La vision de l’entrepreneuriat par la famille sénégalaise

Quand on se promène dans les rues de Dakar, le nombre de vendeurs de chaussures, jus locaux et d’arachides est impressionnant. Cette forme de travail indépendant, souvent informelle, est très répandue. Est-ce un choix ou bien le résultat d’une conjoncture économique et sociale ?

Entreprendre ou avoir un « vrai travail » ?

La famille sénégalaise encourage les enfants à choisir la sécurité du travail avec un emploi dans une grande entreprise ou dans la fonction publique. Pourtant, la demande limitée des groupes et le besoin de relations pour intégrer les institutions restreignent les possibilités de carrières pour la plupart des diplômés. Une solution pour pallier ces difficultés bien réelles du marché de l’emploi est l’entrepreneuriat. Au Sénégal, « on peut créer son propre travail juste en regardant autour de soi et identifiant les manquements dans son environnement », explique Monsieur Diallo, conseiller fiscal de PME. Les opportunités de création d’entreprise ne manquent pas et pourraient servir l’économie du pays.

Malgré une conjoncture propice à la création, beaucoup de gens se limitent à un commerce nécessitant peu de fonds propres. Cette activité génère rapidement un revenu, ce qui convient bien à une mentalité locale averse au risque et souvent impatiente d’en voir le résultat. L’engouement pour ce type de négoce ne favorise cependant pas les investissements et les décisions de long terme nécessaires à la prospérité du business, précise Monsieur Oudiane, sociologue.

Pour mettre en place un véritable projet de création, l’entrepreneur doit faire preuve de courage et affronter le regard de sa famille. Un exemple marquant d’entrepreneuriat est celui de Monsieur Mbaye Sarr, fondateur de SENECARTOURS. Il a commencé ses services en achetant son premier taxi sur fonds propres en 1980 et dirige, 35 ans plus tard, un empire du transport touristique. Pour revaloriser l’entrepreneuriat dans le contexte familial, il faudrait pouvoir changer l’image de réussite limitée aux lutteurs et politiciens, et diffuser les histoires à succès d’hommes et de femmes d’affaires.

La place de la femme entrepreneure dans la famille  

En plus de la difficulté culturelle d’entreprendre, nous pouvons nous demander si l’expérience de l’entrepreneur homme ou femme diffère. Dans la famille sénégalaise, chaque individu a une place et un rôle bien définis. Le père est le pilier central et premier responsable de la famille. En cas d’absence ou de décès, c’est souvent l’ainé des garçons qui assume la charge familiale. La mère a également un rôle de première importance dans la gestion de la famille. C’est elle qui complète le revenu du père pour la (sur)vie familiale. Le rapport de force a été renégocié et l’activité économique des femmes est reconnue des maris mais « c’est dans le discours public que la femme est dévalorisée et ce depuis la colonisation», explique Madame Fatour Sarr, chercheure sur le genre au Sénégal.  

Monsieur Diallo porte beaucoup d’espoir aux femmes entrepreneurs qui selon lui ont une meilleure gestion de l’entreprise grâce à l’éducation reçue. Depuis l’enfance, elles appliquent des règles imposées par la structure familiale. Selon lui, elles sont devenues plus rigoureuses que les hommes. Un bel exemple de réussite est celui de Madame Dia, ingénieure et fondatrice de plusieurs entreprises de logiciels informatiques. Elle a dû trouver le bon équilibre entre sa responsabilité de mère et celle de femme entrepreneure mais maintenant que ses enfants ont grandi, elle assure ne rien regretter des sacrifices réalisés sur sa vie sociale. Mariée, c’est le mari qui va déterminer le succès professionnel de la femme en acceptant ou non que l’épouse voyage pour son travail ou même qu’elle travaille en bureau/entreprenne dans le secteur formel. Ainsi, les femmes entrepreneurs mariées ou divorcées réussissent mieux que les célibataires qui portent une pression familiale forte pour trouver un époux. « Les femmes réussissent bien au tout début de leur carrière, puis les hommes les rattrapent en raison de la culture et de la place de la femme de la société », conclu Monsieur Diallo. De nombreuses femmes se limitent alors au système de débrouille et d’imitation avec des microentreprises de couture ou transformation de produits locaux par exemple, plutôt que de créer de nouvelles activités.  

Finalement, on s’aperçoit que la culture a un fort impact sur la structure de l’économie. Les ménages aspirent à un travail à responsabilité pour les enfants et à un bon niveau de vie. Pourtant, l’innovation et de manière générale l’entrepreneuriat sont des activités rejetées par beaucoup de familles en raison des risques encourus. Contraints par un fort taux de chômage, femmes et enfants doivent alors reprendre l’activité familiale plutôt que suivre leur aspirations et profiter d’une ascension sociale. Cette peur de l’avenir est à contre temps des réalités sociaux économiques du pays mais de beaux exemples d’entrepreneurs donnent de plus en plus d’ambitions aux jeunes déterminés à développer leur pays.

 

Sophie André

Que diable ferions-nous d’un « Pape Africain »?

"Extra ecclesiam nulla salus"

Hors de l'Eglise, il n'y a point de salut

Benoit XVI Afrique

 

Il faut croire que le Pape écoute Shakira, ou qu'à tout le moins la folie du "Waka-Waka, This time for Africa" a finalement saisi le Vatican. Il ne se passe pas un jour, depuis l'annonce de la démission/renonciation imminente de l'Evêque de Rome, Benoît XVI le 10 février dernier, sans que la presse ne nous inonde d'informations sur la probabilité que le prochain Souverain Pontife soit originaire d'Afrique. Nous aurons appris ainsi, première nouvelle pour beaucoup d'entre nous, que l'Afrique avait déjà donné trois Papes à l'Eglise Catholique (Victor I, Miltiade et Gélase I – tous berbères nés en Afrique du Nord) et que les Cardinaux Francis Arinze du Nigéria et Peter Turkson du Ghana sont, aujourd'hui, les favoris des "bookmakers" pour la succession de Benoît XVI.

L'enthousiasme que suscite cette possibilité, dans les médias, a quelque chose de puéril. Peu importe ce que pensent ces "papables". Peu importe leur intelligence. Peu importe leur influence. Ce qui compte c'est qu'ils soient Africains, et qu'enfin, il puisse y avoir un "Pape Noir". Peter Turkson alla même jusqu'à dire qu'après Obama et Kofi Annan, il est peut-être dans l'ordre des choses que cela se produise. Modeste en plus, Turkson…

Seule une minorité s'inquiète du fait que ni Turkson, ni Arinze ne soient à proprement parler des "reformateurs" (un vieil adage du Vatican veut qu'il n'y ait que trois catégories de cardinaux : les ultra-conservateurs, les très-conservateurs et les conservateurs). Ou même que Turkson ait eu l'imprudence (ou la bêtise), durant un séminaire en octobre 2011, de présenter une vidéo absolument idiote et vaguement conspirationniste alertant sur les dangers de l'expansion de l'Islam en Europe. Ou qu'il considéra comme une simple "exagération", le projet de loi débattu par le Parlement ougandais qui souhaitait instaurer la peine de mort pour les homosexuels.

Peu de gens prêtent l'attention qu'il mérite au fait que c'est d'une seule et même voix, stridente et consternée que les cardinaux Africains ont condamné la très modérée critique adressée par Ban Ki-Moon à certaines politiques sociales en Afrique. De la Guinée au Ghana et de Dakar au Cap, tous les "Papes Africains" en puissance ont décidé de soutenir les dogmes de l'Eglise Catholique, qu'il s'agisse de la répartition des rôles au sein de la famille, de la filiation, du droit des genres, de la contraception ou du VIH. Ils sont accouru de la même façon en 2009, à la défense de Benoît XVI, lorsqu'il affirma que la distribution massive de préservatifs ne réglerait pas la question du VIH en Afrique et pourrait même l'aggraver. Il suffit enfin de voir la révolte menée par le Nigérian Peter Akinola, au sein de l'Eglise Anglicane contre l'ordination des femmes, par exemple, pour se rappeler cette autre évidence : la plupart des religieux Africains qui accèdent aux plus hautes sphères de l'Eglise sont généralement parmi les plus conservateurs et dogmatiques qui soient.

Et après tout, c'est peut-être leur rôle. Et dans les limites de leur sacerdoce et de leurs voeux, ils avaient probablement raison. Dans une société laïque, personne ne doit attendre l'autorisation du clergé, ni pour aimer, ni pour mourir, ni pour espérer. La vieille formule "Forniquez si vous voulez, mais ne demandez pas au Pape de tenir la lampe" est plus vraie que jamais.

Mais, en quoi exactement l'élévation d'un de ces cardinaux conservateurs et rétrogrades au statut de Pape et leur accès à cette autorité seraient une bonne chose pour l'Afrique ou pour le monde, me dépasse. S'imagine-t-on un instant qu'ils appelleront à une révolution séculaire en Afrique? Espère-t-on qu'ils adopteront une attitude plus "ouverte" sur le VIH ou la sexualité? Pense-t-on vraiment qu'ils lutteront pour une plus stricte séparation entre pouvoir religieux et politique? Qui rêve un instant qu'ils orienteront les invraisemblables ressources financières du Vatican en faveur du développement de l'Afrique?

Et même si tel était le cas, qu'est-ce que ça changerait? Le problème ce n'est pas tellement l'homme. C'est l'institution, la survivance de cet archaïsme qu'est l'infaillibilité pontificale. C'est la grossièreté de la succession apostolique qui exclut les femmes de l'exercice de la prêtrise. C'est la religion elle-même qui proclame qu'en dehors d'elle, il n'y a point de salut.

C'est déjà triste qu'il y ait encore un Pape. Mais que diable allons-nous faire d'un Pape Africain? Encore moins de Turkson ou d'Arinze comme Pape Africain. Tant qu'un Européen sortait une autre "adresse" ou lettre à l'Afrique, on avait à la rigueur, la consolation de savoir qu'il s'agissait d'un… autre Européen s'adressant à l'Afrique. "Bah, encore un autre discours sur l'Afrique."

Mais si même le Pape est Africain…