Que savons-nous de l’agroforesterie ?

agroforesterie-kenya_lightboxEconomie verte… Sommée d’écrire sur cette notion peu familière, j’appelle à la rescousse un expert en la matière, Dominique Herman[1]. Nous décidons de parler des palmiers à huile, culture source de forts dégâts écologiques et présente en Afrique de l’ouest et centrale Ses yeux brillent, mon stylo s’agite tandis que l’agroforesterie entre en scène.

L’agroforesterie, quèsaco ? Voici la recette : au sein d’une exploitation agricole, plantez de vrais arbres, entendez des arbres d’ombrage, ne requérant aucun pesticide et attrayant toute une flore multicolore. Vous obtiendrez un joli mélange bigarré, entre fruits agricoles et arche de Noé. La monoculture cède la place à la biodiversité et le stock de carbone émis est contenu[2]. En bonus parfois, la diminution des risques de maladies, notamment autour des caféiers.  Ainsi, alors que la plantation de palmiers engendre beaucoup de déforestation, l’agroforesterie contribuerait-elle à sauver les forêts africaines ?

Minute papillon : l’agroforesterie n’est pas un super héros. Elle vise à réintégrer les arbres et la biodiversité dans un paysage dominé par la monoculture ou du moins des cultures moins boisées. Ce système agricole se décline en différentes actions et s’articule autour d’acteurs variés. Tour d’horizon. L’histoire commence avec le programme onusien REDD+ (Reducing emissions from deforestation and forest degradation) s’attaquant à la déforestation. L’initiative, lancée en 2005, vise à inciter les gouvernements de pays tropicaux en développement à financer la conservation de leurs forêts. Le processus commence par dresser un inventaire forestier à l’aide d’une carte carbone pour estimer les risques futurs de déforestation. Ensuite, il s’agit de mettre en place des mesures politiques contre la déforestation et les problèmes indirects liés à la déforestation (en particulier le travail des enfants dans les plantations de cacao). Or, les deux étapes sont floues : l’approche d’identification est multifactorielle : quel scenario choisir ? Les mesures anti déforestation sont trop indéfinies pour être suivies, entre diminution des expansions agricoles, lutte contre le déboisement, sensibilisation aux enjeux environnementaux, etc. Sans compter que ces problématiques sont le cadet des soucis des gouvernements ciblés, souvent grevés par la pauvreté et la corruption. Bref, le bilan est morose, ce qui invite d’autres acteurs à se saisir du problème. Des ONG, des associations et des bureaux d’études prennent alors en charge des projets spécifiques et sur une petite surface dite prioritaire. Ils jouent le rôle délaissé par les Etats précédemment. Leur posture d’agent extérieur et leur maitrise du sujet accroit l’impact de leur intervention. Celle-ci se décline en distribution de fours à basse consommation et de promotion de l’agroforesterie et non plus de cultures itinérantes et extensives telles que l’abattis brulis. Un marché nait de ce nouveau système financé par les crédits carbones (CC). En démontrant un écart entre un taux d’émission de CO2 avec et sans leur action, ces acteurs obtiennent un financement en CC. Aujourd’hui les deux modèles s’affrontent, se critiquant mutuellement : le modèle global et régalien avec REDD +, basé sur un fonds vert mondial est dit trop général et dispendieux par ses détracteurs. Le système de projets menés par une myriade d’acteurs, voit son financement par CC vivement critiqué suite à de nombreux scandales (les carbones cowboys) et sa nébuleuse de certifications (VCS, Plan Vivo, CCB, etc.).   

Néanmoins, certains pays tirent leur épingle du jeu en mettant en place des systèmes efficients contre la déforestation. L’astuce a été de trouver un arrangement : le paiement pour service environnemental (PSE). Ainsi, au Costa Rica, le gouvernement s’est engagé avec succès à payer les utilisateurs de zones forestières en échange du respect de certains critères de protection et la Côte d'Ivoire est sur le point d’adopter des mesures PSE pour le parc Taï dont la grande biodiversité est à préserver. Le principe est de compenser les coûts d’opportunité liés à l’implantation d’arbres à la place/avec des surfaces agricoles. S’il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de ces mesures, les risques restent forts : certains bénéficiaires peuvent accepter les paiements tant que la perte en coût d’opportunité reste faible (quand les arbres sont encore petits) mais qu’ils les coupent lorsque ces arbres grandissent et qu’une partie des rendements est effectivement perdue ou que la peur de les perdre, en vertu d’un scepticisme très ancré dans l’agroforesterie du cacao, l’emporte. Toutefois, ces coûts peuvent également être nuls, bien au contraire : les récipiendaires gagnant alors de loin au change. Le fonds Moringa Fund a investi ce marché en réhabilitant des zones de culture avec un système agro-forestier. Dans certaines régions d’Afrique de l’Ouest, jusqu’à 75% de la récolte totale de produits ligneux et non ligneux proviennent des parcs agro-forestiers, produits sources de revenus pour les communautés locales. Cependant, si un intérêt croissant pour les PSE est porté à l’Afrique, la majorité des PSE ont jusqu’à présent été instaurés en Amérique latine, en Europe et en Asie. Les PSE requièrent non seulement des agents privés mais également des structures publiques solides et un engagement des autorités fort pour assurer leur efficacité.

Pour conclure ce panorama, focus sur l’action d’une multinationale dans la lutte contre la déforestation. Un bref retour historique s’impose : suite aux critiques sur les effets polluants et contraires aux droits de l’homme que sa production engendre, l’huile de palme a fait l’objet d’un accord en 2004, le Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO). Porté par Unilever et WWF, le RSPO est un système de label applicable à l’huile de palme. Néanmoins, cette norme reste floue quant aux enjeux de la déforestation (sur le drainage des tourbières par exemple),  et de son impact sur les populations. De nombreuses ONG la critiquent et entament de vives critiques contre les multinationales qui l’utilisent. Nestlé subit les foudres de Greenpeace (Cf. campagne Kit Kat killer) en vertu de sa position de leader sur le marché. Cette confrontation fait place à un accord constructif entre la multinationale et l’ONG, facilité par le directeur de The Forest Trust (TFT), Scott Poynton. Nestlé s’engage alors à assurer la traçabilité de son approvisionnement d’huile de palme selon des critères d’approvisionnement responsables (les RSG) : l’enjeu est sauvegarder les forêts secondaires et de veiller au consentement libre et informé  au préalable des populations (CLIP). Au Liberia, l’entreprise GVL qui fait partie du groupe Indonésien Sinar Mas (du sous-groupe Golden Agri Ressources) a transformé ses pratiques suite aux campagnes de Greenpeace et la pression de Nestlé. Si GVL n’exporte pas, étant encore en phase de plantation, son huile n’est pas à ce stade intégrée dans les chaines d’approvisionnement de Nestlé. Le géant agroalimentaire veille en revanche très attentivement à ce que ses principaux fournisseurs d’huile de palme, principalement en Indonésie et Malaisie (80-90% de la production mondiale), revoient ainsi leur copie grâce à un travail d’évaluation et de traçabilité sur toute la chaine d’approvisionnement, jusqu’à la plantation. Les ONG enclenchent alors la phase finale de leur bataille : taper sur les fournisseurs de Nestlé, en premier lieu Sinar Mas, dont la marge de manœuvre est déterminée par ce dernier. Si le fournisseur refuse d’obéir aux règles de planification d’usage des terres, Nestlé menace de clore le marché. Ainsi, Nestlé et d’autres acteurs ont arrêté de se fournir auprès de Sinar Mas (Golden Agri) lors de la campagne médiatique lancée contre eux. Mélange des fins – préserver sa réputation et respecter les principes environnementaux – les moyens sont assez lourds pour modifier les comportements. L’ONG TFT, acteur hybride entre ONG et bureau d’études, très actif en Afrique (en Côte d'Ivoire et au Liberia en particulier), travaille avec plusieurs entreprises agro-industrielles de l’huile de palme (www.tft-earth.org). L’ONG a ainsi développé la méthodologie High carbon stock forests (HCS), qui distingue les zones à la végétation dégradée des forêts secondaires à préserver.  

Tandis que l’huile de palme est toujours autant plébiscitée (cosmétiques, agro alimentation et agro-carburants), les forêts rétrécissent. Néanmoins, clouer au pilori l’huile de palme est vrai et acceptable à condition que les aspects environnementaux et sociaux mentionnés plus haut ne soient pas pris en compte. D’une part, des huiles propres existent, tout un chacun peut se renseigner notamment via des comparatifs sur internet. Le travail d’organisations comme le TFT est justement d’accompagner les acteurs liés à l’huile de palme à faire preuve de transparence et à ne pas avoir honte de transformer positivement leur chaine d’approvisionnement. D’autre part, la morgue des consommateurs occidentaux pour cette huile n’empêchera pas la dynamique exponentielle de l’huile de palme (dont la production est jusqu’à dix fois supérieure à l’hectare que ses concurrentes[3]), tirée par la hausse de la population africaine et de la demande asiatique.  

Pauline Deschryver


[1] Dominique Herman est ingénieur forestier tropical de formation (AgroParisTech – Engref). Il travail pour le TFT en tant que chef de projet, en Afrique de l’ouest (Côte d’Ivoire, Libéria et surtout Nigéria).

 

[2] Pour plus d’informations, visitez le site www.agroforesterie.fr

 

[3] Pour produire autant d'huile que 1 hectare de palmiers, il faut 6 hectares de colza, 8 de tournesol ou 10 de soja

 

Transformer notre production agricole pour consommer local*

Nouvelle image (56)Nous sommes tous d’accord sur un point : la transformation des produits agroalimentaires est incontournable si nous voulons maîtriser la sécurité alimentaire dans notre pays. Si nous ne faisons rien pour transformer à grande échelle nos produits locaux, nous mangerons peut-être, probablement chinois, mais ce n’est pas ce que nous voulons.
Ce que nous voulons, c’est être sûr de manger et surtout manger ce que nous produisons et transformons. Ce n’est pas un acte gratuit. C’est un acte militant, c’est un choix de développement pour nos pays. C’est le choix de développer les productions agricoles locales et de les valoriser en les transformant. C’est le choix de créer des emplois car nous le savons bien : en Afrique de l’Ouest, c’est dans l’agriculture et la transformation agroalimentaire que nous pouvons créer des emplois en grand nombre. C’est le choix d’innover en mettant sur le marché des produits accessibles au plus grand nombre et adaptés aux nouvelles habitudes de consommation.
J’aimerais tout d’abord préciser de quelles entreprises de transformation il est question ici. Le champ de l’agroalimentaire est vaste et diversifié. Il y a différentes filières investies par des entreprises industrielles, semi-industrielles et artisanales. En tant que présidente de l’association Afrique AgroEXport (AAFEX), je m’exprime au nom des entreprises semi-industrielles et artisanales formelles, qui sont des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME) et qui constituent la majorité des membres de l’AAFEX. Les entreprises de l’AAFEX ne sont pas dans leur grande majorité des agro-industries, car ce terme recouvre plutôt les grandes firmes et principalement celles qui sont dans l’arachide, le sucre, le riz, la tomate industrielle et le coton. Nos membres sont surtout dans la transformation de céréales et de fruits et légumes.
Pour les entreprises, le premier enjeu est celui de l’approvisionnement en matières premières en quantité, en qualité et à un prix abordable. Elles s’approvisionnent principalement sur les marchés ruraux (les loumas), les marchés de regroupement (Thiaroye et Pikine, situés en périphérie de Dakar), les marchés urbains de consommation et auprès d’intermédiaires. Toutes ces transactions sont informelles, se font au coup par coup et à des prix qui fluctuent de jour en jour.
Il faut que l’on se penche sur le fonctionnement et sur la modernisation de ces marchés, qui sont généralement dépourvus de structures de stockage et de conditionnement adaptés. Dans un premier temps, la mise en place d’un système d’informations sur les quantités disponibles et les prix pourrait améliorer les choix des opérateurs pour effectuer des transactions. Enfin, il est nécessaire de régler très rapidement le problème de l’insalubrité des produits proposés sur ces marchés car il s’agit de produits alimentaires et donc de la sécurité sanitaire des aliments que nous consommons.
Mais la solution durable se trouve dans la contractualisation avec les producteurs à travers une approche « chaînes de valeur » où chacun trouve son intérêt. Nous devons nous inspirer des contractualisations réussies, comme pour la Société de conserves alimentaires du Sénégal (SOCAS)[i] ou La Laiterie du Berger[ii].
Par ailleurs, les entreprises ont intérêt à se regrouper en coopératives, ou en consortium, pour leur approvisionnement en matières premières, en emballages et pour la commercialisation de leurs produits. Les initiatives comme celles de la Centrale d’achats Andandoo[iii] doivent être multipliées.
Mais pour que cela marche, il faudrait que ces structures soit bien organisées et aient accès au crédit bancaire. Il faudrait que les banques s’impliquent dans le processus comme elles le font pour les entreprises de grande envergure citées ci-dessus.
Les banques et les institutions de financement devraient avoir des produits mieux adaptés aux entreprises agroalimentaires et surtout aux TPE et PME qui ont fait leurs preuves avec leurs propres moyens et qui recherchent des financements pour leur croissance.
Les banques accompagnent volontiers les entreprises sur le court terme mais lorsqu’il s’agit de prêts plus consistants, à moyen et long terme, destinés à financer l’acquisition d’un terrain, de bâtiments et d’équipements, les exigences sont pratiquement les mêmes que pour toutes les entreprises ; alors qu’à mon sens, lorsqu’il s’agit de secteurs prioritaires comme l’agriculture et l’agroalimentaire, les critères d’appréciation des dossiers de demande de financement devraient être différents.
Le crédit-bail[iv] est une solution qui n’est pas suffisamment connue et pratiquée par les entreprises. Il faudrait savoir pourquoi cela marche ailleurs et non ici, et voir comment l’adapter à notre contexte.
Concernant plus précisément la question des équipements, tant qu’on aura besoin d’aller en Europe, en Chine ou en Inde pour en trouver, nos entreprises ne dépasseront pas le stade semi-artisanal. Quand on a la chance d’acquérir un équipement à l’étranger, on a un peu de mal à le faire fonctionner ou à assurer sa maintenance, car nous n’avons pas les bons techniciens sur place. Il y a là un véritable créneau pour la production locale d’équipements modernes et pour la formation d’ingénieurs et de techniciens compétents.
Puisqu’on est bien conscient qu’il faut miser sur ce secteur qui offre beaucoup d’opportunités, il faut maintenant passer de la parole aux actes et créer les conditions pour que les entreprises agroalimentaires puissent se développer. Il est temps de libérer toutes les potentialités qu’offre ce secteur.
Les membres de l'AAFEX qui ont créé leur entreprise de transformation des céréales veulent mettre à la disposition des ménages des produits de qualité, bien conditionnés et prêts à consommer. Aujourd’hui, pour rentabiliser leurs activités, ces entreprises vendent 50 % de leur production à l’export parce que leurs produits sont chers et ne sont pas accessibles au plus grand nombre. Il faut donc également ouvrir la réflexion sur les coûts de production, sur la mise en place d’une fiscalité adaptée aux TPE et PME agroalimentaires et sur les campagnes de promotion en faveur du « consommer local ».
Enfin, j’aimerais insister sur le fait que le développement de l’agriculture et de la transformation agroalimentaire sont des enjeux de taille, incontournables, qui doivent ouvrir des perspectives pour les jeunes. Nous avons un boulevard devant nous et ce créneau est le plus porteur qui soit car il y a encore beaucoup à faire.
Le marché pour les produits agroalimentaires est local, sous-régional, africain et à l’export. Nous consommons volontiers des produits importés. Apprenons à consommer local mais transformons également nos produits pour qu’ils soient attractifs pour les autres consommateurs d’Afrique et du monde.

 *Cet Article de Marie-Andrée Tall, est initialement paru sur le blog de FARM sous le titre: Afrique de l'ouest:Transformer notre production agricole pour consommer local.

Marie-Andrée Tall est Présidente de l’association Afrique AgroEXport  (AAFEX), directrice de Fruitales (Sénégal), membre du Conseil scientifique de FARM


 
 

 

 


[i] La SOCAS, installée au Sénégal est « le premier producteur industriel de concentré d'Afrique du Centre et de l'Ouest, à partir de tomates fraîches récoltées dans la région de Saint-Louis. La SOCAS achète la totalité de ses besoins en tomates à des paysans ou groupements indépendants qu'elle a initiés à cette production et avec lesquels elle passe des contrats fermes d'achats ».

 

 

[ii] La Laiterie du Berger, installée à Richard-Toll depuis 2006, collecte du lait auprès d’éleveurs traditionnels peulhs organisés au sein d’une coopérative, pour en faire des yaourts et divers produits laitiers.

 

 

[iii] La Centrale d’achats Andandoo a été créée par des opérateurs de l’agroalimentaire du Sénégal afin de faciliter leur accès à un emballage de qualité, qui respecte l’environnement, à un prix accessible.

 

 

[iv] Le crédit bail permet à une PME de faire porter la totalité du financement de son matériel de production ou un bien immobilier professionnel par un spécialiste du leasing et d’acquitter ainsi des loyers déductibles qui peuvent être passés en charges courantes.