Les Etats africains sont-ils capables de financer le développement de leur pays ?

iLa question de la pérennité de la dynamique économique actuelle des pays africains se pose avec acuité, à la mesure où cette performance s’appuie davantage sur l’exploitation des ressources naturelles que celle des facteurs de production à forte valeur ajoutée (capital et travail). Si Kuznets[1] identifie la croissance économique comme « une hausse de longue période de la capacité d’un pays à offrir à sa population une gamme sans cesse élargie de biens économiques; cette capacité croissante est fondée sur le progrès technique et les ajustements institutionnels qu'elle requiert » alors le maintien de la dynamique actuelle passera sans nul doute par une transformation en profondeur des économies de la région. Sur cette question, tous les analystes tendent à s’accorder.

La transformation structurelle est une impérative pour les économies africaines, si elles aspirent à l’émergence. Si les mesures de la transformation structurelle sont diverses et variées, elle s’appuie sur le développement du secteur industriel. Ce processus requiert une amélioration des conditions d’exercice d’une activité afin d’attirer les investissements et favoriser le développement d’activités industrielles, ce qui confère un rôle prépondérant à l’Etat. En effet, les conditions d’exercice d’une activité ne se mesurent pas seulement aux lois et aux incitations fiscales. Elles se mesurent surtout dans la qualité des institutions et dans la qualité des infrastructures, de sorte qu’un pays stable politiquement et sans infrastructures (électricité, route, TIC, etc.) pourrait attirer moins d’investissement qu’un pays avec une main d’œuvre de qualité et des infrastructures performantes mais qui connaît quelques remous sur le plan politique. Or seul l’Etat dispose de la prérogative en matière d’installation des infrastructures.

Des articles publiés sur ce site ont déjà discuté les nombreuses sources de financement possibles pour permettre aux Etats de disposer de ressources suffisantes pour financer leur développement. Ceci suppose que les ressources budgétaires financent des projets structurels qui permettront de rendre les pays compétitifs en matière d’attraction des investissements et favoriser leur transformation. Toutefois, la disponibilité des ressources ne garantit pas systématiquement que l’Etat investisse dans des programmes structurants. Les différentes crises de la dette, et celle de la Grèce plus récemment, le montrent assez bien. Elles découlent généralement du fait que les dettes ont financé des dépenses qui n’ont pas généré assez de revenus pour assurer les remboursements. A la lumière de ces situations, il est important de se demander si les Etats africains sont prédisposés à financer leur développement auquel cas ils arrivaient à mobiliser des ressources suffisantes.

Cet article se propose d’analyser la structure des dépenses budgétaires des pays africains et d’identifier dans quelles mesures elles peuvent constituer un instrument de soutien à la dynamique socio-économique du continent sur le long terme.

Les pays d’Afrique subsaharienne ont des besoins considérables en matière d’infrastructures. Selon la Banque Mondiale et les Nations Unis[2], la couverture de ces besoins nécessiterait un investissement de 16 à 18% du PIB avec au moins 11% qui devraient être consacrés à la construction de nouvelles infrastructures. Aujourd’hui en Afrique subsaharienne, l’investissement public se situe en moyenne à 6% du PIB avec à peine 4% du PIB consacrés à la construction de nouvelles structures. Il faut noter que la situation assez hétéroclite dans la région : certains pays ayant déjà atteint des niveaux de développement qui ne nécessiterait pas des investissements lourds pour la construction d’infrastructures mais d’assurer leur maintenance ; d’autres sortent à peine de période de crise, nécessitant de fortes dépenses pour la reconstruction de l’Etat.

Malgré les discours laudateurs sur les transformations en cours sur le continent, notamment en matière d’infrastructures ; ces données tendent à nous rappeler que cette transformation si elle a lieu demeure très lente. Une situation que l’on explique aisément par le manque de ressources financières. Cependant, l’Etat optimise-t-il les ressources disponibles pour financer les investissements ? Le tableau suivant nous fournit quelques éléments de réponses.

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Avant toute chose, il convient de signaler, à la lecture de ce tableau, que les pays de la région ne dépensent que ce qu’ils ont, surement de façon « forcée » compte tenu des engagements en matière de déficit vis-à-vis de leurs partenaires financiers. Ils se situent tous sur la diagonale du cadrant formé par la taille du budget (en % du PIB) et les ressources financières (fiscales et autres ressources non fiscales dont celles issues de l’exploitation des ressources naturelles). Il existe cependant quelques écarts, notamment Centrafrique et Guinée Bissau, qui sont des pays sortant de crises, avec d’énormes besoins et sous perfusion d’aides internationales, et qui peuvent donc se permettre des dépenses excédant leurs capacités internes. D’autres plus extravertis engagent des dépenses qu’ils financent notamment à partir de la dette (Gambie, Ghana, etc.) ou d’aides internationales (Burundi, Malawi, etc.). Mais aussi, paradoxalement, certains pays de la région n’utilisent pas encore pleinement leur potentiel. La République du Congo et le Gabon qui ont plutôt des ressources confortables, ne dépensent que très peu.

La plupart des pays ont des ressources très limitées, se traduisant par un budget faible. Selon les données disponibles, les ressources internes mobilisées par les Etats peinent à atteindre les 35% suggérés par les Nations Unis. Il existe cependant de forte disparité entre les pays. Alors que le Lesotho excède aisément la barre des 50% en matière de ressources internes, des pays comme le Nigéria, pourtant avec un fort potentiel économique, peine à atteindre 15%. Cette situation traduit une certaine « incompétence » des Etats à collecter les ressources nécessaires pour la mise en œuvre de la politique budgétaire. Dans ce contexte, l’Etat n’a qu’un effet de levier très faible sur l’économie ; la surface financière dont il dispose étant très limitée.

En outre, une bonne partie des ressources financent des dépenses non productives (taille des bulles sur le graphique). En moyenne, ce sont près de 85% des ressources internes collectées qui sont utilisés pour le paiement des salaires, le paiement des factures liées aux commandes publiques (biens et services) et à quelques transferts ou subventions ; laissant ainsi une part incongrue pour les dépenses productives. Si on intègre les dépenses au titre du service de la dette (principal et intérêt), les Etats ne disposent que d’une marge très maigre pour financer  des investissements rentables. La dette et les aides pourraient prendre le relais dans ce sens, mais ces ressources sont limitées d’une part par la disponibilité financière des partenaires mais aussi leurs coûts et par les contraintes liées au déficit budgétaire d’autre part. Même si d’autres formes de financement sont prises en compte, les Etats ne pourraient s’affranchir de ces contraintes. Le recours à ces différentes formes de financement permettrait surtout de diversifier le portefeuille des risques pris par les Etats et d’alléger leur poids sur les finances publiques et l’économie.  

On est surtout ici en présence d’Etats « consommateurs-employeurs » alors que les pays africains auraient davantage besoin d’Etats « investisseurs ». Ainsi, si quelques programmes en matière d’infrastructures sont en cours d’exécution ; le rythme de leur mise en œuvre souffre surtout du fonctionnement budgétivore des Etats africains et ne reflète guère les capacités des pays. Une meilleure clé de répartition des dépenses budgétaires devrait permettre aux Etats de financer davantage des investissements productifs et de limiter le recours à des ressources financières externes, qui peuvent constituer à termes des contraintes à l’économie et ce, même dans les conditions actuelles caractérisées par des ressources internes limitées.

L’Ethiopie, dont les ressources internes représentent 14% du PIB s’inscrit dans cette logique. Son budget est modéré à 18% du PIB et ses dépenses non productives (hors service de la dette) n’absorbent que 24% des ressources internes. Il fait partie aujourd’hui des pays qui ont le plus progressé au classement IDH entre 2000 et 2013 et compte parmi les pays les plus attractifs du continent, pourtant il n’est pas cité parmi les plus grandes « démocraties » africaines. On est tenté de dire que si l’Etat dans ce pays approfondissait le système de collecte des ressources intérieures, il pourrait davantage jouer son rôle de catalyseur en accélérant la mise en œuvre des projets structurants ; contrairement à un pays comme le Nigéria. Ce dernier pays est caractérisé par un Etat dont la capacité financière est très faible, malgré son fort potentiel économique. Les ressources internes ne représentent que 11% du PIB dont près de 91% sont consacrés aux dépenses de fonctionnement et au paiement des salaires. La majorité des pays présente un profil similaire à celui du Nigéria. Certains consacrent toutes leurs ressources intérieurs ainsi qu’une partie des ressources mobilisés à l’extérieure (dons ou aides). Il faut toutefois préciser que la situation selon les pays est assez différente. Pour certains, cette situation tient davantage à la déliquescence de l’administration centrale, en lien avec les crises qu’ils ont eu à traverser et qui nécessite sa reconstruction. C’est le cas de pays comme la Centrafrique, de la Guinée Bissau et dans une moindre mesure, le Soudan ou le Madagascar. D’autres n’ont plus un besoin important en matière de construction d’infrastructures, ce qui leur permet de limiter leur budget d’investissement aux travaux de maintenance, ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle. C’est le cas de pays comme le Lesotho, l’Afrique du Sud, Maurice ou encore les Seychelles.

Le propos ici n’est pas d’incriminer les dépenses de fonctionnement au profit des dépenses d’investissement. De fait, investir abondamment n’est pas la garantie pour que l’économie soit plus attractive ou plus performante. Il faut surtout que chaque dollar investi soit efficient. Toutefois, les dépenses de fonctionnement n’ont qu’un impact très faible sur l’économie. En effet, la commande publique (pour le fonctionnement de l’administration) et le paiement des salaires permet de relancer la consommation et constitue un marché pour certaines entreprises mais ces types de dépenses n’induit pas une transformation de l’environnement économique, afin de permettre le développement de nouvelles activités ou d’attirer des capitaux privés plus importants. En gros, elles permettent d’entretenir l’économie dans son état. Leur importance dans les budgets des Etats africains constituent un point d’achoppement pour le rôle que pourrait jouer ces Etats dans le processus de développement du continent.

Si aujourd’hui les Etats des pays d’Afrique subsaharienne prennent la mesure du rôle qu’ils peuvent jouer dans le processus de développement de leurs pays ; ils sont encore fortement contraints par leur capacité financière mais aussi par leur gestion interne qui consomme une bonne partie des ressources dont ils disposent et mises à leur disposition par les populations. Dresser des plans de développement et solliciter davantage d’efforts financiers auprès des partenaires, servirait presque à rien et constituerait une pression supplémentaire sur leurs économies, si une réelle transformation dans le fonctionnement des Etats dans les pays africains ne s’opère pas. Il faudrait surtout que les Etats se démarquent de ce comportement d’ « Etat consommateur-employeur » et prennent des dispositions visant à (i) renforcer les mécanismes de collecte des ressources internes, notamment en matière de fiscalité et à (ii) assainir les dépenses publiques, notamment en ce qui concerne la masse salariale. Plus généralement, il faudrait prendre de mesures pour une meilleure gestion des finances publiques, afin de dégager des marges pour l’investissement public mais aussi afin de rendre la dépense publique plus efficiente. Les marges dont disposent les Etats sont encore grandes et le manque de discipline budgétaire empêchent d’optimiser la collecte des ressources internes et de les dépenser de façon optimale. Si les pays du continent veulent s’engager sur la voie de l’émergence (comme prôner par les différents plans de développement en cours), la rupture dans la gestion des finances publiques et la discipline s’imposent.