon pour l’heure l’illusion continue, qu’elle dure, Sami Tchak, qu’elle dure encore et encore !
Anas Atakora
L'article original est extrait du blog Bienvenue dans mes monts