Cette diaspora qui vote

Terangaweb_Vote DiasporaLe terme « diaspora » définit une communauté constituée par la dispersion d’individus ayant le même pays d’origine. Ceux-ci peuvent être des réfugiés, ayant été poussés à quitter leur pays en raison d’une guerre civile, d’une instabilité économique ou d’un environnement socio-politique précaire. Dans d’autres cas, ces individus ont tout simplement plié bagages pour leurs études ou leur travail et ont décidé de rester à l’étranger. Sans nul doute, la globalisation a aussi favorisé l’évolution exponentielle de cette communauté à travers le monde. Aussi réduit que leur nombre puisse être, ces personnes jouent toutefois un rôle non-négligeable dans la vie économique de leur pays d’origine et réclament de plus en plus à ce qu’on leur accorde le droit de vote dans les élections qui se tiennent chez eux. En Afrique, ce continent qui détient un fort pourcentage d’émigrés, la question du droit de vote à l’étranger a été soulevée à de nombreuses reprises. Aujourd’hui, c’est plus de 28 pays africains qui accordent ce droit universel à leurs ressortissants vivant à l’extérieur de la nation. Il semble manifestement qu’un changement soit en marche.

Petite histoire du droit de vote de la diaspora

Le droit de vote pour la diaspora semblerait avoir été introduit pour la première fois par l’empereur romain Auguste afin que les membres du Sénat, alors répartis dans 28 colonies différentes, puissent donner leurs voix durant les élections des bureaux de la cité de Rome. Ainsi, leurs votes avaient été scellés et envoyés sous forme de cachets. Plus récemment, en 1862, l’Etat du Wisconsin aux Etats-Unis, a été le premier en Amérique à permettre aux soldats engagés dans la Guerre de Sécession de voter à l’extérieur. En 1902, l’Australie adoptait aussi une clause accordant le droit de vote à ses ressortissants à l’étranger. Concernant le milieu francophone, la France a introduit une loi pour le vote à l’extérieur, en 1924. Cependant, il a été interdit, en 1975, de le faire sous forme postale, pour cause de suspicion de fraude.

Le système législatif relatif au droit de vote à l’étranger a souvent été transmis d’une puissance coloniale à ses colonies ayant nouvellement gagné leur indépendance. C’est l’exemple notamment du Gabon et de la Guinée-Conakry qui ont adopté les mêmes réglementations que celle de la France. Notons que cette dernière  autorise ses ressortissants à voter dans ses principaux lieux de représentation diplomatique, à savoir les ambassades et les consulats, lors d’élections présidentielles ou référendums.

Au Mali, c’est la Conférence Nationale de 1991 qui a mené à l’autorisation du vote de la diaspora. Il s’agissait non seulement de mettre un trait sur les 25 ans de dictature du régime du Général Moussa Traoré, mais aussi de rétablir la démocratie en s'appuyant sur le pluralisme politique et d’intégrer les Maliens de l’extérieur dans les processus électoraux. La majorité d’entre eux s’étaient réfugiés en Côte d’Ivoire, en France ou au Sénégal. La création d’un Ministère des Affaires Etrangères et des Maliens de l’Extérieur a donc été très bien reçue et cette même année-là, une loi autorisant le vote de la diaspora parachevait la transition.

Qui plus est, l’inclusion de citoyens vivant à l’étranger était souvent considérée comme un élément clé dans la construction d’une nation. Ceci fut le cas de la Namibie, en 1989, et de l’Afrique du Sud, en 1994. En outre, pour inciter leurs ressortissants à investir, les Etats développent de plus en plus des outils institutionnels spéciaux.

Quels enjeux ?

Le vote de la diaspora a évidemment des enjeux différents, en fonction du contexte et du pays où on se situe. Tout d’abord, il faut considérer un fait important : bien que présenté comme une question de principe, l’adoption d’une loi pour le droit de vote à l’étranger est souvent née d’intérêts politiques qui ont suscité la controverse et/ou ont été jugés de partisans. Cependant, le concept même de vote est étroitement lié à celui de la citoyenneté et chaque Etat est libre de mettre en place la législation de son choix pour en réguler les mécanismes. De plus, le droit de vote à l’étranger s’est inscrit dans un processus mondial de renforcement de la démocratie, comme il l’a été pour la globalisation culturelle, économique et sociale. Pour mieux cerner les enjeux du vote de la diaspora, il convient d’examiner plusieurs volets.

L’exercice du vote est essentiellement un droit civil et politique. En partant de cette idée, on peut comprendre qu’ôter ce droit à un citoyen reviendrait à le considérer comme ne faisant pas partie de la société. Aussi, permettre à ces citoyens de participer aux élections qui ont lieu dans leur pays, même s’ils n’y résident pas, inspirera la confiance. En effet, ceci prouvera la légitimité du régime au pouvoir et élèvera le niveau de démocratie du pays. Ils auront ainsi le droit de jouer leur rôle et de poser leur pierre dans la construction du futur de leur nation. On peut ici prendre l’exemple du référendum qui s’est tenu au Soudan en 2011. La diaspora soudanaise avait été autorisée à effectuer un vote pour trouver une solution adéquate concernant le conflit du Darfour.

Au niveau économique, il est indéniable que la diaspora tient une fonction essentielle. De l’étranger à leurs pays d’origine, des millions de citoyens transfèrent de l’argent à leur famille, contribuant ainsi au développement économique de leur nation. Ainsi, accorder à ces citoyens le droit de vote aura pour conséquence de les intégrer dans les affaires publiques de leurs pays. Qui plus est, s’ils participent activement au bien-être socio-économique de leur nation, ils devraient logiquement bénéficier des mêmes droits que leurs concitoyens résidents dans le pays d'origine. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2011, la diaspora kenyane a participé à plus de 5% dans le PIB kenyan. La même année, l’argent envoyé dans leur pays par les Ghanéens vivant à l’étranger s’élevait à 14,5 millions de dollars US et pour ce qui est de la diaspora sierra-léonaise, cette contribution atteint 148 millions de dollars US.

Au niveau social, on ne s’en rend peut-être pas compte mais les citoyens résidant à l’étranger ont une réelle influence sur leurs familles et ceci peut donc avoir des conséquences décisives. D’ailleurs, ce fut la raison pour laquelle, lors des élections présidentielles au Mali, en 2007, certains leaders politiques avaient entrepris une tournée dans les pays voisins où résident des ressortissants maliens. Notons que l’ensemble de la diaspora malienne représentait alors l’équivalent d’une région au Mali. De plus, en France, les militants de partis maliens s’étaient également activés à sensibiliser le plus possible leurs compatriotes, allant jusqu’à mettre des affiches et posters dans les rues de la banlieue parisienne. D’un autre côté, il faut aussi considérer que si les Etats accordent le droit de vote à leurs citoyens vivant à l’extérieur, et spécialement les étudiants et professionnels, c’est aussi et surtout pour éviter qu’ils abandonnent définitivement leur pays d’origine et pallier le phénomène de la fuite des cerveaux.

Mais, au fait, comment ça se passe ?

L’exercice du vote à l’étranger peut s’organiser de diverses manières. Certains pays n’en utilisent qu’une seule, tandis que d’autres en combinent plusieurs. Elles sont régulièrement divisées ainsi :

  • Le vote personnel : il se fait par la personne elle-même, c’est-à-dire, qu’elle doit se déplacer. Concernant le lieu, il s’agit généralement des ambassades et consulats, ou rarement, de bureaux de votes aménagés par les autorités compétentes.
  • Le vote postal : il est effectué dans un endroit désigné au préalable ou que le votant a lui-même choisi. Le vote se fait en présence d’un témoin capable de confirmer l’identité du votant et que ce dernier a exercé son droit sans aucune contrainte ni ingérence. Naturellement, la dernière démarche consiste à envoyer, par mail simple ou diplomatique, le bulletin de vote.
  • Le vote par procuration : comme son nom l’indique, dans ce cas-ci, le votant désigne un citoyen résidant dans son pays d’origine pour effectuer un vote en son nom le jour des élections.
  • Le vote par voie électronique ou e-voting : cette forme nouvellement utilisée, grâce à l’expansion des technologies de  l’information et de la communication, est sûrement l’avenir du vote de la diaspora car elle ne requiert aucun déplacement vers un bureau de vote. Bien que cette démarche ne soit pas encore pratiquée en Afrique, des pays comme l’Estonie et la Hollande l’applique déjà. Les votants ont tout simplement besoin d’un ordinateur, d’un téléphone portable ou de n’importe quel autre support digital personnel.

Qui peut exercer ce droit ?

L’Organisation Internationale de la Migration (OIM) nous apprenait en 2005 qu’environ 190 millions de personnes vivent dans un pays différent de celui dont ils sont originaires. Ceci équivaut à 3% de la population mondiale. Ce chiffre frappant reflète le niveau d’importance et d’influence qui caractérise la diaspora. Selon l’Institut International pour la Démocratie et l’Assistance Electorale, 115 pays dans le monde entier accordent le droit de vote à leurs ressortissants résidant à l’étranger. Et pourtant, seulement une trentaine de ceux-ci sont africains. Il s’agit entre autres de la Guinée, du Sénégal, du Tchad, de l’Ile Maurice, du Cap-Vert, du Ghana, du Lesotho, de l’Afrique du Sud, du Zimbabwe, du Mozambique, de la Namibie, de la Centrafrique, du Botswana, du Togo, du Cameroun… Certains pays accordent ce droit à leurs citoyens en fonction de l’activité qu’ils pratiquent. Par exemple, au sein de la diaspora lesothane, seuls les citoyens devant remplir une mission officielle d’ordre diplomatique ou militaire ont le droit de voter. D’autres pays mettent plutôt l’accent sur le nombre d’années vécues à l’étranger. Nous pouvons ici nous intéresser au cas des Namibiens car il leur faut avoir passé au moins un an hors de leur pays avant de pouvoir s’inscrire comme électeur externe. Il est évident que toutes ces conditions donneront peu envie aux acteurs de la diaspora de s’engager dans la vie sociale, économique et politique de leurs nations respectives. En outre, il faut aussi insister sur le fait que tous les citoyens vivant à l’extérieur de leurs pays devraient être officiellement répertoriés afin de pouvoir mieux évaluer leur dimension et le degré de leur participation.

Même si certains Etats africains présentent de bons résultats concernant l’intégration de leurs citoyens résidant à l’étranger, il semble encore qu’il y en ait d’autres qui peinent à dépasser ce cap. Souhaiter que la diaspora participe économiquement au développement de son pays tout en la privant d’un de ses droits les plus légitimes est un non-sens révoltant. D’ailleurs, on parviendra difficilement à oublier les propos du président Mugabe, après avoir refusé de permettre à la diaspora zimbabwéenne de s’impliquer dans les élections de 2000 : « rentrez chez vous et votez ».  Il ne fait toutefois aucun doute que mettre en place un tel projet nécessiterait une réflexion collective et approfondie sur plusieurs facteurs tels que la faisabilité, la relation bilatérale entre le pays d’origine et le pays d’accueil ou la structure légale à adopter. Quoi qu’il en soit, le combat n’en est qu’à son début et le dynamisme du Nigéria ou du Kenya en ce sens annoncent clairement la donne : la diaspora africaine compte clairement se faire entendre !

 

Khadidiatou Cissé