Mouvements citoyens en Afrique : les raisons d’espérer

JPG_Balaicitoyen091215Le 13 octobre 2015, après 28 ans d’omerta imposés par le gouvernement de Blaise Compaoré, la dépouille de l’ancien président burkinabè Thomas Sankara (1983-87), l’une des figures emblématiques des mouvements citoyens africains, était exhumée pour autopsie. Le constat est sans appel : le corps criblé de balle du révolutionnaire confirme son assassinat, et conforte, si besoin en était, l’idée du sort que réservent aux démocrates les régimes autoritaires.

« Y en a marre », « Le Balai Citoyen » ou « Filimbi » : ces mouvements qui se réclament aujourd’hui de Sankara, Patrice Lumumba ou Mandela ont émergé dans les années 2010. Dès 2012, ils affichent des conquêtes démocratiques de poids : chute du « vieux » Abdoulaye Wade au Sénégal, expulsion de Compaoré du trône burkinabé, et sanctuarisation (provisoire) de la Constitution congolaise contre la volonté de Joseph Kabila de prolonger son séjour au pouvoir. En quoi ces initiatives sont-elles novatrices ? Quelles sont leurs influences et comment s’organisent elles ?

Une stratégie diplomatique qui épouse les codes internationaux…

De manière assez inédite, ces mouvements citoyens se distinguent des mouvements sociaux existants en tant qu’ils se sont emparé de tous les leviers de légitimation politique conventionnels, tout en s’attachant à des valeurs –  et en prônant des références culturelles –  africaines.

La rhétorique employée tout d’abord, est dans la droite lignée de celle affectionnée par les organisations internationales. Les termes de « démocratie », « non-violence », l’affirmation du rejet du radicalisme et même la « bonne gouvernance » figurent ainsi en bonne place au sein de la Déclaration des Mouvements Citoyens Africains, rédigée et co-signée à Ouagadougou à l’été 2015 par plus de 30 mouvements du continent.

Ces organisations sont donc « légitimistes » : elles ne prônent pas de soulèvement révolutionnaires, comme les mouvements sociaux nés sous la colonisation, ni la dénonciation des plans d’ajustements structurels imposés par le FMI, à l’instar de ceux des années 1980, mais bien le respect des constitutions en place. C’est le cas de Filimbi, « Ras-le-bol », ou encore de « Touche pas à mon 220 » (mouvement né au Congo-Brazzaville), qui ont milité pour le respect de la limitation des mandats présidentiels imposée par les textes.

En plus de parler le langage des bailleurs occidentaux, ces mouvements s’appuient sur leurs organes de négociations, et cherchent à faire porter leurs revendications à l’ONU et à l’Union africaine (UA), tandis que leurs représentants n’hésitent pas à rencontrer les hommes politiques influents de la scène internationale (les « yenamaristes » ont ainsi été reçus, entre autres, par Laurent Fabius et Barack Obama).

…Mais qui s’en émancipe pour prôner des valeurs propres au continent

Cependant, tout en s’emparant des véhicules de communication de l’Occident, ils s’en émancipent avec des références idéologiques spécifiquement africaines. Les leaders charismatiques de ces groupes ne se privent pas de critiquer ouvertement les modèles et moyens employés par les pays développés. « Au Sénégal comme en France, nous combattons la même forme d’injustice sociale, les mêmes affres du libéralisme sauvage » déclarait ainsi Fadel Barro à l’ONG Survie.

C’est le concept du libéralisme, dans son ensemble, qui est rejeté : l’un des objectifs affichés des mouvements est ainsi de proposer un « projet politique alternatif au système néo-libéral dominant ». Le vocabulaire utilisé, de même, est proche de la philosophie marxiste : « les masses » doivent lutter contre l’« accaparement des terres », tandis que sont martelés les termes de « capital » et de « lutte ». On retrouve ici des similarités avec les références au marxisme-léninisme des mouvements sociaux des années 1970, qui avaient principalement agité les pays lusophones.

Mais le travail des mouvements sénégalais, burkinabè ou congolais ne se limite pas au rejet stérile d’un modèle décrié. Leur ambition est de constituer une réflexion académique « africanocentrée » et acquise à leur cause : la déclaration de Ouagadougou appelle ainsi à « encourager la conduite et la production de recherches académiques (…), favoriser l'existence de spécialistes africains sur les mouvements citoyens en Afrique ».

L’émancipation a toutefois ses limites, notamment quand vient la question du financement. Les accusations qui leur ont été faites d’être soutenus par Washington et Ottawa, si elles ne sont pas avérées, soulèvent néanmoins le problème de l’indépendance réelle de ces mouvements.

L’idéal du panafricanisme, pour l’expansion d’un mouvement qui fait encore exception

Un autre aspect intéressant de la philosophie des initiatives citoyennes est le panafricanisme. Promu dès 1949 par le Centrafricain Barthélémy Boganda et le Ghanéen Kwame Nkrumah, le panafricanisme représente l’espoir de voir un jour émerger « les États-Unis d’Afrique ». Dès les premiers heurts au Burundi, le Balai Citoyen a relayé des messages de soutien aux Bujumburais, tandis que les 30 mouvements réunis à Ouagadougou l’été dernier ont demandé la libération des prisonniers politiques détenus à  Kinshasa. Des échanges ont lieu entre leurs structures, qui se conseillent sur les modes d’action et sur la formation de leurs membres : par exemple, des membres des organisations congolaises Filimbi et  Lucha ont rencontré leurs homologues du Balai citoyen et de Y en a marre en mars 2015 à Kinshasa.

Cette dynamique et les succès variables qu’elle rencontre ne doivent pas faire oublier que de tels mouvements, structurés et influents, sont encore absents de trop nombreux pays du continent : qui pour s’opposer aux velléités autoritaristes de Pierre Nkurunziza ou de Robert Mugabe, pour ne citer qu’eux ? Là où la guerre civile est encore trop fraiche ou la répression trop dure, il est en effet difficile d’envisager avant longtemps toute opposition organisée et revendiquée.

Mais le constat n’en est pas moins porteur d’espoir : en cinq ans à peine, des organisations citoyennes tangibles se sont élevées et ont renversé des figures politiques autrefois jugées inébranlables. Ces mouvements sont enracinés au niveau local, ramifiés avec leurs homologues des pays voisins et travaillent à constituer une philosophie qui leur soit propre, et d’autant plus apte à mobiliser les énergies. De nombreux obstacles attendent encore les mouvements citoyens du continent, et les 15 élections prévues en Afrique pour l’année 2016 seront un test sans concession, mais les raisons d’espérer sont là.

Julie Lanckriet