Pour une baisse du coût du crédit au sein de l’UEMOA

fonds-souverainsDe nombreux observateurs soutiennent que les banques de la sous-région ouest-africaine affichent une situation de surliquidité structurelle. Pourtant, l’offre de crédits au sein de l’espace UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine)  reste l’une des plus chères au monde. Au deuxième trimestre de l’année 2014, le taux débiteur moyen, hors taxes et charges, pratiqué par les banques de l’UEMOA était de 7,16%. Même si ce taux a connu une légère baisse par rapport aux deux dernières années, il reste encore au-dessus des taux pratiqués dans certaines zones monétaires des pays émergents et développés. Dans le rapport annuel sur la zone franc produit par la Banque de France en 2012, le taux d’intérêt débiteur moyen hors taxes et charges de l’UEMOA était de 8%, contre 6,3% et 3,8% respectivement au Maroc et en France; soit des différentiels  de taux de 1,7  et 4,2  points.

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Evolution des taux debiteurs moyens (hors taxes et charges) des banques de l UEMOA. Source : BCEAO – Rapport annuel de la Commussion Bancaire

En prenant en compte les taxes et charges rattachées à l’obtention d’un prêt, le coût total du crédit supporté par un emprunteur de l’espace UEMOA varie en moyenne entre 10% et 15% selon les pays. Face à ces taux exorbitants qui défient toute rationalité, de nombreux demandeurs potentiels de crédits renoncent à recourir aux banques ; ce qui contribue à baisser la consommation et l’investissement, pénalisant ainsi la relance de l’économie. Pour comprendre le rationnel qui pousse les banques à proposer des taux élevés, il convient d’en rappeler les déterminants. Le taux d’intérêt représente le prix du temps (durée du prêt) et du risque (de non remboursement) que la banque prend en octroyant un crédit. La valeur du temps étant théoriquement la même dans toutes les régions du monde, la seule variable explicative des différentiels de taux reste le « risque », qui est une notion renfermant plusieurs facteurs  (politique, économique, psychologique etc.). Ainsi, le coût exorbitant du crédit dans l’UEMOA peut s’expliquer par différents facteurs dont nous présentons ci-dessous ceux qui nous semblent les plus significatifs :

  • l’instabilité socio-politique et économique : Toutes les institutions financières du monde intègrent systématiquement le risque pays dans la valorisation des coûts des crédits qu’elles octroient à leurs clients. Ainsi, le marché du crédit de l’UEMOA subit depuis plusieurs années, le double effet de l’instabilité socio-politique et la fragilité de l’économie de la région. Le retour relatif de la stabilité politique (avec la fin de la crise en Côte d’Ivoire et la défaite des terroristes au nord du Mali) ainsi que le regain de vitalité économique dans la région ne sont pas suffisants pour rassurer les institutions financières. Il faudra plusieurs décennies consécutives de stabilité politique et de croissance économique pour changer la perception du risque.
  • le taux directeur de la BanqueCentrale: Le taux directeur est le taux auquel les banques empruntent auprès de la BCEAO. Plus ce taux est élevé, plus les taux accordés aux clients finaux à l’autre bout de la chaine l’est. Pendant longtemps, les taux directeurs étaient restés élevés au sein de l’UEMOA. Mais au cours des dernières années, la BCEAO a envoyé des signaux forts au marché. Entre 2009 et 2015, le taux de guichet de prêt marginal de la BCEAO est passé de 4,75% à 3,50%. Toutefois, les canaux de transmission entre taux directeurs et taux débiteurs dans la zone étant faibles, la baisse des coûts financiers pour les emprunteurs reste très limitée suite à un changement de politique de la BCEAO.
  • un déficit  d’informations fiables entrainant une mauvaise appréciation du risque : Dans les pays de l’espace UEMOA, les banques disposent de très peu de leviers pour évaluer le profil de risque de leurs clients (localisation géographique, solvabilité financière, situation sociale etc.). La centrale de bilan de la BCEAO, qui est sensé fournir une banque de données significatives aux institutions financières leur permettant d’apprécier de manière objective la situation des clients, connait des disfonctionnements structurels. Ainsi, l’absence de visibilité sur le profil de risque des emprunteurs potentiels conduit d’une part à une réticence des banques à prêter et d’autre part à une hausse des coûts des prêts octroyés. Pour remédier à cette situation, la BCEAO a entrepris de déployer des Bureaux d’Information sur le Crédit, qui sont des structures qui collectent et compilent des informations sur les antécédents de crédit ou de paiement d'un emprunteur. Ceci devrait permettre d’atténuer l’asymétrie d’information et rassurer ainsi les banques qui pourraient revoir leurs taux à la baisse.
  • une défaillance juridique et institutionnelle : le niveau élevé du coût du crédit peut également s’expliquer par la difficulté qu’ont les régulateurs du secteur bancaire à imposer leur autorité aux banques de la région. Le Conseil des Ministres de l’UEMOA a vaguement fixé le taux d’usure (niveau maximum de taux praticable) à 15%  sans qu’il n’y ait de mécanisme précis de contrôle des conditions de fixation des taux appliqués par les banques. Ainsi, les banques disposent d’une large marge de manœuvre pour maximiser leur gain. L’important écart de 6,5% à 11,5% entre les taux auxquels les banques empruntent auprès de la BCEAO (3,5%)  et les taux qu’elles appliquent à leurs clients ( entre 10% et 15%) , est ainsi déterminé dans des conditions opaques. D’ailleurs, la difficulté qu’a la BCEAO à  faire respecter la mesure de gratuité de 19 services bancaires listés dans un communiqué publié en juillet 2014 (http://www.bceao.int/Communique-de-presse-2985.html) démontre l’urgente nécessité de renforcer le cadre institutionnel pour un meilleur contrôle des pratiques des banques.

Le coût élevé des taux au sein de l’UEMOA n’est pas une fatalité. Les autorités de régulation disposent de leviers pratiques qu’ils devraient actionner de manière efficace pour réduire à court terme, le coût du crédit :

  • Renforcer le cadre règlementaire: Le mécanisme de calcul des taxes et charges liées à l’octroi d’un prêt doit être encadré par une législation précise. Il s’agit de fixer des barèmes formels (de taxes et charges) de sorte à réduire la marge de manœuvre des banques dans la détermination des taux. Dans cette même logique, à l’instar de la récente loi sur la gratuité des services bancaires, les autorités devraient commanditer une étude sur la structure des charges liées à l’octroi des crédits, afin d’envisager la suppression de certaines d’entre elles qui ne se justifieraient pas.
  • Le contrôle des activités des banques : Le véritable défi des autorités bancaires est moins la définition d’un cadre réglementaire que le suivi de sa mise en œuvre effective. La non répercutions des baisses des taux directeurs sur les taux débiteurs des banques en est une parfaite illustration. Ainsi, la BCEAO devrait moderniser et renforcer ses missions de contrôle. En l’occurrence, en plus des missions périodiques de contrôle sur pièces basées sur le reporting des banques, il faudrait conduire des audits inopinés afin de mieux évaluer les pratiques des banques au quotidien. Au regard de l’opacité qui entoure les activités de certaines banques, il est important que la BCEAO renforce son personnel par des professionnels aguerris spécialisés dans la conduite de missions de cette nature. Il peut également être envisagé de recourir de manière ponctuelle aux services d’un cabinet spécialisé afin de traiter certaines problématiques qui peuvent s’avérer complexes.
  • Développer la concurrence dans le secteur : promouvoir des solutions alternatives de financement (finance islamique -prêt à taux zéro-, marchés boursiers, fonds d’investissements etc.) afin d’intensifier la concurrence pour faire baisser les taux. Par ailleurs, Il convient également d’améliorer le climat des affaires et de développer des solutions de garanties institutionnelles au bénéfice des emprunteurs  pour réduire le «  risque perçu » par les banques.
  • Réduire l’asymétrie d’information en rendant disponibles des informations détaillées et fiables sur la situation financière des agents économiques, notamment les ménages et les PME. A cet égard, la BCEAO doit accélérer le déploiement du projet des bureaux d’information sur le crédit.

Il apparaît aujourd’hui que le coût considérable du financement bancaire au sein de l’UEMOA, tient davantage à la faiblesse institutionnelle de la BCEAO à faire appliquer les règles qui régissent la pratique de l’activité bancaire, qu’aux arguments classiques comme l’inexistence d’informations sur les demandeurs de crédits ou l’instabilité économique et socio-politique. Une situation qui se traduit par une quasi-inefficacité de la politique de la BCEAO, même pour des mesures visant directement le marché financier. S’il convient d’améliorer l’environnement des affaires et de fournir un accompagnement aux demandeurs de crédit (ce que les Etats tentent de faire, avec des outils variés, selon les pays) ; il est impératif que la BCEAO renforce son mécanisme de supervision afin que les canaux de transmission de sa politique, notamment ceux visant le secteur bancaire, puissent entrainer à la baisse le coût du crédit dans la région afin de faciliter l’accès aux financements, nécessaires à la relance de la consommation et de l’investissement qui sont les moteurs de l’économie.

Lagassane Ouattara

La dette, un handicap au développement ?

185236742-281x300Le recours à la dette exterieure est connu pour sa capacité à drainer des fonds importants dans une économie en besoin de financement, contribuant ainsi à son développement via l’allocation qui se fait de ces nouvelles ressources. Cependant, il peut constituer une source de tensions dans l’économie. Les crises récentes de la dette en zone euro, les bisbilles survenues entre les élus américains autour du relèvement du plafond de leur dette souveraine ainsi que le cas argentin sont des exemples notoires d’un problème plus global. La question a déjà été abordée en partie dans un article de Foly Ananou. Il s’interrogeait en effet sur l’impact de la dette sur les performances économiques. Il a ainsi soulevé la controverse de l’endettement public en rapprochant de façon pertinente les différentes théories économiques en la matière. Le présent article pousse plus loin la réflexion en s’attachant particulièrement aux conséquences socio-environnementales.

Le recours systématique à l’endettement public dans le démarrage économique d’une collectivité entraine, sans nul doute, la  dévalorisation du rôle de l’épargne  nationale. Si aujourd’hui, de nombreux pays africains ne peuvent se prévaloir d’avoir une épargne nationale robuste capable de servir de levier aux investissements, c’est aussi parce que les outils financiers des Etats, font rarement appel à cette épargne. En outre, l’endettement public entraine  le drainage hors de la communauté  nationale  ou sous-régionale  des ressources financières nécessaires au développement local. Ceci prend notamment la forme d’intérêts sur le capital et d’intérêts sur les intérêts[1] ; une partie de la richesse créée étant consacré au remboursement de l’emprunt. Cette situation est d’autant plus critique quand les performances économiques du pays ne sont pas solides et inclusives. Le cas de l’Afrique subsaharienne est assez édifiant. En 1984, le service de la dette (les intérêts) ivoirienne représentait 12 %  de son pays. Il comptait pour plus de 40 % des recettes d’exportations de biens et services de la Guinée Bissau en 1987.

La réalité est que les pays africains n'étaient pas techniquement préparés à la gestion de cet afflux de capitaux. Depuis leur indépendance politique, ils n’ont pas connu une véritable révolution économique qui puisse assoir les bases d’une industrialisation réussie. En effet, les pays ont été embarqués dans ce programme d'aide initié par le président Truman en 1949, alors même que les conditions techniques pour son éclosion n’étaient pas au rendez-vous. Il s’agit notamment de la bonne gouvernance, de l’approche participative et axée sur les résultats ainsi que des capacités limités des gouvernants en matière de gestion de la dette. Ces insuffisances couplées avec le manque de contrôle de la part des pays donateurs ont entrainé des situations de crise de la dette souveraine, qui ont motivé les récentes initiatives PPTE[2] et ADM[3].

Une autre conséquence de l’endettement extérieur est l’extraversion des économies aidées du fait qu’il faut toujours et davantage exporter de matières premières pour acquérir les devises étrangères nécessaires au paiement du service de la dette. Les économies tendent ainsi à se spécialiser dans des secteurs pouvant rapporter, non davantage, mais le plus rapidement possible des devises. L’agriculture est orientée vers les cultures d'exportation, le secondaire se spécialise dans le secteur minier, avec parfois un ricochet sur l’industrie de l’équipement et le tertiaire est dominé par le commerce et les services. C’est le cas de nombreux pays en Afrique subsaharienne. Au sein de l’UEMOA (Union Economique Monétaire Ouest-Africaine) par exemple, les exportations de matériaux agricoles bruts du Burkina Faso font depuis 1995 plus de la moitié du total des exportations de marchandises du pays. Elles ont atteint 59 % en 2000 et représentaient 91 % des exportations du Mali, à la même période. En 2010, les exportations de matériaux agricoles s’établissaient à 56 % pour le Burkina Faso contre 48 % pour le Mali. En 2010, les exportations de minerais et de métaux du Niger représentaient 60 % du total de ses exportations de marchandises contre 41% 10 ans plus tôt.

Gelima (1994) considère que le délaissement accentué de l’agriculture vivrière au profit des cultures d’exportation  provoque  la dépendance alimentaire, la sous alimentation, souvent la famine, et constitue des pressions supplémentaires sur l’environnement, à l’heure où le réchauffement climatique est une réalité et une menace pour la survie de la race humaine[4]. Par ailleurs, l’endettement entraine une situation d’interdépendance accrue vis-à-vis de l’extérieur et une dépendance croissante envers les institutions financières internationales, rendant ainsi plus difficile la mise en œuvre de politiques économiques satisfaisant les réalités locales.

Il faut également souligner que les conséquences de l’endettement extérieur ne se limitent pas seulement aux seuls pays aidés. Elles impactent aussi les pays donateurs, créant ainsi un cercle vicieux qui contribuent à maintenir le aidés dans leur situation. Dans son livre intitulé « effet boomrang, choc en retour de la dette du tiers-monde », George S. (1992) identifie les conséquences suivantes :

  • « La dégradation aux répercussions planétaires de l’environnement : destruction des forets tropicales, érosion et désertification dues à l’exploitation intensive et extensive des terres pour l’agriculture d’exportation ». Ces répercussions sur l’environnement n’épargnent en effet pas les pays développés.
  • « La migration en masse de miséreux et de réfugiés vers les pays riches, conséquence de l’appauvrissement et de la déstabilisation des sociétés sous-développées ». En effet, selon le rapport conjoint OCDE – Nations Unies, intitulé « les migrations internationales en chiffres » parut en octobre 2013, on recense aujourd’hui dans le monde 232 millions de migrants internationaux, dont environ six sur dix résident dans les régions développées. Depuis 1990, le nombre de migrants internationaux a augmenté d’environ 53 millions (65 %) dans les pays du Nord alors qu’il croissait d’environ 24 millions (34 %) dans ceux du Sud. Pendant la période 2000-2010, le nombre total de migrants a crû deux fois plus vite qu’au cours de la décennie précédente.
  • « La multiplication des conflits internes et externes ». McNamara (1991), secrétaire à la défense sous le président américain Kennedy, écrivait à cet effet : « au cours de ce dernier demi-siècle le tiers-monde a connu 125 guerres ou conflits armés laissant un bilan de 40 millions de morts, 65 conflits armés, tous internes, y ont été recensés entre 1989 et 1992 seulement. »

Le recours à la dette extérieure est une pratique en vigueur dans les pays en voie de développement depuis près de 70 ans. Malgré les efforts consentis jusque là par les pays africains concernés, le rattrapage économique semble encore très loin. Foly Ananou, dans un second article portant sur la question de la dette, expliquait que tant que les performances économiques de l’Afrique seront en lien avec la richesse de son sous-sol mis en valeur par des capitaux étrangers, elle ne pourra user de la dette pour asseoir son émergence. Moyo (2009),  insiste sur le fait que l’Afrique doit donc inventer son développement, et ne plus penser que le recours systématique à l’extérieur soit une solution pérenne pour financer leur développement. C’est d’ailleurs dans ce sens  que Georges évoque la fiscalité ou que Pauline discute du recours à des financements innovants. Si le recours à la fiscalité ou aux mécanismes de financements innovants constituent des solutions envisageables, elles demeurent cependant tributaires de l’environnement économique africain. Dans les pays de l’UEMOA par exemple, cet environnement est marqué principalement par une assiette fiscale très réduite, un secteur privé en proie à des problèmes existentiels, une bancarisation encore loin des attentes et un secteur informel prépondérant. Un prochain article discutera donc de la possibilité de renouer avec les vertus de l’épargne nationale qui est mobilisable en Afrique et proposera par la suite un modèle alternatif qui facilitera une croissance auto-entretenue.

Carmen Thirbus Agbahoungbata

Références 

Gélima, J. (1994),  Et si le tiers monde s’autofinançait : de l’endettement à l’épargne,  Ecosociété, Montréal (Québec),

George, S. (1992),  L’effet boomerang, Choc en retour de la dette du Tiers Monde, Paris, La Découverte.

McNamara, R. (1991), Toward a New World Order, in Ecodécision, N°2, P. 15

Moyo, D. (2009),  Dead Aid: Why Aid is Not Working and How There is Another Way for Africa, Ed. Allen Lane. Penguin Books


[1] Selon la Banque mondiale, les paiements d’intérêts sont « les montants réels d'intérêts payés par l'emprunteur en devises étrangères, en biens ou en services au cours de l'année donnée. Cet élément comprend les intérêts payés sur la dette à long terme, les frais du FMI et les intérêts payés sur la dette à court terme ».

 

[2] Pays Pauvres Très Endettés

 

[3] Allègement de la Dette Multilatérale

 

[4] Voir le quatrième rapport d’évaluation du GIEC (Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat) à ce sujet

 

Pour un développement sain des marchés financiers africains

Y a-t-il des marches financiers[1] en Afrique ? Si oui, à quoi servent-ils ? Relèvent-ils le défi d’aider le continent dans son processus de développement ? Quelles mesures doivent être prises pour que ces marchés se développent sainement ? La série d’articles sur les marchés financiers que nous vous proposons répond à ces questions.

Après un tour rapide de l’expansion des marchés financiers en Afrique et un exposé de leurs avantages et inconvénients, nous concluons cette série avec les mesures à prendre pour un développement harmonieux de ces marchés.

520871-001Un meilleur cadre juridique et règlementaire

L’environnement légal et réglementaire qui régit le cadre de fonctionnement des bourses du continent laisse a désirer. En cause, des droits de propriété mal définis, des difficultés chroniques à faire respecter les contrats et une protection légale déficiente. Cette situation a notamment pour corollaire une forte concentration du secteur bancaire, un faible taux d’intermédiation, des taux d’intérêt requis trop élevés et des appels de garantie qui entravent l’accès au crédit.

Il faut donc mettre en place des structures juridiques fortes et compétentes pour protéger les investisseurs, faire respecter les contrats et les droits de propriété qui doivent être mieux définis. Il ne fait aucun doute que tout ce qui va dans le sens d’une meilleure stabilité économique et d’une amélioration de la confiance des investisseurs et de l’environnement des affaires participe du développement des marchés financiers.

Aussi faut-il que ces marchés se développent en évitant autant que possible les excès qu’ils engendrent dans les pays développés et qui peuvent être très déstabilisateurs pour l’économie réelle des pays africains – comme nous l’avons indiqué dans le troisième article de cette série. Il faut donc que les institutions de régulation prennent la mesure de la complexité et des risques associés aux produits et opérations qu’ils autorisent afin qu’une régulation ferme et adéquate adapte l’instrument boursier au contexte des économies africaines. Pour l’instant, les produits autorisés sur les marchés sont essentiellement des actions et des obligations, il y a très peu de place pour les produits dérivés. Au fur et à mesure du développement des économies, un recours pourra être fait à des produits plus complexes notamment pour améliorer la couverture des risques mais cette démarche devra être progressive et prudente.

Un meilleur système financier

Il faut également renforcer les services bancaires et la bancarisation car il n’est pas de marchés de capitaux forts et développés quand le secteur bancaire est encore immature. Le secteur doit donc être mieux ouvert à la concurrence tout en étant davantage  régulé – à travers les contrôles de ratios prudentiels par exemple. L’offre bancaire de produits d’épargne et d’emprunt doit également s’adapter aux besoins locaux.

Une autre mesure qui s’impose, consiste à utiliser le dynamisme du secteur financier informel déjà en place et à en accroître le volume d’activité. Les institutions de microcrédit par exemple doivent être plus formalisées et incitées à élargir leur gamme de produits financiers destinée aux PME. Pour toucher une population plus importante[2], il faut que des outils financiers innovants soient développés notamment en utilisant des technologies comme la banque par téléphone très développée au Kenya notamment.

Ce souci d’adaptation au contexte local doit également se ressentir dans l’organisation des bourses locales. Ces dernières devraient proposer un segment réservé aux entreprises de taille moyenne comme c’est déjà le cas au sein de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM). Ainsi, les bourses pourront augmenter le nombre des entreprises cotées et réduire le manque chronique d’instruments financiers adaptés aux PME, largement majoritaires sur le continent et qui préfèrent souvent rester dans le secteur informel, faute de services financiers taillés pour elles.

Pour développer la base des investisseurs, les gouvernements africains devraient prendre des mesures pour inciter la création de fonds d’investissement, de fonds de pension et de caisses de retraites qui sont de puissances capteurs d’épargne et d’éminents détenteurs de titres financiers.

Des bourses mieux organisées et plus intégrées

Sur le plan opérationnel, il faut que les bourses africaines automatisent leurs opérations et passent aux systèmes électroniques. Ce n’est pas le cas pour l’extrême majorité des bourses du continent. Cette automatisation réduit les coûts de transaction, améliore la liquidité et réduit les risques liés aux systèmes manuels. Au Nigéria, la bourse a adopté en 2013 le système X-Stream du groupe NASDAQ OMX, ce qui a permis à la plateforme de gagner en vitesse et en efficacité.

La taille des économies sur lesquelles s’appuient ces marchés financiers est un déterminant important de leur développement. Même avec un bon pilotage macroéconomique et institutionnel, certains pays africains sont tout simplement trop petits pour espérer avoir une bourse avec des niveaux de capitalisation, d’échanges et de liquidité importants. Il est donc nécessaire d’aller vers une plus grande intégration des marchés financiers en suivant l’exemple de la BRVM[3] et de la BVMAC[4].

Un article[5] paru dans Afrique Renouveau résume bien la situation en matière d’intégration des bourses africaines : “Bien que les avantages qui résultent de l’intégration régionale soient évidents (marché de plus grande taille, coûts moins élevés et accroissement des liquidités), celle-ci ne bénéficie pas encore des conditions optimales pour se développer. D’après les experts financiers, il faudrait pour ce faire que les pays africains harmonisent leurs lois commerciales et leurs normes comptables, mettent en place des monnaies convertibles et instaurent entre eux un système de libre-échange. Le nationalisme tient ici un rôle non négligeable, les pays africains ayant tendance à considérer les places boursières comme des symboles nationaux et, de fait, ils ne sont pas pressés d’en abandonner le contrôle.”

Une plus grande intégration de ces bourses sera également un pas de plus vers une meilleure intégration africaine. L’accord de partenariat entre l’indice boursier britannique (FTSE) et 16 des 22 membres de l’Association des Bourses Africaines (ASEA) en 2012 consiste l’une des dernières tentatives importantes en matière d’intégration. Selon Siobhan Cleary, la directrice de la stratégie et des politiques publiques de la Bourse de Johannesburg, « l’index aidera à améliorer la visibilité des bourses africaines tout en donnant aux investisseurs la possibilité d’accéder aux actions africaines ».  C’est le genre d’initiatives qui devrait essaimer dans tout le continent.

 

Tite Yokossi

Sources :

Secteur Privé & Développement, la revue de PROPARCO, Numéro 5. Mars 2010. Les marchés financiers en Afrique : véritable outil de développement ?

Document de travail pour la réunion ministérielle de la table ronde d’experts de l’initiative NEPAD – OCDE, 11-12 Novembre 2009. Afrique : développer les marchés financiers pour la croissance et l’investissement

Jeune Afrique. 20 Décembre 2012. Les marchés financiers doivent être une véritable alternative au financement bancaire

http://www.nextafrique.com/blogs/afro-business-360/dix-mesures-pour-booster-les-marches-financiers-africains

http://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/ao%C3%BBt-2012/promouvoir-la-croissance-gr%C3%A2ce-aux-march%C3%A9s-financiers-africains

 

 


[1] Les marchés financiers souvent appelés bourses sont des lieux où s’échangent des instruments financiers tels que les actions et les obligations. Ces lieux sont de plus en plus virtuels car les marchés financiers murs agrègent les offres et les demandes des acteurs, déterminant ainsi un prix ou une cotation qui est transmise en temps réel, grâce aux révolutions des TIC à tous les acteurs sans plus nécessiter la présence physique de ces derniers dans une même salle.

 

[2] Moins de 20% des particuliers, en Afrique subsaharienne, disposent d’un compte en banque.

 

[3] La Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) créée en 1996 et basée à Abidjan regroupe 8 pays d’Afrique de l’Ouest : Bénin, Burkina-Faso, Guinée-Bissau, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal et Togo.

 

[4] La Bourse des Valeurs Mobilières de l’Afrique Centrale (BVMAC), sise à Libreville, est commune à la République Centrafricaine, au Tchad, au Congo, au Gabon et à la Guinée Equatoriale. 

 

[5] http://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/ao%C3%BBt-2012/promouvoir-la-croissance-gr%C3%A2ce-aux-march%C3%A9s-financiers-africains