De la cohésion sociale en Afrique

Ahmed Lahlimi, Haut Commissaire au Plan marocainLe 13 avril dernier s’est tenu à Rabat, un colloque initié par le Centre de développement de l’OCDE ainsi que le Haut Commissaire au Plan marocain, M. Ahmed Lahlimi, avec pour thème central : La cohésion sociale en Afrique.
Selon M. Lahlimi, la cohésion sociale est un élément essentiel dans la bonne marche vers le développement des pays d’Afrique. Cet aspect est, à son goût, bien trop délaissé au profit de critères économiques. Pourtant, toujours selon le Haut Commissaire au Plan, la bonne tenue économique n’est pas suffisante pour enrayer les inégalités persistantes sur le continent. Il en appelle donc aux forces vives des différentes nations, en leur demandant de participer davantage à la vie politique.
Ce comportement est d’autant plus indispensable, dans une période de crise comme celle-ci, où la déstabilisation des outils de la croissance a entrainé de plus grandes disparités économiques entre les couches des populations des pays en voie de développement.
Pour M. Pezzini, directeur du Centre de Développement de l’OCDE, les inégalités économiques sont clairement un frein important à la bonne croissance actuelle des pays africains. Pour renforcer la cohésion sociale, M.Pezzini délivre trois idées majeures : des systèmes de protection sociale, des welfare states garantissant des taux d’emploi élevés et une combinaison des objectifs entre les pays africains.
Si ce colloque avait sans aucun doute un intérêt majeur dans l’avenir des pays du continent noir, on s’aperçoit vite, de la limite des propositions effectuées.
M. Lahlimi, à aucun moment, n’est clair dans ce qu’il appelle « la participation des populations dans la vie politique et sociale ».La question étant : quel pouvoir a le citoyen ? Le pouvoir de voter, s’il a la chance d’évoluer dans un pays démocratique. Le pouvoir de travailler, afin de contribuer, à son échelle, à la croissance de son pays. A part cela, quels autres pouvoirs possède-t-il ? Le pouvoir de créer des organes de contre-pouvoir ? Associations, groupes de pression, presse ? Peut-être. Je crois néanmoins qu’il existe ici un décalage entre les perspectives de M.Lahlimi et la réalité des situations dans lesdits pays. Si la croissance économique ne fait pas tout, comme il semble le dire, force est de constater qu’elle fait tout de même beaucoup. Créer des organes puissants de contre-pouvoir s’avèrerait être un luxe pour beaucoup de pays africains. La croissance économique aiderait sûrement dans ce domaine là. Le serpent se mort la queue.
Les propositions du directeur du Centre de Développement de l’OCDE sont nettement plus concrètes. Elles laissent néanmoins sous-entendre  que les pays africains, surendettés pour la plupart, détiennent en leurs budgets, la capacité de financer des projets de protection sociale, solides sur le long terme. L’idée la plus réaliste et la plus prometteuse restant la réforme fiscale pour le développement de l’investissement public.
Giovanni C. Djossou

EMBARGO : la Bombe E

Il  semble, de prime abord, hasardeux, disproportionné ou encore fou, de présenter le phénomène d’embargo comme comparable à une bombe atomique décimant des populations entières. Sûrement. Néanmoins la situation que connait la Côte d’Ivoire depuis le 11 février 2011 pourrait être l’illustration parfaite d’un parallèle choquant en apparence.
Le 11 février, le président officiellement élu de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, engage, avec le concours de l’Union Européenne, un embargo maritime sur le pays. Conséquences ? Tous les bateaux en direction des ports ivoiriens de San Pedro et d’Abidjan sont immédiatement redirigés vers le port de Dakar. Cet embargo maritime est également accompagné d’un embargo «financier » avec l’incapacité pour la Côte-d’Ivoire de faire appel à la BCEAO (Banque Centrale d’Afrique de l’Ouest).
Cet embargo a, de fait, de nombreuses conséquences sur l’activité économique du pays. Il faut savoir, en préambule, que le port de San Pedro est le plus important port d’Afrique, en termes de surface, après celui de Durban. Il est tout aussi bon de noter que, près de 70% du PIB de la Côte d’Ivoire passe par le port d’Abidjan.
Ainsi tous les secteurs d’activité sont touchés par cette mesure. Parmi eux, les plus importants, comme l’Agriculture, indispensable pour le pays, premier producteur mondial de cacao et dixième producteur de café. Le 15 février dernier, les producteurs de cacao et de café se sont réunis dans la capitale pour dénoncer les affres de cet embargo.
Cela étant dit, le secteur sur lequel nous nous focaliserons est celui de l’industrie pharmaceutique. La question que l’on est immédiatement en droit de se poser étant : comment une organisation telle que l’UE peut-elle être à l’initiative d’une mesure d’embargo sur les produits pharmaceutiques dans un pays où la mortalité infantile et juvénile s’établie à 127‰ selon l’OMS, où l’espérance de vie était de 55 ans à peine pour une fille née en bonne santé en 2003, où, comme dans bien des pays du continent, le SIDA fait des ravages ?
Le 23 février, via la presse écrite, Mme Christine Adjobi, Ministre de la santé et de la lutte contre le Sida, dénonçait cette décision unilatérale qu’elle considérait alors comme meurtrière. De manière plus concrète, depuis le 11 février 2011, tous les médicaments payés à l’Union Européenne ne sont plus livrés vers la Côte-d’Ivoire, mais détournés, comme le reste des fournitures, vers le Sénégal. La ministre se permet alors de comparer cet acte fomenté par l’UE à un « Crime contre l’Humanité » en s’appuyant à la fois sur l’article 22 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, mais aussi et surtout, sur l’article 16 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui stipule que : « Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mental(…) Les Etats, parties à la présente Charte, s’engagent à prendre les mesures nécessaires, en vue de protéger la santé de leur population et de leur assurer assistance médicale en cas de maladie. ».
A la suite de Mme Adjobi, le Dr Parfait Kouassi, président de l’Ordre des pharmaciens de Côte d’Ivoire, dénonce également cette action revenant de manière concrète sur ses effets néfastes. D’un point de vue purement économique tout d’abord, il faut savoir que près de 88% des importations de médicaments se fait par voie maritime. Chaque année, la Côte d’Ivoire importe pour 300 milliards de FCFA de médicaments dont les ⅔ sont achetés à des organismes privés. On aura pu légitimement penser, dans un premier temps, que cet embargo favoriserait les organismes de santé privés qui auraient pu voir ici une opportunité formidable d’augmenter les prix. La réalité africaine est toute autre. Selon le docteur, aucun grossiste n’est actuellement en mesure d’acheter les produits et ce pour deux raisons majeures : premièrement, comme il a été dit plus tôt, la BCEAO n’est pas en mesure de les aider financièrement et deuxièmement, l’importation par voie aérienne ferait augmenter les prix de près de cinq fois leur valeur initiale rendant toute demande insolvable.
 D’un point de vu social, la situation est, bien entendu, plus critique encore. D’après M. Kouassi, interviewé fin février, la Côte d’Ivoire n’avait à ce jour que deux mois de stocks de médicaments pour subvenir aux besoins de santé, sans restriction. Depuis lors, selon la ministre Mme Adjobi, interviewée à la mi-mars, 24 décès de personnes dialysées pouvaient d’ors et déjà être imputés au seul embargo.
Officiellement, le président élu M. Ouattara et l’UE ont pris cette décision afin d’empêcher tout ravitaillement en armes des Patriotes du président sortant M.Bagbo. On peut alors se questionner sur la décision finale consistant à effectuer un blocus général. Est-il nécessaire, pour enrailler l’arrivée d’armes dans un pays, d’interdire dans le même temps l’arrivée de médicaments ?
Mme Adjobi également se questionne : « Qu’est-ce que la santé a à voir avec la situation ? ». L’Eglise a, elle aussi, exprimé son indignation face à cette situation via le Nonce apostolique  son Excellence Ambroise Madtha, représentant de la Côte d’Ivoire auprès du Saint-Siège : « La vie humaine est un droit sacré .Dieu a dit ‘Tu ne tueras point’. Nous condamnons cet embargo, nous devons faire quelque chose pour arrêter cette situation. »  
Il est légitime d’avancer l’idée que cette stratégie servait en réalité à affaiblir le président sortant dans son propre camp. Dans un jeu où le sophisme est la règle suprême, cet embargo avait pour but de retourner définitivement une opinion publique bien plus divisée dans la réalité des faits que dans les médias occidentaux. Simple hypothèse.
Mais finalement, peu importe les raisons. Ce qu’il y a à retenir c’est que des gens sont morts et meurent encore à cause de cette mesure. Ce qu’il y a à retenir c’est qu’une association d’Etats, avec l’avale implicite de l’ONU, a sciemment cherché, dans un court lapse de temps, à détruire la population d’un pays afin de servir ses intérêts dans un subtile jeu diplomatique. Ce qu’il y a à retenir c’est que des hommes, des femmes, des enfants, souffrent dans un pays où l’ingérence, cher à l’humaniste Dr Kouchner, à endossé les habits du meurtrier plutôt que ceux du sauveur.
D’aucuns diront qu’il s’agit là d’un simple jeu diplomatique et qu’il existe des perdants et des gagnants ; des dominés et des dominants ; oubliant que derrière tous ces « jeux », ce sont des vies qui se jouent. Certains exprimeront le fait que la « liberté » ne s’obtient pas sans sacrifices. D’autres, d’où qu’ils soient, auront vu passer ces mois sans que pour eux tout ceci n’ait la moindre importance.
Moi. Moi, je me dis que la France, modèle, s’il en est, de démocratie, prompte à donner des leçons à qui veut bien l’entendre… et aux autres, n’est, dans ce cas précis, que le pâle reflet de ceux qu’elle prétend combattre par ses « valeurs ». Moi, je me dis, que l’Histoire récente a envoyé au tribunal pénal international de la Haye, certains chefs d’Etats pour bien moins que cela. Moi, je me dis définitivement convaincu par le fait que la démocratie avant d’être « la pire des formes de gouvernement à l’exception de toutes les autres formes essayées à travers les âges », est surtout un formidable outil permettant le gèle des positions entre les puissants et les autres.
Moi, je me dis surtout que, malgré tout cela, l’Histoire ne retiendra que le fait, qu’une fois de plus, la France, dans son altruisme légendaire, à jouer le rôle du sauveur, de l’émancipateur.
Alors, j’admets l’erreur. La bombe E n’est pas égale à la bombe A. Non. Elle est plus dévastatrice encore. Bien plus que de la destruction, c’est bien de déconstruction dont on parle lorsque l’on aborde la question de l’embargo. La perte de souveraineté d’un Etat et le délitement de sa population étant les conséquences majeures de ce fléau. Allez demander à Cuba de Castro- où les médecins pullulent, où le taux d’alphabétisation est l’un des plus élevé au monde, mais où l’économie y est désastreuse-, si un embargo ne laisse pas de traces durables. Allez demander au Chili d’Allende si l’embargo n’était pas simplement le terreau fertile de tout ce qui suivra de néfaste pour son pays.
Et pour ceux et celles qui ne s’estiment toujours pas concernés par la situation, je préciserais que les ports de San Pedro et Abidjan sont les principaux ravitailleurs des pays enclavés d’Afrique de l’Ouest. Il ne s’agit pas ici d’un embargo de la Côte d’Ivoire mais bien de l’Afrique.
Giovanni Codjo DJOSSOU

Le secteur de la santé en Afrique, un nouvel eldorado pour les investisseurs privés

Avec le taux de mortalité infantile le plus élevé au monde et 65% des personnes atteintes du SIDA qui s’y trouvent, l’Afrique est un continent où la santé est un enjeu encore plus crucial qu’ailleurs. Cela, les investisseurs privés l’ont bien compris.
Michel Pauron pour Jeune Afrique nous montre que selon une étude de Merrill Lynch, les investissements privés dans la santé sont les plus lucratifs après les infrastructures et les télécommunications. Pour exemple en Inde, la part du privé représente 80% des soins ambulatoires et 60% des soins en hospitalisation.
Aujourd’hui, on estime à un peu plus de 50% la part du privé dans le secteur sanitaire dans l’Afrique subsaharienne. Dans les prévisions à moyen terme, effectuées par la Société Financière Internationale, les besoins d’investissement dans la santé en Afrique, d’ici à 2016, seront supérieurs à 30 milliards de dollars. Les deux tiers seront assurés par le secteur privé. L’administration Obama a d’ores et déjà pris ses dispositions : « étendre son soutien à l’implication du secteur privé dans la prise en charge médicale en Afrique […] encourager les investissements dans la santé et élargir les programmes de santé internationaux du gouvernement. »

Cette nouvelle donne peut être observée sous deux angles différents : une opportunité formidable pour l’Afrique d’obtenir les moyens nécessaires au développement du domaine sanitaire, domaine clé dont dépend, en partie, le développement plus général de tout le continent ; ou une grande menace générée par ces grands groupes dont les visées sont avant tout lucratives, et qui seraient susceptibles de créer une Afrique à deux vitesses dans le domaine sanitaire.
La santé sur le continent noir s’avère être, en effet, un débouché très intéressant pour des investisseurs potentiels. Aujourd’hui, un centre haut de gamme peut générer 10 millions de dollars de chiffre d’affaires annuel pour un investissement initial à peine supérieur à 3 millions de dollars. Pour Philippe Renault, chargé de mission au département santé de l’Agence française du Développement, le meilleur moyen de résoudre ce dilemme est de faire en sorte que le secteur privé se développe davantage en concertation avec le secteur public afin d’être mieux régulé et que la recherche du profit ne prenne pas le pas sur l’intérêt public.

http://www.jeuneafrique.com/Articles/Dossier/ARTJAJA2588p111-112.xml0/investissementla-sante-un-marche-comme-un-autre.html
 

Giovanni C. DJOSSOU

Afrique du Sud : les lingots du Mondial

 Zurich : le 15 mai 2004. Les délégations marocaine et sud africaine retiennent leur souffle. Dans quelques secondes, Joseph Blatter, président de la Federation International of Football Association (FIFA), ouvrira l’enveloppe dans laquelle se cache le nom du pays organisateur de la XIXe Coupe du Monde de l’histoire, en 2010. Quatre petites années plus tôt, l’Afrique du Sud avait échoué à ce même niveau de la sélection pour la Coupe du Monde 2006, mais n’avait pas fait pâle figure, face à la grande Allemagne, ne s’inclinant que d’une seule voix. Suite à cet échec, les différentes confédérations footballistiques et la FIFA, avaient unanimement décidé que l’appel d’offre, pour l’édition suivante (2010), ne serait ouvert qu’aux seuls pays africains. Cinq pays c’étaient alors lancés dans la course : la Libye, La Tunisie, Le Maroc, L’Egypte et l’Afrique du Sud. Très vite, la Libye et la Tunisie jetèrent l’éponge, effrayés qu’elles étaient par la masse des éventuels investissements à prévoir. Sur les trois pays restant, l’Egypte semblait la moins bien lotie, ayant récemment obtenu l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN 2006). Elle n’obtiendra aucun vote le jour J. Le Maroc et l’Afrique du Sud, les deux dossiers les plus solides, allaient donc se disputer le Graal.
 
L’enveloppe est ouverte. Le résultat est présenté à l’assemblée. Le clan marocain est abattu, des années de travail qui s’envolent. Côté sud africain, on exulte. Ils ont pris leur revanche. 14 voix favorables contre 10 pour le Maroc. Le pays le plus riche du continent aura l’honneur et l’immense responsabilité d’organiser la Coupe du Monde 2010. Six ans de préparation pour quatre semaines de spectacle.
 
Aujourd’hui, en 2011, nous pouvons affirmer que cette compétition fut un franc succès sportif –exception faite peut-être de la délégation française- couronnant certainement l’un des plus beaux champions de l’histoire des Coupe du Monde : l’Espagne. Qu’en est-il du succès financier ? Quel bénéfice l’Afrique du Sud retire-t-elle réellement de cet événement ?
Nous tâcherons de voir ensemble le bilan que l’on peut tirer du succès économique, financier et social généré par la manifestation sportive la plus populaire au monde, loin devant le Super Bowl.
 
 Lorsqu’au début de la décennie 2000, la FIFA a décidé que la Coupe du Monde 2010 s’organiserait sur le continent africain, l’idée centrale était de faire bénéficier un pays d’Afrique du succès économique de ce genre d’événement, créant par la suite un éventuel emballement positif, une sorte de cercle vertueux, comme ce fut le cas de la Catalogne et de toute l’Espagne après les J.O. 1992 à Barcelone.
Seulement, pour que la fête soit belle et attire du monde, il faut investir. Beaucoup. Le football nécessite des infrastructures de grandes envergures et très coûteuses. En 2005, l’Afrique du Sud détient 4 stades de football dignes de ce nom –nécessitant quelques rénovations néanmoins-. Dans sont dossier initial, rendu à la FIFA en 2004, l’Afrique du Sud prévoyait 13 stades pour la compétition : les 4 rénovés plus 9 nouveaux stades. Le budget prévu était de 550 millions d’euros. Une utopie lorsque l’on connaît le coût des stades modernes. En lieu et place des 550 millions d’euros c’est près d’un milliard € investi ; non pas pour 13 mais 10 stades, au final.
 
Bien entendu, construire des stades ne suffit pas. Il faut aménager le territoire. Etendre les réseaux ferroviaire et routier, moderniser les aéroports, créer des parkings aux abords des stades et des nouveaux hôtels. En juin 2008, Danny Jordan, directeur exécutif du Comité d’Organisation de la coupe, estime que le budget est d’ors et déjà dépassé du fait de « l’escalade des coûts ». Dans ses prévisions initiales, hors constructions et rénovations des stades, le gouvernement sud africain avait estimé à 400 M€ les coûts nécessaires aux infrastructures. En 2011, l’agence OSEO, dans son étude intitulée “ A Preliminary Evaluation of the Impact of the 2010 FIFA World Cup: South Africa”, estime que ces coûts auraient finalement avoisinés les 3,5 milliards de dollars! Soit près de 10 fois la somme prévue.
 
Les avantages immédiats de ces investissements sont clairement identifiables. Aujourd’hui, le pays, grâce à la Coupe du Monde, possède des aéroports flambant neufs, de belles routes. On observe aussi un désenclavement de certaines régions du pays grâce au développement du réseau ferré. Grâce aux stades, l’Afrique du Sud s’inscrit désormais comme l’un des leaders de l’industrie du « Sportainment » –avec l’Allemagne-. Industrie où les stades ne sont plus de simples lieux de rencontres sportives mais de véritables lieux de vie, intégrant des hôtels, des restaurants, des galeries marchandes, des salles de conférence. Sur ce point précis, l’Afrique du Sud est nettement en avance sur un pays comme la France par exemple.
De telles infrastructures ont également attiré touristes et supportaires. Pour 64 matches au total, il a été recensé 3,2 millions de spectateurs soit une moyenne de 49 700 spectateurs par parties.
Cela étant dit, cette réussite est à relativiser car, en termes de retour sur investissement comme en termes de progrès social, la Coupe du Monde 2010 n’a pas joué le rôle que l’on attendait.
 
En ce qui concerne les finances publiques, cet événement a été un échec. Le gouvernement attendait des recettes fiscales à hauteur de 1,5 milliard d’euros, elles ne seront que de 500 millions d’euros.
Sur le plan économique, le bilan est plus mitigé. Tout d’abord, les nombreux travaux effectués entre 2004 et 2009, ont permis aux cinq grandes entreprises de construction du pays d’accroître considérablement leurs bénéfices (+1300% entre 2004 et 2009-sources OSEO). Les salaires des directeurs de ces entreprises ont, en moyenne, progressés de 200% (sources OSEO) dans la même période. L’engouement généré par la compétition a permis de créer près de 200 000 emplois, mais la plupart étant saisonniers, bon nombre d’entre eux ont été détruits après le 11 juillet.
 
Les magnifiques stades représentent à eux seuls le non moins magnifique gaspillage financier dont a fait preuve le gouvernement sud africain. Ces dix stades à un milliard sont, sans aucun doute possible, des bijoux de modernité, enviés par bien des pays de football. Mais c’est précisément là que le bas blesse : l’Afrique du Sud n’est pas un pays de football. La contenance moyenne des stades de la coupe est de 56 711 places –contre 30 914 pour la France-. Ces mastodontes, symbolisés par le gigantesque Soccer City Stadium de Johannesburg, théâtre de la finale, avec ses 94 700 places (contre 80 000 pour le Stade de France), ont été rebaptisés « White Elephants » après la compétition. En effet, aujourd’hui, ces stades sonnent désespérément creux et ce pour plusieurs raisons : les équipes de Rugby (sport roi) ont, pour la plupart conservé leurs anciens stades, tandis que les clubs de football n’ont pas les moyens de devenir locataires de ces enceintes neuves et coûteuses. Ainsi, ces stades, initialement prévus pour générer des revenus dans le futur, sont en réalité des boulets attachés aux pieds du gouvernement sud africain qui déboursera, en moyenne, chaque année, 2 millions d’euros pour les entretenir.
 
D’un point de vue social, la déception est également au rendez-vous. Cette manifestation sportive était présentée comme organisée par les Africains pour les Africains et le reste du monde. Résultats, sur les 3,2 millions de places vendues pour l’ensemble de la compétition, moins de 5% l’ont été à destination des Sud africains. La raison majeure étant que les prix des billets étaient bien trop élevés pour l’autochtone moyen.
 
L’exemple symbolisant le mieux l’échec social lié à l’été 2010 est sans aucun doute, la grève des ouvriers. Si la Coupe du Monde devait apporter de nouvelles infrastructures et une plus grande affluence touristique, elle avait surtout pour objectif d’améliorer le niveau de vie de la population, ceci de manière durable. La réalité était toute autre. Le 8 juillet 2009, le National Union of Mineworker lance le mouvement de grève : « No work, no pay » et menace de ne pas livrer les stades en temps et en heure. Cette grève massive de plus de 70 000 ouvriers porte deux revendications majeures : une amélioration des salaires de 13% pour faire face à la fois aux petits salaires accordés (245€/mois en moyenne), et à l’inflation croissante. La deuxième revendication porte, elle, sur le nombre de congés payés. Les ouvriers réclament une extension de 4 petits jours. Le personnel en grève travaille sur les chantiers clés du projet : aéroport central de Johannesburg, chantiers ferroviaires du Green Point au Cap. Face à cette menace qui risquerait de ternir l’image de l’Afrique du Sud aux yeux du monde, la Fédération des employeurs du bâtiment, la SAFCEC, cède, partiellement, accordant une augmentation de 10% des salaires, mais sans jours de congé supplémentaires.
Alors, où sont passés les lingots du Mondial ? Cette épreuve dont les plus grands pays s’arrachent l’organisation ; cette épreuve que le Qatar et ses futurs stades climatisés accueilleront en 2022.
 
  Pour répondre à cette question, il faut se tourner vers l’institution reine du football, la FIFA, et son président depuis 13 ans : Joseph (Sepp) Blatter. Ce dernier déclarait dans Le Monde datant du 3 mars 2011: « la Coupe du Monde est un immense succès financier ». Pour sûr. La FIFA a, sur la période 2007-2010, un chiffre d’affaire de 4,2 milliards de dollars soit environ 2,9 milliards d’euros. Sur cette même période, les bénéfices réalisés par l’organisation sont de 631 millions $ (444 millions €). Selon Markus Kattner, directeur financier de la FIFA, 87% de ce chiffre d’affaire, soit 3,7 milliards $ (2,6 milliards€) ont été réalisé pendant le seul mois de compétition (11 juin-11 juillet 2010). On comprend alors mieux l’importance de la Coupe du Monde pour les finances de la FIFA.
 
Malheureusement, cette recherche constante du gain –pour ce qui ne reste finalement qu’une association- peut aller en contradiction totale avec les buts qu’elle c’était fixée au départ. En 2007 l’association avait lancé le projet « Fair Game- Fair Play » qui consistait à faire en sorte qu’un minimum de Sud africains aux faibles revenus soit laissé aux portes des stades. On sait aujourd’hui ce qu’il en a été. En mars 2008, une cérémonie, en présence de Sepp Blatter, avait été organisée par les différentes délégations syndicales afin d’ouvrir les yeux de la FIFA sur les conditions de travail des ouvriers. Un mémorandum pour « des conditions de travail descentes » avait été remis au dirigeant qui avait alors assuré que la FIFA veillerait à ce que les travaux soient effectués dans de bonnes conditions et que les ouvriers aient des places gratuites pour voir des matches dans les stades qu’ils auront eux-mêmes construit. Là encore, nous savons désormais que ces promesses n’ont pas abouti.
 
Pis. Si les gains de la FIFA se font avant tout sur les droits télévisuels et les droits marketing, il faut également noter que ses gains, ainsi que ceux de ses partenaires, ont été exonérés d’impôts. Selon OSEO, cet élément fut une condition sine qua non de l’attribution de l’épreuve à l’Afrique du Sud. Pour Adrian Lackay, porte-paroles du South Africa Revenue Service (autorités fiscales sud africaines) : «Les privilèges que nous avons dû octroyer à la FIFA étaient tout simplement excessifs. Ils ont rendu impossible le moindre gain financier pour l’Afrique du Sud ». Pour couronner le tout, on peut ajouter que la FIFA a fait pression sur la collectivité de Durban afin de faire raser des marchés entiers, expulsant de fait –selon l’ONU-, près de 20 000 personnes de leurs logements pour les parquer dans des installations précaires ; à l’image des Hutongs en 2008 –quartiers chinois historiques raser pour le bien des J.O-.
 
Des dépenses sous-estimées, des recettes surestimées, une FIFA qui s’accapare la majeure partie des recettes. Aux vues de tout cela, la Coupe du Monde 2010 ne pouvait être autre chose qu’un échec économique pour l’Afrique du Sud. Et si Michael Goldman, du Gordon Institute of Business Sciences, à l’université de Pretoria, estime qu’il est trop tôt pour tirer un bilan économique et qu’ «un retour sur investissement à court-terme est très peu probable », on peut s’imaginer, à la connaissance de tous ces éléments, que cet événement n’engendrera pas la croissance escomptée.
Cela étant dit, on est en droit de penser que tous ces investissements n’ont pas été vains et qu’ils pourront s’avérer utiles sur le long terme. On parle, de manière récurrente, des villes de Durban et Johannesburg comme probables candidates à l’organisation des J.O. de 2020 (attribués en 2013). Dans les villes concurrentes se trouveraient, parmi les plus sérieuses candidatures, Rabat et Casablanca au Maroc…
 
Giovanni Djossou

Jerry Rawlings : de la Révolte à la Démocratie

 

« La révolte naît du spectacle de la déraison, devant une condition injuste et incompréhensible » (A. Camus, L’Homme Révolté)

En ce début d’année 2011, les peuples d’Afrique du Nord donnent un nouveau relief à ce mot de Camus.  On ne peut que se réjouir de ce mouvement devenu irrépressible, insufflée par la jeunesse de Tunis et du Caire.

Cela étant dit, on est en droit de se demander ce qu’il adviendra de ces peuples ; quand la révolte laissera place à la révolution ; quand la contestation unanime d’un régime se transformera en discutions pour la mise en place du prochain. D’aucuns se réjouissent de cet élan de démocratie au Maghreb et au Moyen-Orient ; d’autres, s’inquiètent (à tort ou à raison) de la possible influence des Frères Musulmans dans la nouvelle Egypte ; Enfin, le leader Libyen lui-même brandit à l’occident le spectre de l’immigration et du terrorisme s’il n’est plus en place.

Le temps crucial du changement n’est pas  plus le soulèvement que la reconstruction.

Des pays d’Afrique, ont déjà, par le passé, pris leur destin en main au détriment des dirigeants initialement en place. Par d’autres moyens, par d’autres vecteurs. J’en profite donc pour vous présenter un bref portrait de Jerry Rawlings, chef d’Etat du Ghana de 1981 à 2001. A travers son parcours nous observerons les raisons de sa volonté de changement, les ressorts qui ont permis son accession au pouvoir. Se posera également la question de la démocratie via l’exercice du pouvoir.

Jerry John Rawlings est né à Accra en 1947 d’une mère ghanéenne et d’un père écossais. Il se tourne très vite vers une carrière militaire et en 1969 entre dans l’armée de l’air ghanéenne dont il en deviendra Lieutenant d’aviation neuf ans plus tard en 1978.

En 1966, le gouvernement  d’indépendance de Kwame NKrumah est irrégulièrement renversé par les militaires avec l’aide de la CIA (cf. : « Interview with John Stockwell on Black Power » BBC 22 juin 1992). S’en suit alors une période de dix années d’instabilité politique où le pluralisme politique est suivi de nouveaux coups d’Etats ; où le gouvernement de Joseph Ankrah, à l’origine de la déchéance de Nkrumah, est lui-même délogé après élections par Edward Akufo-Addo dont le « Parti du Progrès » deviendra le parti unique jusqu’en 1972. En 1975, l’arrivée au pouvoir du Conseil Militaire Suprême aggrave une situation déjà critique dans un pays miné par la corruption. C’est pour lutter contre ce régime que Rawlings décide de fomenter un coup d’Etat en mai 1979. Ce coup d’Etat échoue et Rawlings est emprisonné pour mutinerie. Ses états de service passés lui confèrent un certain crédit qui lui permet d’être libéré très vite. Dès sa libération, Rawlings n’a qu’une seule idée en tête : préparer un nouveau coup d’Etat. C’est ce qu’il réalise en juin de la même année. Cette fois-ci, le coup d’Etat est un franc succès. Le lieutenant s’empresse alors de créer un Comité Insurrectionnel composé des cadres de l’armée qui l’aident à réaliser ce coup d’Etat. Dans un souci d’éradication définitive de  la corruption dans son pays, il fait fusiller 8 généraux dont 3 anciens chefs d’Etat.

Rawlings souhaite une certaine stabilité politique et financière au Ghana sans pour autant chercher à prendre le pouvoir. C’est ainsi que durant les semaines qui suivent, Rawlings s’attache, en tant que chef du Comité Insurrectionnel, a ramener le calme au Ghana tout en préparant de nouvelles élections libres. Ces dernières ont lieu en septembre 1979 et consacrent  Hilla Limann dirigeant intègre du People National Party. Si les premiers mois de Limann s’avèrent satisfaisants, les problèmes de corruption remontent très vite à la surface, accompagnés de plus grandes inégalités économiques et sociales. Face à cette désillusion, Rawlings décide de mener son troisième coup d’Etat en un peu plus de deux ans. Son objectif est clair cette fois : prendre le pouvoir. Ce coup d’Etat a lieu le 31 décembre 1981.

Dès lors, en tant que nouvel homme fort du Ghana, Rawlings a deux objectifs majeurs : instaurer une stabilité politique en luttant contre la corruption, et réduire considérablement les inégalités économiques et sociales.

Dès le début de l’année 1982, le nouveau président crée le Conseil Provisoire de Défense Nationale,  dirigé par ses alliés putschistes, puis supprime la constitution ainsi que les partis politiques. Durant les années 1983 et 1984, il utilise les prêts du FMI afin de financer un vaste programme économique de réformes qui permettra de considérablement réduire les difficultés économiques du pays. Après 10 ans sans constitution, et pressé par la communauté internationale, Rawlings décide d’en élaborer une nouvelle. En 1992 la IV République ghanéenne est proclamée. Le multipartisme est instauré ainsi que la tenue régulière d’élections.

Très vite, le climat politique devient de nouveau instable, la corruption et la défiance du pouvoir refaisant surface. De plus, les tensions sociales s’accentuent. Elu en 1992, Rawlings, face à tous ces problèmes se voit contraint de précipiter les élections de 1996. Son parti est réélu à la majorité absolue. En 2000, conformément à la constitution, Rawlings ne peut se présenter. Kufuor est élu président devant J.A. Mills, le protégé du président sortant.

Dix ans après son départ du pouvoir, Rawlings n’en a pas pour autant quitté la vie politique. Défenseur du Panafricanisme à l’instar de son ainé Nkrumah, il est devenu un « conseillé de luxe » pour tous les présidents du continent en difficultés. Il a récemment exprimé son soutient à la Somalie en tant que Haut représentant de l’Union Africaine. Il a aussi appelé à l’apaisement en Côte-d’Ivoire. Il est également devenu, aux yeux du monde, le symbole d’une Afrique moderne ; l’exemple à copier pour tous les autres pays du continent comme le prouve l’éloge de B.Obama lors de son discours à Accra en juillet 2009.

On a pu observer que « l’ère  Rawlings » est aisément décomposable en deux périodes distinctes :

Le temps du soulèvement (1979-1992) dans lequel j’englobe la révolte et la reconstruction. Période faite de rigueur et de restriction des libertés collectives. Puis le temps de ce que l’on pourrait appeler la « mise en règle » du Ghana (1992-2001). Période où le chef d’Etat a tâché d’aligner son pays sur les normes internationales et les règles basiques de démocratie : retour du pluralisme politique, élaboration d’une nouvelle constitution donnant naissance à la IVe République ghanéenne etc. On voit bien à travers cet exemple- et pour effectuer le parallèle avec la situation de la Tunisie et de l’Egypte aujourd’hui- que le succès d’une révolte se mesure surtout à la nature des événements qui lui succèdent.

Cela étant dit une question importante peut se poser : pourrait-on, aujourd’hui, laisser un pays effectuer son processus de démocratisation sans ingérence quelconque de la communauté internationale ? Si Rawlings opère un retour à la démocratie pour le Ghana, cela passe avant tout par une période plus austère pouvant, en certains points, aller en contradiction avec les principes démocratiques.

La précipitation dans ce processus peut entraîner une ingérence provoquant un éventuel retour à la situation d’avant la révolte. La grande différence entre l’exemple cité ici et les exemples tunisien et égyptien étant que le Ghana a trouvé son Salut via un homme tandis qu’aujourd’hui ce sont les peuples qui luttent pour le peuple ; la démonstration la plus éclatante de la démocratie en marche.

 Giovanni C. DJOSSOU

 

« Le Temps de l’Afrique », une lecture critique : quelles politiques publiques pour l’Afrique ?

Cet article issu du numéro 47 du magazine « Economie Politique » est une analyse critique de l’ouvrage de Jean-Michel Severino et Olivier Rey Le Temps de l’Afrique paru en 2010 Chez Odile Jacob. Le magazine utilise en réalité analyse pour livrer sa propre vision de l’Afrique du XXIe siècle et des enjeux qui l’attendent. La palette des thèmes abordés est très large. Il en va aussi bien de la démographie et de la nécessaire gestion de l’ « explosion urbaine » en cours, que de la nouvelle structuration sociale africaine où les analyses sociologiques ont délaissé le modèle d’identité ethnique pour celui d’ « identité plurielle ».

 

Cela dit, le thème central reste l’économie. Le magazine revient notamment sur les raisons des crises africaines des décennies 1980 et 1990 ainsi que sur les « sources internes de la croissance » du continent depuis le début des années 2000.

 

En toile de fond de cette analyse, le magazine cherche surtout à expliquer comment l’Europe est en train de passer à côté de la croissance de l’Afrique à l’inverse de la Chine de l’Inde et du Brésil, se posant du même coup la question du réel poids des pays africains dans les négociations  de contrats avec ces nouvelles puissances.

http://www.leconomiepolitique.fr/-le-temps-de-l-afrique—une-lecture-critique—quelles-politiques-publiques-pour-l-afrique-_fr_art_942_50118.html

Giovanni C. DJOSSOU

NOLLYWOOD : La réussite made in Nigeria

En juin 2007 sortait un film documentaire réalisé par Franco Sacchi et Roberto Caputo intitulé This is Nollywood. Ce documentaire, récompensé au Raindance Film Festival de Londres la même année, retrace la naissance et le développement de l’industrie du cinéma au Nigéria. On y apprend comment une industrie générant plus de 250 millions de dollars l’année a pu voir le jour sur le continent le plus pauvre de la planète. On y apprend également comment Nollywood est devenue en l’espace de quelques années seulement la troisième puissance cinématographique au monde en nombre de films après Bollywood en Inde (Iere) et Hollywood aux Etats-Unis (IIe).

A travers cet « exemple-symbole »je tâcherai de vous présenter une Afrique que l’on ne montre pas souvent : une Afrique qui marche, qui crée des emplois et offre de nouvelles perspectives. Cela étant dit, il faudra, de la même manière, se pencher sur les contraintes sociales et économiques agissant comme des freins à l’exploitation de toutes les capacités existantes pour le développement de cette industrie fleurissante.

La fin des années 80 est une période trouble à Lagos où la violence et l’insécurité qui l’accompagne  se trouvent partout dans les rues. Une fois la nuit tombée il devient dangereux de se hasarder hors de son domicile. Dans ce contexte et de manière extrêmement rapide, la majeure partie des lieux de vie sociale sont désertés : bars, restaurants, jusqu’aux lieux de cultes. Il en est de même pour les rares salles de cinéma que compte alors la ville. S’organise alors un système d’import massif de films vidéo venus d’Inde et des Etats-Unis. Face à cette concurrence prestigieuse, la production cinématographique locale s’effondre.

Au début de l’année 1990, un scénariste Okey Ogunjiofor, tente de trouver un réalisateur pour son histoire intitulée Living In Bondage, qui, comme son nom l’indique,  traite avant tout du rapport de l’homme au pouvoir et de la volonté des dirigeants de conserver leurs populations dans l’obscurantisme. Si le réalisateur est finalement trouvé en la personne de Chris Obi Rapu, reste encore à le produire. Ken Nnebue, déjà connu dans le milieu, décide de produire le film mais une nouvelle stratégie s’initie en ce qui concerne la commercialisation. La production décide en effet que le film ne sortira pas sur grand écran craignant que la faible fréquentation des salles  ne lui permette pas de rentrer dans ses frais. Le film est alors copié sur VHS uniquement et livré aux kiosques. Au début de l’année 1992 sort la cassette Living In Bondage. Le succès est immense. Nollywood est née.

Aujourd’hui l’industrie du film de Lagos est la troisième puissance cinématographique mondiale en terme de nombre de sorties derrière les deux géants Bollywood et Hollywood. Avec un budget global de 250 millions de dollars par an Nollywood produit plus de 1800 films par an et livre dans les kiosques plus de 30 films par semaines ! Cette production intensive comble une forte demande estimée à plus de 100 millions de consommateurs et permet dans le même temps de créer plusieurs milliers d’emplois. Quels sont donc les facteurs aillant permis un tel essor ?

On peut dégager trois éléments permettant d’entendre la réussite de Nollywood. Tout d’abord, il y a des entrepreneurs locaux qui investissent massivement dans la production des films. On retrouve aujourd’hui à Lagos, environ 300 producteurs prêts à investir chaque jour dans de nouveaux projets cinématographiques. Il y a ensuite l’acquisition des nouvelles technologies. Les caméras digitales ont laissé place aux caméras HD et les supports ne sont plus VHS mais quasiment intégralement DVD. Enfin, l’utilisation optimale des ressources s’avère être également un facteur de réussite. La durée moyenne d’un tournage est de 12 jours pendant que le budget moyen qui est alloué à un long métrage est de 15 000 dollars. La post- production est rapide et peu coûteuse pour des retombées financières immédiates. Un bon film vendra en moyenne 50 000 copies tandis qu’un véritable succès se vendra à plus du double. Le lieu physique symbolisant le mieux cette réussite est sans aucun doute l’Idumtao Market. Ce quartier de Lagos entièrement transformé en centre géant du 7e art nigérian, où les stars aiment flâner afin de tester leur popularité, abrite plusieurs dizaines de magasins tous consacrés à la vente de DVD et de produits dérivés.

Malgré cette réussite il faut noter que Nollywood se trouve encore loin derrière ses deux ainées et qu’il existe certains facteurs freinant son développement.

La réussite de Nollywood reste toute relative. Bien qu’il serait mal venu de tenter de la mettre sur un pied d’égalité avec ses concurrentes il est intéressant de noter par la comparaison chiffrée l’écart, pour ne pas dire le gouffre, qui subsiste entre l’industrie du cinéma nigérian et ses deux principales rivales. Si, comme il a déjà été dit plus tôt, le cinéma nigérian génère 250 millions de dollars par an, le cinéma indien lui en génère 1,3 milliards et l’Américain… 51 milliards toutes productions confondues (films, séries etc.). Le film le plus cher de Nollywood a nécessité un budget de 89 000 dollars tandis que son pendant américain Avatar a mobilisé un budget de 460 millions de dollars. Enfin, l’exposition internationale n’est pas encore assurée puisqu’il n’existe pas, à ce jour, de cérémonie de récompenses semblable aux Filmfare Awards (Bollywood) ou aux mondialement connus Oscars (Hollywood).

Au-delà de ce retard, des facteurs endogènes viennent perturber le développement du cinéma au Nigéria.

Tout d’abord, le piratage, massivement répandu dans la capitale, met à mal la vente des DVD malgré les contrôles répétés des distributeurs. Si le piratage existe partout ailleurs, il fait des dégâts tout particulièrement à Nollywood où les recettes ne proviennent quasi-exclusivement que de la vente de DVD puisque les sorties en salles représentent un pourcentage infime des films. Il existe également un problème d’infrastructures puisque dans le quartier de Surelere, quartier qui abrite les bureaux de production, les salles de montage, il n’existe pas de studio de tournage où il serait possible d’installer des décors virtuels. Tous les tournages se font donc sous décors naturels ce qui entraîne une nouvelle complication : le racket. Bien souvent les réalisateurs doivent payer les chefs de bandes des différents quartiers de la ville, pour obtenir le droit de tourner sur leurs « territoires » ce qui peut parfois grever lourdement le budget du film. Enfin, le manque de professionnalisme de certains acteurs peut entraîner du retard dans les commandes. S’il existe de nombreux films, les mêmes acteurs se retrouvent sur beaucoup d’affiches. Ils acceptent souvent plusieurs tournages à la fois ce qui entraîne un absentéisme répété, donc du retard, donc une perte d’argent.

 

 

Si Nollywood est économiquement intéressant à étudier, son intérêt social n’est pas à négliger. Pourquoi ce cinéma nigérian est-il si populaire ? Ce sont les sujets qui y sont abordés qui le rendent attractif. On y parle de la prostitution, du sida, de la guerre, de la religion. Des thèmes auxquels la population est confrontée tous les jours. Cette attractivité s’opère aussi par la variation dans la manière d’aborder ces thèmes : tantôt par le drame, tantôt par la comédie, tantôt par la romance. La popularité des films de Lagos est telle qu’elle se diffuse petit à petit en dehors des frontières du pays pour toucher en premier lieu les pays anglophones d’Afrique comme le Ghana, le Libéria ou encore la Zambie. Cette passion commence également à toucher la diaspora noire des Etats-Unis et d’Europe où les jeunes notamment s’intéressent aux différentes productions.

Dix-huit ans après sa création Nollywood a convaincu le Nigéria et se lance, avec ses armes, à la conquête du monde. L’industrie du cinéma nigérian est devenue si populaire quelle est aujourd’hui un instrument stratégique crucial pour certaines institutions. La maison de production évangéliste Mount Zien Faith Ministries produit exclusivement des films dont le thème est la religion et dont les scénarii mettent en avant les évangélistes face aux autres obédiences religieuses. En réponse, quelques maisons de production musulmanes, avec de puissants mécènes, se sont créées à Lagos ces dernières années.

Giovanni C. DJOSSOU

Sources : Nollywood : le phénomène vidéo par Pierre Barrot Nollywood par Hugo Pieter www.thisisnollywood.com