Burundi : Une situation explosive

En Juin dernier, alors que la Commission d’enquête internationale ad-hoc des Nations Unies pour le Burundi rendait un bilan accablant de la situation des droits de l’Homme dans le pays, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH)publiait  quant à elle ,le 4 juillet dernier, un rapport inquiétant, établissant le bilan de la crise des Droits de l’Homme depuis le début du conflit politique en avril 2015.Quelques mois après la publication d’un premier rapport situationnel, la Fédération internationale basée à Genève décrit l’instauration d’un véritable régime dictatorial dans son nouveau rapport : Le Burundi au bord du gouffre, retour sur deux années de terreur[1].

Contexte général

Le rapport publié par la FIDH offre une mise en perspective impressionnante du conflit de basse-intensité qui sévit depuis deux ans au Burundi. L’origine de la crise politique est liée à la volonté du président sortant de briguer un troisième mandat présidentiel, violant par la même occasion un accord politique qui le lui interdit.[2]

Le président, au pouvoir depuis fin 2005, est aux commandes d’une répression sanglante et systématique contre l’opposition, à travers la mobilisation des forces de sécurité nationales. En riposte, un mouvement populaire de résistance s’est formé, s’attaquant aux individus considérés comme affiliés au parti au pouvoir, le Conseil National Pour la Défense de la Démocratie–Forces pour la Défense de la Démocratie, CNDD–FDD. Considéré comme parti unique par une partie l’opposition, ce parti cultive le culte de la personnalité, la propagande et l’incitation à la haine contre les membres de l’opposition, ou tout individu refusant de prendre part aux activités de propagande organisée par le pouvoir.

Des violations des droits de l’homme ayant poussant les organismes à l’exil

La situation des défenseurs des droits de l’homme est préoccupante à l’heure actuelle. Il est quasiment impossible pour toute organisation de défenses de droits de l’homme d’opérer sur le territoire burundais depuis la fin de l’année 2016[3]. La plupart des ONGs burundaises ayant collaboré à la préparation du rapport publié par le FIDH sont aujourd’hui en situation d’exil. Entre-temps le bureau du Haut-commissariat aux droits de l’Homme des Nations-Unies s’était déjà vu contraint par le gouvernement de quitter le territoire en octobre de la même année,presque concomitamment au retrait de Bujumbura de la Cour Pénale Internationale. Ce départ contraint de la CPI trouve ses germes dans la mise en place par le conseil de sécurité des Nations-Unies d’une commission d’enquête internationale sur le Burundi. Le Gouvernement, avait en effet eu l’occasion de sentir le vent tourné suite à d’innombrables dénonciations provenant de la Communauté Internationale. Quelques mois auparavant, le gouvernement a été informé de l’ouverture d’une enquête qui sera conduite par une commission internationale d’enquête crée par la commission des droits de l’homme de l’ONU suite aux nombreuses dénonciations des organisations de société civile locales[4]. En 2015, alors que les Nations-Unies venaient de se voir confier la responsabilité de conduire une mission spéciale d’observation électorale dans le pays, le gouvernement de  Pierre Nkurunziza avait déjà montré des signes de tensions[5]. Une année plus tard, plusieurs décisions restrictives adoptées par l’Assemblée nationale viennent mettre à mal l’action des ONGs locales et étrangères. Diverses lois suspendant ou radiant les activités de ces organisations ont été adoptées, en parallèle à la conduite de campagnes de diffamations, menaces et agressions[6]. Les organes de presse, quant à eux, continuent de subir des contrôles abusifs de la part des autorités[7].

En milieu d’année 2016, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, ZeidRa’ad Al Hussein, mettait en garde contre « une forte augmentation du recours à la torture et aux mauvais traitements au Burundi » et exprimait sa préoccupation face à des informations sur des lieux de détention illégaux dans la capitale et dans le reste du pays[8].

Les dynamiques de genre liées au conflit sont également particulièrement préoccupantes depuis le début de la répression, puisque les infrastructures en charge de la protection des femmes ne sont plus en mesure d’assurer leur service et ce, en raison de l’effondrement du système judiciaire. Dans l’ensemble, les experts ayant participé au rapport rapportent de nombreuses allégations de violences sexuelles, notamment par les forces de l’ordre et d’autres acteurs étatiques, et décrivent un grave problème d’exploitation des femmes burundaises suite à la survenance du conflit[9].

Bilan humanitaire désastreux  suite à la crise

En raison de son isolement et des réductions de l’aide au développement, le Brundi vit une situation humanitaire extrêmement préoccupante, aggravée par la détérioration des conditions sociales et économiques suite aux coupures budgétaires. Au vu des relations politiques complexes entre les organismes d’aide humanitaire et le gouvernement Burundais, les espoirs en vue de l’amélioration de la situation actuelle sont minimes. Le Burundi fait aujourd’hui partie de l’une des urgences humanitaires les moins financées de la planète[10].

Depuis le début de la crise, le bilan des personnes ayant fui le pays ne cesse d’augmenter. On dénombre actuellement plus de 400.000 réfugiés répartis principalement entre la République Démocratique du Congo, la Tanzanie, et le Rwanda[11].

Et pour ne rien arranger, les populations du nord, du centre et de l’est du pays souffrent d’une épidémie de malaria qui ne cesse d’empirer depuis mars 2017[12], alors que le virus avait déjà été diagnostiqué dans plus 70% de la population à fin 2016[13].

Un avenir inquiétant ?

Le gouvernement burundais a lancé de grands chantiers sur le plan législatif. En février de cette année, le Gouvernement a fait passer une loi créant une commission en charge de la réforme de la Constitution, qui permettrait au président de se représenter d’une manière illimitée. Nkurunziza n’a d’ailleurs jamais caché ses intentions de se représenter aux élections de 2020, avec ou sans modification de la Constitution.

 Une sortie de crise par voie diplomatique semble peu probable dans la conjoncture politique actuelle. Les perspectives de retrouver la stabilité dans un avenir proche sont assez restreintes. Pour l’opposition politique, le recours à des forces armées constitue malheureusement le moyen de résistance le plus pertinent dans l’état actuel de la situation.

Les auteurs du rapport présenté par la FIDH craignent d’ailleurs une recrudescence des violences allant jusqu’à la reprise de la guerre civile, d’autant plus que la militarisation de l’Etat ne cesse de croître, allant de paire avec une idéologie de plus en plus radicale.

En parallèle, la branche des jeunes partisans du parti leader, les Imbonerakure, a vu ses capacités belligérantes se renforcer jusqu’à prendre une ampleur affolante, ayant réussi à faire fuir des milliers de civils hors des frontières du pays[14].

Les dynamiques du conflit ne cessent, somme toute, de se complexifier, en raison de l’augmentation d’acteurs se rebellant contre cette situation tragique. Rappelons également que les dynamiques régionales sont particulièrement complexes, ce qui pourrait éventuellement jouer en faveur du Burundi par une prise de conscience sur la répression intolérable qui sévit dans le pays. Il ne reste plus qu’à espérer que le rapport publié par la Fédération Internationale des Droits de l’Homme alerte les acteurs internationaux de cette crise, et ce, bien avant 2020.

                                                                                                                                                                                                       Nadège Porta

[1] Disponible à https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/burundi/le-burundi-au-bord-du-gouffre-retour-sur-deux-annees-de-terreur

[2] A compléter

[3]Ibidem

[4] http://www.rfi.fr/emission/20161013-burundi-sort-cpi-justice-onu-pierre-nkurunziza

[5]https://mali-web.org/afrique/burundi-ouverture-de-la-mission-dobservation-electorale-de-lonu

[6] Disponible à https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/burundi/le-burundi-au-bord-du-gouffre-retour-sur-deux-annees-de-terreur

[7]Ibidem

[8] http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=37041#.Wd464lu0N1s

[9]Office des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires, « Burundi : Aperçu des besoins humanitaires 2017 »,

octobre 2016, p. 18., http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/hno_burundi_2017_fr_small.pdf

[10]Ibid.

[11] http://reliefweb.int/report/burundi/unhcr-regional-update-burundi-situation-may-2017

[12]Health Organization, Fact finding Mission on malaria spreading in Burundi, http://www.afro.who.int/fr/burundi/pressmaterials/

item/9345-mission-dinvestigation-des-flambees-de-cas-de-paludisme-sevissant-au-burundi.html

[13]http://www.rfi.fr/afrique/20170314-epidemie-malaria-est-declaree-burundipaludisme-

oms

[14]http://www.irinnews.org/report/101418/who-are-imbonerakure-and-burundi-unravelling

RCA : Une recrudescence des atrocités sous le regard indifférent de la communauté internationale

Alors qu’en début 2016 tous les regards étaient remplis de l’espoir de voir la République Centrafricaine (RCA) sortir d’une troisième guerre civile,[1] ce pays niché au cœur du continent africain n’aura pourtant connu aucun répit depuis. A deux doigts d’une nouvelle crise humanitaire grave, la violence dans le Sud-est du pays explose en raison de la rivalité entre groupes armés pour le contrôle du trafic illicite qui sévit dans la région.

Le Sud-est du pays : nouveau champ de bataille entre groupe armés

Depuis mai 2017, le Sud-est du pays est le théâtre de violents affrontements entre les groupes d’auto-défense anti-Balaka pro-chrétiens et animistes et les factions ex-Séléka pro-musulmanes, en constante quête de nouveaux contrôles territoriaux. Il faut dire que les enjeux sont particulièrement élevés dans cette région située à la frontière avec la République Démocratique du Congo, puisque les opportunités de contrôle des différents trafics illicites de diamants, or et café y sont particulièrement attractives. Le récent phénomène de vide sécuritaire, découlant du départ des forces armées américaines et ougandaises installées dans ladite région depuis 2011 dans le but de combattre l’Armée de résistance du Seigneur (LRA)[2], exacerbe l’intensité des affrontements dans cette nouvelle zone rouge.

L’artillerie lourde des groupes armés face aux casques bleus

En mai dernier, une attaque d’une violence inouïe et inédite depuis 2014 a été perpétrée dans le quartier musulman de Bangassou. Cette attaque a  engendré la mort d’au moins 26 civils et d’un casque bleu marocain, alors que plusieurs militaires de la MINUSCA avaient déjà péri à proximité du quartier  durant cette même semaine[3].

Selon les experts onusiens, il viserait délibérément une base de la mission de l’ONU en Centrafrique, à l’aide d’une artillerie particulièrement lourde, puisqu’il s’agissait de mortiers et de lance-grenades[4]. Ces faits semblent refléter un ressentiment croissant vis-à-vis des casques bleus, à travers une volonté d’intimidation claire de ces derniers. Les groupes armés semblent ainsi gagner à chaque fois un peu plus de contrôle sur les territoires de la frontière, poussés par des idéaux religieux véhiculés par la manipulation de leurs leaders.

Il faut bien avouer que l’impopularité des forces des Nations-Unies provient du bilan de leur mission sur le sol centrafricain. En effet, le bilan de la mission internationale de soutien à la Centrafrique en 2013, puis celui de l’actuelle MINUSCA, établie plus récemment, n’auront pas été particulièrement concluant jusqu’à maintenant. L’ambition centrale de la mission  des casques bleus – celle de démobiliser les groupes armés – se situe depuis plusieurs années au point mort, puisque ni le gouvernement ni les groupes ne semblent y trouver leur compte en matière de négociation[5]. De ce fait, malgré la mise en place d’un fonds de plus de 40 millions de dollars, les conditions politiques et sécuritaires empêchent l’ONU de répondre à ses objectifs et font que l’organisation peine à aller au-delà de ses fonctions de contingence. L’absence de capacités à générer le changement engendre un discrédit de l’organisme, qui ne joue pas en la faveur d’une sortie négociée du conflit entre les groupes religieux.

Le bilan du côté du gouvernement n’est pas plus flamboyant, puisque le spectre des décennies d’absence de gouvernance empêche le nouveau gouvernement de reprendre ses droits sur les territoires allant au-delà de la capitale. Les spécialistes parlent d’un état fantôme où le gouvernement serait incapable d’une gestion normale du pays jusqu’aux fonctions régaliennes les plus basiques[6]. Malgré le vent d’espoir engendré par les élections de 2016, l’absence totale de budget au niveau des provinces n’est pas de bonne augure pour une potentielle évolution positive de la situation[7].

Des atrocités subies par les populations à une crise humanitaire imminente

L’attaque de Bangassou atteste d’une vague de violence particulièrement barbare alors que cette région était  récemment encore considérée comme l’un des seuls sanctuaires du pays depuis le retrait de la force française « Sangaris » en octobre 2016[8].

En raison de la recrudescence de la violence, la RCA se retrouve à nouveau au bord d’une nouvelle crise humanitaire de large envergure. Selon UN OCHA[9], en mai dernier, plus de 100'000 personnes furent victimes de déplacement interne et 19'000 se seraient rendues en République Démocratique du Congo pour y chercher refuge.  Cette dernière vague de déplacement porte la valeur totale de la population déplacée proche du million, soit un quart de la population totale du pays[10]. Les trois-quarts restants dépendent encore largement de l’aide humanitaire internationale. Au final, le pays accuse un bilan dramatique, très proche de celui d’avant les élections de 2016, alors que les financements humanitaires enregistrés au début de l’année peinent à couvrir plus de 16% des besoins identifiés par l’ONU[11].

Au-delà de la crise humanitaire qui menace de sévir dans le pays, la totalité du territoire national souffre également de lourdes vagues de violations chroniques des droits de l’homme, commises de toutes parts, en raison de l’importance des ressources naturelles. Le « mapping des violations graves du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaires commises sur le territoire de la RCA de janvier 2003 à décembre 2015 », présenté au Conseil de Sécurité de l’ONU, est assez édifiant sur le sujet.

Quel avenir pour la RCA ?

Alors que tout laisse à penser que les zones rouges du conflit sont en fréquente évolution, n’épargnant aujourd’hui presque plus aucune partie du pays, et que le contrôle effectué par les forces rebelles ne cesse d’augmenter tant sur le plan territorial qu’économique,  l’inertie politique du Conseil de Sécurité des Nations-Unies et de la communauté internationale ne permettent pas d’espérer une issue négociée du conflit entre le gouvernement, les forces armées pro-chrétiennes et les forces musulmanes. L’incapacité des Nations-Unies à aller de l’avant avec le programme de « Démobilisation, Désarmement et Réintégration » des forces armées présentes sur le territoire, semble présager d’un maintien du statut quo, caractérisé par un Etat dépendant de l’aide humanitaire internationale, incapable d’administrer son territoire et dont la sécurité ne peut être garantie que par la présence de casques bleus onéreux sans grande capacité de contrôle. Seule une habile manœuvre diplomatique pourrait venir débloquer cette situation sans issue, à travers un regain de terrain et de force de négociation de la part du Conseil de Sécurité, en contraignant le Gouvernement à exiger des actions concrètes de la part des groupes, telles que la confiscation de l’économie de guerre[12]. Cependant, force est de constater que sans une active mobilisation à la fois des acteurs régionaux et internationaux, la République Centrafricaine restera encore longtemps sous perfusion humanitaire.

                                                                                                                                                                                              Nadge PORTA

 


[1] « Les élections en République centrafricaine reportées à mercredi », liberation.fr, décembre 2015 http://www.liberation.fr/planete/2015/12/25/les-elections-en-republique-centrafricaine-reportees-a-mercredi_1422888

 

 

 

[2] « Pourquoi la crise centrafricaine dure et va durer », lemonde.fr, mai 2017 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/05/26/pourquoi-la-crise-centrafricaine-dure-et-va-durer_5134074_3212.html

 

 

 

[3]« L’ONU s’alarme de l’usage inhabituel d’armes lourdes en Centrafrique », lemonde.fr, mai 2017,  http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/05/19/l-onu-s-alarme-de-l-usage-inhabituel-d-armes-lourdes-en-centrafrique_5130323_3212.html

 

 

 

[4] Ibidem.

 

 

 

[5] « Pourquoi la crise centrafricaine dure et va durer», lemonde.fr, mai 2017 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/05/26/pourquoi-la-crise-centrafricaine-dure-et-va-durer_5134074_3212.html

 

 

 

[6] Ibidem.

 

 

 

[7] Ibid.

 

 

 

[8] L’opération Sangaris avait permis, (avec 12'500 casques bleus à l’appui), le retour au calme à Bangui, la capitale de la RCA.

 

 

 

[9] United Nations Office of Coordination for Humanitarian Affairs. 

 

 

 

[10] « Central Africain Republic risks sliding back into major crisis », reliefweb.int, Juin 2017 http://reliefweb.int/report/central-african-republic/central-african-republic-risks-sliding-back-major-crisis

 

 

 

[11] UN OCHA Humanitarian Needs Plan for the Central African Republic.

 

 

 

[12] « Pourquoi la crise centrafricaine dure et va durer», lemonde.fr, mai 2017 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/05/26/pourquoi-la-crise-centrafricaine-dure-et-va-durer_5134074_3212.html

 

 

 

Les guerres civiles, seins nourriciers d’Ebola

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Credit photo: REUTERS/James Giahyue (Liberia)

C’est une scène glaçante : au fond d’une cour de maison quelque part dans Monrovia, un cadavre abandonné. Le corps gît au sol, couché sur le ventre. On perçoit de loin l’entame du processus de putréfaction. Personne n’ose roder aux abords immédiats du cadavre. La Caméra d’Envoyé Spécial qui s’y aventure, guidée par des riverains et voisins du défunt, caractérisés par un mélange saisissant de candeur et de peur, reste à distance raisonnable. Les services mortuaires libériens débordés, n’ont pas eu le temps d’enlever le corps. Quelques jours sont passés déjà. Dans les charniers dont se couvre la ville progressivement, leurs moyens dérisoires ne peuvent offrir une couverture entière. Le défunt est soupçonné d’être mort de la fièvre Ebola. Le document télévisé montre les scènes de chaos, de panique, la déstructuration de la chaine des urgences, et in fine, le désamour que la maladie finit par instiller dans les rapports de bienveillance si historiquement ancrés en Afrique. Les seuils symboliques de morts qui peuplent les bulletins d’information, 3000 morts, 4000 malades, portent donc un visage et une terreur: celui de la mort et celle de l’impuissance.

D’une épidémie dont on parle si souvent, sans jamais en voir les réels ravages, ballotés par les chiffres, mais lointains, Envoyé Spécial a  offert un premier portrait. Glauque, désarmant, particulièrement inquiétant. L’épidémie est hors de contrôle au Libéria. Ce que l’on soupçonnait s’avère triplement plus grave : Le Libéria se meurt. Principalement, de pauvreté et de désorganisation sociale. Héritées d’une guerre civile dont la nomination du reste très encourageante à la tête de l’Etat de Ellen Johnson Sirleaf ne gomme pas les stigmates, les plaies béantes du Libéria auront nourri Ebola. Le Parc sanitaire défectueux, l’absence d’automatisme des services de l’état, l’éternel mais si impardonnable manque de moyens, le type même de l’habitat ravagé et les promiscuités qu’il commande, ont fait le lit d’une maladie qui n’est pas prête de stopper sa faucheuse. L’on ressent à la vue des images, une mixture inconfortable de gêne, de colère sourde, de peine. Après la gifle des images, il faut refuser de se clore dans les perspectives immédiates et voyager aux sources de telles tragédies.

Il n’y pas de hasard dans le fait que ce soit les deux pays particulièrement fragilisés par des décennies de guerre civile, qui payent le lourd tribut des morts. Dans tous les défis urgents africains, dont l’enjeu principal sanitaire, le point décisif reste l’organisation sociale. Le Libéria et la Sierra Léone subissent le contrecoup d’un passé récent qui les a installés dans une fragilité sur le long terme, à la merci des étincelles politiques, des crises identitaires, et des aléas viraux. Le foyer de départ Guinéen paye un long chaos politique, quand le Sénégal et le Nigéria, du fait même de la nature de cas importés, offrent des gages et des dispositions qui sont indubitablement liés à la stabilité politique.

La pauvreté, éternelle absolution en toute circonstance, ne doit pas être considérée comme la cause d’un produit social dont il faut s’accommoder, en confiant au destin ses désirs de changement. La pauvreté a beaucoup de chance d’être, dans l’état des pays précités et bien d’autres du reste, le produit d’une histoire, d’une culture qui implique directement la responsabilité sociétale. L’abus de l’excuse de la pauvreté finit par « ordinariser » le problème et par impersonnaliser les responsabilités.

On ne se tire pas indemne des postulats culturels qui ont gouverné ce continent et dont on n’a pas fait l’inventaire. Ebola n’est qu’une maladie de pauvres. Elle ne frappe qu’eux, ne se nourrit que de leur faiblesse. La pitié et la propension à s’apitoyer sous de supposés décrets divins, sont des compassions qu’il faut s’éviter, car la pauvreté n’est pas une cause, c’est une conséquence : un état d’anarchie heureuse, un état d’absolution, un reposoir pour les politiques, et la gaieté ambiante des sans grades, comme d’ailleurs l’exotisation du continent, en tisse les légendes. Il faut d’une certaine manière vaincre cette forme de Providence singulière que campe la pauvreté, donc sonder l’abîme culturel.