Notes sur l’ouverture du 3ème festival international des films de la diaspora africaine

Le festival international des films de la diaspora noire a été initié en 1997 à New York. GANGOUEUS a participé à la 3ème édition, dans sa version française, organisée le week-end du 7 au 9 septembre 2013 avec plus d’une dizaine de courts et de longs métrages présentés. Cet article, produit dans le cadre du partenariat entre Terangaweb et ce festival, revient sur ses impressions.
 


 
Portes fermées
J’ai été invité au démarrage du 3ème Festival International des Films de la Diaspora Africaine le samedi 07 septembre dans un très beau cinéma indépendant aux portes de Paris. Sortant d’une semaine laborieuse, quoi de plus sympathique que de retrouver des animateurs du 7ème art, refaisant le monde autour de samousas et autres amuse-bouches. A vrai dire, je me suis embarqué dans une discussion passionnante et quasiment exclusive avec un cinéaste centrafricain dont un court métrage allait être présenté en compétition.
 
 
Discussions d’apéro : "Ma famille" en question?
 
Notre échange porta sur des considérations aussi basiques que savoir à quoi sert le cinéma aujourd’hui en Afrique ? Quel type de public touche-t-il ? Comment expliquer le gap entre certaines séries populaires du type « Ma famille » dont la qualité technique et le piètre jeu d’acteurs horripilent les amoureux du 7ème art, là où le plus grand public exulte pour ces séries « Z ». Est-il envisageable de penser des collaborations entre ces deux mondes afin que la technique des uns améliore l’esthétique et le discours des autres ? Naturellement, les choses ne sont pas aussi simples et on peut comprendre dans le discours de ce cinéaste que sa vision, ses objectifs, sa cible ne sont pas les mêmes que les producteurs de ces divertissements populaires. Toucher l’universel pour les uns. Oui, peut-être. Entretenir les particularismes pour les autres. Un abîme sépare ces deux mondes.
 
Soutiens américains
 
Sans suivre la chronologie des événements durant l’apéro, j’ai eu également un trop bref échange avec une représentante de l’Ambassade des Etats Unis. L’occasion de voir de nouveau le soutien de l’ambassade américaine à des projets de ce type dans la capitale française. Il y a deux ans, avec le Club-Efficience, j’avais déjà eu le plaisir d’assister à un passionnant colloque parrainé par l’US Embassy sur le sujet Diversité et performances
 
Bon, l’apéro c’est cool, mais on est venu au cinoche pour voir des films. Dans la très belle et confortable salle du cinéma Etoile, Thibaut Willette de l’Observatoire  de la Diversité Culturelle introduit ce festival dans un lieu de la diversité par excellence à la lisière de Paris et du fameux 9-3. Quelques mots de remerciement  de Reinaldo Spech, président du festival et les hostilités sont lancées avec le court-métrage de Meriem Amari, intitulé Mon enfant.
 
Mon enfant, Meriem Amari
 
Le court métrage. L’exercice est difficile et je dois reconnaitre que j’ai rarement été convaincu par ce format de film. Une femme occupe l’espace. En noir et blanc. Elle porte une robe berbère. Elle est tatouée à l’henné. Elle est seule. Les plans sont rapprochés. On sent une certaine maîtrise de la technique par la réalisatrice et la qualité du matos. L’esthétique de la représentation contraste avec la noirceur de ce que cette femme, cette épouse, cette mère de famille, la cinquantaine passée exprime. La beauté pour décrire l’abject ou la douleur de violences longtemps ignorées. Une mère décrit un projet mortifère à l’endroit de ses enfants. Choc.
 
 
Derrière les portes fermées, Mohamed BenSouda
 
L’équipe de la rubrique Culture ayant fait une interview de Mohamed Ahed Bensouda en ligne sur Terangaweb depuis une semaine, je suis un peu au fait du sujet du long métrage qui ouvre le 3ème festival international des films de la diaspora africaine. Le harcèlement sexuel est le sujet du film Derrière les portes fermées qui a pour cadre le Maroc. Il s’agit d’une première projection en Europe.  Un poil parano, je suis avec attention le générique d’entrée pour identifier la nature du financement de ce projet. Maroc et OIF. Bon point.
 
Chacun de nous regarde un film avec son background et ses traumatismes parfois encore purulents quand il s’agit d’une histoire parfois proche de soi, quand on paie à regret une séance pour contempler de lourds clichés dont le cinéma africain subventionné est assurément le meilleur vecteur, le pouvoir immédiat de l’image étant désastreux. Aussi, suis-je séduit par les images de la ville moderne que ce film marocain me renvoie, loin des représentations classiques qu’on nous sert à longueur de film quand il s’agit du Maghreb : le souk, les Montagnes, le désert, le chameau et le folklore. Là, on a droit à un dépaysement total avec ce beau tramway en direction de Mohamed VI (et oui, la dédicace s’incruste dans le film).
 
Un sujet plus lourd
Mohamed Ahed Bensouda met en scène des belles cartes postales et affiche un patriotisme comme l’imposant drapeau marocain dans l’openspace qui va servir de cadre à l’intrigue du film.
 
J’ai parlé de harcèlement sexuel. Tout le monde a vu le face à face sulfureux entre l’entreprenante Demi Moore et Michael Douglas, il y a quelques années, sur un film affichant la même thématique. La prétention du réalisateur de Derrière les portes fermées n’est pas d’émoustiller le spectateur avec des scènes torrides. Il brosse un cadre professionnel, très aseptisé. Un open space. Le sujet est beaucoup plus lourd. Un parvenu est parachuté à la direction d'une boîte importante, en raison de ses relations avec un ponte du pouvoir marocain. Assez rapidement, il se prend d’intérêt pour une de ses employées, Samira. Une obsession dans laquelle ce bon père de famille, ce mari « aimant », n’entend pas qu’on lui résiste.
 
Un regard tendre et nuancé
 
Le réalisateur porte un regard tendre sur le combat que la jeune femme va mener dans une société marocaine en mutation. Elle est belle, elle aime ce qu’elle fait et n’entend pas céder au bon vouloir du goujat. Au risque de détruire son propre foyer. Le regard est tendre car, il est panoramique, nuancé et chargé de tolérance quand on observe cette plateforme de travail où les femmes sont en nombre, certaines voilées, d’autres pas du tout. Tendre en raison de l’impasse dans laquelle l’héroïne s’enferme. La question qui taraude le spectateur est celle de savoir : pourquoi ne quitte-t-elle pas cette entreprise ?
 
L’emploi est précieux. Surtout pour une femme. Ce qui augmente d’autant plus le pouvoir oppresseur du dirigeant. Un cul-de-sac qui révèle la nécessité de faire évoluer certaines lois sur ces questions dans le royaume chérifien. C’est l’enjeu un peu marqué du film.

 

Avec Karim Doukkali, Zineb Odeib, Ahmed Saguia, Omar Azzouzi
Réalisation de Mohamed Ahed Bensouda
En salle au cinéma Etoiles aux Lilas depuis le 6 Septembre 2013

Les nouveaux visages du féminisme Nord-africain

Marwa_photoEntretien avec Marwa Belghazi, activiste féministe au Maroc.

Bonjour Marwa. Peux-tu nous décrire les principaux enjeux qui se posent aujourd'hui dans les sociétés nord-africaines pour l'épanouissement social des femmes ?

Il reste encore beaucoup de choses à faire dans le domaine des droits des femmes en Afrique du Nord, en termes d'accès égal au marché de l'emploi, à l'éducation et à la santé, d'amélioration des conditions de vie et notamment dans le milieu rural, ainsi que de leur protection contre tous types de violences. Mais quand l'on en vient à parler de l'épanouissement des femmes en Afrique du Nord, il y a un sujet qu'on évoque très peu ou pas suffisamment à mon sens: Il concerne l'épanouissement de la femme dans son sens le plus simple, le ressenti d'un bien être au niveau de son corps et de son esprit.

Or, incontestablement, il y a dans nos sociétés nord-africaines une pression sociale sur le corps masculin et féminin, la pression sur le corps féminin étant toutefois plus visible et plus violente. Concrètement, cette pression s'exerce lorsqu'on en vient à aborder le droit de disposer librement de son corps. La virginité continue à symboliser l'honneur non seulement de la fille mais de toute sa famille, qui se sent donc investie d'un droit de regard et de contrôle sur le corps féminin. Au Maroc, il existe encore un article du code pénal qui punit les rapports sexuels entre deux personnes non mariées d'un mois à un an d'emprisonnement, contraignant de ce fait tout citoyen non marié à la clandestinité.

Par ailleurs, on reste dans une conception phallocentrique de la loi, des lois écrites du point de vue masculin. Par exemple, l'article 486 du code pénal marocain définit le viol comme "l'acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci". Cette définition de relations sexuelles non consenties se limite à la pénétration phallique du vagin de la femme. On ne conçoit donc pas que l'homme puisse être victime de viol ou que cela se fasse par une autre partie du corps ou objet autre que le pénis.

Enfin, on n'insiste pas assez sur la force destructrice et traumatisante du harcèlement sexuel au quotidien dans l'espace public, dans les lieux de travail, mais aussi à l'intérieur des familles. Cet harcèlement sexuel peut se transformer très vite en violence physique. On n'en parle pas suffisamment, et c'est peut être aussi une erreur des femmes de ne pas en parler, de « normaliser » la chose. Le corps féminin est constamment scruté et jugé, cela va du soi-disant compliment à l'insulte ou à l'attouchement. La pression sur le corps de la femme, je pense qu'elle est universelle. Mais les visages qu'elle prend sont différents suivant les sociétés. Par exemple, si les sociétés occidentales ont libéré le corps de la femme du joug de la tradition, c'est pour mieux retomber sous le contrôle d'une image marketing, d'un objectification qui impose pareillement un certain nombre de diktats.

A mon avis, on en est toujours à un conflit de définition de ce qu'est et ce que "doit" être la femme, la féminité, sa place dans la société, dans l'espace public, la liberté qu'elle peut avoir vis à vis de son corps. Et dans nos sociétés nord-africaines, nous essayons tant bien que mal d'avoir ces débats sans pour autant être traitées de traîtres à la nation, de mécréantes, voire très souvent de traînées.

Face à cette situation, comment s'organise la mobilisation des femmes sur ces questions ? Y a t'il un mouvement féministe organisé ? Si oui, en quoi se distingue t'il, à ton sens, d'autres mouvements qui se sont réclamés de ce terme par le passé ou dans d'autres régions du monde ?

Le début du mouvement féministe coïncide avec l'indépendance des pays d'Afrique du Nord. Ces mouvements d'indépendance se sont accompagnés de discours progressistes dont les porte-voix ont été ces personnes éduquées, occidentalisées, dont certaines se sont fait les étendards du féminisme. Mais de ce fait, les porte-voix de ce féminisme sont resté(e)s assimilé(e)s à une élite francophone issue des classes aisées. Leur discours arrive à être porté au niveau politique, avec une sorte de féminisme étatique, qui réussit à faire entendre ses doléances et à faire réformer la loi ; mais est-ce que ce discours arrive à pénétrer le reste de la société, et à changer les mentalités ? Est-ce que la réforme du code de la famille a changé les mentalités au Maroc ? Je n'en suis pas sûre.

Autre trait commun aux mouvements féministes en Afrique du Nord, la majorité de la population étant musulmane, les mouvements féministes ont généralement essayé de coopérer ou de ménager le religieux, en reconnaissant l'importance de l'islam. Les revendications sont restées dans un cadre musulman. Le discours, c'est de dire que les relations homme-femme sont plus dictées par la tradition que par la religion, cela afin de dédouaner la religion dans leurs attaques contre les pesanteurs de la société.

Je peux paraître critique vis-à-vis des ces premières générations de féministes, mais en même temps on ne peut pas nier l'importance de leur travail. Je suis le produit de leur héritage : si j'ai pu m'instruire, si j'ai la liberté d'expression, c'est grâce au travail de toutes ces militantes qui ont préparé le chemin. On a tendance, nous les jeunes générations, à oublier à quel point ce travail de militantisme qui nous a précédé a forgé le cadre dans lequel on vit. Par exemple, au Maroc, on leur doit la réforme du code de la famille, travail que poursuit le Collectif du printemps de la dignité, qui propose une révision globale des codes et des lois en vigueur au Maroc pour offrir aux femmes des garanties juridiques de leurs libertés individuelles et de l’égalité entre les sexes.

On sent aussi qu'il y a un renouveau de la mobilisation des femmes, qui a resurgit lors du Printemps arabe. Cette mobilisation n'a d'ailleurs pas été spécifiquement féministe au début, la femme s'engageant à l'égal de l'homme dans un militantisme pour l'émancipation politique de leur pays. Les revendications politiques étaient les mêmes, on ne sentaient pas le besoin de se distinguer, c'était une belle illusion de se dire qu'on se battait tous pour la même chose, pour des lois, pour une constitution instaurant un Etat de droit, en faisant abstraction de l'inégalité de fait qui subsiste entre hommes et femmes. Dans les plus forts moments de la révolte, il n'y avait pas de séparation entre les sexes dans les revendications. Je me rappelle du slogan : « les femmes et les hommes dans les droits sont les mêmes » qui a été souvent répété lors des manifestions. Certains slogans étaient accordés au masculin et au féminin : « écoute les fils du peuple, écoute les filles du peuple !».

Dans ce contexte de réveil politique et d'engagement des jeunes, nous assistons aussi à l'émergence d'un nouveau type de figures militantes. Aujourd'hui, la militante féministe est plutôt une jeune femme, pas forcément arrivée à un statut professionnel, social et civil considéré comme "stable" (ni mariée ni divorcée). Elle n'est pas forcément engagée au sein d'une association officiellement reconnue et peut utiliser des outils de revendication non conventionnels voire provocateurs pour certains. Et c'est ce qui explique sans doute que cette figure peine à trouver sa place au sein de la société. Aujourd'hui aussi, une militante ne cherche pas forcément à être dans la défense de victimes, elle se défend elle-même avant tout. Le terrain même de la lutte a changé: La femme militante réclame le droit d'être un individu, elle défend son existence libre au sein de la société.

Toutefois, ce contexte de printemps arabe n'est pas forcément synonyme d'avancées en matière d'épanouissement des femmes. En effet, ce qui se passe en Tunisie et en Egypte pendant ces deux dernières années nous a enseigné qu'aucun droit n'est définitivement acquis, et que les lois et les mentalités peuvent changer en notre défaveur. Cela a d'ailleurs remobilisé les militantes de tous fronts qui ont compris que rien n'était encore gagné : C'est un combat perpétuel de défendre ses droits et d'en gagner de nouveaux !

Peux-tu nous parler plus spécifiquement des actions que tu as toi même mené sur ces questions, des raisons de ton engagement, des modalités de ton action, des difficultés rencontrées et de tes objectifs ?

Le point de départ de mon engagement est lié à mon expérience personnelle, à mon vécu dans mon pays, le Maroc. Je tiens à le préciser clairement : mon engagement et mes actions, avant d'être présentés ou idéalisés comme une sorte de mission altruiste, c'est avant tout un combat personnel, bien sûr dans lequel peuvent se retrouver d'autres individus. Ce qui me dérange le plus, c'est la difficulté d'exister en tant qu'individu dans ma société. Et il n'y a pas de cloisonnement à faire à ce sujet entre femmes et hommes, ni de guerre entre les sexes, parce que le plus dur dans cet engagement, c'est de ne pas haïr l'autre, ce qui demande un effort immense quand on est attaqué verbalement, physiquement, parce qu'il faut comprendre l'autre, pour ne pas lui répondre par la même violence. Pour moi l'enjeu essentiel, c'est ce travail de compréhension, qui demande plus d'efforts que l'action concrète ou l'indignation systématique, mais qui est sans doute plus constructif dans le long terme. Il est essentiel qu'on travaille sur nos conceptions de la masculinité, de la féminité, et de notre rapport au corps.

Mon engagement sur ces questions se traduit essentiellement par un travail sur le terrain, travail difficile pour une femme, parce que c'est dans l'espace public qu'elle est le plus vulnérable. La question la plus pressante, celle du harcèlement sexuel dans la rue, est celle qui occupe la part la plus importante de mon temps, parce que c'est un combat quotidien. La première chose, c'est d'en terminer avec l'indifférence et l'impunité. L'impunité de l'homme amené à dire et faire ce qu'il veut. Les petites actions que je mène au quotidien, c'est de sortir avec suffisamment de temps pour pouvoir m'arrêter à chaque fois que je suis agressée verbalement pour interpeller les auteurs des attaques, pour leur interroger sur le pourquoi de leur comportement, leur demander de réfléchir à ce qu'ils viennent de dire. Cela peut prendre les tournures les plus agréables jusqu'à la confrontation public avec un attroupement de personnes qui viennent une fois que l'altercation a eu lieu, pour me calmer et non pas pour réprimander l'agresseur… Ce qui me permet aussi de demander aux gens pourquoi ils interviennent à ce moment et pas avant.

Je ne suis pas seule à faire ce travail, il y a d'autres personnes qui partagent ces mêmes préoccupations. Il y a des documentaires marocains en cours de réalisation sur la question, qui cherchent à donner de la visibilité au sujet, , le film égyptien "les femmes du bus 678" en traite aussi de manière poignante. Le mois dernier, nous avons réalisé une campagne avec le mouvement né sur Facebook "Le Soulèvement des Femmes dans le Monde Arabe" (Women Uprising in the Arab World) : nous avons affiché pendant une semaine dans 8 villes arabes d'immenses pancartes avec le visage de chacune d'entre nous portant un message pour interpeller les gens. A Tanger, on avait une affiche sur la façade de la cinémathèque de la ville, en 10×10 mètres. L'affiche avait pour message « je suis avec le soulèvement de la femme dans le monde arabe, parce que je ne me tairai pas devant le harcèlement sexuel auquel je fais face quotidiennement dans la rue ». L'idée était de pouvoir toucher ou interpeller chaque passant, et de mettre le doigt sur ce sujet en insistant sur le fait que c'est bien un problème sérieux et pas une mauvaise manière de draguer ou de faire connaissance !

Affiche_Tanger

Autre élément qui me tient à cœur, c'est le travail de réflexion commun entre hommes et femmes, avec l'organisation de petits ateliers de discussion réunissant des étudiants de tous les âges (collèges, lycées, universités), et de réfléchir ensemble sur la conception de nos corps et de nos relations. Ce qui est intéressant c'est de commencer ce travail depuis le début, avant que les consciences deviennent imperméables et fermées au débat.

Tout cela ne signifie pas non plus qu'il faille nier l'existence de réalités violentes et des personnes qui en sont victimes, parce qu'elles existent et ont besoin de soutien. A ce sujet, ce qui m'intéresse le plus c'est peut être ce qui se passe quand les caméras s'éteignent. Que se passe t-il quand la « victime » gagne son procès ? Est-ce que le plus important a été fait, ou est-ce que le plus important ce n'est pas d'avoir une alternative de vie ? Ce qui devrait nous occuper, c'est la possibilité de futur et de développement personnel offerte à ces personnes. Elles ont certes fait face à des réalités dures, mais cela devrait être juste un épisode à dépasser pour ouvrir de nouveaux chapitres de leur vie, meilleurs. Concrètement, cela veut dire qu'on doit travailler sur le suivi des victimes pour pouvoir leur assurer des possibilités de se reconstruire. Cela peut passer par une re-scolarisation, par une insertion dans le monde professionnel, un suivi psychologique, et la possibilité de rencontrer d'autres personnes ayant fait face à des situations similaires afin de créer un réseau de soutien entre elles. A ma connaissance, il y a encore beaucoup de travail à faire dans cette direction, et cela exige de se défaire de l'approche de victimisation qui suit la personne toute sa vie.

N'as-tu pas peur que ce travail de pédagogie ne soit pas suffisant pour changer les mentalités, pour bousculer les pesanteurs de ces sociétés, en tout cas à court et moyen terme ?

Ce travail sur les mentalités doit se faire accompagner par un renforcement du dispositif légal. On n'a pas encore de lois qui nous protègent du harcèlement sexuel dans la rue. Il y a un travail à faire pour réfléchir au type de loi dont nous aurions besoin pour lutter contre ce problème. Il faut en terminer avec l'impunité, mais sans tomber non plus dans une répression tout azimut. Je n'ai pas forcément envie qu'un harceleur se retrouve systématiquement en prison, ce que je veux c'est qu'il ne recommence plus. C'est la difficulté et le travail que l'on doit faire, et j'invite tous ceux qui sont intéressés par ce sujet à nous aider à élaborer une loi qui n'instaure par une guerre entre les sexes, mais qui protège en responsabilisant ceux qui enfreindraient les limites posées par la loi. Pour ceux-là, la peine pourrait se traduire en travaux d'intérêt général, en obligations de suivre des sessions de sensibilisation à ces thématiques, on n'a pas besoin forcément d'envoyer les gens en prison.

Et pour répondre à ta question, j'ai en effet parfois l'impression de vider la mer avec une petite cuillère. Il y a des jours où je me dis qu'en restant à une si petite échelle, même si j'y consacrais toute ma vie, je ne réussirai pas à toucher 1% de la société marocaine. Je profite donc de l'occasion pour inviter toute personne qui voudrait se joindre à moi pour travailler sur les questions soulevées, soit en participant aux ateliers de sensibilisation ou pour travailler sur une proposition de projet de loi concernant le harcèlement sexuel. Toutes autres idées sont aussi les bienvenues ! Si nous arrivons à constituer un groupe suffisamment solide, nous pourrions avoir plus d'impact et plus de visibilité et notre réseau pourrait s'étendre à travers tout le Maroc et toute l'Afrique du Nord.

 

Interview réalisée par Emmanuel Leroueil

Marwa Belghazi est joignable à l'adresse : gendermorocco@outlook.com

Ma cousine, mon épouse

Le couple exogamie/endogamie est la boussole nécessaire à qui veut naviguer dans les sociétés humaines. L’exogamie définit les collectivités où le mariage préférentiel se fait avec l’étranger à la famille ou au groupe proche, l’endogamie celles qui au contraire, privilégient le mariage avec les plus proches, le mariage entre cousins par exemple. Au Maroc, les derniers chiffres en date donne encore 20% environ de mariages endogames. A la différence d’autres variables – comme le nombre d’enfants, par exemple – l’endogamie ne précède pas historiquement l’exogamie. Au Moyen-Âge déjà, les sociétés européennes étaient exogames, les sociétés arabo-musulmanes endogames. Indépendamment du niveau de développement, du taux d’urbanisation, de la structure démographique, le duo exogamie/endogamie distingue entre deux types de société, accordant à la femme des places différentes.

Exogamie et liberté féminine

Dans les sociétés exogames, les jeunes filles sont non seulement autorisées à circuler dans l’espace public, elles y sont même vivement encouragées. Car une fille qui se confine à la maison et aux fêtes familiales, c’est une vieille fille en perspective, donc à terme une charge économique, et un objet de honte social. Et d’ailleurs, pour les timides demoiselles, les bals de village étaient prévus pour multiplier les occasions de rencontre avec les étrangers (proches). Plus tard, lorsque la bourgeoisie européenne, au XIX° siècle, se préoccupa de protéger ses héritières des mauvais partis, elle inventa le bal des jeunes premières, qui substitua les valses à la rue comme occasion de rencontres. Au village, à la ville, parmi de pauvres paysans ou au sein des notables, l’exogamie, exigence inconsciente, imposait et impose la circulation des femmes parmi les hommes.

Dans les sociétés endogames, les choses sont symétriquement inverses. Toute fille est, à la naissance, en théorie, destinée à un époux, un cousin proche ou éloigné. Non seulement elle n’a pas besoin de sortir, elle est même vivement priée de ne pas le faire. Car la sortie d’une fille nubile dans l’espace public est l’occasion d’une rencontre indésirable, qui viendrait fausser le schéma familial.

La fin du mariage entre cousins

De telles considérations paraîtront oiseuses et compliquées. On dira que moins du cinquième des mariages sont aujourd’hui endogamiques, au Maroc et dans des sociétés similaires (en Egypte, en Tunisie, en Algérie, par exemple). Mais ce serait se tromper sur deux éléments : 20%, c’est beaucoup, c’est même énorme. En Europe, le taux des mariages entre cousins dépasse rarement le 1%. 20% de mariages entre cousins, cela signifie qu’une partie notable des 80% restant sont le fait de mariages de type endogamique, par proximité géographique, ethnique, familiale, et qui échapperaient aux statistiques.

Le second élément concerne la prégnance des schémas familiaux : longtemps après la disparition d’une exigence sociale, son importance mentale demeure, sous des formes métaphoriques. Les vendettas n’existent plus dans la plupart des pays méditerranéens, mais les considérations portant sur l’honneur de la mère ou de la sœur restent centrales dans les injures. On peut multiplier les exemples de ce type : une norme sociale disparait, mais restent, comme une ombre ou un écho, des comportements, des représentations, qu’on assume d’autant plus qu’on ne les comprend plus vraiment. Le rapport des femmes à l’espace public, le fait de voir dans un corps féminin en déplacement une richesse échappée de l’enclos familial plutôt qu’une occasion de rencontre légitime, le fait que ma cousine, mon épouse, m’attend cloîtrée, pendant que je batifole avec les traînées, que leurs pères, que leurs frères à la virilité défaillante, ne surveillent plus… de telles représentations persistent longtemps.

On voit combien la religion, souvent invoquée pour justifier ou dénigrer les comportements sexistes, est ici secondaire. L’islam ne défend pas l’endogamie, certains versets semblent appeler explicitement à l’exogamie. Mais les pratiques qui découlent de l’exigence d’endogamie – cloîtrer les femmes, empêcher la mixité publique – trouvent dans la religion d’utiles arguments pour des comportements autrement difficile à rationaliser.

Omar Saghi, article initialement paru sur son blog


 

Droits fonciers : le combat des femmes (1)

Selon les experts, les Africaines fournissent 70 % de la production alimentaire, constituent près de la moitié de la main-d’œuvre agricole et s'occupent de 80 % à 90 % de la transformation, du stockage et du transport des aliments, ainsi que des travaux de sarclage et de désherbage. Cependant, les femmes n'ont souvent pas droit à la propriété foncière, souligne Joan Kagwanja, expert de l'ONG Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), présente auprès de petits planteurs. Ce droit est généralement réservé aux chefs de famille, qui sont des hommes, et les femmes n’y ont généralement accès que par l’intermédiaire d’un parent de sexe masculin, souvent leur père ou mari. Et même dans ce cas, elles sont obligées chaque fois de remettre à un homme le revenu des ventes de produits agricoles et ne peuvent généralement pas décider de l’usage qui en sera fait.

De plus, cet accès limité aux terres est très précaire. D’après une étude réalisée en Zambie, plus du tiers des veuves sont privées d’accès aux terres familiales à la mort de leur mari. « C’est cette dépendance à l’égard des hommes qui rend de nombreuses femmes africaines vulnérables », explique Mme Kagwanja à Afrique Renouveau. La progression du VIH/sida et l’opprobre qui entoure la maladie n’ont fait que fragiliser davantage les droits fonciers des femmes. Les veuves dont les maris sont morts du sida ont souvent été accusées d’avoir introduit la maladie dans la famille. Il est arrivé que leurs terres et d'autres biens leur soient confisqués pour cette raison. Face à cette situation, les militants de la cause des femmes luttent pour faire adopter ou renforcer des lois visant à faciliter l'accès des femmes aux terres. Ils combattent les normes sociales et les pratiques traditionnelles qui s’y opposent. Et réalisent des progrès ici et là, en dépit de nombreux obstacles.

Le poids de l’histoire

Les chercheurs de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) de Washington notent que la marginalisation des femmes en matière de droits fonciers est un problème très ancien en Afrique. Avant la colonisation, la propriété et l'accès aux terres revêtaient diverses formes mais revenaient essentiellement aux lignées, clans et familles, sous le contrôle de chefs masculins. Les membres d’une lignée ou d’un clan particulier devaient donc consulter leur chef avant d’utiliser les terres. À l’exception de quelques communautés où l’héritage se transmettait par la mère, les droits fonciers revenaient seulement aux fils. Les femmes avaient rarement droit à la propriété foncière. Elles étaient considérées comme des ayants droit secondaires, par l’intermédiaire d’un parent de sexe masculin. Avant le mariage, une femme pouvait avoir accès aux terres de son père. Mais dans de nombreuses communautés, elle perdait ce droit en se mariant, car on supposait qu’elle aurait alors accès aux terres de son mari ou de sa belle-famille. Quand le mari mourait, ses terres revenaient à leurs fils, s'ils en avaient eu, sinon à un parent de sexe masculin.

Benjamin Cousins, agronome et enseignant à l'université de Western Cape en Afrique du sud, indique que par le passé, les femmes étaient protégées par des traditions qui leur permettaient d’avoir accès aux terres même après la séparation, le divorce ou la mort de leur époux. Il existait également des moyens d’arbitrage traditionnels auxquels les femmes pouvaient recourir en cas de refus. Mais la colonisation a importé les régimes fonciers occidentaux. En Afrique orientale et australe, le nombre élevé de colons blancs a favorisé la privatisation et le morcellement des terres détenues sous des titres francs individuels. En Afrique de l’Ouest, la plupart des terres sont restées des biens collectifs, gérés par les chefs traditionnels. A l’indépendance, certains gouvernements nouvellement formés, par exemple en Tanzanie, au Mozambique et au Bénin, ont nationalisé toutes les terres. Au Kenya et en Afrique du Sud, la propriété privée a coexisté avec la propriété par lignée ou par clan. Au Nigéria, l’État était également propriétaire, particulièrement en milieu urbain.

Au fil des ans, l’augmentation rapide de la population a contribué à la surexploitation des terres et à l’appauvrissement des sols. Les terres fertiles ont pris de la valeur et attisé la convoitise des acheteurs. Associées à l’évolution des structures familiales et des relations entre clans, ces pressions ont fragilisé les mécanismes sociaux traditionnels qui garantissaient aux femmes l’accès aux terres. Si bon nombre de conflits fonciers en Afrique sont encore officiellement régis par le droit coutumier, « de nombreux mécanismes de protection des femmes n’ont pas survécu » à la modernité, relève M. Cousins. De plus, il existe aujourd’hui de nombreuses situations, telles que la cohabitation sans mariage, ne relevant pas de la tradition. Par conséquent, « beaucoup de femmes n’ont plus accès aux parcelles de terres ». Aujourd’hui, de nombreux pays africains appliquent aussi bien le droit « traditionnel » de la propriété foncière que des lois calquées sur le modèle occidental. Au Nigéria, après l’indépendance acquise en 1960, l’État a pris possession de toutes les terres. Cela a certes fragilisé le régime foncier coutumier, mais le droit traditionnel a continué à être reconnu dans les régions où les terres étaient depuis longtemps la propriété des clans et des familles. L’application de la sharia dans les États du Nord du Nigéria a encore compliqué la situation.

Titres de propriété

Une des solutions préconisées à l’origine par les experts du développement occidentaux pour remédier aux lacunes du droit coutumier consistait à donner des titres de propriété aux individus. Esther Mwangi, spécialiste du droit foncier à l’université de Harvard, observe que les gouvernements de l’Afrique orientale et australe ont suivi cette approche pour permettre aux individus d’être officiellement propriétaires de leurs terres. Cette politique devait donc permettre aux femmes de disposer de droits fonciers reconnus par la loi, pour des biens qu’elles possédaient ou avaient reçus en héritage. « Dans les régions où je mène des recherches, la privatisation a en réalité privé les femmes de leur accès aux terres », explique Mme Mwangi à Afrique Renouveau. Lors de l’attribution de titres fonciers, ce sont les noms des hommes qui ont généralement été inscrits sur les registres parce que c’étaient eux les « chefs de famille ». Les veuves qui avaient la chance d’obtenir des terres ne recevaient que les plus petites parcelles.

Pour garantir l’accès des femmes aux terres, les militants du droit à la terre proposent de séparer la propriété officielle des terres de leur usage. Le titre de propriété d’une parcelle pourrait ainsi être établi au nom d’un homme, mais celui-ci n’aurait pas le droit de la vendre sans l’accord de sa ou de ses femmes ou d’autres héritiers. Le Ghana dispose d’une loi qui empêche le chef de famille de vendre des biens de la famille sans que les autres membres en soient informés, aient donné leur accord ou en perçoivent les bénéfices. « Une autre solution consisterait à établir le titre de propriété au nom des familles ou des hommes et des femmes », propose Mme Mwangi. « Lorsque les ressources telles que l’eau, l’assainissement et les pâturages doivent être partagées, des communautés entières sont ainsi reconnues propriétaires de la terre, et tout le monde bénéficie d’un accès égal », ajoute-t-elle.

Mais de telles idées sont plus faciles à proposer qu’à mettre en œuvre. Les militants du droit des femmes à la terre ont essayé de faire adopter des lois dans plusieurs pays, avec des résultats mitigés. En Ouganda, l’Uganda Land Alliance a fait pression pour que les titres de propriété soient établis à la fois au nom des hommes et des femmes, comme copropriétaires, mais ce projet de loi a été présenté à de nombreuses reprises au Parlement sans jamais être adopté. Là où des lois progressistes sont adoptées, les choses ne s’améliorent pas nécessairement. Au Mozambique, des groupes de la société civile ont fait adopter en 1997 une loi garantissant aux femmes l’accès aux terres et aux biens. « L’adoption de cette loi fut une victoire », a déclaré Lorena Magane de la Rural Association of Mutual Support à un journaliste. Mais Rachael Waterhouse, rédactrice d’un rapport sur l’égalité des sexes et les terres au Mozambique, estime que si la loi était bonne en théorie, sa mise en œuvre s’est avérée difficile parce que les tribunaux coutumiers, auxquels la plupart des femmes en milieu rural font appel, considèrent encore l’homme comme le chef de famille et, par conséquent, le détenteur de l’autorité légitime sur les terres.

Au Ghana, la loi de 1985 sur la succession ab intestat et celle relative à l’obligation de déclaration du chef de famille visaient à assurer la sécurité des veuves et des enfants. Si un homme mourait sans laisser de testament, la loi sur la succession stipulait que ses biens seraient équitablement répartis entre sa veuve, ses enfants et les autres membres de la famille étendue. Mais selon une étude réalisée par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) dans la région de la Volta, au Ghana, peu de femmes étaient au courant de ces lois et les pratiques traditionnelles continuaient de régir le droit à l’héritage. De ce fait, de nombreuses femmes n’avaient plus accès aux terres après la mort de leur conjoint.

Mary Kimani, article initialement paru sur Afrique Renouveau, revue d'analyse sur l'Afrique éditée par l'ONU

Crédit photo 1 : Redux / Hollandse Hoogte / Arie Kievit, photo illustrant un champ de mais au Malawi.

Crédit photo 2 : http://www.geo.fr/var/geo/storage/images/media/images/rubrique-environnement/actualite-durable/recolte-du-riz-pres-de-tombouctou-au-mali/167319-1-fre-FR/recolte-du-riz-pres-de-tombouctou-au-mali_940x705.jpg

 

Les Burundaises ne peuvent toujours pas hériter des terres

Au Burundi, le projet de loi sur la succession est au point mort depuis quelques mois. Les femmes ne peuvent toujours pas hériter des terres. Les associations de défense des droits de la femme font le constat amer d’un retour en arrière. "Parler d'autonomisation de la femme, c’est vraiment une illusion quand la femme n’a rien, quand elle ne peut même pas posséder une bananeraie. C’est une inégalité formelle quand on n'a pas les mêmes droits, simplement parce que l’un est un garçon et l’autre une fille", s’indigne Perpétue Kanyange, coordonnatrice de la SPPDF, un collectif d’associations féminines.

L’an dernier, le ministère du Genre ainsi que diverses organisations avaient entamé une campagne pour sensibiliser autour du projet de loi sur la succession, les régimes matrimoniaux et les libéralités. Mais, depuis, ces activités ont été suspendues sans explication, sur ordre des instances étatiques. À Maramvya, à une trentaine de kilomètres à l'est de la capitale, Bujumbura, cette mesure a provoqué la colère des femmes, rapporte Judith Nzeyimana, coordonnatrice de terrain à l’Ong CARE. Pour elles, c’est comme un retour en arrière, alors que le processus était déjà avancé. Dans cette localité, les femmes sont nombreuses à adhérer à des associations. En témoigne Mpawenimana, qui dirige deux associations. "Avant, j’étais pauvre. Je devais tout demander à mon mari. Depuis que j’ai commencé des activités d’épargne et de crédit, comme on nous l’a enseigné, j’ai des revenus consistants. Et mon mari en est également content", raconte cette mère de six enfants, dont cinq sont à l’école primaire.

Pour Perpétue Kanyange, il faut que la population "change de conception et passe de celle d’une femme qui fait partie des propriétés à celle d'une femme propriétaire et actrice". "On voudrait, martèle-t-elle, que la communauté le comprenne et donne une place aussi importante à la femme qu’à l’homme." Face au blocage du projet de loi sur la succession, des organisations demandent qu’elle soit inscrite dans les priorités du gouvernement. Selon Chantal Mukandori, présidente de l’Association des femmes Juristes (AFJ), cette loi permettrait aussi de résoudre les nombreux conflits fonciers pendants devant les juridictions du pays : "Même les hommes n’ont pas de loi pour succéder. C’est pourquoi il y a des conflits. Mais si la loi est promulguée, les conflits diminueront parce que chacun connaîtra ses droits et ceux d’autrui", affirme-t-elle. En l’absence de législation, l’on se réfère à la coutume, qui favorise l’héritage des garçons au détriment des filles.

Toutefois, certaines familles respectent l’égalité entre les filles et les garçons dans le partage de la terre lignagère, comme c'est le cas au Rwanda voisin, qui a pratiquement les mêmes coutumes que le Burundi, mais où existe une loi qui établit la parité. L’AFJ y a effectué une mission pour constater le chemin parcouru. Pour sa présidente, cette loi a été promulguée "d’abord grâce à la volonté des pouvoirs publics et des dirigeants". "Et, poursuit-elle, "maintenant que la loi est là, les femmes succèdent au même titre que les hommes et il n’y a pas de problèmes particuliers."

 

Béatrice Ndayizigamiye, article initialement paru chez Syfia Grands Lacs

La femme arabe et la révolution

Les signaux envoyés depuis Tunis ou Tripoli à propos de la condition féminine de l’après-révolution, amplifiés par les craintes des médias occidentaux, peuvent désarçonner : comment un vaste mouvement collectif qui vise et obtient la chute d’un tyran peut-il, d’un même mouvement, mobiliser un arsenal juridique ou annoncer des mesures à caractère misogyne ? L’esprit de la révolution ne souffle-t-il pas également sur l’ensemble d’une société ?

Pour expliquer cette exception, on doit d’abord remonter aux conditions historiques dans lesquelles se sont institués les droits des femmes dans le monde arabo-musulman. C’est d’une impulsion étrangère à la civilisation orientale qu’émanèrent les premières mesures. « Libérer » les femmes, c’était, pour les régimes musulmans modernisateurs, mobiliser de nouvelles forces au service d’un même projet de domination et de transformation de la société. Celle-ci en garda un goût amer et une association automatique entre réclamations féministes et alliance entre l’Occident et la dictature locale.

Ne touchez ni aux femmes ni à la religion

Il arriva d’ailleurs, paradoxalement, que la colonisation arrêta un processus d’émancipation féminine qui avait débuté avant et sans elle. Par prudence et utilitarisme, les régimes coloniaux évitèrent de bousculer les sociétés sur cette question, jugée moins importante que celle du contrôle des ressources ou de la mobilisation des indigènes dans l’armée. C’est que la question féminine est indissociablement liée au domaine religieux. Sans légitimité pour légiférer ou passer par force dans ce domaine, les puissances étrangères préfèrent contourner soigneusement l’espace féminin. L’anthropologue Jacques Berque, à propos du Maghreb colonial, dit que la France laissa à l’indigène deux espaces réservés : la mosquée et la femme. Là où Mohammed-Ali ou Khair-Eddine Pacha, au XIXe siècle, pouvaient, en tant que gouverneurs musulmans légitimes, bousculer ces deux espaces, les ouvrir à la modernité, négocier ou forcer la main à la société, la France et l’Angleterre se bornèrent à instituer les avancées acquises et délaissèrent le reste.

L’hommage que Mustapha Abdeljalil vient de rendre à la colonisation italienne de la Libye doit aussi être lu selon ce prisme : le colon qui « construit des routes » et terrorise les colonisés avait néanmoins, sur le despote modernisateur – Kadhafi en fut une version contemporaine – cet insigne avantage de ne pas toucher la société dans ses fondements psychiques : sa sexualité et sa religion, autrement dit sur ce nœud constitutif de l’identité profonde de l’individu.

Les révolutions n’aiment pas les femmes

Mais à vrai dire, il n’y a pas que les révolutions arabes qui semblent ne pas aimer les femmes. La misogynie des révolutionnaires français et russes est connue. L’exécution d’Olympes de Gouge, la mise à l’écart d’Alexandra Kollontaï, sont là pour le rappeler. Les explications historiques propres au monde arabo-musulman n’épuisent donc pas le phénomène. Des dimensions psychiques et de classes sont à prendre en compte. La haine que cristallisa Marie-Antoinette la femme de Louis XVI n’était pas seulement due à la xénophobie du petit peuple parisien contre « l’Autrichienne ». Ce qu’on détesta jusqu’au meurtre dans les femmes de la cour, c’étaient leurs mains blanches, leur désœuvrement, les cous ceints de bijoux extorqués au travail collectif. La haine que le chômeur tunisois ou le vendeur à la sauvette cairote vouent à Leïla Ben Ali ou à Suzanne Moubarak tient aux mêmes ressorts, sans doute. Cette haine pour la femme du prince, symbole de sa tyrannie, se mue facilement, devenue mouvement collectif, en protestation virile et en haine de toute exposition de féminité sur l’espace public.

A être exacte, les révolutions sont moins misogynes que puritaines. Elles n’aiment les femmes que masculinisées. A Pékin en 1949, comme à Alger en 1962 comme à Téhéran en 1979, les révolutionnaires portèrent sur le devant l’image de femmes résistantes et actives, les opposant inconsciemment aux princesses des régimes impériaux ou aux femmes du colon, qui renvoyaient aux dominés une image glauque de soumission et de mépris. Le proche avenir nous dira si le Printemps arabe dépassera cette fièvre misogyne qui agite les ferveurs populaires.

 

Omar Saghi, article initialement paru sur son blog

 

La féminisation de la pauvreté (1)

Depuis quelques années, tous les organismes internationaux s’accordent à reconnaître ce qu’ils appellent la «féminisation» de la pauvreté – aujourd’hui les femmes sont 70% des pauvres de notre planète et 60% des travailleurs pauvres (1/4 des travailleurs totaux) gagnant moins d’1 $ par jour. Avant de dresser l'état des lieux et les causes de la féminisation de la pauvreté (2ème partie), il est nécessaire d’avoir une compréhension précise et complète du problème afin que des stratégies efficaces d'autonomisation des femmes puissent être formulées.

Si tous les organismes internationaux s’accordent depuis déjà quelques années à reconnaître ce qu’ils appellent la «féminisation» de la pauvreté, les recherches et études sur la définition et la mesure de la pauvreté incluent rarement la spécificité du genre comme une variable significative. De fait, au fil des décennies, la pauvreté a été traitée comme un phénomène indépendant du genre. Bien que les indices de développement du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) liés au genre semblent refléter une faible corrélation entre la pauvreté et le sexe d’un individu, il y a des améliorations considérables à mettre en œuvre pour que les statistiques soient conformes à la réalité. En effet, La pauvreté est multidimensionnelle. La pauvreté dans les choix, dans les possibilités et les opportunités est aussi pertinente pour la mesure de la pauvreté que les niveaux de revenus. Un bref aperçu des données historiques témoignerait de la privation permanente des femmes. En fait, les femmes subissent la pauvreté d'une manière différente de celle des hommes. Les causes de ce phénomène ne font pas encore l’unanimité. L’important pour les décideurs politiques est de prendre en considération tous ces facteurs lors de la mise en place de politiques publiques sur la pauvreté. 

L’Afrique, continent pauvre (malgré ses quelques pays en développement) ne peut pas poursuivre son effort de développement si des inégalités entre hommes et femmes continuent à se creuser (entrée dans un cercle vicieux et retour à la pauvreté). «Comme les femmes sont généralement  les plus pauvres parmi les pauvres… éliminer les discriminations sociales, culturelles, politiques et économiques envers les femmes est un pré requis pour éradiquer la pauvreté… dans le contexte d’un développement durable»(CIPD, 1994)

Qu’est ce que la « féminisation de la pauvreté » ?

Le premier Objectif du Millénaire pour le Développement (OMD) est de « réduire l'extrême pauvreté et la faim » et le troisième  OMD, de « promouvoir l'égalité des genres et l'autonomisation des femmes ». Ainsi, pour les Nations Unies, pauvreté et genre sont intimement liés. On pense souvent la pauvreté du point de vue monétaire.  Pourtant, «la pauvreté humaine est bien plus que la pauvreté monétaire. C'est la dénégation des choix et des possibilités de vivre une vie tolérable» (PNUD 1997). La pauvreté est ainsi évaluée principalement de deux façons:

  • Une valeur quantifiée, financière et monétaire, pour les institutions internationales et les gouvernements. Par exemple, être pauvre pour les Nations Unies, c'est gagner 1 dollar ou moins par jour; être pauvre pour l’Europe, c’est gagner moins de 60% du salaire médian et en France, moins de 50% du salaire médian.
  • Une valeur qualifiée, basée sur la satisfaction des besoins fondamentaux (se nourrir, se loger, se soigner, s’éduquer etc.), dont la valeur monétaire fluctue, pour les humanistes.

Quant à la « féminisation de la pauvreté », elle reste un terme non défini, mais il y a un consensus sur ses caractéristiques principales. Elle souligne essentiellement que les femmes représentent une part disproportionnée des pauvres dans le monde. Elle appréhende l’évolution de cette tendance et affirme que la croissance de la part des femmes dans le niveau de pauvreté est liée à la situation économique de la femme dans le ménage notamment dans les ménages dirigés par une femme seule. La féminisation de la pauvreté est une préoccupation légitime de politique publique (et étrangère), car les femmes étant de plus en plus des acteurs économiques et des chefs de ménages,  leur paupérisation est un facteur non négligeable de ralentissement de la croissance économique. Les pays africains ont beaucoup à gagner à résoudre ce problème, car en cette période de réduction des budgets d'aide étrangère, l’investissement dans les femmes offre aux décideurs les meilleurs rendements économiques et sociaux à moindre coût.

Reste à pouvoir quantifier précisément ce que l’on entend par «féminisation de la pauvreté. La PNUD a introduit l’ISDH (L'Indicateur Sexo-spécifique de Développement Humain), dérivé de l’IDH qui reflète les disparités de genres dans les capacités humaines de base et l’IPF (Indicateur de Participation Féminine), qui mesure les progrès vers l’égalité des sexes en terme de pouvoir économique et politique. L'ISDH mesure les disparités de genre dans environ 144 pays dans les domaines de l'espérance de vie à la naissance, de l'éducation (mesurée par le taux d'alphabétisation des adultes combiné aux taux de scolarisation) et des revenus  (mesurés en  $ PPA ). Ces différentes mesures montrent l'écart qui existe entre les hommes et les femmes dans leur accès aux ressources et services économiques et sociaux, un écart dû à la position désavantagée des femmes dans la société. Les estimations de l’ISDH ont montré que même si les disparités entre les sexes ont diminué au cours des années, il n’y a encore aucun pays dans lequel les femmes sont en égalité complète avec les hommes. Même le pays le moins inégalitaire dans ce sens, qui est la la Norvège, a un ISDH de 0,95 sur  1,00 alors que le Niger, dernier du classement a un ISDH de 0.31 (PNUD, 2004). Quant à l’IPF, il mesure l'autonomisation des femmes à travers trois facteurs: la participation économique et le pouvoir de décision, la prise de décisions politiques et enfin le pouvoir sur les ressources économiques (PNUD, 1995).

Bien qu'il y ait une acceptation généralisée des indicateurs sexo-spécifiques, de nombreux critiques vont à l’encontre de l'utilité de l'ISDH et l'IPF. D’une part l’ISDH est dominé par une estimation conceptuellement et empiriquement problématique des écarts de revenus entre les sexes, mais il minimise le rôle de l'éducation dans les inégalités tout en ignorant largement celui de la santé; sans doute les deux problèmes les plus importants auxquels les femmes des pays émergents sont confrontées. D’autre part, l’IPF est trop axé sur la représentation des femmes au niveau politique national et dans l'économie formelle. Ceci met en évidence plusieurs lacunes clés de cet indice: un manque de considération pour les différentes normes culturelles et sociales entre les nations, une analyse insuffisante des réalités empiriques, telles que la taille du secteur de fabrication et la fiabilité de bases de données nationales, la négligence d’autres variables importantes de l'autonomisation des femmes et la nature plurielle de nombreuses sociétés. De fait, ces indicateurs devraient permettre de mieux quantifier les inégalités entre sexes et leur impact sur ​​le développement.

 Abdoulaye Ndiaye

Dommage qu’elle soit une p*****

When the facts change, I change my mind. What do you do, sir?
J. M. Keynes

Ce qu’il y a de terrible avec les « mea culpa », c’est que ça ne finit jamais.

Il apparaît aujourd’hui que la victime présumée du viol dont est accusé l’ancien Directeur Général du FMI est une excellente comédienne, capable de raconter, le regard mouillé, tremblant de la tête au pied, au bord de l’évanouissement, avoir été victime d’un viol collectif ou qu’elle est la veuve d’un martyr de la démocratie guinéenne, puis reconnaître ensuite, impassible, qu’il n’en est rien. D’autres détails encore plus sordides sont repris depuis deux jours par la presse mondiale : elle aurait un petit ami « dealer de drogue » ; en deux ans, 100.000$ auraient été déposés, par petits virements sur son compte ; elle annonçait au téléphone, deux jours après son agression qu’elle savait ce qu’elle faisait et que son « agresseur » avait beaucoup d’argent ; elle fraudait le fisc… et la liste continue qui dresse le portrait-robot d’une manipulatrice et d’une affabulatrice. Mais voilà, « on peut être à la fois femme de petite vertu et femme violée ».

Je n’utiliserai même pas cette astuce, bien misérable parade, en vérité. Parce que le problème posé par le cas N.D. est colossal et ses conséquences, au-delà de l’avenir de Dominique Strauss-Kahn, sont effroyables. Il y a un mois, elle était toutes les victimes : mère seule, immigrée, pauvre, soumise, abandonnée, violentée. Aujourd’hui, – la surenchère et les emportements de son avocat ne font d’ailleurs qu’ajouter au malaise – elle reste une icône, mais d’un genre bien différent.
Les vieux clichés ne tarderont pas à réapparaître, la droite radicale en Europe et au États-Unis trouvera dans cette affaire l’illustration idéale. Immigrée, elle confirmera les poncifs les plus nauséabonds distillés sur les immigrés toujours fraudeurs, fourbes, trafiquants ; femme donc forcement vénale et volage ; mère célibataire, traduisez «catin » ; « réfugiée » ? Ils savent bien, eux, qu’il n’y a que des immigrés économiques ; « violée », elle devait certainement être demandeuse ; etc. Ce n’est plus Ève, c’est Lilith.

Je ne renie pas la note écrite sur ce viol présumé. À la relecture, je la trouve d’ailleurs fort prudente et retrouve les milles hésitations qui me tiraillaient, l’impossibilité de relier ces accusations à l’image que j’avais en tête de mon ancien professeur d’économie. Le viol est et reste un crime abominable. L’essentiel de ce que je notais, à l’époque, à ce sujet est vrai. Mais l’honnêteté commande de reconnaître que j’avais cédé moi aussi à l’idéalisation de la victime présumée, ne décrivant l’accusé qu’à travers elle, par rapport à elle. J’avais tort.

J’écrivais, il y a un mois : « Il semble ancré, quelque part, dans l’inconscient collectif qu’une femme noire qui dit avoir été violentée ne peut mentir ou faire partie d’une quelconque cabale. On ne doute pas de l’orphelin qui, en pleurs, jure avoir revu sa mère. Je ne sais si c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle. »

Grâce ou à cause de N.D. ce n’est plus vrai aujourd’hui. Et ça, pour le coup, je le réalise brutalement, c’est un désastre.

Joël Té Léssia

 

PS : le titre est utilisé ici, bien évidemment, pour sa force "sonore", en référence à la pièce du dramaturge Anglais John Ford.
 

Entretiens avec Wassyla Tamzali, écrivaine féministe algérienne

Wassyla Tamzali est une écrivaine et militante féministe algérienne, née en 1941. Elle a été avocate à Alger avant de devenir directrice du droit des femmes à l'Unesco. Elle se consacre désormais à l'écriture. Elle est l'auteure de  "L'énigme du Maghreb"  où elle dénonce la polygamie, ou encore de "Une enfance algérienne".  C'est une figure éminente du mouvement féministe en Afrique du Nord et plus largement dans le monde arabe, en tant que présidente du Collectif Maghreb Egalité.

Elle explique dans le premier entretien la nature de son engagement féministe ainsi que le contexte dans lequel il s'inscrit, et les difficultés rencontrées. " Notre problème majeur tient à l'interprétation de l'islam dans les sociétés maghrébines" évoque t'elle à ce sujet, rajoutant que "l'islam, tel qu'il a été reçu par les sociétés islamisées, n'a été qu'une forme de légitimation des modes archaiques de la société".

Le premier entretien a été réalisée par Sara Morsi de la revue Averroès et est disponible à cette adresse:

http://revueaverroestest.files.wordpress.com/2011/04/ent-tamzali-revue-averroc3a8s-variations-oct2009.pdf

Le second entretien avec Wassyla Tamzali a été réalisé par Antonio Torrenzano pour le blog lemonde e-south. Mme Tamzali y souligne la dégradation de la place de la femme dans les sociétés africaines depuis la colonisation, en se référant aux travaux des historiennes Annie Lebeuf et Catherine Coquery-Vitrovich. Cet entretien est disponible à l'adresse suivante: http://e-south.blog.lemonde.fr/2011/02/11/le-genie-feminin-pour-la-mediterranee-conversation-avec-wassyla-tamzali-ancienne-responsable-des-droits-de-femmes-a-lunesco/

 

Emmanuel Leroueil