Quel rôle pour les fonds souverains dans le financement du développement de l’Afrique ?

fonds-souverainsCe billet est le deuxième numéro de la série consacrée aux moyens innovants de financement du développement. Il discutera des fonds souverains.  Il s’agira d’abord d’en saisir les lignes générales, avant de mesurer leur contribution potentielle au financement du développement de l’Afrique, tant pour les fonds souverains non africains qu’africains.

Un fonds souverain est un instrument d’investissement à disposition des Etats. Selon le FMI, ils « détiennent, gèrent ou administrent des actifs pour atteindre des objectifs financiers ; ils ont recours à des placements sur des actifs étrangers et nationaux ». Aujourd’hui, le montant total géré par les fonds souverains s’élève à environ 6 000 milliards de dollars dans le monde. Un fonds souverain s’appuie sur la capacité d’un État à accumuler des devises, selon quatre types de ressources :   excédents de la balance des paiements ; opérations sur devises ; produit des privatisations ; excédents budgétaires et / ou recettes tirées des exportations de produits de base.

Créer un fonds souverain résulte d’un arbitrage sur le coût de détention de l’excédent de ressources. Selon le type d’excédents – de paiements courants ou issus de l’exportation de matières premières – le calcul diffère. Pour les premiers, l’arbitrage se situe entre le coût d’opportunité de garder les devises et l’atout qu’elles procurent pour pouvoir lisser les profils de consommation en cas de choc externe. Dans cette problématique, les fonds souverains représentent un moyen de gérer ces réserves excédentaires selon une stratégie de diversification afin d’en tirer un rendement supérieur. S’ajoute à ce choix la prise en compte d’un effet d’appréciation de la devise nationale. La Chine représente à ce titre un exemple majeur de stratégie d’accumulation de devises pour maintenir une compétitivité élevée des exportations en sous-évaluant son taux de change ; cette allocation des revenus, en termes de développement, est discutable dans la mesure où elle peut pénaliser la consommation des ménages chinois et donc leur niveau de vie. En revanche, pour les fonds issus d’excédents tirés de ressources naturelles exportées, l’enjeu est de savoir s’il vaut mieux exploiter ou garder la ressource, et en cas d’exploitation, quelle est la manière optimale d’investir les fruits de ces exportations entre consommation et investissements ? La clé de l’interrogation réside surtout dans le caractère non renouvelable de ces ressources. Ainsi, les fonds souverains permettent de faire perdurer l’avantage issu des ressources au-delà même de leur durée de vie en les investissant sur du long-terme. C’est toute la stratégie déployée par les fonds qatari[1] et norvégien[2] pour les richesses tirées du pétrole ou de l’île de Kiribati[3] pour ses mines de potasse.

Cependant, une parenthèse est requise pour introduire les fonds souverains dits de développement (FSD), qui obéissent à une logique spécifique. En effet, a priori, un fonds classique n’est pas créé selon une logique d’aide au développement. Un FSD se distingue en investissant des capitaux dans divers secteurs d’activités utiles au développement du pays et sur le long terme. Le fonds du Koweït pour le développement économique arabe ainsi que le Fonds arabe de développement économique et social en font partie. Le dernier, avec un capital d’environ 3 milliards de dollars, finance des projets de développement, fournit une assistance technique et promeut le développement du secteur privé.

Néanmoins, la distinction entre APD et contribution des fonds au développement reste floue : dans quelle mesure les investissements des fonds souverains dans les PED sont-ils des moyens innovants de financement du développement à part entière ? Ils sont distincts de l’APD classique, fonctionnent sur des partenariats entre public et privé, et sont basés sur des ressources stables et prévisibles. A l’inverse, l’APD originelle, celle du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE peut être assimilée à un fonds souverain de développement. Avec un flux annuel supérieur à 100 milliards de dollars, le CAD s’apparente à un fonds public de 2500 milliards, avec un rendement, consacré à l’APD, de 4%.

Outre les fonds spécialisés cités précédemment,  une tendance apparaît avec de plus en plus d’acuité où des fonds souverains non africains contribuent au développement de l’Afrique. La contribution chinoise sur le continent est à ce titre remarquable : les projets d’investissements d’entreprises d’Etat chinoises dans les infrastructures et les ressources naturelles ont beaucoup augmenté, et sont catégorisés « aide au développement ». Pour la Chine, il est toutefois moins question de philanthropie que d’accompagnement avisé de ses entreprises dans un espace économique en plein essor. Cependant, les deux finalités ne sont pas incompatibles, bien au contraire, et c’est tout l’enjeu pointé par Bill Gates[4], et repris lors du Forum mondial sur l’investissement de la CNUCED[5]. Inciter les fonds souverains à financer des projets contribuant au développement dans les PED implique d’établir de nouveaux partenariats avec ces pays. Dans cette logique, les fonds souverains renforceraient leur exposition à des marchés frontières offerts en particulier en Afrique et présentant un fort potentiel de croissance grâce à des ressources naturelles mais également en termes d’essor démographique et de hausse de la consommation en produits et en services. De tels partenariats auraient pour conséquence de remettre en cause le système traditionnel d’APD en bouleversant les principes de l’aide, en favorisant celui de l’efficacité et en instaurant plus de compétitivité au sein d’une sorte de « marché de l’aide ».

Selon certains économistes[6], l’impact de ces investissements innovants serait majeur : en consacrant 10% de leur portefeuille aux PED et aux pays émergents sur les 10 ans à venir, ces fonds produiraient un flux de 1,400 milliards de dollars, soit 14 fois l’APD annuelle. Ces résultats prometteurs ne doivent pas masquer les défis inhérents à l’entrée de ces fonds sur le continent africain : premièrement, il existe de nombreuses barrières à l’entrée dans des secteurs clés pour le développement mais sensibles politiquement ou socialement (l’agriculture en particulier) ; deuxièmement, les PED présentent malheureusement bien souvent un climat économique instable et préjudiciable aux affaires ; enfin, le manque de capacités dans ces pays nuit aux nécessités de préparation et d’information pour un projet d’investissement.

Ce sont ces mêmes difficultés que rencontrent les fonds souverains africains et notamment le manque de capacités, cruciales pour bien gérer un fonds. En outre, en investissant, soit via ses réserves de change, soit via ses excédents tirés de l’exportation de matières premières, dans des projets nationaux, un fonds souverain risque de favoriser l’appréciation de la devise nationale, donc l’inflation. Pourtant l’enjeu est de taille en Afrique, dans des pays où les marchés financiers locaux sont peu développés et où l’épargne privée tend à fuir à l’étranger, puisqu’un fonds permet de canaliser l’investissement au service du développement national. La majorité des fonds africains sont basés sur les ressources tirées de l’exportation de pétrole (fonds du Nigeria, du Ghana et de l'Angola), chacun se définissant spécifiquement. Ainsi, le fonds gabonais[7] se veut être un fonds visant à lisser l’épargne intergénérationnelle, et un fonds de développement, avec des ressources utilisées dans le cadre de projets de développement structurants ayant pour but d’assurer à terme une diversification[8].

On peut noter également des fonds créés par des pays non pétroliers, tels que le fonds Agaciro du Rwanda, dont l’impact n’a pas encore pu être mesuré, ou le fonds du Sénégal[9], qui soutient notamment le développement des PME, avec une préférence nationale pour les investissements.

En conclusion, le lien entre investissements des fonds souverains et financement du développement s’appuie sur la rentabilité attendue de ce dernier. Si la stratégie intrinsèque de long-terme des fonds souverains rejoint les caractéristiques des projets d’infrastructures des PED, les défis demeurent et les besoins sont majeurs.

Pauline Deschryver


[1] Le fonds souverain Qatar Investment Authority (QIA), fondé en 2005

[2] Le fonds Government Pension Fund-Global (dit le Global), créé en 2006 (à la suite du Petroleum Fund de 1990) et considéré comme le 1er fonds mondial par montant de capitalisation

[3] Avec le fonds Kiribati Revenue Equalisation Reserve Fund, crée en 1956, et qui gère aujourd'hui 7 fois le PIB de l'archipe

[6] Santiso, J. (2008), « Sovereign Development Funds », Policy Insight 58, OECD Development Centre, janvier

[7] Le Fonds Gabonais d’Investissements Stratégiques (FGIS), créé en 2011

[8] Le fonds FGIS a ainsi pris des participations dans le groupe bancaire Oragroup et dans l’opérateur de tours de télécommunications IHS Towers

[9] Le Fonds Souverain d’Investissements Stratégiques (FONSIS) du Sénégal, créé en 2012

Quels sont les mécanismes de financement innovant du développement ?

185236742Le financement du développement en Afrique va de pair avec différents instruments aux logiques très variées. L’aide publique au développement (APD) est l’un des principaux outils du financement du développement en Afrique ; elle bénéficie aujourd’hui à plus de 160 pays pour un montant net versé de 125.6 milliards USD. D’autres mécanismes de financement cohabitent avec l’APD, en majorité indépendants des structures multilatérales d’aide au développement. Le recours à la dette et les partenariats public-privé constituent des outils développés par les pays récipiendaires eux-mêmes. Les transferts de fonds envoyés par les migrants représentent une source de financement non négligeable : selon la Banque Mondiale, ils s’élevaient à environ 351 milliards de dollars en 2011, soit plus de deux fois et demi l’aide publique au développement.  

Malgré ces flux financiers, les progrès restent mitigés. L’efficacité de l’aide est ainsi devenue un enjeu primordial alors même que les intervenants se multiplient[1], justifiant l’engagement des bailleurs internationaux pour accroitre la part de l’aide déliée, améliorer l’information et la prévisibilité, réduire le nombre de fonds multilatéraux et de canaux d’aide, réduire le nombre de pays orphelins de l’aide, etc., ainsi que des démarches volontaires (« New deal pour les pays fragiles »).  De plus, depuis les années 1980 – 1990, l’investissement privé a eu tendance à prendre le pas sur l’aide publique via l’augmentation des collaborations publiques-privées et sous d'autres formats (solidarité privée ; fonds d'aides développés par des entreprises[2]). 

Cette problématique a guidé la réflexion vers l’émergence de la notion de financements innovants[3] au sein des organes internationaux. Ces outils, contrairement à l’APD, sont assez prévisibles et réguliers. Ces mécanismes novateurs ont l’avantage de faire intervenir des acteurs divers, via des partenariats nouveaux. Ainsi, le fonds d’investissement Danone Communities, qui rassemble des partenaires publics et privés, finance des entreprises locales dotées d’un modèle économique durable avec un objectif de réduction de la pauvreté[4]. En outre, ces nouveaux financements s’inscrivent dans les enjeux de biens publics mondiaux et de rééquilibrage des inégalités. Leur but est de pallier le déficit de moyens financiers clairement posé par les Objectifs du Millénaire pour le Développement[5]. Ainsi, rechercher de nouveaux moyens est crucial avec des besoins en hausse et une contraction des budgets annuels d’APD.  

Quatre types de financements innovants apparaissent[6]:

  • les contributions volontaires : avec celles mises en place par la Fondation du Millénaire pour les financements innovants pour la Santé ainsi que les mécanismes de canalisation des transferts de migrants vers l’investissement productif ou social dans les pays d’origine ;
  • Les contributions obligatoires sont les taxes sur des activités économiques nationales ou internationales (taxe sur les billets d’avion/UNITAID[7] ; projet de taxe sur les transactions financières) ;
  • Les garanties d’emprunt sont des mécanismes de préfinancement sur les marchés financiers avec une garantie d’État. Leur utilisation est fréquente dans le secteur de la santé (par exemple pour l’organisation de campagnes de vaccination), mais également comme garanties d’achats futurs [8].
  • Les mécanismes de marché sont divers (exemple de la vente aux enchères des droits d’émission de CO2).

Ce sujet ne peut faire l’impasse sur le débat autour de la taxe sur les transactions financières, qui est un moyen efficace mais très critiqué. D’une part, c’est un outil puissant par son assise[9]. D’un taux très faible, environ 0,005%, elle suffirait à lever environ 30 milliards de dollars par an tout en restant assez faible pour ne pas perturber les marchés financiers. En outre, elle apparaît techniquement et juridiquement faisable et semble être le moyen le plus approprié pour le financement des biens publics mondiaux[10]. D’autre part, sa mise en place reste controversée en raison de l’opportunité publique qui la sous-tend.

D’autres mécanismes dignes d’intérêt sont à citer :

  • les contrats de programmes OBA (Output based aid) de la Banque mondiale : les opérateurs sont invités à inclure dans leurs programmes des objectifs sociaux spécifiques et à les subventionner, mais uniquement selon l’atteinte des objectifs fixés par le contrat.  
  • les mécanismes de « coopération décentralisée » et la compensation carbone, issue du Protocole de Kyoto.  La première vise à financer des projets via un prélèvement[11] et s’accompagne souvent d’un transfert de compétences. La compensation carbone permet qu’une entreprise troque la réduction de ses émissions en CO2 contre l’achat d’une quantité équivalente de crédits carbones à un tiers. Ainsi, l’ONG GERES est présente en Afrique et au Cambodge depuis 1997 avec un programme de fabrication et de vente de fours solaires.

Si la notion de financements innovants est pertinente ici, cette vision reste attachée à un prisme occidental de l’APD. C’est pourquoi, sur le constat de la régression de l’APD, d’autres flux apparaissent avec des modalités alternatives. De nouveaux donateurs sont apparus envers les pays africains : la Chine, le Brésil, la Russie en tête[12], en nourrissant le projet d’une banque de développement. Toutefois, ces financements dits « Sud-sud » obéissent à des règles relativement nouvelles : l’obligation d’investir les bénéfices tirés des ressources naturelles dans des infrastructures (« accords ressources contre infrastructures ») ; l’accent mis sur le développement du secteur privé dans l’investissement ; l’importance des projets « clef en main » ; un transfert de compétence facilité par des conditions similaires ; une plus grande flexibilité sur certains principes et avec moins de contreparties à respecter ; la primauté de l’aide au projet, visant directement les entreprises, sur l’aide programme, plus sujette au détournement et à la corruption. Si les échanges de cette nature se multiplient[13], reste à mesurer l’impact de ces investissements sur le développement en Afrique.

Les financements innovants et le recours à d’autres mécanismes que l’APD constituent indéniablement une partie de la solution pour combler le déficit des ressources disponibles pour le développement. Si l’APD garde un rôle central et catalyseur dans la stratégie internationale de financement du développement, les mécanismes de financement innovant permettent de lever des ressources complémentaires, plus stables et pérennes que les flux d’aide traditionnels. Néanmoins, et compte tenu de la diversité de ces mécanismes, la question qui demeure est d’identifier ceux qui seraient les plus appropriés à l’environnement et aux besoins des pays africains.

Pauline Deschryver


[1] Le 4ème forum de haut niveau sur l’efficacité de l’aide tenu à Busan (Corée du Sud) en 2011 a ainsi permis l’adoption pour la première fois d’un « partenariat global » pour l’efficacité de l’aide élargi à l’ensemble des acteurs du développement notamment les donateurs émergents et le secteur privé.

[2] Ainsi, la Fondation Bill et Melinda Gates a octroyé 3,4 milliards de dons, en 2012, en matière d'aide à la santé, soit l'équivalent de ce que dépense le Fonds Mondial de lutte contre le Sida, la Tuberculose et la Malaria.

[3] Le concept de financements innovants est né selon les étapes suivantes : l’idée a été évoquée lors de la Conférence internationale sur le financement du développement Monterrey (Mexique,18-22 mars 2002) ; un groupe pilote pour les financements innovants du développement a été créé en février 2006 ; la Conférence de Doha a repris cette problématique en 2008 ; les financements innovants figuraient notamment à l’agenda de la présidence française du G20 en 2011. Certains financements ont depuis été appliqués et connaissent une mise en œuvre fructueuse, tandis que d’autres sont encore à l’étude ou bien font l’objet d’âpres négociations

[4] http://www.danonecommunities.com

[5] Dans le cadre des OMD 2015, les estimations du  rapport du Groupe d’experts (issu de la Task Force sur les financements innovants) pour la période 2012-2017 sont de l’ordre de 324 à 336 milliards d’euros par an (http://www.leadinggroup.org/IMG/pdf_RapportFR.pdf)

[6] La catégorisation des financements innovants a été esquissée lors de la conférence de Paris en 2011

[7] Taxe employée par 13 pays et créée à l’initiative du gouvernement franco-allemand en 2006, elle représente un premier exemple de taxe de solidarité imposée par les Etats en finançant la lutte contre des maladies telles que le Sida, le paludisme ou la tuberculose via le fonds UNITAID.

[8] La Facilité Internationale de financement pour la vaccination (IFF) et GAVI participent de ce type de financement innovant : cette facilité de financement internationale encourage l’emprunt sur les marchés financiers pour doubler d’aide au développement.  Créée en 2006 à l’initiative du Royaume-Universel, elle vise à financer d’ici 2015 les programmes de vaccinations des pays les plus pauvres via le fonds GAVI (Global Alliance for Vaccine and Immunization).

[9] Les transactions financières s’élèvent aujourd’hui à environ 4 000 milliards de dollars et sont très variées – valeurs mobilières, titres de dettes, produits dérivés sur matières premières et transactions de change.

[10] Groupe pilote sur les financements innovants pour le développement, Mondialiser la solidarité : pour des contributions du secteur financier, rapport du groupe d’experts à la Taskforce sur les transactions financières internationales pour le développement, juin 2010

[11] En France, la loi « Oudin-Santini » permet les collectivités territoriales de prélever jusqu’à 1% des recettes hors taxes afin de financer des actions de solidarité dans le secteur de l’eau et de l’assainissement.  

[12] En termes d’évènements institutionnels attestant de ce nouvel engouement des BRICS pour le financement du développement des PED on peut citer le 5ème Forum des BRICS à Durban ainsi que le Forum de coopération Afrique-Chine (FOCAC)

[13] A savoir, la Chine est devenue le principal partenaire commercial de l'Afrique en 2009 (le commerce entre la Chine et l'Afrique a connu un taux de croissance moyen annuel de 33,5% entre 2000 et 2008). En outre, pendant la même période, la Chine a annulé les dettes de 35 pays africains pour un montant de 2,9 milliards de dollars (1,6 milliard d'euros)