Lorsqu’elle débute sa carrière dans le secteur de la publicité à la fin des années 80 en Afrique du Sud, Nunu Ntshingila découvre un univers qu’elle décrit comme étant « très blanc et très masculin ». Retour sur une Afrique en pleine (r)évolution digitale, au travers du regard d’une femme qui prône l’afro-responsabilité sur le continent.
Une militante de l’accès des femmes au leadership
« Après un séjour aux Etats-Unis pour mes études, je suis rentrée en Afrique du Sud pour travailler chez Nike en communication. A mon retour dans le secteur de la publicité, l’Afrique du Sud se démocratisait. Je me souviens particulièrement des débats sur le rôle des femmes dans le développement du pays post-apartheid. C’était rassurant de nous savoir incluses dans ce genre de discussions. » raconte Nunu Ntshingila qui a bientôt 50 ans, et s’apprête à quitter le monde de la publicité pour prendre la tête de Facebook en Afrique. En 2011, Nunu Ntshingila rejoignait le comité de direction d’Ogilvy & Mather, devenant ainsi la seule représentante du continent africain à siéger parmi une trentaine de cadres.
« L’accès des femmes à un poste de direction est un facteur d’autant plus déterminant dans l’industrie créative où les femmes doivent prendre la parole pour être représentées avec respect ». La représentation, explique Nunu Ntshingila, passe également par la question de la race, une question qui, selon elle, n’est pas prête de disparaître si facilement en Afrique du Sud. Elle estime qu'une meilleure répartition des richesses serait une bonne solution pour remédier aux tensions raciales qui divisent encore le pays: « Nous devons nous assurer que la diversité puisse prendre racine dans notre environnement. Tout le capital appartient aujourd’hui à la minorité blanche, nous devons nous assurer que ce capital appartienne à la majorité. »
Un marché publicitaire plus fort grâce aux nouvelles technologies
En 2015, la croissance du marché publicitaire en Afrique est estimé à 8%, contre 5% sur le reste du marché mondial. A ce sujet, Nunu Ntshingila confirme « Il est vrai que le marché évolue énormément. Mais j’insiste sur le fait que nous devons conduire cette évolution par nous-même. Quand on parle de l’Afrique en mouvement, il est d’abord important que les Africains s’approprient ce discours. Je suis sceptique quand ce message provient de l’extérieur du continent. Nous devons grandir l’Afrique en tant qu’Africains. Les gens ici veulent aujourd’hui vivre dans de meilleures conditions. C’est à ce titre que la diaspora se rend compte du potentiel du continent et rentre en Afrique. »
Interrogée sur l’impact du digital, elle admet ne pas croire en un aspect négatif de cette révolution pour le marché de la publicité. « La presse était un pilier de nos stratégies et on sent bien en Afrique du Sud une orientation du marché publicitaire vers le digital. Il faut s’adapter aux nouvelles technologies »
Des nouvelles technologies, comme le mobile
Selon une étude révélée en début d’année par Frost & Sullivan sur les tendance d’usage du mobile en Afrique subsaharienne, le taux de pénétration mobile devrait atteindre 79% en 2020. « Le mobile a permis un bond en avant sur notre façon de communiquer avec les consommateurs. La technologie permet de réduire l’écart entre le milieu urbain et le milieu rural. C’est aussi un outil puissant pour entendre les voix des plus pauvres. Il a même transformer notre manière de communiquer entre pays. L’époque ici est à l’effacement des frontières », affirme celle qui a participé au développement du groupe international de publicité dans quatorze pays africains.
Malgré le regard optimiste qu’elle porte sur l’état actuel du marché publicitaire africain, Nunu Ntshingila demeure lucide sur le chemin qu’il reste à parcourir. Il existe des disparités notamment entre le Maghreb, l’Afrique du Sud et le reste de l’Afrique subsaharienne. Un rapport de l’Alliance For Affordable Internet (L’Alliance pour un internet abordable) montre que les pays d’Afrique francophone sont d’autant plus touchés par les coûts élevés du haut-débit. « En Afrique, ce qui va déterminer l’évolution de la publicité, c’est le coût du haut-débit », déclare-t-elle. Ce coût compte parmi les nombreux obstacles auxquels la future directrice de Facebook devra faire face pour développer le réseau social sur le continent africain dès le mois de septembre.
Interviewé réalisé par Ndeye Diobaye pour l'Afrique des Idées