Politiquement vôtre !

anneQuand Nicolas Simel m’appela pour me proposer de prendre les rênes de la rubrique Analyse Politique, suivi par Emmanuel qui me précisa qu’il s’agissait de poster deux articles par semaine, lundi et jeudi, j’ai pensé directement à deux choses. D’abord, à ma carence de sommeil qui allait encore s’accroitre, ensuite, au talent de Joël Assoko devant lequel je suis un inconditionnel admirateur ; Joël que je devais remplacer, car pris qu’il était par une autre tache ô combien passionnante. Vous saurez laquelle bientôt. Sans hésiter, je dis oui à Simel et Leroueil, ce duo de tortionnaires au verbe juste. Je découvris plus tard leurs visages rassurants, leurs manières policées et leur maitrise parfaite des ruelles animées le soir du quartier Saint Michel dans le 6ème arrondissement parisien (ils comprendront). J’avoue avoir accepté cette proposition par pure folie. Aussi, par vile prétention certainement. Enfin…bon allons, « Analyste Politique en chef du think tank indépendant Terangaweb – L’Afrique des Idées » fait plus sexy sur un cv que « Responsable du contrôle du niveau du stock de ketchup d’un fast food dakarois ».

Et l’aventure commença cet été…

Depuis, avec mes rédacteurs pour qui j’ai un immense respect et à qui j’ai conscience de demander souvent beaucoup parfois trop, que d’articles pondus, chaque semaine, dans le dessein constant de maintenir intacte la flamme politique de Terangaweb ! Moustapha Mbengue s’est indigné de la barbarie qui sévit actuellement au nord du Mali et, au delà, du péril fondamentaliste qui guette toute la bande du Sahel. Au Mali toujours, le crime contre la mémoire perpétré à Tombouctou a particulièrement ému l’auteur de ces lignes. Racine Demba, dans un discours sincère et tranché, a attiré l’attention sur le drame qui sévit dans l’Est de la RDC, et qui risque de maintenir encore longtemps ce pays immense par la géographie et le potentiel économique dans le joug de la violence et de la terreur. Dans la même veine, il a dénoncé la main scandaleuse de Paul Kagamé dans le chaos congolais. Pape Modou Diouf a lui dessiné les contours de ce que devra être le partenariat UE-Afrique dans cette décennie qui vient de s’ouvrir. La violence intestine au Nigeria n’a pas non plus échappé à la plume vivace de mes rédacteurs. Blaise Sene a peint un pays aux énormes capacités qui tarde hélas à amorcer un réel virage pour enfin asseoir un leadership qualitatif en Afrique de l’Ouest. 

La jeunesse africaine étant le cœur de cible du message porteur d’espoir de Terangaweb, nous avons consacré un focus de trois articles au renouvellement nécessaire des élites politiques en Afrique. Dans cette série, Fary Ndao a soutenu le combat de Malick Noël pour la démocratisation des instances du parti socialiste sénégalais. Le cri de cœur de Malick Noël Seck, qui a finalement été exclu pour délit d’opinion dans un parti qui se dit démocratique, a été entendu et relayé par Terangaweb. Julius Malema, étoile montante et controversée de la classe politique sud africaine, a été ausculté sur le divan de Vincent Rouget ; et au delà nous nous sommes intéressés aux résidus réels ou supposés du socialisme au sein du monument sud africain qu’est l’ANC au travers d’un papier de Felix Duterte. Le combat de Wael Ghonim durant la révolution égyptienne qui a abouti au départ du despote Hosni Moubarak a été bien mis en évidence et salué au travers d’un portrait de haute facture réalisé par Racine Demba.

Ce fut ainsi un semestre plein d’idées et de prises de position qui ont, je l’espère, toujours cadré avec le souci de Terangaweb d’être un haut lieu de débats, donc de contradictions internes qui n’auront pas non plus laissé nos lecteurs sans réaction. Notre lectorat est seul juge du travail que nous avons accompli. Nous lui laissons cette prérogative, nous contenant de rester un laboratoire incubateur d’opinions sans transiger avec l’ambition de faire de Terangaweb une plateforme de dialogues critiques et d’éclosion des idées.

Et demain… 

L’Afrique bouge. Nous continuerons – c’est dans nos gènes – d’accompagner ce processus de mobilité des lignes politiques, toujours dans une ambition sérieuse et rigoureuse. Nous allons suivre de très près ce qui se passera en 2013 au Maghreb afin d’analyser, de discuter et de prendre position sur l’issue du Printemps arabe. Cela, toujours en ayant à cœur de défendre l’émergence politique et social afin de participer, à notre manière, à ce que cette révolution romantique menée par la jeunesse du Maghreb, débouche vers un vrai tournant progressiste. 

Au Sénégal, pays d’un grand nombre de mes rédacteurs, nous avons observé avec une vigilance certaine le résultat de cette transition démocratique saluée partout sur le Continent. Macky Sall et son régime sont avertis, nous continuerons à le faire sans chauvinisme ni parti pris. Nous allons également inaugurer avec nos lecteurs un nouveau rendez-vous sous la forme d’un éditorial politique mensuel. Partout sur le Continent nous tenterons de prêcher l’Afro-responsabilité car les idées doivent circuler quelque soit l’imperméabilité des frontières.

2013 sera une année charnière pour la rubrique Analyse Politique car nous sommes attendus au tournant. Rassurez-vous, nous aurons toujours comme horizon la qualité, le sérieux et la rigueur gages du professionnalisme et de la crédibilité. Pour ce faire, la rubrique essayera toujours d’être au rendez-vous. J’ai l’habitude de dire à mes camarades que terangaweb.com n’est pas un médium au sens classique. Nous ne faisons pas de l’information ; les journalistes le font mieux que nous. Nous sommes un think tank avec tout ce que le concept recoupe. Nous déclinons une opinion ; ce qui veut dire que même au sein de la rédaction nous ne tombons pas très souvent d’accord. D’ailleurs jamais. Le but est de toujours aller au delà de nos convictions sur des sujets souvent très clivants pour faire émerger, deux fois par semaine, une cohérence qui cadre avec l’esprit Terangaweb. Voici notre plus grand challenge. C’est cela le débat d’idées entre jeunes intellectuels aux origines, parcours et convictions politiques, idéologiques et religieuses différentes. 

Je ne m’impose et impose à mes rédacteurs qu’un argumentaire solide qui doit fondamentalement sous-tendre une opinion avancée, qu’elle quelle soit. Il m’est arrivé souvent de corriger (à la marge), changer un mot, une phrase, réécrire un passage, mais je n’ai jamais changé une idée car elle ne me convenait pas. Je n’ai jamais refusé un papier pour les idées y développées. La Direction de Terangaweb ne m’a non plus jamais imposé un droit de regard sur l’orientation de la production de la rubrique. Censure est un mot inconnu dans la maison ; de toutes façons, l’exigence de responsabilité est la chose la mieux partagée chez nous. 

Terangaweb est dorénavant une réalité incontestable dans le paysage intellectuel africain. Le défi est de maintenir cet acquis et d’aller plus loin sur cette voie du professionnalisme à force de labeur. Le travail de la rubrique Analyse Politique, comme dans toutes les autres, demande du temps et des moyens conséquents. Nous ne pouvons pas tout faire. Nous avons besoin de tous les talents où qu’ils soient en Afrique et ailleurs. Au début fut une personne, puis deux, trois, aujourd’hui nous sommes une bonne soixantaine tous motivés, tous bénévoles, à remplir la mission qui revient à notre génération. Nous n’avons pas le droit de la trahir. Au contraire. La maison est suffisamment large pour accueillir tous les profils dans une exigence de sérieux et de rigueur. Toutefois, nous ne dérogerons pas à notre ligne. C’est ce qui fait notre identité.

Lisez-nous, c’est déjà un grand honneur que vous nous faites. Commentez, relayez, discutez, critiquez, huez, conspuez car « sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ». Mais surtout rejoignez-nous ! Venez vous joindre à cette belle aventure car nous avons besoin de vous, vos plumes, vos idées et votre ambition de servir le progrès social et la transmission démocratique des idées. 

Je souhaite une bonne année 2013 à mes rédacteurs, mes héros ! Bonne année, au travers des pays et des continents, à toute l’équipe de Terangaweb ! Bonne année à toi, cher lecteur et (je l’espère) futur Terangawebien
A tous, je transmets un merci très politique…

Hamidou ANNE
Responsable de la rubrique Analyse Politique

Diplomatie et hégémonie régionale en Afrique subsaharienne (2)

La géographie du Congo ou l'économie du Gabon : à qui le Centre ?

RDC
« L’Afrique est un revolver dont la gâchette est le Congo », disait Frantz Fanon. Cette assertion sonne comme un vœu pieux tant la RDC, à l’image de l’ensemble des Etats d'Afrique centrale, semble loin de l'émergence politique et économique. L’instabilité chronique dans cette région en est la cause principale. Le Congo, territoire immense aux ressources naturelles abondantes semble victime d'une malédiction. Son décollage aux premières lueurs de l'indépendance a été altéré par l'épopée de Mobutu ; les années qui suivirent son éviction du pouvoir furent marquées par un changement de direction politique qui n’a toutefois pas permis de rompre avec les vieux démons de la violence et d’une exploitation prédatrice des ressources nationales. L'est de la RDC est une zone poudrière qui est, à elle seuls, un nœud diffus de problèmes et d'enjeux multiples. En effet, sur ce territoire frontalier du Rwanda, cohabitent une multitude de groupes armés avec tous des agendas et des structurations différents. On y retrouve les Maï Maï, les Interhamwe, les FDLR, les rebelles du M23, les dissidents du RCD-Goma, etc.

Rwanda
A coté de cette kyrielle d'organisations militaires, le voisin rwandais est aussi une donnée à analyser avec grand intérêt. Paul Kagamé, président du Rwanda est constamment accusé de fragiliser et déstabiliser la RDC en accordant son soutien aux groupes armés qui opèrent sur le territoire congolais, avec comme base arrière le sol rwandais. Son but serait de disposer ainsi d'un levier de pression sur son puissant voisin. C'est une stratégie hélas courante sur le continent, utilisée par la Gambie qui s’est longtemps servie de la Casamance comme un moyen de pression sur le Sénégal ou de l'Algérie, qui s'appuie sur le Front Polisario pour contrarier le Maroc, etc.
L’impulsion derrière la diplomatie de Paul Kagamé est d’assumer un rôle de premier plan dans la région des Grands Lacs et, au delà, en Afrique de l'Est. Le Rwanda s'est donné les moyens de cette politique de retour après les tragiques épisodes du génocide de 1994 par le biais d'une diplomatie active et d'une économie en forte croissance.. Ce retour s’effectue avec le soutien des Etats Unis et de la Grande Bretagne qui accueillent avec bienveillance ce pays dans leur giron. Faut-il rappeler que le Rwanda post-génocide a tourné le dos à la France, allant même jusqu'à renier son identité francophone. Le rôle joué par Paris durant le génocide de 1994 reste controversé.

Gabon
Par ailleurs, dans la région centrale de l'Afrique, le Gabon occupe une place particulière malgré la modestie de sa taille et de sa population. Ainsi, ce pays joue un rôle de premier plan au sein de la CEMAC dont il est la locomotive, eu égard à sa puissance économique et financière. Le Gabon a pu s'appuyer sur ses richesses issues du pétrole pour acquérir une importance et une notoriété qui dépassent au-delà des frontières du continent. Cette importance du Gabon sur la scène internationale est aussi le fait d'une diplomatie généreuse surtout vis-à-vis de l'ancienne puissance coloniale. En effet, Omar Bongo a fini par symboliser, à lui seul, les méfaits et travers de la « Françafrique ». Sa loyauté vis-à-vis de la France a fait du Gabon un pays privilégié du pré-carré et une sorte de prolongement de l'ancienne métropole en Afrique. Omar Bongo a été fidèle à la France, que celle-ci soit de gauche ou de droite. Et elle le lui a bien rendu, notamment avec la présence de Nicolas Sarkozy à ses obsèques et l’acquiescement de l'Elysée à la transmission quasi-filiale du pouvoir à Ali Bongo, en porte-à-faux avec ses imprécations au respect de la démocratie et à la transparence dans les processus électoraux en Afrique.

Malgré elle, la Somalie plaque tournante d'une lutte d'influence féroce

La Somalie
L'Afrique orientale est sans doute la zone la plus troublée du continent avec une instabilité notoire entre les deux voisins Soudanais, les troubles frontaliers entre l'Ethiopie et son voisin érythréen, les visées rwandaises sur une partie du territoire congolais et la désagrégation de la Somalie qui est aujourd’hui, peut-être plus que l’Afghanistan, le modèle du failed state.
Aux côtés de Kigali, Nairobi et Addis-Abeba veulent aussi se positionner, voire se maintenir comme les acteurs majeurs de la zone. Curieusement, la Somalie constitue une zone d'exercice de l'influence que ces pays cultivent en Afrique orientale. La faillite de ce pays, divisé de fait en plusieurs micro-entités aux mains de chefs de guerre, de fondamentalistes shebabs et de pirates opérant dans le golfe d'Aden, inspire de la part de ses voisins une entreprise de normalisation qui cache mal un dessein hégémonique régional.

Le Kenya
Le Kenya, d’ordinaire réservé sur le plan militaire, a envahi le territoire somalien afin de combattre les milices islamistes qui ont procédé à des enlèvements de touristes et de travailleurs humanitaires étrangers sur le sol kenyan. L'Ethiopie a suivi en investissant la Somalie afin de combattre aussi les shebabs et d’éviter ainsi une jonction avec les populations autonomistes de l’Ogaden à majorité musulmane. Ces opérations, accompagnées d’un soutien logistique nécessaire au gouvernement provisoire somalien plus que dépendant de l'étranger, cachent mal une volonté des deux pays d’affirmer une puissance régionale dont le terrain de jeu est la Somalie.

Les luttes d'influence font rage en Afrique à l'instar des autres continents. Et il est intéressant de les appréhender selon une grille de lecture faisant appel à différents paramètres. Comment les intérêts nationaux peuvent-ils diverger, se croiser ou se compléter dans un grand ensemble qui est fortement tributaire des décisions et orientations prises hors de son sein ? En effet, il est courant de voir le continent africain indexé comme la cible d'une compétition hégémonique entre d'autres acteurs du jeu mondial. L'Europe qui veut préserver l'antériorité de son influence acquise par le biais du colonialisme. La Chine, qui se réveille et dont les besoins énergétiques orientent nécessairement vers le continent. L'Amérique qui veut intégrer l'Afrique dans son combat à visée universelle contre le terrorisme. C'est à oublier parfois qu'il existe une diplomatie intra africaine qui se pratique avec des leviers classiques de la politique étrangère dont dispose chaque Etat. Cette diplomatie est intéressante, notamment dans la mesure où elle se heurte aux difficultés structurelles qu'imposent souvent le caractère limité des moyens humains et matériels, mais également par la présence continue et influente des puissances occidentales à qui souvent revient le dernier mot sur des questions essentiellement afro-africaines. C'est ça aussi le paradoxe de l'Afrique, et cela ne fait que rendre la course hégémonie encore plus importante.

Hamidou Anne

Diplomatie et hégémonie régionale en Afrique subsaharienne (1)

Comprendre les mécanismes de la diplomatie en Afrique subsaharienne exige une flexibilité dont sont dépourvus les prismes classiques de lecture : rapports de force et jeux d’intérêts. Les relations diplomatiques en Afrique dépendent du politique, de l'économie, de la religion et des relations interethniques autant qu’elles répondent aux rapports de force entre entités étrangères qui trouvent en Afrique leur théâtre d'application.

Appréhender le continent comme un bloc monolithique ne concevant ses rapports diplomatiques que vis-à-vis d'autres ensembles géopolitiques comme l'UE, les USA ou l'Asie serait une erreur. Il existe une diplomatie intra africaine avec ses rapports de forces, ses luttes d'influence et ses alliances de circonstance résultats intense compétition économique, politique et militaire dans laquelle aucun cadeau n'est permis.

L'Afrique australe tirée par un arc en ciel géant

Afrique du Sud

Deux décennies après la fin de l'Apartheid, l'Afrique du Sud assume un leadership certain au sein de la South African Development Community (SADC) ; une position acquise et maintenue grâce à sa superficie, sa démographie et surtout une puissance économique associée à une grande stabilité politique. Compte tenu du rôle central de ce pays par rapport aux problématiques de la zone, il est peu probable que cette situation soit amenée à évoluer.

Mais assez étonnamment, ce leadership tarde à se matérialiser par des actes concrets et de grande incidence sur la zone d'influence naturelle de ce pays. En effet, l'Afrique du Sud, à la différence de plusieurs autres “Etats pivots”, selon le concept de Kissinger, n 'a toujours pas réussi à imposer une influence définitive sur ses voisins immédiats.

Plus encore, la crise politique qui a sanctionné la fin du second mandat de Thabo Mbeki et la rupture qui a frappé l'ANC avec la naissance du COP (mouvement fondé par des dissidents proches de Mbeki) ont laissé apparaître un début de fissure au sein du parti qui règne sans partage depuis la fin de l'apartheid. Cette crise est essentiellement d'ordre idéologique, car elle met en exergue une timide ligne de fracture entre l'aile gauche de l'ANC, radicale dans son approche et ses méthodes (Zuma, Malema) et l'aile droite, plus modérée, que symbolisaient Mbeki et Lekota. Si, à l'avenir, cette divergence idéologique se creuse , elle peut déboucher sur une crise interne de plus grande envergure qui peut remettre en cause le leadership diplomatique de l'Afrique du Sud dans la région et en Afrique de façon globale.

Zimbabwe
Au Zimbabwe, Robert Mugabe demeure encore au pouvoir malgré son attitude continue de défiance vis-à-vis de la communauté internationale. Dans ce dossier, le géant sud-africain, qui pour des raisons historiques liées à un passé commun, accorde un soutien indéfectible à son encombrant allié, est très mal à l'aise. Sa position allant bien évidemment en contresens de la réprobation que le régime de Mugabe inspire depuis la réforme agraire qui a plongé le pays dans un profond chaos social, depuis le milieu des années 1990.

Namibie
Dans un autre registre, la Namibie confirme son ancrage démocratique malgré l’hyper domination du parti au pouvoir, la SWAPO (South West Africa People's Organisation), avec la réélection de Hifikepunye Pohamba – élu une première fois en 2004, confortablement reconduit en 2009 – qui marche doctement dans les pas de Sam Nujoma, le « Père de la nation ». Mais le pays continue résolument une trajectoire isolationniste symptomatique d'un fort désintérêt pour les questions d'intégration ou même d'unité africaine.

Angola
Contrairement à ces deux cas, l'Angola a amorcé depuis quelques années un grand virage qui pourrait en faire un géant diplomatique, à même de rivaliser avec l’Afrique du Sud, et sur lequel il faudra naturellement compter dans les toutes prochaines années. Ce pays sorti d'une guerre civile qui dura près de trois décennies (1975-2002), a vécu sa convalescence d'une façon relativement positive. Profitant de la rente du pétrole et de son ouverture aux capitaux étrangers, l'Angola a su aussi profiter de l'arrivée massive de la Chine sur le continent. La bonne santé économique s'accompagnant, souvent d'une ambition militaire croissante, l'armée angolaise est de plus en plus présente dans certains théâtres d'opérations, parfois bien éloignés. Ainsi, de nombreux observateurs ont été surpris de voir les soldats angolais investir la Guinée Bissau après le coup d'Etat de 2012 qui a encore rompu le fonctionnement des institutions bissau-guinéennes. Luanda dispute t-il le leadership en Afrique australe à Pretoria ?

A quand le tour du Nigéria ?

Nigéria
Toutes les circonstances géographiques, économiques et humaines concourent à accorder au Nigeria un rôle hégémonique en Afrique de l'Ouest. La nation fédérale est le pays le plus peuplé d’Afrique et membre du cercle très fermé des pays producteurs de pétrole. Le Nigéria aurait naturellement dû s'arroger le titre de géant de la région. Il n'en est rien compte tenu de plusieurs facteurs endogènes.
Premièrement, l'instabilité institutionnelle marquée par la multitude des coups d'Etat et des régimes autoritaires a longtemps privé ce pays de la reconnaissance généralement accordée aux pays démocratiques et d’état de droit. En outre, la situation ethnico-religieuse extrêmement tendue, avec des affrontements meurtriers réguliers entre communautés musulmane et chrétienne, pose la question d’une unité nationale incomplète, accentuée par le fédéralisme, gangrenée par la violence et la corruption. La stabilité interne est une des conditions indispensables à toute diplomatie. Les capacités de projection du Nigéria sont aussi réelles (vu la force de frappe militaire et l'importance de son armée) qu’elles sont hypothétiques, du fait des instabilités internes et de la fragilité des institutions. Un pays peut difficilement espérer s'imposer sur la scène internationale sans au préalable avoir pu trouver une solution pacifique à des difficultés ethniques ou religieuses, avec la violence en toile de fond. D’autres questions se posent, en filigrane : le Nigeria prétend-il réellement à une place prépondérante sur la scène ouest-africaine ? Sa supériorité militaire est telle suffisamment solide pour en faire la tête de file d'une armée ouest africaine ? L'exemple de l'ECOMOG semble être pour le moment le seul haut fait de l'armée nigériane dans la région. Dans ce contexte où les crises multiformes se multiplient en Afrique de l'Ouest, la voix du Nigeria n’est pas aussi prépondérante qu’elle le devrait. A la seule exception du conflit post-électoral Ivoirien , où l’intervention de Goodluck Jonathan, agissant dans son rôle de président de la conférence des chefs d’états de la CEDEAO, fut déterminante.

L'islamisme radical a pour la première fois, en Afrique de l’Ouest, un territoire où décliner son ambition totalitaire. Le Mali a perdu le nord sous les assauts variés des milices touaregs et d'Ansar dine. La Guinée Bissau ne parvient décidément pas à clore son cycle des coups de force consubstantiel à la naissance de l'Etat. La Mauritanie montre de plus en plus de signes de nervosité avec récemment « l'accident » ubuesque du général Aziz. Sur toutes ces questions, l'on ressent plus l'implication d'autres Etats de la région comme le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire (qui est encore convalescente) et le Sénégal. Le Nigeria reste, résolument… inconstant. Cela peut être compris comme un refus d'Abuja de s'impliquer. L'ambition hégémonique est aussi une question de volonté qui rencontre des circonstances favorables. Les circonstances sont certes présentes, mais le Nigeria préfère faire fi du potentiel dont il dispose pour asseoir un leadership régional. En effet, même la présidence la Commission de la Cedeao ne fait pas courir Abuja contrairement à des pays comme le Ghana ou le Burkina Faso. 

Hamidou Anne

Quelle est la place de la Francophonie en Afrique ?

A la veille de l’ouverture du sommet de l’Organisation Internationale de la Francophonie en République Démocratique du Congo, pays aux multiples imbrications politiques et militaires, il est important d’analyser les enjeux de ce grand rendez-vous diplomatique en Afrique.

Il n’est pas fortuit de confier l’organisation de ce sommet à la RDC qui, il faut le rappeler, est le plus grand pays francophone au monde, avec ses 69 millions d’habitants.
 

Ce sommet pourrait être celui d’un nouveau tournant pour une organisation qui, tant bien que mal, ne cesse d’essayer de compter dans le jeu diplomatique mondial. Cela, du fait de l’intérêt croissant qu’elle accorde dorénavant aux problématiques liées à la paix, la démocratie, l’Etat de droit et la préservation des droits de l’homme.
 

Ce sommet en Afrique centrale comporte une importance capitale eu égard à l’importance du continent dans la préservation de l’identité francophone. L’Afrique est encore le dernier rempart de l’avancée massive de l’anglais sur les bases francophones. Faut-il rappeler que sur les 56 pays membres de plein exercice de l’OIF, 30 sont africains. En outre, selon les chiffres de l’organisation, 96 sur les 220 millions de locuteurs francophones dans le monde vivent en Afrique.
Dès lors, l’on ne peu négliger la place que devrait occuper l’OIF en Afrique et l’ambition qui devrait être sienne de toujours y solidifier ses bases.
 

La place de la francophonie en Afrique ne peut être analysée seulement à l’aune de la consolidation de la présence et de l’influence de la France sur le continent. Ce serait tout de même faire preuve d’une grande naïveté de faire fi de cet aspect. Mais les relations entre le continent et la langue française découlent d’un passé qui a vu des chefs d’Etat africains prôner, défendre et construire une entité regroupant tous les locuteurs de cette langue au lendemain des indépendances. Léopold Senghor, Habib Bourguiba, Hamani Diori…furent les pionniers de cette unité organique des francophones qui, au début, jouait le rôle de lien entre la France et ses anciennes colonies.
 

Si au départ, le sentiment d’appartenir à une même communauté cimentée par la langue a prévalu à la création de l’OIF, d’autres enjeux plus politiques ont rejoint le chapelet des principes, missions et objectifs qui délimitent le champ d’intervention de l’organisation.
Ainsi, l’OIF est de plus en plus présente, depuis la Déclaration de Bamako, sur les questions de démocratie, de paix et de droits de l’Homme.
 

C’est cette orientation, plus ou moins récente donnée à l’OIF qui a prévalu à l’établissement de plusieurs mécanismes avec des résultats encore relatifs sur le terrain. Ainsi, Abdou Diouf avait pris des positions tranchées lors de la crise ivoirienne en demandant à Gbagbo de quitter le pouvoir après son refus de se conformer au verdict des urnes.
D’ailleurs, trois pays ont encore subi les foudres de la communauté francophone. Le Mali, la Guinée Bissau et le Madagascar sont suspendus de l’OIF à la suite des crises qui ont vu le fonctionnement normal de leurs institutions rompus. Ces pays ne seront pas représentés au ballet diplomatique de Kinshasa et ne pourront réintégrer les structures de l’organisation que lorsque la démocratie y sera rétablie.

Mais malgré ses positions régulièrement déclinées sur le continent, l’OIF peine à s’imposer en Afrique comme un géant politique et diplomatique capable de peser un poids énorme dans la résolution des crises institutionnelles nombreuses encore sur le continent. Ainsi, lors de plusieurs conflits intra ou inter pays du continent, elle ne s’en remet souvent qu’aux laconiques et répétées déclarations de principe et autres appels souvent peu entendus et suivis.

La situation conflictuelle qui demeure entre la RDC et le Rwanda, et qui a contribué au « boycott » du sommet de Kinshasa par le président Kagamé, (il sera finalement représenté par sa ministre des affaires étrangères) malgré les pressions amicales d’Abdou Diouf sont symptomatiques de la faiblesse diplomatique de l’organisation.
Kinshasa devait pourtant valablement servir de cadre de dialogue propice entre les deux pays qui s’accusent mutuellement de déstabilisation par groupes armés interposés. On se souvient que Dakar servit de cadre, la veille du sommet de l’OCI, de signature d’un accord de paix entre le Tchad et le Soudan.

Cette absence de poids diplomatique réel en Afrique constitue une tare assez incompréhensible du fait du nombre conséquent de pays africains membres de l’OIF, du leadership qu’incarne depuis 2002 Abdou Diouf à la tête de l’organisation et des nombreux fonctionnaires issus du continent qui servent dans toutes les sphères de l’organisation.
En effet, il suffit d’effectuer un tour au 19-21 de l’avenue Bosquet, siège de l’OIF, pour se rendre compte de la place que cette organisation devrait occuper sur le continent eu égard au nombre important de ressortissants africains qui y travaillent.
 

Il faut maintenant observer le déroulement de Kinshasa 2012, attendre ses conclusions afin de voir ce qui va sortir de ce grand rendez-vous transcontinental. L’OIF exploitera t-elle enfin le fort potentiel qu’elle détient sur le continent ? La réponse, elle est en anglais, un crime de lèse-organisation, wait and see !
 

Hamidou Anne

L’Afrique selon Hollande : la nouvelle diplomatie française sur le continent

La conférence des ambassadeurs a été l’occasion pour François Hollande de décliner sa vision de ce que devra être la politique étrangère française durant le quinquennat qu’il vient d’entamer.
Dans un discours peu empreint de lyrisme, le numéro un français a évoqué les nouvelles priorités de la diplomatie française dans un contexte de redistributions des cartes de la géopolitique marqué par l’émergence des BRICS, la crise de l’Euro, l’enlisement des alliés au Moyen Orient, le drame syrien, la convalescence des pays du Maghreb, l’infiltration de groupes terroristes dans la bande du Sahel…
Dans son adresse aux diplomates, les rapports franco-africains ont tenu une grande place. Cette partie de l’intervention était très attendue sur le continent après une présidence de Nicolas Sarkozy tristement marquée par l’inoubliable discours de Dakar.

Un regain d’intérêt pour la Méditerranée

Dans la mise en œuvre de la diplomatie française en Afrique, François Hollande précise l’intérêt porté, depuis longtemps, par la France, à l’endroit des pays de la façade méditerranéenne. Il prône une relation, non plus seulement axée sur le volet sécuritaire ou de la gestion des questions migratoires qui furent les domaines de prédilection de la politique maghrébine de Sarkozy, mais une coopération dynamique en termes d'échanges économiques, universitaires et humains. Cela, notamment dans un contexte où de profonds changements politiques ont été charriés par le Printemps arabe. Il convient de rappeler, à ce sujet, que la France s’était distinguée tristement lors de la révolution tunisienne. En effet, la droite au pouvoir à Paris avait soutenu quasiment jusqu’au dernier moment le régime de Ben Ali ; cela en contradiction avec les aspirations du peuple tunisien. Le cas Michelle Alliot-Marie avait montré à l’époque toute la gêne qui avait gagné les autorités françaises dépassées par l’ampleur des évènements. Cette erreur d’appréciation avait couté à la France une quelconque implication lors des évènements en Egypte qui ont fini par emporter Hosni Moubarack.
Pour reprendre sa place dans cette région dont elle a été très présente, François Hollande a annoncé la nomination d'un Délégué interministériel à la Méditerranée en vue de la mise en œuvre de l'ambition française de développer une « Méditerranée de projets ».
Cette décision est une manière de relancer l’Union Pour la Méditerranée, qui est un legs du quinquennat de Nicolas Sarkozy, mais dont les résultats sur le terrain restent encore très en deçà des attentes qui avaient prévalu à sa création.


Repenser la coopération avec l’Afrique subsaharienne

En ce qui concerne le sujet des relations entre la France et les pays d’Afrique sub-saharienne, François Hollande annonce l'établissement d'une « nouvelle donne ». Il clame que la France continuera d'être présente en Afrique mais dans une approche différente du passé.
C’est cette ambition de nouer une nouvelle relation avec l’Afrique qui est la base du changement sémantique au traditionnel Ministère de la Coopération devenu dorénavant celui du Développement, avec à sa tête l’ancien député européen et membre des Verts, Pascal Canfin
Selon le Chef de l’Etat français, cette nouvelle approche vis-à-vis de l’Afrique se déclinera en trois axes : transparence dans les relations économiques et commerciales, vigilance dans l'application des règles démocratiques et respect de leur souveraineté et établissement d’une relation d'égalité et arrêt du discours « larmoyant » à l'endroit du continent.
Selon Hollande, l'Afrique regorge de potentialités, amorce une croissance économique et en est consciente.
Il a rappelé la proximité entre la France et le continent, notamment par le biais d’une langue commune, le français. D'ailleurs, en 2050, 80% (700 million d'individus) des francophones seront Africains. Selon plusieurs observateurs dans la capitale française, c’est cette communauté de destins tracée par l’usage d’une même langue qui a certainement convaincu le président français d’annoncer sa décision de se rendre au XIVème Sommet de la Francophonie prévu en RDC à la mi octobre.
Cette décision de se rendre à Kinshasa est d’une grande importance, compte tenu de ce que la participation du Chef de l’Etat français a été, un moment, remise en question eu égard au fait que sa présence pourrait être perçue comme une sorte de légitimation du pouvoir de Joseph Kabila, dont les conditions de réélection ont été jugées peu transparentes par la communauté internationale. Il s’y ajoute que, durant la campagne électorale française, le candidat Hollande avait reproché à son adversaire de ne pas s’abstenir de rencontrer des dictateurs se souciant peu de la question des droits de l’homme. On se rappelle de l’épisode de Mouammar Kadhafi dressant sa tente dans le jardin de l’hôtel Marigny ou de la participation de Bachar Al Assad aux festivités du 14 juillet en 2008.
Tout de même à Kinshasa, Hollande a promis de rencontrer les membres de l'opposition congolaise, la société civile et les militants associatifs car « c'est, selon lui, le sens de la nouvelle politique africaine de la France ». C’est probablement cette nouvelle politique française en Afrique accordant une place aux échanges avec la société civile et les acteurs locaux du monde associatif qui a été à l’initiative de la visite de Laurent Fabius au siège du Mouvement « Y’en a marre » à Dakar; visite qui avait suscité de nombreuses réactions dans la presse sénégalaise.

A l’heure des actes…

Mais au-delà des déclarations de principe et des intentions louables, le président français est attendu au tournant des actes concrets. En effet, en plein campagne électorale en 2007, son prédécesseur avait clamé sa volonté de faire table rase des relations franco-africaines antérieures. Sarkozy était perçu comme une icône de la nouvelle génération politique en France soucieuse de rompre avec la Françafrique et ses méthodes douteuses et rétrogrades.
A l’aune des faits, il n’en fut rien. Le sceau des pratiques malsaines continua d’envelopper les liens entre Paris et plusieurs capitales africaines. Jean-Marie Bockel, ancien Secrétaire d’Etat à la coopération, en fît les frais. Son seul tort fut d’avoir pris son chef au mot !
Il s’y ajoute que durant la campagne électorale de 2012, l’indigence des propositions du candidat Hollande en matière de politique étrangère avait frappé les observateurs, même les moins avertis.
Dans ses 60 engagements, il évoquait la rupture avec la Françafrique, l’accroissement de l’Aide publique au développement, l’intensification des relations entre la France et les pays du Maghreb et l’instauration d’une relation privilégiée avec les pays francophones d’Afrique.
Après la victoire du 6 mai dernier, l’heure est dorénavant au respect des promesses et à la mise en œuvre enfin d’une politique de développement entre Paris et les capitales du Sud. Il faut, pour ce faire, éviter les écueils du passé et poser cette relation nouvelle sur une base d’égalité, de respect et de pragmatisme afin de déboucher sur une plus-value réciproque.
Dans cette optique, quelques dossiers rythmeront ce quinquennat qui marque le retour de la gauche au pouvoir dix ans après Lionel Jospin.
La sempiternelle question de l’Aide publique au développement est parmi ceux-ci. L’erreur fatale est de continuer sur le fétichisme de l’APD. Cet instrument se heurte à la dure réalité des faits qui enseigne qu’il a, depuis des décennies, montré ses limites. La plupart des pays africains ayant bénéficié de l’APD n’ont pas connu l’essor attendu. Elle n’a longtemps servi qu’à enrichir des régimes sous le regard connivent des pays du Nord. Les travaux de François-Xavier Verschaeve sont là pour renseigner sur l’enrichissement d’hommes politiques en France et en Afrique autour de l’aide.
Ensuite, se pose toujours la question des forces françaises en Afrique. Les autorités françaises n’ont pas encore décliné une idée claire et précise sur le futur de ces troupes en Afrique soixante ans après les indépendances avec un calendrier de retrait ou une décision de redéploiement.
Enfin, en ce qui concerne la politique migratoire française, elle ne subira pas un grand changement. Car si Sarkozy ne percevait les relations franco-africaines que sous l’angle d’une immigration à réduire de façon vigoureuse, l’on va s’attendre à ce que cette question demeure au cœur des rapports entre Paris et nos capitales. Les récents rejets injustifiés et parfois ridicules de demandes de visa par les services consulaires français (notamment le cas du Pr agrégé sénégalais Oumar Sankharé) renseignent plus que tout autre discours sur la constance dans la démarche des autorités françaises en matière d’immigration.
En outre, les atermoiements au sein de la majorité de gauche sur le vote de la loi sur le vote des étrangers non communautaires aux élections locales (qui est une promesse du candidat Hollande) est un autre coup de semonce renseignant sur le conservatisme qui demeure dans les questions d’immigration et d’intégration au sein de la classe politique française.
La présence de Manuel Valls au ministère de l’Intérieur, quand on connaît ses positions en la matière, est une donnée supplémentaire à prendre en compte. Les démantèlements des camps de roms sont un avant-gout de ce que sera sa méthode à la place Beauvau.

 

Hamidou ANNE

La diplomatie sénégalaise à l’heure de la réforme

Un peu plus de 100 jours après sa prise de fonction, le ministre des Affaires Etrangères Sénégalais, Alioune Badara Cissé, a confirmé la réorientation de la diplomatie sénégalaise, qui aurait souffert d'incohérence dans sa gestion et ses orientations durant le dernier mandat d'Abdoulaye Wade. Il s'agit toutefois de réformes qui s'inscrivent dans une certaine continuité, le Sénégal ayant réussit à préserver certains de ses fondamentaux même sous Abdoulaye Wade : une voix qui continue de porter en Afrique, une présence dans les grands fora internationaux et l’organisation de grands rendez-vous internationaux comme le Sommet de l’Organisation de Coopération Islamique (OCI) en 2008. Mais l’on a aussi assisté à une diplomatie du spectacle marquée par une ouverture tous azimuts d’ambassades et de consulats, de sorties parfois malencontreuses et une certaine flexion sur les questions liées à la défense et la préservation des Droits de l’homme.

L’ouverture de certaines ambassades en Asie a permis de diversifier les partenaires du Sénégal. Le rétablissement des relations diplomatiques avec la République Populaire et Démocratique de Chine a aussi été une nécessité diplomatique. Néanmoins, l’érection de certaines chancelleries n’obéissait pas aux critères de bonne gestion de finances publiques quasi exsangues. Le Sénégal a connu une décennie difficile où plusieurs de ses indicateurs macroéconomiques étaient dans le rouge. Nonobstant ce fait, la conduite de la diplomatie n’a toujours pas répondu à une gestion rigoureuse basée sur des études sérieuses d’opportunité.

Il s’y ajoutait le caractère inopportun de la création d’un Ministère des Sénégalais de l’Extérieur, comme si l’on pouvait valablement séparer les aspects consulaires de la pratique diplomatique. Il s’est posé une sorte d’amputation des prérogatives du Ministère des affaires étrangères au profit d’une autre entité dont l’existence répondait à des règles en déphasage avec une gestion publique orthodoxe. Les nouvelles autorités, en revenant au principe d’un Département intégrant les Affaires étrangères et les Sénégalais de l’Extérieur, ont très vite corrigé le tir. Et le ministre occupant le premier rang protocolaire dans le gouvernement montre l'importance stratégique que revêt la diplomatie au sein du gouvernement pour les prochaines années.

L’arrivée au pouvoir du Président Macky Sall a coïncidé aussi avec l’imbrication des enjeux dans la sous région. Le terrorisme islamiste n’a jamais été aussi proche des frontières sénégalaises. Le réchauffement climatique menace les équilibres climatiques et la Casamance demeure encore une plaie béante qui tarde à être guérie. D’où certainement la décision pertinente de concentrer les efforts du Sénégal à la mise en œuvre d’une diplomatie sous régionale efficace axée sur le rapport de bon voisinage. C’est ainsi que doit être compris la première sortie du Chef de l’Etat consacrée à la Gambie. Mais l’ambition de faire de l'Afrique de l'Ouest et des pays frontaliers une priorité diplomatique ne doit point signifier un manque d’ambition et de vision à long terme. Les enjeux du monde actuel marqué par l’interconnexion des intelligences et des réseaux d’influence commandent aussi d’avoir un regard plus qu’attentif sur ce qui se passe en Europe de l’Ouest et aux USA où vivent de nombreux Sénégalais. Le Sénégal ne peut non plus détourner les yeux de ce qui se passe en Asie avec des puissances comme la Chine et l’Inde dont les partenariats sont assez soutenus avec le Sénégal. Les pays du Maghreb et du Mashreq aussi nécessitent une attention particulière notamment à l’ère de la convalescence post « printemps arabe » et du drame actuel syrien.

Concilier l'absence de moyens à la stratégie d'influence

La diplomatie c’est d’abord de l’influence, qui doit être étendue malgré la petitesse des moyens du pays. Et pour influencer, il faut impérativement être présent là où sont discutés et tranchés les grands problèmes du monde. Cet écueil est difficile à surmonter pour les pays en développement. Il s’agit en effet de concilier absence de moyens significatifs (maigres ressources financières, insuffisance de personnel compétent et faible présence dans certaines zones géographiques) et volonté de peser dans les instances internationales en sachant que la diplomatie est une question de rapport de forces et de jeu d’intérêt.

Ainsi, la rupture décrétée par les nouvelles autorités sénégalaises est intéressante à analyser à l’aune de leur ambition de recouvrer la place qui fût celle du Sénégal au sein du concert des nations. La situation économique difficile impose une réduction drastique des dépenses dans plusieurs segments de l’Etat. Au tout début, le dégraissage a concerné le nombre de ministres (limité à 25) ainsi que la suppression de plusieurs structures étatiques qui faisaient doublon avec l’administration classique. Dans cette « purge », la diplomatie n’a pas été épargnée car plusieurs missions diplomatiques et consulaires ont été fermées dans un souci d’économie. En outre, il a été décidé de finir avec le recrutement ou l’envoi d’un personnel pléthorique dans les ambassades et consulats qui étaient en déphasage avec l’ambition d’une diplomatie efficiente.

A la maitrise décrétée et salutaire des moyens financiers, humains et matériels s’allie un nouveau management public axé sur le résultat. Pour ce faire, des outils ont été déclinés pour atteindre les ambitions diplomatiques. Toutefois, la question se pose qui reste légitime : peut-on faire mieux avec moins ? Elle a été déjà posée en France notamment quand la droite au pouvoir a mis en œuvre la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) dont la mesure la plus célèbre fut le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux pour tailler dans les effectifs de la fonction publique. A cette question, la réponse pourrait être toute simple. Le Sénégal a plus rayonné dans le monde quand il possédait moins d’ambassades. Il convient de rappeler que nous présidons le Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien depuis 1975, sans oublier nos présences au Conseil de Sécurité de l’ONU, l’organisation du sommet de l’OCI de 1992, la présence massive de nos soldats dans les organisations de maintien de la paix… En somme, si le Sénégal est considéré comme une « petite grande puissance », c’est grâce à sa longue tradition de pays de négociation, d’ouverture, de paix, de tolérance et grâce à sa capacité à fournir des diplomates chevronnés dont certains ont dirigé ou dirigent encore des organisations multilatérales (Abdoul Karim Gaye, Jacques Diouf, Abdou Diouf…)

Le Sénégal est de retour donc. Que fera t-il ? L’avenir nous édifiera.

 

Hamidou Anne

Tombouctou ou notre « pari de civilisation »*

Les actes barbares que les islamistes perpètrent au nord du Mali sont un crime contre une civilisation. Ainsi, l’indignation formulée dans Le Monde, ce vendredi, par les anciens présidents Abdou Diouf et Jacques Chirac est salutaire.

 

Agir est devenu une impérieuse nécessité car ces hommes cumulent deux dangers : la désagrégation d’un Etat et la destruction d’une histoire plusieurs fois séculaires. Les bandes terroristes qui se sont emparées du nord du Mali lancent un défi à toutes les nations civilisées ; défi qu’il faudrait impérativement relever si nous ne voulons pas laisser à la postérité le souvenir de n’avoir pas agi quand des individus se sont attaqués à l’une des choses les plus fondamentales : la mémoire.

 

Les terroristes qui se drapent du manteau de l’Islam pour commettre leurs funestes forfaits ne s’attaquent pas seulement au Mali, mais à la conscience de tous les hommes. Tombouctou n’appartient pas à un pays. Ses vestiges historiques ont dépassé les contours de notre continent, ils sont un bien commun à la communauté des nations. Chaque individu, quel qu’il soit, détient une parcelle de ce joyau. Les mausolées profanés ne doivent pas constituer un choc uniquement pour les musulmans mais une marque indélébile de chagrin pour chacun, au delà des convictions religieuses.

 

La résolution des Nations Unies condamnant la rébellion islamiste est une avancée significative. Mais l’ONU doit aller plus loin en autorisant, sous le seau du Chapitre VII, l’envoi de troupes ouest africaines combattantes sur place. Il convient seulement de dessiner déjà les contours d’un plan politique de sortie de crise qui devra prendre le relais d’un succès militaire certain.

 

A Tombouctou se joue un destin pour notre civilisation. Nous avons l’obligation de sauver ce passé glorieux, cette grande civilisation menacée par des individus tenants d’une idéologie aux bases haineuses et rétrogrades.  

 

Abdelwahab Meddeb, théoricien d’un Islam en phase avec la modernité, avec qui je ne suis certes pas toujours d’accord, évoqua un jour la nécessité de réconcilier l’Islam et le logos. Le savoir ne devrait point s’éloigner de la pratique cultuelle, cela nous évite le risque de l’intégrisme, du fanatisme et au delà du fascisme.

 

Quel sacrilège que de voir la ville des médersas, de l’université islamique fondée au 15ème siècle accueillir aujourd’hui des illuminés à la solde d’une ambition obscurantiste contraire aux valeurs universelles qui régissent le fonctionnement des sociétés modernes. Les 333 Saints de la ville doivent en ce moment se remuer dans leur tombes car Tombouctou, « la perle du désert », est aux mains de terroristes honteusement drapés d’un manteau religieux aux antipodes des valeurs de paix, de tolérance et de respect de la liberté de conscience.

 

La communauté internationale a constaté, impuissante, l’horreur de la destruction des Bouddhas de Bamiyan en 2001, elle ne doit pas cette fois laisser les mêmes, sur une autre aire géographique, récidiver. Il y va de notre responsabilité de protéger notre passé et d’éviter que les séquelles ne touchent d’autres pays de la région.

 

Dans un monde aux repères difficilement identifiables, la protection de notre civilisation vaut tous les sacrifices. Si nous ne faisons rien face à ce projet totalitaire, nous aurons privé aux générations futures le droit de jouir entièrement de leur civilisation.

Hamidou ANNE

 

* Le titre est emprunté à un ouvrage d’Abdelwahab Meddeb