Non Google, on ne la fait pas à l’envers…aux Kenyans !!

La filiale kényane du géant américain de l’Internet a récemment été accusée de fraude par une start-up kényane. Cette dernière l’accusait de se servir de manière illicite de sa base de données de clients. Pour mettre fin à la polémique, Google a remercié la dirigeante de sa filiale kényane. Un énorme coup pour la réputation du géant américain et une victoire hautement symbolique pour le monde de l’internet africain.

C’est l’histoire d’un géant qui se prend le doigt dans un piège à souris. En Septembre 2011, Google lançait l’initiative Getting Kenyan Business Online, déclinaison kényane de sa stratégie globale d’être le partenaire privilégié de tous les acteurs du commerce local. Évidemment, tout l’enjeu dans ce type d’initiative est d’être capable de référencer les acteurs du commerce local ; or ceux-ci sont souvent trop petits et mal référencés surtout dans des pays où les pages jaunes sont quasi-inexistantes.  Sauf qu’au Kenya, véritable pionnier de l’Afrique 2.0 (comme on peut le voir dans l'article sur le Mobile Banking et dans l'article sur Rupu), Mocality, start-up florissante, occupait déjà ce créneau porteur en répertoriant sur la base des contributions des internautes les différents commerces locaux. Une véritable mine d’or… qui va attiser l’appétit du géant américain.

La fraude a dès lors consisté pour les employés de Google Kenya à se servir de la base de données des entreprises répertoriées par Mocality. Ils sont par la suite entrés en contact avec ces entreprises en affirmant travailler en collaboration avec la start-up pour proposer aux commerçants de gérer leur présence web, à travers notamment la création gratuite de sites web. Ce sont des coups de fil étranges reçus par les employés de Mocality, de commerçants évoquant des sites internet (service que Mocality ne propose absolument pas)  qui va leur mettre la puce à l’oreille. Puis un petit tour de passe de magie numérique : en faisant une requête sur les commerçants concernés, Mocality s’est rendu compte que les profils de ces entreprises avaient été consultés par la même adresse IP (la même personne grosso modo). Les dirigeants de Mocality ont alors eu l’idée brillante de remplacer certains des numéros de leur base de données de commerçants par le numéro de Mocality. Bingo !! Mocality a commencé à recevoir des appels d’employés de Google Kenya, prétendant travailler avec Mocality, voire prétendant que Google possédait Mocality ou que Mocality était en réalité une arnaque, qui entendait proposer aux commerçants un panel de services d’accompagnement et de référencement web.

A ce niveau de l’enquête, même si la faute est clairement démontrée de la part de Google Kenya, on aurait pu, grâce à des arguments frôlant le « racisme », estimer que les responsabilités et l’initiative de ces pratiques pouvaient très bien relever d’un échelon relativement bas dans la pyramide Google. En effet, le responsable des ventes de Google Kenya aurait très bien pu, conformément aux « coutumes » locales (le Kenya est classé 154 sur 178 dans le classement Transparency 2010, le plus mal classé d’Afrique de l’Est), entreprendre ces actions, totalement contraires aux valeurs défendues par la firme de Mountain View. Cela aurait accrédité la thèse des afro-pessimistes convaincus, affirmant que le premier danger pour l’Africain, est d’abord l’Africain lui-même !

Mais la suite de l’enquête va révéler quelque chose de proprement hallucinant, qui va totalement discréditer la thèse précédente et susciter de nombreuses interrogations sur la profondeur (ou la hauteur c’est selon) hiérarchique de la fraude. En effet, forts des constats évoqués plus haut, les dirigeants de Mocality vont néanmoins poursuivre leur enquête en continuant de recevoir les appels des employés de Google. Quelle ne sera pas leur surprise quand ils recevront des appels en provenance non plus de Google Kenya mais de Google…India !! Google avait sous-traité l’opération Getting Kenya Businesses Online, ainsi que ses pratiques frauduleuses en Inde !! Dès lors, il ne fait plus aucun doute que la responsabilité quant à ces pratiques remonte beaucoup plus haut que le simple échelon local voire régional. En effet, réaliser une opération de ce type sur deux continents différents, nécessite une coordination relativement hiérarchiquement élevée.

Au final, environ 30% de la base de données des commerçants a été frauduleusement contactée. Google s’est dit « mortifié » par cette affaire et s’est excusé publiquement le 14 janvier dernier, par la voix de son directeur Afrique subsaharienne. Début Février, Google a remercié Olga Arara-Kimani la patronne de sa filiale, pourtant promise à un bel avenir. Les responsabilités vont-elles plus haut dans la chaîne hiérarchique de Google et Olga Arara-Kimani a-t-elle servi de fusible? On ne le saura probablement jamais. Une chose est claire : l’image de Google a pris un sérieux coup dans la webosphère africaine, et quand on voit l’importance que va revêtir l’Afrique dans le monde 3.0, on se dit que Google n’a pas été très malin sur le coup. Et nul doute qu’en d’autres lieux l’affaire aurait fait grand bruit.

Ce qu’il est important de retenir, c’est que contrairement à d’autres industries, l’industrie 2.0 est incroyablement transparente. Elle nécessite relativement peu de « fonds propres » et privilégie l’innovation. C’est probablement le seul secteur où l’une des plus grandes capitalisations boursières au monde (en attendant Facebook…) pourra faire amende honorable face à une « petite » start-up kényane. En outre, la tendance du web actuel, après avoir voulu faire découvrir le monde lointain aux internautes, est maintenant de leur permettre de retrouver sur internet, non plus seulement le magasin virtuel créé par un développeur à l’autre bout du monde, mais aussi et surtout le magasin qui est au coin de la rue. Le but d’Internet n’est plus de rapprocher le consommateur des boutiques virtuelles mais de le rapprocher des boutiques et commerces locaux ! Et l’enjeu en termes de recettes publicitaires est considérable. C’est pourquoi Facebook veut savoir où on est, Google se lance dans le mobile et les Pages Jaunes résistent !

Il serait dommage pour les acteurs africains, bien mieux informés que les acteurs occidentaux, de se laisser doubler (de manière frauduleuse ou non) sur ce créneau porteur. Mocality l’a compris… je pense que Google aussi…

Ted B.