Les préoccupations des Béninois : La sécurité (Actes 3 & 4)

expozinsou

Quelles sont les principales préoccupations des béninois ? C’est pour apporter des éléments de réponse à ces questions que la fondation Zinsou, présente au Bénin et dédiée à l’art africain, a commandé un sondage réalisé auprès des populations béninoises. Les dix grands thèmes qui ressortent du sondage sont dans le désordre: l’accès à l’éducation, la régularisation de la circulation, l’augmentation des salaires des fonctionnaires, l’aide aux cultivateurs, l’accès à l’eau potable, le renforcement de la sécurité, la réparation des routes, l’accès à l’électricité, l’aide aux éleveurs et l’accès aux soins.

La Fondation Zinsou a rencontré Kifouli Dossou, artiste sculpteur béninois, et lui a demandé de réaliser une représentation artistique de ces grandes questions pour en porter le message. L’artiste  a choisi, pour ce faire, de sculpter des masques Guèlèdè, représentant chacun l’une de ces dix préoccupations majeures. Ces masques ont fait l’objet d’une exposition gratuite  dans les locaux de la fondation Zinsou basée à Cotonou.

Nous abordons tour à tour ces 10 thèmes dans une série d’articles illustrée par les photographies des masques sculptés par l’artiste – qui ont été gracieusement mises à notre disposition par ladite fondation. Après avoir abordé successivement la revalorisation du salaire des fonctionnaires et la modernisation de l’agriculture,  nous nous penchons sur les questions de sécurité (sécurité sur les routes et sécurité des biens). 

04.Réparer les routes

"Carrefour" / Alikpéléhonkantin – Sculpture de Kifouli Dossou / Peinture de Kifouli Dossou- 2010 – 2011

3. La sécurité routière

Chaque jour, au moins 2 personnes meurent sur les routes béninoises et 11 autres sont blessées. Il n’est donc pas étonnant que l’insécurité routière soit un des premiers soucis des béninois. Grâce aux actions mises en place par le Centre National de Sécurité Routière (CNSR) créé en 1987, les accidents de la route ont baissé de plus de 50% entre 2000 (6 528 accidents) et 2004 (2 964 accidents recensés). Mais depuis 2008 (3 867 accidents recensés), la tendance est malheureusement à la hausse.

D’après les données collectées par le CNSR, les causes les plus fréquentes des accidents de la route et des morts qu’ils engendrent sont : le mauvais état des routes, la conduite en état d’ébriété et le non port du casque et/ou de la ceinture de sécurité. Le mauvais état des routes est aggravé par le manque patent de signalisation, en particulier de feux de route. La formation au code de la route laisse également à désirer puisque nombreux sont les béninois qui obtiennent leur permis de conduire sans connaître les règles de la circulation. Les conducteurs de motocyclettes, très nombreux dans les grandes villes, ne reçoivent aucune formation au code de la route.

Au-delà des problèmes d’insécurité routière et des drames qui en découlent, le mauvais état des routes et l’impraticabilité de certains tronçons ralentit l’activité économique. La libre circulation des personnes et des biens s’en trouve  entravée et cette situation pèse sur la croissance du pays. L’importance des transports – dont la route est l’élément de base – pour la croissance et surtout pour une croissance inclusive n’est plus à démontrer. Quand l’on doit juger de l’urgence de l’amélioration de la sécurité routière, l’on ne peut ignorer tous les coûts directs et indirects que l’insécurité routière impose aux citoyens et à l’économie du pays.

 

De timides efforts ont été faits pour lutter contre l’insécurité sur nos routes. La loi contre l’utilisation du téléphone portable au volant qui a été votée par le Parlement et la campagne de sensibilisation qui a suivi – avec des panneaux publicitaires du CNSR sur lesquels on peut lire par exemple : «Lorsque l'oreille est au téléphone, l'œil n'est plus à la route» – en sont des exemples palpables. Des ONG locales militent également pour le port du casque et pour la formation des conducteurs de taxi-moto au code de la route.

Il faut aller beaucoup plus loin ! L’amélioration des infrastructures routières (voies et signalisation), la formation des conducteurs d’engins à deux et à quatre roues et un contrôle plus courant et plus systématique des comportements des conducteurs et de la conformité de leur matériel roulant sont autant de chantiers auxquels l’Etat béninois doit s’atteler.

15.La sécurité pour le peuple

"La sécurité pour le peuple" / Aïnidjaï – Sculpture de Kifouli Dossou / Peinture de Kifouli Dossou-  2010 – 2011

4. La lutte contre l’insécurité

Lutter contre l’insécurité, c’est garantir aux citoyens la jouissance de leurs biens et c’est leur éviter les violences liées aux braquages et autres délits du genre. L’insécurité préoccupe beaucoup les béninois qui la voit, un peu impuissants, grandir dans le pays. Des braquages de magasins aux coupeurs de route en passant par les vols, rackets et agressions de tout genre, tout porte à troubler de plus en plus la quiétude des populations. La proximité du grand voisin nigérian n’arrange pas les choses car elle entraîne une circulation plus importante d’armes et de drogues.

Cependant, la lutte contre l’insécurité au Bénin enregistre de plus en plus de succès. Les coups de filets des unités spécialisées des forces de sécurité sont désormais légion. Des mesures récentes ont été prises pour améliorer l’efficacité des forces de l’ordre. Parmi celles-ci, on peut citer un vaste recrutement de policiers, la mise en place de lignes téléphoniques gratuites pour permettre aux citoyens de dénoncer les hors-la-loi et la dotation de nouveaux équipements et de matériels roulants pour améliorer la capacité d’intervention des forces de sécurité.

Le renforcement des capacités opérationnelles et techniques de la police nationale, la mise en place d’une meilleure stratégie d’emploi et d’intervention des forces, la formation des agents pour faire face aux menaces nouvelles et l’amélioration de la coopération sous-régionale en matière de sécurité sont autant de défis que l’Etat béninois doit relever afin d’assurer une bien meilleure sécurité des personnes et des biens.

La lutte contre l’insécurité s’inscrit dans une problématique plus générale d’emploi des jeunes et d’amélioration de leur pouvoir d’achat. Les mesures qui vont dans ce sens entraînent indirectement une réduction de l’insécurité. Une nouvelle observation que les problématiques que nous abordons dans cette série d’articles sont éminemment interconnectées et que l’on ne peut les résorber qu’à travers une action conjointe sur elles toutes.

Expo photo : les chasseurs Nagô du royaume de Bantè

En collaboration avec la fondation Zinsou, l'Afrique des Idées souhaite porter à votre connaissance le travail du photographe belge Jean-Dominique Burton sur les chasseurs Nagô de la forêt de Bantè. Grâce à la fondation Zinsou qui promeut la culture béninoise et africaine, ces photographies ont fait l'objet de plusieurs expositions et d'un livre, "Chasseurs Nagô du royaume de Bantè". Les Chasseurs Nagô du Royaume de Bantè forment une confrérie de chasseurs, placée sous l'autorité d'un Roi traditionnel. Le Royaume est situé au cœur du Bénin, dans la Forêt de Bantè. Le Royaume de Bantè se compose de vingt-sept villages, chaque communauté comptant un Chef Chasseur. Au-delà de l'activité de chasse, aujourd’hui limitée au petit gibier, les Chasseurs de Bantè se sont mués en protecteurs de leur environnement, de la Forêt de Bantè, et de leur patrimoine culturel, une culture riche et intimement liée à la forêt.

Outre leurs fusils, ces derniers arborent un grigri et des habits voyants, tenue d'apparat réservée à la seule activité de chasse. Le grigri confère aux chasseurs une invisibilité, d'où l'absence de camouflage. Ces aspects cérémoniaux sont au cœur du travail de Jean-Dominique Burton. Il présente un portrait de chaque Chef-Chasseur de Bantè, soit trente-cinq, en tenue de chasse. Si la couleur des habits et de la peau est préservée, la nature, en arrière- plan, est au contraire présentée en noir et blanc, utilisée comme studio, renforçant l'opposition entre visibilité apparente, l'éclat des vêtements, et invisibilité rituelle.

Aux dépends de la chasse au grand gibier, aujourd'hui abandonnée, les Chasseurs se sont mués en acteurs essentiels de la préservation de leur environnement : par la défense de la Forêt de Bantè d'une part, par la protection de leur culture d'autre part. Dépositaires d'une tradition intimement liée à leur environnement, les Chasseurs Nagô conservent notamment une connaissance exceptionnelle de traitements à base de plantes médicinales. L'âge des Chefs Chasseurs actuels varie de 51 ans, pour le plus jeune, à 105 ans, pour le plus âgé, une longévité qu'ils attribuent à leurs connaissances médicinales.

La communauté Nagô de Bantè pratique le Vodoun, un Vodoun centré sur Ogou, Divinité du fer. L'importance attachée à celle-ci repose sur la tradition de chasse de Banté, en référence à la nature matérielle des armes et munitions utilisées. Le Vodoun est à vrai dire omniprésent et ordonne la vie de la Communauté. À la mort d'un Chef- Chasseur par exemple, le Bokonon, que l'on nommerait grossièrement un “devin”, consulte le Fâ afin de lui désigner un successeur. C'est donc l'art divinatoire qui désigne et confère à un Chef-Chasseur la puissance de son prédécesseur, non le Roi ou quelque autre autorité administrative.

L'origine du royaume de Bantè

Au 14ème siècle, les autorités du village de Bantè envoient des émissaires à l'Est, sur les rives du Niger inférieur, à la recherche des Yorubas. Redoutables chasseurs, la réputation de ces derniers dépasse, de loin, à cette époque déjà, les frontières de l'actuel Nigéria. Bantè est alors en proie aux ravages d'un couple d'aigles, s'en prenant aux nouveau-nés qu'ils enlèvent et dévorent. C'est un chasseur Nagô, sous-groupe de l'ethnie Yoruba, qui en délivre les villageois. Les aigles sont tués, tâche dont seul un chasseur exceptionnel pouvait s'acquitter. Le héro de Bantè, Obiti, est originaire de Kobagbe, un village de la région de la Cité sacrée de Ilé-Ifè, berceau de l’humanité selon la légende Yoruba. En remerciement, le Village de Bantè s'offre à lui, désormais Roi protecteur, qui s'y installe, accompagné de sa famille. C'est ainsi que naquit, selon la tradition orale, la dynastie Nagô de la Forêt sacrée de Banté. Le Royaume a survécu aux aléas de l'histoire, bien qu'il ait été interrompu à plusieurs reprises. Il est aujourd'hui administré par son dixième Roi, Ade- Fouiloutou Laourou. Par son isolement géographique, en plein cœur du Bénin, et par le microcosme culturel qu'il forme, Bantè conserve un héritage traditionnel unique, préservé du tourisme et d'influences nigérianes, burkinabées, nigériennes ou maliennes.

Jean Dominique Burton

Né à Huy, le 13 octobre 1952. Après des études d’imprimerie et de graphisme, c’est la fascination pour l ’image qui le mène naturellement vers la photographie. A la manière d’un archéologue ou d’un ethnologue, il scrute les traces au sol, les cicatrices, les faces masquées, les visages d’artistes ou de collectionneurs et tire d’énigmatiques portraits d’arbres. Après 25 années de photographie dédiée à l'Asie, Jean-Dominique Burton parcourt l'Afrique depuis le début des années 2000. Il en dévoile la richesse des civilisations et la beauté de son patrimoine. A son actif africain, il faut citer cinq réalisations majeures, qui portent sur le Burkina Faso, le Bénin et la République Démocratique du Congo : Nabaas – Traditional Chiefs Of Burkina Faso ; Vaudou / Voodoo / Vudu ; Souvenirs d'Afrique ; Porto-Novo, Cité Rouge – Esprit de Lagune et Matonge Matonge . Ces travaux ont été exposés en Afrique, en Europe et en Amérique du Nord . Jean – Dominique Burton est représenté par la galerie Fifty One Fine Art Photography.

Son approche photographique consiste à montrer une Afrique d'hier et de demain, qui sait respecter son passé sans se détourner de son avenir. En ce qui concerne les chasseurs de Bantè, ces personnages ont hérité d’une tradition qu'ils protègent, conservent et transmettent chaque jour, faisant écho à la mission de l’artiste lui-même. Reclus dans la forêt de Bantè, ils vivent oubliés de tous, jusqu’à ce que le photographe les rencontre et les mette en lumière. Ce faisant, il nous guide et nous accompagne dans une découverte d’un monde qui fait partie de notre patrimoine mais auquel nous n’avions plus accès.

 

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Marie-Cécile Zinsou, Présidente de la Fondation Zinsou dédiée à l’art africain

Terangaweb : Comment vous est venue l’idée de la création d’une fondation dédiée à l’art africain ?

Marie-Cécile Zinsou : J’ai eu l’idée de la création d’une fondation en 2004 lorsque j’étais professeur d’histoire de l’art au village SOS pour des jeunes béninois orphelins qui avaient entre 10 et 16 ans. Il y avait un vrai engouement pour l’art et une passion absolue pour la culture. J’ai donc promis à mes élèves de les amener au Musée pour voir des artistes contemporains. Et là je me suis rendu compte que j’avais fait une énorme erreur puisqu’en 2004, le musée le plus proche du Bénin où l’on pouvait voir des artistes contemporains était le Kunst Palace de Düsseldorf qui présentait alors Africa Remix. Et quand il y a 80 enfants béninois à amener à Düsseldorf, ce n’est pas une mince affaire.

Alors plutôt que de les amener à Düsseldorf, je me suis dit qu’il valait mieux amener l’exposition de Düsseldorf dans des villes béninoises comme Cotonou ou Abomey-Calavi. En fait, voir des expositions d’artistes africains à Paris ou dans les villes européennes n’est pas difficile mais le problème reste de donner une visibilité à ces mêmes artistes sur le continent africain. C’est donc dans cette optique que nous avons créé la Fondation au départ. L’objectif est de faciliter l’accès des enfants à l’art et à la culture en général avec pour idée de présenter la culture africaine en terre africaine. Il est important de pouvoir parler de notre culture qui est immensément riche et reconnue par tous.

L’intérêt c’est aussi d’avoir quelque chose qui place l’Afrique sur la marche la plus élevée du podium. On ne peut pas nier la culture de l’Afrique ni le travail de ses artistes. Il s’agit d’un travail d’avant-garde sur plusieurs siècles. Ce sont des choses dans lesquelles nous excellons et il y a toute cette partie qui fait de l’Afrique un continent passionnant.

Terangaweb : Quel a été le parcours de la fondation depuis sa création ?

Marie-Cécile Zinsou : A La première exposition – qui a recueilli beaucoup de visiteurs et qui nous a encouragé à continuer – on a commencé avec Romuald Hazoumé. Cette exposition portait sur le travail d’un artiste béninois immensément reconnu, qui a gagné le grand prix de la Dokumenta 12 de Kassel, dont les œuvres ont été achetées par le British Museum et sont présentes dans les collections nationales anglaises et françaises.

Cela a permis à d’autres artistes majeurs de se concentrer sur la fondation et d’y voir un intérêt. C’est ainsi que nous avons présenté Malick Sidibé juste avant qu’il ne gagne le Lion d’or lors de la biennale de Venise. Nous avons aussi présenté des artistes de l’avant garde sur Bénin 2059 (à quoi ressemblera le Bénin et l’Afrique en 2059 ?), des artistes béninois comme Dominique Zinkpé, Aston, Quenum, etc. des artistes jeunes et  brillants.

On a aussi créé progressivement une collection de 600 pièces qu’on a présentées dans les expositions récréations et manifestes. Ces 600 pièces portent sur les artistes de tout le continent et sur des médiums très différents (photo, peinture, dessin, sculpture, etc.). Cette collection est en développement permanent et nous permet de donner une visibilité très forte aux artistes africains sur le continent.

Par ailleurs, nous recevons également des expositions venant de l’étranger. On a notamment reçu la première exposition africaine du Quai Branly en Afrique ainsi que des Basquiat, ce qui n’était pas particulièrement évident car aucun collectionneur ne s’imaginait prêter des Basquiat en Afrique et on en a quand même eu 64 qu’on a présentés pendant 3 mois à un public subjugué. 

Terangaweb : Et vous n’avez pas eu du mal à gagner en crédibilité et à attirer des partenaires  comme le Quai Branly?

Marie-Cécile Zinsou : Non et en plus c’est le Quai Branly qui est venu nous noir en nous faisant part de son souhait de présenter une exposition en Afrique et en nous demandant la manière dont il fallait s’y prendre. En réalité, la Fondation Zinsou s’est très vite mise à des standards internationaux pour pouvoir échanger avec des institutions tels que le Quai Branly.

Terangaweb : C’est un pari qui est un peu osé de promouvoir la culture en Afrique, êtes vous satisfaite ?

Marie-Cécile Zinsou : On s’est basé sur ce que veulent les gens et on a aussi essayé d’évoluer avec notre public. Ce qui est intéressant c’est qu’au départ il n’y avait pas de public de musée et maintenant on grandit avec lui.  L’institution s’adapte à son public, ce qui ne constitue pas une démarche tout à fait classique mais plutôt celle de quelqu’un comme moi qui à la base n’est pas conservateur de musée. Je suis exactement dans la situation du visiteur et quand je crée une exposition, je le fais en me disant « quand j’entre dans un musée, je sais ce que j’ai envie que l’on m’apporte ».

Terangaweb : Est-ce qu’il existe un vrai engouement du public pour voir  les expositions ?

Marie-Cécile Zinsou : Ah oui, 3 millions de personnes en 6 ans (ndlr : sur un pays de 9 millions d’habitants), je pense qu’on peut appeler cela un vrai engouement du public. Soit dit en passant, notre public est essentiellement composé d’enfants de moins de 18 ans et défavorisés. On pense que les enfants les plus modestes sont ceux qui ont le plus de mal à avoir accès à leur culture puisque ne leur sont offerts que très peu de moyens à cet effet. Il est donc important de les former très tôt et de leur donner l’envie de découvrir davantage leur culture. 

Terangaweb : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Marie-Cécile Zinsou : Il ne s’agit pas de vraies difficultés car on est en Afrique et les choses s’organisent paradoxalement plus vite qu’ailleurs. Par exemple je viens d’avoir les fonds pour monter une nouvelle mini-bibliothèque parce que Sotheby’s a décidé d’en ouvrir une autre et cela va se faire en décembre. Je ne connais aucune autre région du monde où cela peut se faire en moins de 3 mois. En plus nous avons la chance d’avoir une structure de décision assez rapide et d’être dans un pays comme le Bénin dans lequel on exécute très vite les choses. A ce niveau, il n’existe donc pas de réelles difficultés. 

Les difficultés résident plutôt dans les a priori de la classe politique qui pense que l’art n’est pas important ou ceux des gens qui estiment qu’en Afrique il faut plutôt des associations contre le Sida plutôt que pour l’art. Ce sont donc des a priori à combattre mais les gens désarment très vite. 

Terangaweb : Et quelles sont vos perspectives ?

Marie-Cécile Zinsou : Nous allons développer des bibliothèques car elles sont essentielles pour soutenir l’accès à la culture. On travaille sur l’accès des tout petits à la lecture comme une chose naturelle et pas seulement une aptitude que l’on acquiert à l’école. Nous souhaitons que le livre fasse partie de la vie de ces petits enfants et devienne donc une évidence. C’est à cet effet que nous développons un réseau de bibliothèques. Nous en avons déjà quatre et nous espérons pouvoir en ouvrir deux autres dans les prochains mois. Nos partenaires, comme Sotheby’s et Enrico Navarra qui nous avait déjà prêté des Basquiat pour nos expositions, apprécient beaucoup l’aspect très concret de leur aide et le fait de voir leurs projets se développer au quotidien. 

Ce qui est formidable, c’est aussi que les partenaires qui nous soutiennent s’inscrivent dans une relation à long terme. Par exemple toutes les entreprises qui ont sponsorisé les premiers évènements de la Fondation continuent encore aujourd’hui de nous accompagner.

Terangaweb : De façon plus générale, quel est le regard que vous portez sur la philanthropie en Afrique ?

Marie-Cécile Zinsou : Je pense qu’il faut que les gens fassent des choses même si elles pensent que leur action est restreinte. Si je prends l’exemple des bibliothèques, cela touche à peu près 160 enfants par jour, ce qui n’est pas du tout négligeable. Le coût pour monter ce type de projet s’élève entre 10 000 et 15 000 euros, ce qui est largement faisable. Mais les gens, lorsqu’elles ont 10 000 euros, ne pensent pas spontanément à venir voir des organismes comme le nôtre pour développer ce type de projet. Notamment au sein de la diaspora, il faudrait que les gens apprennent à faire des choses à leur échelle, même si cela paraît être une petite échelle, car on trouve toujours un petit projet concret qui peut avoir un impact non négligeable sur la vie des populations. Il y a quelque chose d’intéressant à développer sur la philanthropie de chacun et qui ne demande pas des moyens exubérants. Chacun peut faire quelque chose qui améliore la vie des siens.

Interview réalisée par Tite Yokossi et Nicolas Simel