Un intrus dans le couvent : Le vaudou au Bénin

vaudouCe 10 janvier 2014, le Bénin a célébré pour la 12ème année consécutive la fête nationale du vaudou.[1] Qu’il me soit permis d’aborder dans ce billet une matière à laquelle je ne suis pas initié. Voici donc un apprenti de Descartes qui s’aventure sur un sujet qui n’est pas du domaine de la raison. Que va-t-il donc prouver ? Rien, sans aucun doute. Ma tâche est d’autant plus difficile qu’il n’existe pas un document de référence qui présente les principes de cette religion sans aucune ambiguïté. Cependant, le vaudou suscite tellement d’opinions contradictoires, de sentiment d’infamie, qu’il me semble nécessaire de repréciser les contours de cet aspect de la culture africaine. Je vais donc m’appuyer sur des ouvrages, non moins biaisés, des récits d’initiés et sur des faits empiriques ; en espérant que des initiés viennent éclairer davantage notre lanterne. Après avoir situé le Vaudou comme une religion animiste, j’insisterai sur ses deux caractéristiques fondamentales avant de présenter quelques faits historiques qui ont façonné la représentation qui est faite du vaudou aujourd’hui.

Le vaudou, comme une religion animiste

Historiquement, l’animisme, comme la croyance en une âme qui anime toute chose, a été la religion pratiquée partout dans le monde avant l’avènement des religions dites « révélées ». Il suffit pour s’en convaincre d’arpenter la collection permanente du Musée du Quai Branly à Paris. Partout, ont été trouvés des poteaux funéraires qui servaient de moyens d’intercession avec les ancêtres. Quoique le Christianisme et l’Islam aient converti une part importante de la population mondiale à l’exception de l’Asie, l’animisme demeure aujourd’hui prépondérante en Afrique et plus particulièrement au sud du Sahara. Comme partout ailleurs dans le monde, sa pratique varie d’un espace à un autre.

Elle prend une forme particulière dans le golfe du Bénin, communément appelé le Vaudou ou Orisha en Fon et en Yoruba, respectivement. En effet, selon l’ouvrage de Claude Planson, le vaudou est une religion née de la conjonction entre les pratiques ancestrales des royaumes du Dahomey (Sud de l’actuel Bénin) et d’Ilé Ifè au Nigéria. En dépit de ses spécificités, il se confond parfois avec le culte des autres religions traditionnelles qu’on retrouve un peu partout dans le golfe du Bénin de sorte qu’aujourd’hui toutes les religions traditionnelles de cette région sont assimilées au vaudou. Il s’agit d’une religion qui a résisté à la colonisation et aux régimes marxistes-léninistes qui ont autrefois envisagé sa suppression. Aujourd’hui, il est même décrit comme « l’expression de l’instinct religieux très profond d’un peuple foncièrement croyant ».[2]

La structure de cette religion repose sur un regroupement de plusieurs divinités dont le Gu (dieu de la guerre), Sakpata (dieu de la maladie), Heviosso (dieu de la foudre), Dambada (dieu de la connaissance). Cependant, elle reconnaît l’existence d’un Dieu suprême « Mawu » (en Fon) qui signifie littéralement « l’Inaccessible ». Chacune de ces divinités remplit un rôle spécifique dans la quête de l’harmonie vis-à-vis du Dieu Suprême. A la lecture de la littérature, il ressort que le vaudou repose sur deux éléments fondamentaux dont Mawu, l’Inaccessible, et le Fâ, moyen de communication entre l’Homme et Mawu.

faCommuniquer avec Mawu, l’Inaccessible

Selon les récits de la volontaire Elisabeth suite à sa rencontre avec un prêtre Vaudou, on apprend que le vaudou repose sur l’adoration d’un Dieu suprême représenté par le couple de jumeaux légendaires Mawu-Lissa. « Mawu, la lune, incarne le principe féminin. Elle est la déesse de la nuit, de la sagesse et de la connaissance. Lissa, le soleil, représente quant à lui le principe masculin. Il contrôle le déroulement des jours, et détient la force et le pouvoir qui soutient le monde. »

Pour vivre en harmonie avec l’univers, les adeptes du vaudou communiquent avec l’au-delà en utilisant le Fâ. Comme le souligne l’anthropologue Jules Affodji, cet art divinatoire est né de la jonction entre les arts divinatoires antérieurs des peuples Yoruba et Fon. L’anthropologue situe ses origines dans l’ancienne Egypte. Initialement, le Fâ était maîtrisé par les prêtres vaudou, le « Bokonon »,  au service des rois. Un peu comme à l’image d’un voyant, le Bokonon peut identifier les causes d’un malaise, décrire les éléments constitutifs d’un individu, ses interdits, voire son avenir, en consultant le Fâ. Selon les révélations qu’il interprète à travers la configuration de son chapelet, il peut recourir à des sacrifices à Mawu par l’intermédiaire du Lêgba.

Ainsi, selon toute vraisemblance, il s’agissait d’une religion au service de la paix individuelle et sociale. Cependant, il ressort de mes lectures que deux événements majeurs ont contribué aux représentations que nous nous faisons aujourd’hui de cette religion.

Le phénomène de la Poupée Vaudou

D’une part l’esclavage a entraîné quelques différences dans la pratique du culte vaudou entre le golfe du Bénin et les Caraïbes. Ainsi, en dehors de l’Afrique, la pratique du culte vaudou est souvent présentée comme l’utilisation de poupées émaillées d’aiguilles, donnant une image très effrayante de la religion. A travers cette image, le vaudou semble être exclusivement destiné à faire du mal.

Malheureusement, ces images ont été rendues populaires à travers le cinéma et la musique, et assimilées au culte vaudou de façon générale. Typiquement, la littérature sur le sujet repose essentiellement sur une description du vaudou tel qu’il est pratiqué en dehors de l’Afrique, probablement à cause de l’omerta qui l’entoure dans le golfe du Bénin.[3] Lorsqu’on sort la prépondérance de cette image de son contexte, on est amené à se faire une image dégradante de la religion.

La colonisation et l’essor des charlatans

D’autre part, l’autre facteur qui a contribué à écorner l’image du vaudou est la colonisation. Celle-ci a engendré une dislocation des royaumes et des institutions sociales qui garantissaient le caractère sacré de la religion vaudou. Le démantèlement des royaumes impliquait l’affaiblissement du rôle du Bokonon et l’ambigüité de sa place dans la société. Il s’en suit alors la divulgation des secrets religieux à des profanes qui deviennent ensuite des charlatans.

Les uns, n’ayant pas été initiés aux principes de la religion, la pratique à des fins lucratives. Ils sont nombreux à Cotonou, ces jeunes gens qui passent du statut de chômeur à celui du « riche Bokonon ». Il s’agit là d’un amalgame, d’un mélange des genres, car ce « riche Bokonon » n’est rien d’autre qu’un charlatan. Cette situation engendre l’émiettement de la relation de confiance qui existait entre le Bokonon et les adeptes du culte. Les autres utilisent le pouvoir qu’ils détiennent pour répandre le mal ; d’où l’émergence de la sorcellerie, directement associés au vaudou.

Par ailleurs, le pillage systématique de tous les symboles religieux lors des conquêtes coloniales (voir Musée du Quai Branly, le musée royal pour l’Afrique centrale en Belgique) a certainement entraîné la désacralisation de la religion vaudou, à son dénigrement et à la rupture de la confiance. Comment peut-on croire en une religion qui n’a pas protégé contre l’envahisseur, dont on a emporté les symboles sans qu’aucune rétribution ne s’en suive ?

Pour que le vaudou ne soit plus synonyme du mal

A la lumière de ces faits, que peut-on dire du vaudou ? A chacun son opinion. Il faut le dire d’emblée : il ne s’agit pas d’une invitation à se convertir au vaudou, ni d’une incitation à rejeter les religions dites « révélées ». Il s’agit plutôt d’une porte ouverte vers le débat pour déconstruire des représentations que nous nous faisons habituellement d’une religion qui mérite pourtant d’être connue, au même titre que toutes les autres. Ces représentations nous poussent même à avoir honte de parler du Vaudou. Mes interlocuteurs ont très souvent été saisis de frayeur lorsque j’évoque le Vaudou comme une richesse culturelle du Bénin. Cette situation n’est pas de nature à favoriser un échange culturel tant souhaité. Si la nature profonde de cette religion était restaurée, elle pourrait même être source de l’émergence d’un Homme plus stable, intègre et éventuellement en phase avec des valeurs de construction et de partage.

A mes amis qui ne sont pas Béninois, je ne vous inviterai pas au Bénin pour vous faire visiter des Cathédrales ou des Mosquées. Bien au contraire,  je vous amènerai assister aux prestations gratuites des « Zangbétos » et des « Revenants », voire visiter un couvent. Enfin le dimanche, nous irons à l’Eglise. Ou alors, mon ami Moussa vous accompagnera à la Mosquée.

 

Georges Vivien Houngbonon

 

 

 

 

 


[1] Suivre ce lien pour un extrait de la célébration de 2013.

 

 

 

 

[2] Cité dans le livre « Libération du Vaudou dans la dynamique d’inculturation en Haïti ».

 

 

 

 

[3] Cet omerta peut être aussi expliqué par l’interdiction de culte imposée par le régime marxiste au Bénin dans les années 70 et 80. Voir l’article de Libération à ce sujet.