Investir dans la formation, c’est investir dans le capital humain, or le capital humain est un facteur clé du développement économique d’un pays, puisqu’il accroît la productivité des individus. Cependant, beaucoup de pays Africains investissent dans des formations sans pourtant avoir les fruits ou les retombées de ces investissements, car beaucoup de diplômés partent travailler ailleurs ou ne retournent pas travailler dans leur pays d'origine. Ce qu'on appelle communément la "fuite des cerveaux". A partir du modèle économique de Becker (1962), nous analysons les raisons de la fuite des cerveaux et proposons des solutions pour les pays africains afin qu’ils jouissent mieux des retombés de leurs investissements dans l’éducation.
Quelques chiffres sur la fuite des cerveaux
Entre 1990 et 2000, la migration des diplômés de l'enseignement supérieur a augmenté de 123 % en Afrique de l'Ouest contre 53 % pour les non-qualifiés. Abdeslam Marfouk, chercheur à l'université de Louvain estime que plus de dix pays africains ont plus de 40 % de leur main-d'œuvre hautement qualifiée hors de leur pays : 67 % au Cap-Vert, 63 % en Gambie, 53 % en Sierra Leone… Et près d'un chercheur africain sur deux réside en Europe.[1]
Les principaux types de formation et leurs coûts
Becker (1962) distingue deux types de formation : la formation générale et la formation spécifique. Faisant référence à l'entreprise, la formation est dite générale quand elle permet d'augmenter la productivité de toute entreprise, tandis que la formation spécifique n'augmente que la productivité d’une entreprise particulière.
Par ailleurs, selon Lazear[2] (2009), Une approche plus large permet de considérer que toutes les formations sont générales sauf que le poids accordé aux différentes composantes d’une formation diffère d’une entreprise à une autre. Ainsi, dans la suite, nous considérons uniquement la formation générale de Becker (1962).
Les formations exigent non seulement des coûts directs qui sont des frais de formation, d'équipement, de transport, mais aussi des coûts indirects qui sont les fatigues et les stress liés à la formation, ce qu'on aurait gagné si l’on travaillait au lieu de suivre une formation. Ces coûts sont payés soit par l'individu, soit par l'entreprise ou l’État. Les conclusions de Becker (1962) dépendent de qui paiera les coûts de la formation. Elles diffèrent aussi selon que la formation soit générale ou spécifique.
Une explication à la fuite des cerveaux
S'appuyant sur des modèles économiques dans une situation de concurrence parfaite, Becker (1962) conclut que les entreprises ou les gouvernements sont incités à investir seulement dans l’éducation des personnes dont les coûts directs sont plus élevés que les coûts indirects de formation. Or ce sont justement dans les régions en développement, comme l’Afrique que les coûts indirects sont plus faibles. Ainsi, les États ou les entreprises sont incités à investir dans la formation des individus.
Cependant, l’effet positif de la formation sur la productivité des diplômés engendrent une augmentation de leur rémunération post-formation. Ainsi, les régions en développement où les incitations à investir dans la formation des personnes sont élevées ne sont plus attractives pour les diplômés. Les fuites des cerveaux proviennent ainsi des cas où les États paient les formations à l’étranger mais ne sont pas en mesure de supporter l’incrément salarial engendré par l’augmentation de la productivité du diplômé. Toutefois, l’importance du phénomène dépend de la nature de la formation. Les formations générales étant plus affectées que les formations spécifiques.
Quelles solutions pour diminuer la fuite des cerveaux ? En laissant chaque individu prendre en charge financièrement l’ensemble de son cursus scolaire, la question de la fuite des cerveaux n’est plus pertinente, puisque chacun choisirait librement de travailler là où il est mieux rémunéré sans faire supporter à son pays d’origine des coûts sociaux. Toutefois, cette solution n'est pas adaptée aux pays d'Afrique Subsaharienne, car elle empêcherait bon nombre d’individus d’avoir accès à l’éducation, puisque selon les données de la Banque Mondiale, en Afrique Subsaharienne, 48,5% de la population vit dans l'extrême pauvreté soit moins de 1,25$ par jour et 69,9% de la population vit avec moins de 2$ par jour en 2010. Ainsi, ce cas deviendrait une discrimination dans la formation en faveur des classes favorisées. Comme corolaire, certains étudiants excellents seront exclus des formations.
Les bourses conditionnelles sont-elles pertinentes ?
L'autre solution, c’est l’octroi de bourses conditionnelles. On accorde des bourses à condition que l'étudiant retourne travailler dans son pays d'origine, sinon celui-ci rembourse tous les frais engagé par l'État pour sa formation. Cette bourse conditionnelle qui doit être effective et accessible à tout le monde. En général, beaucoup d'étudiants signent des engagements pour une bourse, mais après, ni eux, ni les gouvernements ne tiennent à leur engagement. Certains étudiants, après leur formation, partent travailler ailleurs, mais le plus récurrent est que les États ne garantissent pas toujours un emploi après la formation malgré l’attribution d’une bourse conditionnelle. Ainsi, les États doivent non seulement garantir des emplois pour les diplômés, mais aussi créer une situation favorable pour le retour des diplômés. En même temps qu'on investit en capital humain, il faudra investir aussi en capital physique pouvant favoriser l’accueil des diplômés.
Comme le résume Abdoulaye Salifou, directeur délégué à la politique scientifique à l'Agence universitaire de la francophonie (AUF) "Sans laboratoires dignes de ce nom, sans pôle d'excellence et avec des salaires dix, voire vingt fois inférieurs à ceux proposés dans les universités du Nord, on ne peut pas s'étonner de cette saignée des compétences"[3] : investir seulement dans la formation, c'est former pour d'autres.
Yedan Ali
[1] http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/09/28/des-pistes-pour-contrer-la-fuite-des-cerveaux-africains_1416988_3244.html
[2] Firm-Specific Human Capital: A Skill-Weights Approach dans Journal of Political Economy, Vol. 117, No. 5 (October 2009), pp. 914-940
[3] Firm-Specific Human Capital: A Skill-Weights Approach dans Journal of Political Economy, Vol. 117, No. 5 (October 2009), pp. 914-940