Présidentielles du 29 Juillet : « Le Mali a besoin d’un président fort qui saura rétablir l’autorité de l’État ».

Dans quelques jours, le peuple Malien est appelé à choisir celle ou celui qui conduira sa destinée durant les cinq prochaines années. Quels sont les enjeux  du scrutin du 29 Juillet 2018 ? Hamidou DOUMBIA, porte-parole du parti YELEMA  et de son président Moussa Mara, a accepté de répondre aux questions de l’Afrique Des Idées à cet effet.

 

Bonjour Mr  DOUMBIA.

Bonjour Mr GNASSOUNOU, bonjour aux membres du Think tank l’Afrique Des Idées.

En toute objectivité quel bilan dressez-vous du quinquennat écoulé?

Le bilan du président  Ibrahim Boubacar Keita dit IBK n’est pas élogieux , les maliens sont déçus .

Quels ont été les grands échecs de ce quinquennat?

L’élection du président IBK avait suscité beaucoup d’espoirs dans notre pays car il était perçu comme l’homme de la situation pour l’écrasante majorité de la population ; d’où son score de 77 % au second tour des élections présidentielles . Il avait principalement séduit nos compatriotes par son slogan :  » Pour l’honneur du Mali et le bonheur des maliens « . Cinq années après cette élection , il  est légitime de se  demander s’il a pu restaurer cet honneur et s’il a pu assurer le bonheur des maliens . Pour ma part, je répondrai par la négative pour  deux raisons.  Tout d’abord le président IBK a échoué en ne parvenant pas à sécuriser notre pays ; en effet la crise sécuritaire au lieu de s’atténuer ,s’est aggravée avec l’insécurité au centre et dans les grandes villes. L’honneur pour  les maliens était de retrouver l’intégrité de leur territoire , le président IBK n’a pas pu le faire ; l’honneur pour nous était de  retrouver un État fort , IBK n’a pas pu le faire .

Ensuite, sur le plan économique, , il s’agissait d’accroitre les revenus de nos compatriotes. Aujourd’hui les prix des denrées alimentaires n’ont jamais été aussi élevés. Pire, 4 millions de maliens sont menacés de faim . Juste pour vous dire  à quel point l’échec du président  sortant est évident .

L’un des gros échecs de ce quinquennat  fut  l’abandon du processus référendaire  de modification constitutionnelle. Le prochain président doit-il remettre sur la table le projet de révision constitutionnelle du président Keita ?

Effectivement le projet de révision constitutionnelle a été un échec . je crois toutefois, que son échec est surtout du à certaines dispositions qui n’étaient pas du genre à rassurer les maliens. Notamment l’accroissement des pouvoirs du président  de la république qui est perçu par nos compatriotes comme un recul de  la démocratie . Cependant, force est de reconnaitre que la situation actuelle de notre pays exige une révision constitutionnelle . La constitution que nous avons aujourd’hui  est veille de 27 ans. Par conséquent, certaines modifications doivent y être apportées . Aussi, faut-il  appliquer  l’accord de paix issu du processus d’Alger. Pour cela, il nous faut faire une révision constitutionnelle . C’est pour cette raison que notre candidat (Cheikh Modibo Diarra) propose une révision de la constitution dès le début de son mandat , puis s’en suivra un chronogramme d’application de l’accord qui sera appliqué véritablement  en 18 mois. Je vous rappelle que le président IBK avait 24 mois pour l’appliquer , et qu’en trois ans , cet accord n’est pas appliqué  à 20% , un autre échec du président IBK.

Le président de votre parti veut faire de la politique autrement. Se rallier à Cheikh Modibo Diarra, est-ce faire de la politique autrement ou simplement s’agit-il d’un aveu d’incapacité à gagner les prochaines échéances électorales ?

Cette décision émane du peuple malien . Vous savez ,le président de notre parti de 2013 à aujourd’hui est l’homme politique qui a le plus sillonné le Mali profond en visitant plus de 200 communes de notre pays et 40 cercles. Lors de toutes ces rencontres , il lui a été demandé de mettre tout en œuvre pour que les hommes qui incarnent l’alternance systémique se mettent ensemble . Faire la politique autrement, c’est de mettre le Mali au-dessus de ses intérêts personnels , c’est ce que le président de notre parti a fait et nous en sommes fiers . Le Docteur Cheick Modibo DIARRA partage les mêmes valeurs que nous et en nous mettant ensemble , nous augmentons les chances de victoire des partisans de l’alternance systémique . Notre choix est un choix de raison et de patriotisme car si le Mali tombe dans les mains de ceux qui sont à la base des problèmes de nos compatriotes , c’est la survie de notre pays qui serait en jeu. Donc pour éviter cela , aucun sacrifice n’est de trop.

 24 candidats au premier tour des élections ; il y en avait 27 lors des dernières élections présidentielles.  Y-a-t-il trop de candidatures ?

Je trouve sincèrement que l’on pouvait avoir moins de candidats que ça . Beaucoup de candidats ne sont pas connus des maliens pour n’avoir pas été actifs ces dernières années et un beau jour , ils se lèvent pour briguer la magistrature suprême. La confiance des maliens se mérite. Ils doivent comprendre que l’élection du président de la république n’est pas une élection de chef de quartier ou de village. Nous faisons partie au niveau de  YELEMA de ceux qui prônent  une alternance systémique dans notre pays. C’est pourquoi, lors de notre congrès de novembre 2017 , il a été instruit à notre Comité Exécutif Central de se battre pour une candidature unique des forces du changement même si cette candidature n’était pas issue de nos rangs . Je pense donc que l’on doit travailler à réduire les candidatures pour que les électeurs nous prennent au sérieux .

Quels doivent être  à votre avis la personnalité et le caractère du prochain président de la République ?

Le prochain président de la République doit être un rassembleur , il doit être un homme dont l’intégrité ne souffre d’aucun doute . Il doit être un homme qui a fait ses preuves , qui s’est construit avant de rentrer dans la politique . Nous avons besoin d’un président fort qui saura rétablir l’autorité de l’État .

Les Maliens ont semble-t-il perdu confiance en la politique ? Pensez-vous que ce  constat est véridique ?Que doit faire le prochain président au cours de ses  six premiers mois pour redonner confiance aux populations ?

Les maliens ont perdu confiance aux politiques et c’est tout à fait normal . Ceux qui ont été les principaux acteurs de la scène politique depuis l’avènement de la démocratie en 1991 n’ont pas été de bons exemples pour la plupart. La corruption , le clientélisme , la gabegie sont des pratiques courantes dans notre pays et c’est au niveau des élites que ça se passe le plus souvent . Ces pratiques ont concouru de manière progressive à faire qu’aujourd’hui les maliens ne croient plus aux hommes politiques . Je vous donne juste une anecdote : Au Mali quand on ment beaucoup , on te dit tu mens comme un politicien . Donc pour dire l’ampleur de cette rupture de confiance .

Le prochain président de la république doit rapidement prendre des mesures de refondations de notre État . Il doit vite montrer l’exemple en prenant les mesures fortes contre la corruption qui gangrène notre société . C’est pourquoi nous prévoyons dès l’élection de notre candidat que les 100 premiers responsables de l’État puissent publier leurs patrimoines  dans un journal officiel et dans tous les médias. Nous allons publier les revenus de tous les responsables pour que les maliens puissent voir si leur train de vie est conforme à leurs revenus. La possibilité sera donnée à nos compatriotes de se plaindre si d’aventure ils constatent une inadéquation entre les revenus et les trains de vie . Pour restaurer la confiance et l’espoir nous devons prendre des mesures fortes qui peuvent rassurer nos compatriotes . Aujourd’hui le gouvernement compte une trentaine  de membres. Nous allons réduire le nombre de membres du  gouvernement à seulement vingt membres pour faire des économies. Les maliens veulent un président qui peut les rassembler , qui peut recouvrer l’intégrité de leur territoire .Les premières actions du prochain président doivent  donc aller dans ce sens .

Parlons de Ras Bath, une personnalité phare de la société civile depuis les  soulèvements  contre la révision constitutionnelle  et qui occupe un espace  de plus en plus  important dans la sphère  politique. Assistons-nous à l’émergence d’une société civile puissante au Mali ou s’agit-il simplement d’un populisme d’un autre genre ?

Effectivement la révision constitutionnelle nous a montré que la société civile veille sur les politiques. Le chroniqueur Ras Bath s’est fait un nom car il est celui que les pauvres considèrent comme leur voix et celui qui les défend face aux dérives des hommes politiques . Il est bon comme chroniqueur .

S’est-il fourvoyé en soutenant Soumaila  Cissé, un des caciques de la classe politique ?

 Ce qui est sûr , il disait dans un passé récent que le cadavre d’IBK valait mieux que Soumaïla CISSE donc les observateurs étaient étonnés de le voir soutenir celui-ci . C’est ce qui fait aujourd’hui qu’il y’a beaucoup de ses auditeurs qui ont été déçus . Il a fait un choix , qu’il assume et le peuple  en jugera .

Pour finir, faisons un peu de  politique fiction : Nous sommes le 29 juillet 2023.Le pays reprend du poil de la bête sur le plan économique, l’insécurité a reculé mais la question du nord Mali n’a toujours pas de solution pérenne.  Considéreriez-vous que le  président sortant aura raté son quinquennat ?

(Rires )…. Raté ce serait trop dire , le problème du nord ne peut pas se régler définitivement en seulement cinq ans . C’est un problème profond qu’il convient de résoudre progressivement sans faire dans la démagogie . Un problème qui existe il y’a plus de 30 ans ne peut être résolu définitivement en cinq années d’exercice de pouvoir. Ce qui est sûr à la fin  du quinquennat , il n’y aurait plus de groupes armées sur notre territoire hormis la nouvelle armée reconstituée du Mali . Ce qui est sûr , le niveau de vie du malien sera élevé à un niveau jamais égalé ses dernières années . Les maliens connaitront le vrai bonheur et nous allons restaurer l’espoir car nous sommes les vrais restaurateurs de l’espoir .

Monsieur, Doumbia, Merci d’avoir répondu aux questions de l’Afrique Des Idées.

 

Interview réalisé par Giani GNASSOUNOU pour l’Afrique Des Idées.

 

Révision de la constitution au Mali : Des avancées à la Pyrrhus

Ils sont nombreux ces chefs d’Etat qui ont essayé d’actualiser la loi fondamentale du Mali. D’Alpha Omar Konaré à Amadou Toumani Touré, le résultat s’est toujours soldé par un échec. Le président Ibrahim BoubaKar dit IBK va peut-être rompre avec une réalité tellement ancrée dans la pratique politique qu’elle n’était pas loin d’en devenir une tradition. Ce n’est cependant pas tant les verrous juridiques empêchant une facile modification de la constitution que la volonté collective des Maliens qui a retardé une telle révision. Les évènements de ces dernières années, notamment la guerre au nord du pays, ont constitué un élément accélérateur de la nécessité d’une modification. En effet, l’accord d’Alger signé le 20 juin 2015 par le groupe rebel AZAWAD nécessite, pour une mise en œuvre efficiente, une refonte de la loi fondamentale.[1]

Un projet de loi a en conséquence été introduite à l’Assemblée Nationale par le gouvernement et doit faire l’objet d’un vote référendaire pour entériner son adoption ou acter son rejet. Ce projet de loi fait surtout l’objet d’une vive contestation au sein de la classe politique. D’aucuns accusent le président IBK de rêver d’une présidence autoritariste où il détiendrait les pleins pouvoirs exécutifs et une influence considérable sur les autres institutions de la République. La majorité présidentielle dénonce, de son coté, une opposition prête à tout pour s’opposer et soutient que son projet de loi est une avancée pour la démocratie malienne.

Démêler le vrai du faux, la dénonciation politicienne de la critique républicaine, telles sont les tâches auxquelles le présent article va s’atteler.

De notables avancées institutionnelles

Depuis la révolution du 25 mars 1991[2], le Mali est souvent salué dans la sous-région pour la réussite de ses échéances électorales. Ce n’est qu’avec la crise sociopolitique de 2012 que la culture démocratique du Mali a été fortement ébranlée. Certaines dispositions du projet de révision constitutionnelle viennent rappeler l’attachement du pays à la démocratie.

En effet, l’article 143 alinéa 4 prévoit que la modification des dispositions relatives à la limitation ou la durée du mandat présidentiel ne pourra se faire que par voie référendaire. Il s’agit là d’une grande avancée démocratique en comparaison aux récents évènements survenus dans la sous-région. L’échec de la tentative de révision constitutionnelle via le congrès de l’ex président Burkinabé, Blaise CAMPAORE, a fort probablement servi de repère au gouvernement malien. Pour des pays africains, en quête de solidité démocratique, c’est certainement un gage supplémentaire de stabilité institutionnelle et politique que de réserver au seul arbitrage populaire la modification d’une telle norme fondamentale.  En France, par exemple, le recours au congrès par le président Chirac pour adopter les traités européens suite au rejet de la constitution européenne par voie référendaire, avait été qualifié de déni de démocratie par une partie de la classe politique et de la société civile[3].

La mise en place d’une circonscription électorale pour la diaspora

Après le Sénégal, le gouvernement malien veut également octroyer à la diaspora le droit de siéger au parlement. L’adoption de cette disposition constituera une avancée majeure en ce qui concerne la conformité de la loi fondamentale à la réalité sociale. Le poids économique de la diaspora malienne est en effet d’une importance non négligeable[4]. Mis à part   la jouissance de ses droits politiques, il était nécessaire que la représentativité de la diaspora soit matérialisée par sa présence à l’assemblée nationale. Si cette analyse est vraie pour le Mali, elle peut être dupliquée dans de nombreux autres pays africains où la diaspora est devenue un acteur économique et social important (selon des travaux de l'AfDB).

La prise en compte de la question environnementale dans la constitution

L’Afrique est frappée de plein fouet par le changement climatique alors même que le continent ne fait pas partie des gros pollueurs de la planète. Le Mali, en particulier, a vu sa production agropastorale diminuer drastiquement en raison de la forte sécheresse. En 2015, des reporters du site www.sahelien.com ont enquêté au nord du pays. Près de 75.000 enfants étaient menacés de malnutrition selon leur rapport. Le gouvernement a décidé d’inscrire la question climatique dans la norme constitutionnelle par la mise en place d’un « Conseil économique et environnemental ».

Si la prise en compte de la problématique environnementale est une innovation majeure  à saluer, certaines dispositions du projet de révision peuvent laisser sceptiques.

Un présidentialisme revendiqué

L’opposition et la société civile sont vent debout contre la révision constitutionnelle qui fera sans doute passer le Mali d’un régime semi-présidentiel à un véritable régime présidentiel voire présidentialiste.

Dans le projet de loi du gouvernement,  les prérogatives du président de la république sont considérablement accrues. A titre d’exemple, le président nommerait le président de la cour constitutionnelle alors que ce dernier est choisi par ses pairs dans la présente loi fondamentale. Les détracteurs du président IBK dénonce une machination du président sortant dans le but d’assurer sa réélection en 2018. C’est en effet le président de la cour constitutionnelle qui dispose des prérogatives de proclamation définitive des élections présidentielles. La révision met également en place un bicaméralisme inégalitaire par la création du Sénat. Le président sera chargé de nommer le tiers des membres devant siéger dans la chambre haute alors que le reste des sénateurs sera issu d’une élection au suffrage universel indirect. Là encore, les opposants dénoncent un subtil moyen du président IBK de mettre dans sa poche les responsables de la société civile, les responsables religieux et certains responsables de collectivités territoriales avec en ligne de mire les prochaines consultations électorales.

Conformément à l’actuelle constitution, le président de la république nomme le premier ministre ; mais le chef de l’Etat ne peut pas contraindre le premier ministre à quitter ses fonctions. Le premier ministre ne peut quitter son poste (excepté dans l’hypothèse d’une motion de censure à l’assemblée nationale) qu’en cas de démission. Cette démission constitue un acte positif et volontaire de sa part.

Avec la réforme, le président de la république pourra limoger le premier ministre qu’il aura choisi. D’un point de vue du fonctionnement des institutions, la réforme sur ce point, semble cohérente. Elle permet surtout de constitutionnaliser une réalité factuelle.  Le premier ministre, lorsque la majorité parlementaire est du même bord politique que le président de la république, n’est qu’un instrument entre les mains du chef de l’Etat. Cette révision est d’autant plus cohérente que le même projet prévoit que « la politique de la nation » est déterminée par le président de la république. Or dans la constitution actuelle, c’est le premier ministre qui détermine et conduit la politique de la nation. C’est pour cette raison que le gouvernement que dirige le premier ministre est responsable devant le parlement. Il n’en sera plus de même, si les Maliens décident de valider le projet de révision du gouvernement. Ce sont de véritables signes du basculement d’un régime semi parlementaire vers un régime présidentiel.

L’irresponsabilité politique du président de la république : un oubli outrancier ?

Le projet présente cependant une certaine incohérence. Si en effet, le président détermine la politique de la nation et qu’il nomme et démet de ses fonctions le premier ministre, le chef de l’Etat devient le véritable chef de l’exécutif. Dans un souci d’équilibre des pouvoirs, il devrait pouvoir rendre compte devant le parlement sur la manière dont il utilise les larges pouvoirs constitutionnels qui lui sont conférés. Il n’en est malheureusement pas le cas, puisque le premier ministre et le gouvernement, (dont les prérogatives seront désormais limitées), restent responsables devant le parlement.

Le projet de révision semble érigé le président de la république en un monarque absolu qui n’a de compte à rendre que lors des échéances électorales. Les contre-pouvoirs n’existent presque pas dans le projet de loi proposé par  le gouvernement. Si la nomination des membres de la cour constitutionnelle ainsi que de leur président relève des prérogatives du chef de l’Etat, le parlement devrait disposer du pouvoir de valider ces nominations. C’est la pratique aux USA qui représentent  l'exemple type du régime présidentiel.

Toutes ces dispositions transférant d’importants pouvoirs au président de la république expliquent l’inquiétude d’une partie de l’opposition, de la société civile et des populations.  Cependant, une refonte profonde de la loi fondamentale du Mali est somme toute nécessaire, pour permettre à ce pays sahélien d’être gouverné différemment notamment par la mise en place d’une décentralisation très poussée. Il y va de la bonne administration des régions en l’occurrence celles de la partie septentrionale du pays.

Giani GNASSOUNOU


[1] Notamment en ce qui concerne l’administration de l’Etat. L’accord prévoit un transfert d’un certain nombre de compétences du pouvoir central vers les collectivités territoriales.

 

 

[2] http://www.rfi.fr/afrique/20120326-mali

 

 

[4]  http://maliactu.net/migration-la-diaspora-malienne-contribue-a-hauteur-de-300-milliards-de-fcfa-dans-leconomie/

 

 

Le Mali : état des lieux du « changement » après la crise

JPG_IBKLes différentes crises, auxquelles le Mali a eu à faire face, ont soulevé une question essentielle : le désir de changement dans le fonctionnement de l’Etat, et dans le mode de gouvernance. Ce désir de changement se traduisait, dans l’esprit des Maliens, par un renouvellement du personnel politique, aux affaires depuis la révolution démocratique du 26 mars 1991. Plusieurs objectifs devaient en découler : la résolution définitive de la question touarègue, à l’origine de la crise de 2012 ; l’instauration d’une justice impartiale, face aux différentes exactions commises ; la restauration de l’autorité de l’Etat ; reformer l’État affaibli par la crise en proposant une nouvelle forme de gouvernance ; une redistribution plus équitable des richesses nationales…  Élu à la faveur d’un ballotage joué d’avance, les attentes des Maliens à l’égard du président Ibrahim Boubacar Kéita étaient alors immenses. Pourtant, presque deux ans après l’élection présidentielle post-crise, certains agissements démontrent la persistance des pratiques tant décriées du passé.

Les aspirations de changement après la crise 

La crise malienne est aussi apparue comme un moyen de changer les habitudes du passé. La légitimité accordée à Ibrahim Boubacar Kéita, suite à la présidentielle de 2013, représentait une réelle occasion de lancer le Mali dans une réforme en profondeur. L’engouement pour la présidentielle était sans précédent. Avec près de 49 % au premier tour, et 45,73 % au second tour, le taux de participation a été remarquable dans un pays où elle atteint d’habitude des taux particulièrement bas. [1]  Ces chiffres que nous qualifions de remarquables, eu égard aux élections précédentes, sont toutefois la marque d’une défiance vis-à-vis de la démocratie, et restent malgré tout faibles comparativement à d’autres pays.

Dans la situation d’un Mali en pleine crise territoriale, le candidat Ibrahim Boubacar Kéita a axé sa campagne sur la restauration de l’autorité de l’Etat. Ses meetings électoraux étaient rythmés par la volonté de refonder et de renforcer l’Etat très affaiblit. Des discours qui ont su galvaniser un électorat en mal d’Etat. IBK est alors apparu comme étant le mieux à même de formuler des propositions concrètes pour régler la crise du Nord-Mali.

Il nous semble que cet aspect de sa campagne ait séduit de nombreux électeurs. Il a obtenu vingt points d’avance sur son principal rival, Soumaïla Cissé, au premier tour. Au second tour, il a été crédité de 77 % des suffrages, une victoire nette exempte de toutes contestations, lui conférant une certaine légitimité. On pourrait expliquer ce plébiscite électoral par le passé politique d’Ibrahim Boubacar Kéita, un passé auréolé d’une réputation d’autorité, acquise durant sa période passée à la primature entre 1994 et 2000. Il apparait comme celui qui a su faire montre de toute son autorité à l’égard des nombreuses manifestations estudiantines avec, à la clé, une année blanche. Il est parvenu à remettre de l’ordre dans l’armée, en prononçant la dissolution de la coordination des sous-officiers et des hommes de rang. Il a également su gérer la période très délicate de tensions et d’affrontements communautaires qui a suivi la signature du Pacte national en 1992, à la suite de la rébellion touarègue.

Le président IBK ‘’entre rupture et continuité’’

Depuis le renversement de la dictature en 1991, le paysage politique malien souffre d’une absence de renouvellement de personnel politique, restée quasi intacte. Tout au long de la campagne électorale, l’actuel président IBK s’est attelé à incarner la rupture. Si son élection répondait à des besoins de changement exprimés par les Maliens, elle n’a pas favorisé l’alternance de la classe politique. Ce qui, en revanche, a pu être constaté, c’est une forme d’équilibre entre continuité et renouveau dans le mode de gouvernance. Une partie des femmes et hommes politiques qui ont composé le gouvernement d’IBK, sont ceux qui ont auparavant gouverné le Mali. Soumeylou Boubèye Maiga, Sada Samaké, Cheickné Diawara, Moustapha Dicko, Berthé Aissata Bengaly, Bouaré Fily Sissoko, Ousmane Sy, réapparus en tant que membres du gouvernement d’Ibrahim Boubacar Kéita, sont autant de noms anciens du paysage politique malien. 

Ancien Premier ministre du président Alpha Oumar Konaré (1994-2000) et ancien président de l’Assemblée nationale sous la présidence d’Amadou Toumani Touré (2002-2007), IBK, qui avait pourtant axé sa campagne sur le thème du ‘’changement’’ n’incarne pas vraiment la rupture avec l’ancien régime. Le slogan du changement avec l’ancien régime dont il s’est servi, est un vœu également exprimé par les Maliens, du fait que le président Amadou Toumani Touré est considéré, par de nombreux d’entre eux, et par une partie de la classe politique et religieuse, comme responsable de tout ce que le Mali a connu en termes de crise, à partir de 2012. Son mode de gouvernance, sa gestion du Nord-Mali (passivité vis-à-vis d’une insécurité grandissante), ses liens, supposés ou réels avec des personnes concernées par les prises d’otages occidentaux ont achevé de jeter le discrédit sur son régime. Or, la réapparition d’anciens membres de ce régime dans le gouvernement d’IBK, combinée à la politique menée par le président malien après deux années au pouvoir, pourraient être considérées comme la continuité de ce qui auparavant n’a pas fonctionné, à savoir la perpétuation de vieilles pratiques de clientélisme, de corruption, de carence de vision politique structurée, de querelles intestines. En dix-huit mois de présidence d’IBK, trois premiers ministres se sont succédés : Oumar Tatam Ly de septembre 2013 à avril 2014 ; Moussa Mara d’avril 2014 à janvier 2015, et Modibo Keita depuis le 9 janvier 2015.

Le caractère opportuniste da la vie politique malienne

Sous le président ATT, la politique du consensus – désignée par la « neutralisation des partis politiques, la distribution de prébendes, et les liens clientélistes tissés entre le pouvoir et les dirigeants des principales formations politiques » (Boudais & Chauzal, 2006) semble être toujours d’actualité, sous la présidence d’IBK. A l’issue des élections législatives de 2013, le parti du président IBK, le Rassemblement pour le Mali (RPM), a remporté seulement 66 sièges. Ne disposant pas, à lui seul, de la majorité des 147 sièges du parlement, et compte tenu du caractère opportuniste des alliances électorales, le parti présidentiel est toutefois parvenu à constituer une alliance qui a permis la formation d’une majorité présidentielle composée de 115 parlementaires. Les élections n’ont d’ailleurs permis qu’un renouvellement limité du personnel politique au sein du parlement malien.

L’anthropologue malien Birama Diakon (2013) impute le refus d’alternance de la classe politique malienne à un sentiment de crainte, et estime qu’il faudrait que ceux qui ont gouverné le Mali pendant deux décennies se disent : « 20 ans, ça suffit, on se retire. Mais ils savent que s’ils perdent leurs postes au gouvernement, ils risquent d’aller en prison. C’est pour cela que nous assistons aujourd’hui à la formation d’une coalition de tous ceux qui veulent sauver leur tête […] ».

Un des partis pris de cette note est de considérer qu’Ibrahim Boubacar Kéita n’avait pas de programme intégral pour le Mali. Celui présenté durant la campagne électorale était d’ailleurs assez flou, contrairement au programme du challenger Soumaïla Cissé. Le slogan de la restauration de l’autorité et de la souveraineté de l’Etat, qu’il avait fait sien, ne résultait d’aucune planification étayée. Depuis, la popularité recueillie par IBK, à l’issu de l’élection présidentielle de 2013, s’est très vite érodé sur le plan national, les attentes de changement tant exprimé par les Maliens, jusque-là, tardant à se concrétiser.

Les surfacturations dans l’achat de l’avion présidentiel et des équipements militaires, une preuve de la persistance de  pratiques de corruption et de clientélisme

Dans le contexte de la crise sécuritaire, les impératifs de dotation des forces armées malienne, engagées dans les opérations de reconquête du territoire, ont servi de contexte au ministère malien de la Défense, pour instaurer une politique d’équipement. Ainsi, le gouvernement malien a effectué en 2014 des acquisitions d’un montant total de 88 milliards de francs CFA (134 millions d’euros), dont 19 milliards de francs CFA (29 millions d’euros) pour l’acquisition d’un avion destiné au président de la République, et 69 milliards de francs CFA (105 millions d’euros) pour des équipements et matériels destinés aux forces armées.

Les contrats d’acquisition d’un aéronef présidentiel et la fourniture aux Forces armées maliennes d’équipements militaires, signés par le ministre de la défense et des anciens combattants, nous ont démontrés que la corruption, difficile à enrayer, est un phénomène institutionnalisé au Mali. Si les élites politiques peuvent se succéder, le système de gouvernance, lui, reste inchangé. Pendant que le Mali, au lendemain de l’élection présidentielle, s’achemine lentement vers la sortie de crise, les Maliens, ‘’agacés’’ par l’inopportunité de l’achat d’un nouvel avion présidentiel, ont vu dans cet acte une dépense de prestige qui n’était guère indispensable dans une situation économique catastrophique. C’est dans ce cadre qu’une mission du Fonds monétaire international (FMI), s’est rendue au Mali en septembre 2014, dans le but de faire toute la lumière sur l’achat du nouvel avion présidentiel, et sur le contrat d’équipements militaires passé par le ministère malien de la Défense. Cette situation a poussé le Fonds monétaire international (FMI) à geler ses crédits pour le compte de l’Etat malien.

Le rapport du bureau du Vérificateur général, l’organisme principal de lutte contre la corruption, décrit des transactions illégales exécutées par l’Etat : « Le ministère de la Défense et des Anciens Combattants et le ministère de l’Économie et des Finances ont irrégulièrement passé, exécuté et réglé les deux contrats d’acquisition et de fourniture ». Il met en évidence une surfacturation de 29 milliards de francs CFA dans le cadre du contrat de fournitures militaires passé de gré à gré, en 2013, entre le gouvernement malien et l’entreprise Guo-Star. Dans cette affaire, une entreprise privée s’est ainsi vue attribuée, « sans avoir même demandé », un contrat de 69 milliards de francs CFA exonéré de tous droits d’enregistrement.  Elle a également reçu une garantie de l’acheteur – Etat – sans laquelle la banque n’aurait jamais financé une telle opération au profit de cette société. D’où l’interrogation du bureau du vérificateur : « Peut-on indiquer le moindre risque qu’a pris cette entreprise dans le cadre de ce contrat, pour bénéficier  in fine d’une marge bénéficiaire de plus de vingt-cinq milliards de francs CFA » ?

Par la suite, tout au long de la présidence d’IBK, le problème de la corruption s’est visiblement considérablement empiré, dans la mesure où il a atteint des proportions inédites. Le dernier rapport du Vérificateur général, portant sur les années 2013 – 2014, a été remis au président malien début mai 2015. En citant des exemples très précis, le rapport dénonce un manque pour les caisses de l’État s’élevant à 153 milliards de francs CFA (environ 234 millions d’euros), qu’il impute à la corruption et à la mauvaise gestion…

 


[1] Dans son Rapport final sur l’élection présidentielle de 2013, la Mission d’observation électorale de l’Union européenne au Mali relève qu’un tel taux de participation n’avait jamais été atteint sous la Troisième République.

 

Le printemps des pères fouettards

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Aux âmes nées, sous les tropiques, avec la passion du fouet en bandoulière, la valeur politique, ou du moins électorale, attendrait-elle un nombre très élevé d’années ?

Après le choc, les vieux. Et des vieux « durs » s’il vous plait serait-on tenté de dire.

En 2013, le septuagénaire Ibrahim Boubacar Keita se faisait élire au Mali,  avec pour plus haut fait d’arme d’avoir mâté une révolte d’étudiants alors qu’il était Premier ministre dans les années 90. De cet épisode, beaucoup de maliens ont retenu l’image d’un leader fort, capable de se montrer intraitable, intransigeant face à certains empêcheurs de gouverner en rond.

Lorsqu’il se présente devant ses compatriotes, il y a deux ans, afin de recueillir leurs suffrages, le Mali est en situation de guerre. Le pays n’a dû son salut, face à une invasion jihadiste venue du Nord, qu’à l’intervention de la France d’abord puis au déploiement d’une force multinationale. IBK fait de la reconquête de la dignité qu’aurait perdue le pays son cheval de bataille. Dans le choix de son slogan de campagne, il opte pour la simplicité et l’efficacité : « Pour l’honneur du Mali » dit-il. Ses compatriotes adhèrent. Après la gestion jugée calamiteuse de la question du Nord par Amadou Toumani Touré finalement emporté par un putsch, les incantations du nouveau chantre de la dignité assaisonnées d’un curieux mélange d’expressions en latin, pour faire savant, et en bambara, pour le côté « bon sens paysan », font le reste. Il est ainsi élu principalement grâce à une réputation surfaite de dur à cuire qui, pour ses électeurs, devait permettre d’en finir avec cette coalition hétéroclite constituée essentiellement de jihadistes et de séparatistes.

En Tunisie, Béji Caid Essebsi (90 ans) bras armé du régime policier de Bourguiba (directeur de la Sureté nationale, ministre de l’Intérieur, ministre de la Défense) dans les années 60 et 70 a aussi bénéficié de cette image d’homme à poigne pour se faire élire, à la fin de l’année écoulée, malgré son âge canonique. Après la révolution qui a chassé Ben Ali du pouvoir, les tunisiens se sont retrouvés avec les islamistes d’Ennahdha à leur tête avant de vite déchanter. Entre une économie qui peinait à redécoller, des droits constamment remis en cause, des assassinats politiques et une menace terroriste accrue, il n’a pas fallu longtemps pour convenir d’un changement de cap.  Dans la campagne qui devait les conduire au sommet, Essebsi et ses partisans ne ratèrent pas une occasion de rappeler que lors des émeutes anti-israéliennes ayant eu lieu à Tunis, en juin 1967, après l’éclatement de la Guerre de six jours, il a refusé, alors ministre de l’Intérieur, de donner l’ordre de tirer sur la foule. Que des associations de défense de droits de l’homme aient porté plainte contre lui, pour actes de torture datant de son passage à la Direction de la Sureté nationale n’y fera rien. Il réussit à se défaire de l’image d’ancien fonctionnaire zélé d’un régime autoritaire qu’ont voulu lui coller ses détracteurs arrivant à se présenter en homme sage, expérimenté mais ayant fait preuve d’assez de rigueur, par le passé, pour donner confiance dans sa capacité à gouverner en ces périodes  troubles.

Muhammadou Buhari (72 ans)  se présente comme un « converti à la démocratie ». En adoptant cette posture, ce général qui a dirigé le Nigéria, entre 1983 et 1985, à la suite d’un putsch, fait un enfant dans le dos aux théoriciens du Buharisme. Ceux qui pensent que le salut de nos pays ne peut venir que de « despotes éclairés », nationalistes, ne s’embarrassant pas de formes lorsqu’il s’agit de lutter contre la corruption, avec procès expéditifs et longues détentions arbitraires au besoin. Les atteintes aux droits de l’homme ne seraient, dans ce cas précis, que des dégâts collatéraux ou un mal nécessaire à l’instauration d’une gouvernance vertueuse. Le Buhari de 2015, qui vient d’être élu à la tête d’un Nigéria en prise avec les assauts répétés de Boko Haram,  n’est plus celui du début des années 80. Il a rangé son fouet, arboré un grand sourire, et s’est coalisé avec quelques politiciens de la race de ceux qu’il avait honni, combattu et jeté en prison, il y a trente ans. Devant l’inertie de Goodluck Jonathan face à la menace sécuritaire et à une corruption galopante, cependant, son passé d’autocrate fut un atout majeur.

Après des chocs traversés par leurs pays respectifs, les électeurs maliens, tunisiens et nigérians, ne sachant plus à quel saint se vouer, se sont tournés vers les « durs » de leur classe politique ou ce qui s’en approche le plus. On met sous pertes et profits leurs méfaits. On a besoin de leur poigne.

C’est l’application en politique, sous nos cieux, de la stratégie du choc théorisée par Noemie Klein selon qui les guerres, les catastrophes naturelles, les crises économiques, les attaques terroristes sont utilisées de manière délibérée pour permettre la mise en œuvre de réformes économiques néolibérales difficiles voire impossibles à adopter en temps normal. Pendant ou après chaque menace terroriste extrémiste conduisant à des catastrophes économiques ou humanitaires, des peuples, en toute liberté, recyclent des autocrates ou de vieux personnages au passé politique sinueux et à la rigueur dévoyée par un excès de zèle rédhibitoire, pour en faire les champions du redressement citoyen, sécuritaire, économique.

Mais à chacun ses priorités, les peuples meurtris ou menacés veulent des hommes forts à leur tête. L’avenir appartiendrait alors à ceux qui, munis d’une matraque ou d’une corde, se lèvent tôt, se couchent, se relèvent, savent être patients, attendent leur tour, et ramassent le pouvoir après qu’un bain de sang, une pluie de larmes et une vague d’indignation l’aient entrainé dans la rue. Souvent, ils ne font pas grand-chose de ce pouvoir acquis par défaut.

IBK a rendu les armes face à ceux qu’il considérait comme des quidams à museler par tous les moyens ; ses incantations n’y ont rien fait, il leur a  abandonné Kidal. Après les slogans aux relents de fermeté, le renvoi à un passé glorieux de toute sa brutalité, les déclarations d’intention de rigueur … la réalité de l’impuissance.

Essebsi a choisi un Premier ministre qui a attendu l’attentat du musée du Bardo pour organiser une purge dans la police tunisienne. Il a peut-être l’excuse du nouveau venu. A peine s’est-il installé que les terroristes frappaient. Mais n’avait-il pas promis des solutions clé en main du fait de son expérience dans  la répression des fauteurs de troubles et autres citoyens indélicats ?

Le nouvel homme fort d’Abuja arrive auréolé de son passé de tyran. « Les crimes de Buhari »  c’est le titre d’une pièce de Wolé Soyinka. Ce charmant monsieur doit être bien malheureux dans un monde où ces crimes qu’il dénonçait à ses risques et périls sont devenus un atout pour le criminel en question. Il se consolera en se disant que face aux abjections de Boko Haram, un enfant de chœur ne saurait faire l’affaire. Il fera confiance à son peuple qui, confronté au choix entre des gens pas très recommandables, selon les critères les plus répandus de nos jours, a choisi le moins pire.

A tous les dictateurs, apprentis dictateurs ou hommes liges de dictateurs, déchus ou en disgrâce, le message est le suivant : rien n’est perdu ; si vous êtes relativement jeunes et si dans 20 ou 30 ans les menaces sécuritaires, la corruption, l’incivisme sont toujours d’actualité dans votre pays, quoi que vous ayez fait de votre passage au pouvoir, vous avez de réelles chances d’être vu comme le messie. Entourez vous de spin doctors et de relais efficaces à tous les étages de la société, ne vous encombrez pas de considérations trop techniques, n’ayez d’autre programme que de rendre au peuple sa dignité, au pays son honneur, de mâter les fauteurs de troubles, de discipliner les esprits égarés et faites de la lutte contre la corruption votre cheval de bataille. Si au moment où vous dites cela, vous êtes riche comme crésus et cela du fait, en grande partie, de votre passage au pouvoir, ça ne changera rien. Le peuple est indulgent, il sait tout pardonner et/ou oublier lorsqu’il est à la recherche d’une icône. 

Nous accorderons, tout de même, le bénéfice du doute aux thuriféraires du buharisme conquérant. Sanusi Lamido Sanusi, ancien gouverneur de la banque centrale du Nigéria devenu émir écrivait, en 2001, alors que le général briguait déjà le suffrage de ses concitoyens, ceci : « le Buharisme était un régime despotique mais son despotisme a été historiquement déterminé, rendu nécessaire par la tâche historique de démantèlement des structures de dépendance et l’émergence d’une nation tournée vers un modèle autre que l'accumulation primitive. Sous son meilleur jour, Buhari a peut-être été un Bonaparte ou un Bismarck. Dans ses pires moments, il peut avoir été un Hitler ou un Mussolini. Dans les deux cas, le Buharisme, s’il avait atteint sa conclusion logique, aurait posé les bases d'une nouvelle société. Son renversement a marqué une rechute, un pas en arrière ».

Toutefois, tout buhariste qu’il est, l’émir de Kano ne fait pas partie des hystériques et autres inconditionnels de la cause. Il a tôt fait de mettre un bémol. « Je crois, disait-il, que Buhari a joué un rôle honorable dans une époque historique particulière mais, comme Tolstoï et Marx, je ne crois pas qu'il puisse rejouer ce rôle. Les hommes ne font pas l'histoire exactement comme il leur plait mais, comme l'écrivait Marx dans Le 18 Brumaire, ils la font dans des conditions héritées du passé. Muhammadu Buhari, comme général de l'armée, avait plus de place pour manœuvrer qu'il ne pourra jamais espérer en avoir dans l’espace politique nigérian ». Et de poursuivre : « dans un pays de 120 millions d’habitants, nous pouvons faire mieux que de limiter notre choix à un petit groupe. Je pense que Buhari, Babangida et Obasanjo devraient simplement permettre à d'autres de montrer ce qu’ils valent au lieu de croire qu'ils ont le monopole de la sagesse »… Prés de quinze ans se sont écoulés depuis qu’il a écrit ces mots ; le sage Buhari, aidé du sage Obansanjo, a fini par reconquérir le pouvoir. La nouvelle génération de leaders nigérians valables devra attendre. En son sein, il n’y  a personne pour rassurer le peuple ; elle ne regorge pas de dictateurs convertis.

Racine Assane Demba

Six promeneurs [pas] si seuls…

Macky Sall et Faure Gn_ParisLa participation de six Chefs d’Etat africains à la marche parisienne qui a suivi les récents actes terroristes en France a été largement critiquée sur le continent. Ils ont été traités de laquais de la France, peu émus par exemple par le massacre de 2000 personnes au Nigéria mais prompts à répondre à l’appel de leur « maître » François Hollande.

Je comprends leur émotion face à la mort tragique d’innocents journalistes sous les balles de barbares. Qu’ils aillent à Paris marcher ou condamner de leurs bureaux les actes terroristes m’importent peu au final. De toutes les façons, nos Chefs d’Etat dépensent si souvent l’argent du contribuable pour des sottises… Même si leurs motivations sont ailleurs, je leur accorde cette fois le bénéfice du doute. Les pauvres en prennent tellement que si, pour une fois, on peut les prendre au mot…

Pour être clair, qui veut marcher, aille le faire. Si cela peut aider certains à perdre du poids, c’est déjà cela de gagné !

Au-delà de la participation des présidents précités à la marche de Paris du 11 janvier, l’intérêt réside dans la suite à donner à l’acte. Quelle leçon en tireront nos « promeneurs du dimanche » après les larmes de Boni Yayi et la mine grave d’IBK ?

L’opinion publique africaine doit même saluer la présence expresse de ses présidents car dorénavant ils ne peuvent plus rester sourds aux appels pour le renforcement de la liberté d’expression et la garantie de l’existence d’une presse libre et indépendante chez eux.

Bongo, Faure et leurs compères ont reçu une leçon magistrale en une après-midi. François Hollande a marché sous le froid pour rendre hommage à des journalistes assassinés. Or, dans les pays de nos « marcheurs », l’état de la presse n’est pas reluisant. De façon globale, les journalistes demeurent souvent une cible privilégiée en Afrique.

Par exemple entre 2013 et 2014, neuf journalistes ont été assassinés en Somalie, selon RSF (Reporters Sans Frontières). La liste des journalistes tués sur le continent rappelle que le combat pour la liberté de la presse est plus qu’actuelle et doit nécessiter des efforts quasi quotidiens. « Journalistes incarcérés. Journalistes assassinés. Les voix des sans voix tuées. » Blondy parlait à nos consciences.  

Les fantômes de Deyda Haidara, Norbert Zongo, Robert Chamwami Shalubuto , Sofiane Chourabi, Nadhir Guetari et tant d’autres femmes et hommes de média morts résonnent encore dans nos mémoires. Souvent dans l’impunité la plus totale. Cette impunité des crimes est une seconde mort des victimes.

Profitant de l’actualité, j’ai encore vu les enfants de Don Quichotte du web s’insurger contre le « deux poids deux mesures » et se draper du manteau d’activistes ardents défenseurs d’une Afrique sans cesse « déshumanisée ». Ils m’ennuient à un point…

Je leur demande, à ceux-là, s’ils avaient dénoncé l’assassinat au Cameroun du blogueur Eric Lembele du fait de son orientation sexuelle ? Qui a mené une campagne pour demander au gouvernement camerounais de faire la lumière sur cette affaire dont on n’identifiera sans doute jamais les auteurs ? Les « pédés » ont moins de droit à la vie que les victimes de Baga ? Leur reniez-vous leur simple humanité ? Liberté d’expression me dites-vous ? Chiche !

Alors, si après cette marche, nos présidents si prompts à défendre sur les rives de la Seine la liberté d’expression ne s’érigent plus en rempart contre tous les actes de fragilisation de la démocratie chez eux, ils auront été les auteurs d’une farce de mauvais goût.

J'espère qu'après avoir marché avec 3 millions de personnes, ils vont lutter davantage pour la liberté de la presse en Afrique. C’est le minimum qu’on pourra désormais leur demander.

Apparemment c'est mal parti. Après avoir participé à la marche républicaine du 11 janvier, Macky Sall a interdit au Sénégal la distribution du numéro de Charlie Hebdo qui a suivi l'attentat. Où est la logique ? Cette contradiction est juste fascinante et renseigne sur l'état d'indigence intellectuelle de cette classe politique. 

De Samir Kassir au Liban à Zongo au Burkina, la presse demeure une cible à abattre. Quand les ennemis de la liberté veulent commettre leur forfait en silence et loin des regards, ils s’en prennent d’abord aux témoins du temps qui passe, ceux qui informent, témoignent et forgent ainsi la conscience de l’opinion. Dans l’Algérie des années 90, les journalistes payèrent un lourd tribut à la terreur du GIA.

Aujourd’hui, défendre le chroniqueur Kamel Daoud victime d’une fatwa lancée par un idiot est un devoir au même titre que s’insurger contre toutes les menaces à la liberté de conscience et d’expression. Défendre la liberté de la presse, son droit à la provocation, à l’irrévérence et à l’impertinence, c’est croire en la démocratie et en ses valeurs de tolérance même si cela heurte notre foi.

Pour nous tous en Afrique, et pour nos six « promeneurs du dimanche » en particulier, les événements de Charlie Hebdo doivent inviter à une réflexion sur la place que l’on accorde à la liberté d’expression, au rôle crucial que joue la presse dans la confection d’une démocratie réelle et puissante dans un pays.

Hélas, au contraire, une hiérarchisation des victimes fait le lit des réactions d’une grande partie de l’opinion. En aucune manière, les journalistes de Charlie Hebdo ne peuvent être supérieurs à la petite fille que les barbares de Boko Haram ont utilisé comme projectile pour commettre leur abject forfait.

Mais nullement les morts juifs tués par la folie d’Amedy Coulibaly ne peuvent être placés en dessous des victimes innocentes en Afrique. Au Kivu ou en Casamance, A Maiduguri ou à Kidal. A Tripoli ou au Darfour. J’ai déjà écrit sur ces pages qu’une hiérarchisation des crimes (selon leur gravité) était possible, mais qu’aucune hiérarchisation de la douleur des familles n’était acceptable.

La victimisation d’une grande partie de l’opinion publique africaine traduit un complexe d’infériorité, un malaise face à l’inaction de nos dirigeants, en premier au Nigéria, incapables d’enrayer une grave menace depuis des décennies. Si la jeunesse d’Afrique a attendu la mort des journalistes de Charlie Hebdo et la marche qui l’a suivie pour se rendre compte qu’elle devait se sentir concernée par les massacres de Boko Haram, elle ne mérite pas qu’on la respecte ; elle ne mérite pas qu’on la félicite ni qu’on la fustige. Elle aura mérité seulement qu’on la méprise.

Des manifestations ont été organisées dans plusieurs pays africains et en Europe pour, disent-ils, crier « Je suis Africain », « je suis nigérian »… Pour s'insurger contre la Une de Charlie Hebdo, des églises ont été calcinées et des personnes tuées. Non, pas en mon nom ! Si notre horizon indépassable est de toujours être dans la réaction, l’amertume et le suivisme, alors non merci. Je ne suis pas de cette Afrique là. Je prône l’afro-responsabilité.

PS : Qui des « six promeneurs » ou de Goodluck Jonathan (absent de Paris) dont le compte Facebook postait des photos du mariage de sa fille pendant le massacre de Baga aura davantage fait mal à l’Afrique ? 

Hamidou Anne

Les négociations entre l’Etat malien et les mouvements sécessionnistes touareg, sur quelles bases ?

Mali_KidalPendant que les rapports islamistes-populations étaient très tendus dans les autres régions du Nord-Mali, Kidal (fief des Touaregs) continuait d’entretenir un climat de dialogue avec les groupes islamistes. Tout au long du processus de négociation en cours (fin 2013), la situation parait aussi délicate que floue, quand on sait que djihadistes et sécessionnistes touaregs ont pu nouer des liens de circonstances, souvent concrétisés par des alliances familiales. Et confuse quand on sait que pour continuer d’exister sereinement, des djihadistes peuvent simplement hisser le drapeau du MNLA sur leurs véhicules.

Derrière leur unité de façade, les groupes touaregs MNLA (Mouvement national pour la libération de l'Azawad), HCUA (Haut conseil pour l'unité de l'Azawad) et MAA (Mouvement arabe de l'Azawad), semblent cacher de sérieuses divergences (revendications divergentes et ambitions personnelles des différents leaders). La stratégie des autorités maliennes, constituant à s’appuyer sur les fractures existantes entre ces groupes afin de les fragiliser et de rester en position de force dans le cadre des négociations, est inopportune compte tenu de la conjoncture. En amont des pourparlers, le gouvernement malien devrait au contraire s’assurer d’une union solide des groupes touaregs, et de leur légitimité à représenter le peuple touareg. Car sceller un accord avec des groupes fractionnés, c’est courir le risque d’une résurgence du problème en question, comme cela s’est produit lors des précédentes rebellions touarègues.

Les contraintes de l’aboutissement des négociations.

Pour mieux comprendre la rudesse de la tâche du gouvernement malien, il convient de se reporter aux véritables sources du problème touareg, qui remontent à l’époque coloniale. La France imposa sa main mise sur le Sahara central en 1906. La force coloniale concède toutefois aux touaregs, une relative autonomie qui devait les laisser libre de leur mouvements, la liberté étant au cœur de la culture touarègue. L’avènement des indépendances en Afrique occidentale française et le découpage territorial, éparpillèrent le peuple touareg désormais repartis entre plusieurs pays. Mais bien avant l’indépendance, l’accession en 1957 des anciennes colonies françaises à un régime semi-autonome, en vertu de la loi cadre (loi Defferre du 23 juin 1956), poussa le peuple nomade à caresser dès cette période le rêve d’un Etat touareg. Les chefs traditionnels touareg de l’époque, avec à leur tête Mohamed Ali Ag Attaher[1], s’accordaient pour rejeter une fusion avec les "Noirs" au sein d’un même Etat. La notion de nation se fonde sur le désir de vivre ensemble. Pourtant, il apparait clairement que l’irrédentisme touareg s’est manifesté en amont de la création de l’Etat malien, c’est-à-dire bien avant l’indépendance du pays en 1960. «L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours» (Ernest Renan, 1882). Ce plébiscite du peuple touareg, dans l’Etat du Mali, dont le parcours postcolonial fut jonché de contestations à caractère sécessionniste,  ne s’est manifesté que de façon intermittente.

En réaction à l’indépendance du Mali, Mohamed Ali Ag Attaher disait : « Il faut que la France, qui a tailladé notre nation et notre pays, sache que ni l'argent ni le feu ne nous feront jamais accepter d'être dirigés par ses nouveaux serviteurs ». Sa détermination pour la création d’un Etat touareg est à l’origine de la première rébellion touarègue en 1959. Face à la résolution irrédentiste du peuple nomade, le président malien Modibo Kéita (1960-1968) n’envisage guère de solution politique. La minimisation du problème va même conduire les autorités maliennes à qualifier les leaders de la contestation de bandits armés. Et la réponse de l’Etat malien à la fronde touarègue ne fut autre que l’usage disproportionné de la force. Les Touareg sont, dès lors, sujets d’une surveillance accrue à travers une forte militarisation de leur zone. Deux ans après l’indépendance du Mali, la période  1962-1964 était marquée par la première rébellion touareg du Mali indépendant. La suivante déclenchée le 27 juin 1990, concomitamment au Mali et au Niger, fut définitivement résolue par les accords d’Ouagadougou du 15 avril 1995. Et le 27 mars 1996 a lieu la cérémonie de la Flamme de la paix à Tombouctou au cours de laquelle, environ 3600 armes d’anciens rebelles sont publiquement détruites. Les mouvements touareg, après avoir proclamé leur dissolution, ont bénéfice d’une amnistie générale. La résurgence de la contestation touareg suivit son cours, et le 23 mai 2006 éclata une nouvelle rébellion. Dès juillet 2006, des accords de paix censés mettre fin aux hostilités étaient signés à Alger. Pourtant en 2007 et 2008, les affrontements reprirent avant la signature des accords du 7 octobre 2009 entre le gouvernement et les groupes rebelles.

Certaines des solutions proposées par le gouvernement d’Ibrahim Boubacar Kéita, figurent dans le Pacte national d’avril 1992, signé entre le gouvernement malien de transition présidé par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré et les représentants des mouvements et front unifiés de l’Azawad. Le pacte prévoyait d’accorder aux trois régions du nord, un statut particulier. Un projet de décentralisation proposé  par Edgar Pisani y était inclut. Il prévoyait un nouveau découpage administratif du Nord-Mali, fondé sur des assemblées locales, régionales et interrégionales. Le pacte national fut un échec car des dissensions continuaient  d’exister entre les différents mouvements touaregs. L’ensemble des populations civiles, ni les milliers de réfugiés ne furent pas associés à son élaboration. Les bailleurs de fonds internationaux, censés soutenir la paix en finançant les projets de développement, n’honorèrent pas leurs promesses.

La sècheresse des années 1970

La sédentarisation des Touareg, due à la grande sècheresse des années 1970, posa un gros problème aux populations nomades qui étaient accueillis dans des camps de réfugiés. Ils sont donc forcés à une sédentarisation, due, à la fois, à un évènement climatique mais aussi à des logiques d’Etat défavorables au nomadisme. Au regard de la conjoncture, un nombre important de  jeunes touaregs décident d’émigrer vers des pays du Moyen-Orient et du Maghreb. Nombreux parmi eux sont accueillis en Libye où Kadhafi leur accorde la nationalité libyenne, avant de les insérer dans l’armée. En mars 2011, la France lançait en Libye, sous le commandement de l’OTAN, l’opération militaire Harmattan, visant à soutenir la branche armée du Conseil National de Transition libyen. Elle n’envisagea guère les conséquences collatérales d’une telle intervention en termes de déstabilisation de la région. Après la mort du guide libyen, ces Touareg qui étaient admis dans l’armée libyenne en tant que membres supplétifs investissent le Nord-Mali lourdement armés. C’est ainsi que débutait la dernière rébellion touareg, les prémices d’une succession de crises de différentes natures.

Les Touareg (représentés par les différents mouvements sécessionnistes) apparaissent ainsi comme un peuple distinctement irrédentiste, dont l’aspiration à l’indépendance ne s’est jamais estompée, même au travers des principaux accords de paix précédemment signés avec les gouvernements maliens successifs.     


[1] Mohamed Ali Ag Attaher est devenu chef des Kel Intesar à la mort de son père en 1926. Soupçonné de diriger la révolte touarègue qui en 1963 éclate dans l'Adrar sous une forme violente, il est extradé par les autorités marocaines et remis au gouvernement malien. Sa détention à Bamako durera de 1963 à 1977. Jusqu’à sa mort en juillet 1994 au Maroc, il a toujours refusé tout compromis avec l'Etat malien.

 

 

Points de vue croisés: Le Mali en transition

Cet article présente les positions de deux analystes de Terangaweb – L'Afrique des Idées sur le Mali en transition et les évènements qui ont agité le pays, aussi bien au Nord qu'au Sud, depuis l'investiture d'Ibrahim Boubacar Keïta en septembre. Même si l'opération "Saniya" semble marquer une reprise en main des forces armées par l'Etat malien, les défis qui se présentent à IBK restent nombreux, notamment au Nord. 

Ousmane Aly Diallo & Racine Demba


Opération "Saniya": La fin de la transition au Mali

Opération SaniyaLundi 30 septembre 2013 au camp Soundiata Keïta de Kati. Trois militaires maliens s’avancent devant les locaux du Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité (CMSRFDS). Ils ouvrent le feu à l’arme lourde et signent par cet acte la fin de la période de transition au Mali.

Fissures au sein de la junte 

Ces évènements mettaient à nu les fissures au sein d’une junte qui s’était jusqu’ici montrée soudée face aux pressions, politique comme militaire. Que ce soit lors de la « cession » du pouvoir au président de l’Assemblée nationale malienne, que ce soit face à la tentative de contre-coup d’état menée par Abidine Guindo et ses bérets rouges, les membres du comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDRE) ont toujours affiché un front uni et ont pu résister à ces différentes épisodes.

La saute d’humeur de Kati, saute d’humeur puisque l’État malien n’était pas visé mais bien le fraichement galonné Amadou Haya Sanogo, montrait à la face du monde les divergences au sein du groupe de sous-officiers qui a  renversé  le gouvernement légitime quoiqu’impopulaire d’ATT. Amadou Haya Sanogo et son second Amadou Konaré, qu’on accuse d’être derrière ces évènements, étaient les éminences grises sous la transition politique et se sont  montrés déterminés à ne pas affronter les barbus d’AQMI et les partisans du MNLA pendant 9 mois. Ils représentent deux tendances distinctes au sein de cette junte, tendances devenues manifestes ce 30 septembre. Si Sanogo s’est vu gracieusement offrir sous l’égide de la CEDEAO un statut d’ancien chef d’État et la promotion au titre de général de corps d’armée, Amadou Konaré, deuxième homme fort et porte-parole de la junte est lui, passé de lieutenant à capitaine.  Une bien maigre consolation me diriez-vous. D’autres promotions ont eu lieu : celles de Sada Samaké et de Moussa Sinko Coulibaly, deux responsables proches de la junte et membres de l’actuel cabinet ministériel du Mali. IBK avait déjà imprimé sa marque dès son investiture, en promouvant les officiers qui s’étaient distingués au front, El  Hadji ag Gamou, Didier Dacko et Abderrahmane Ould Meydou, rétablissant ainsi une certaine justice au sein de l’armée malienne.

Mais la goutte d’eau qui aurait fait déborder le vase a été les dons que Sanogo aurait offerts au chanteur traditionnel Sékoubani Traoré lors d’une soirée dozo. Une Toyota Land Cruiser et des dons en espèces. Des dons de trop. Les mutins tirèrent à l’arme lourde ce 30 septembre sur les locaux du CMSFRDS pour exprimer leur ras-le-bol et leurs revendications, avant de l’occuper et d’attendre IBK de pied ferme.

 « Saniya » ou le retour de Koulouba comme centre du pouvoir

La mutinerie de Kati contre l’autorité de Sanogo a été l’un des premiers troubles sous le magistère du Kankélétigui ("homme qui n'a qu'une seule parole", le surnom d'IBK). Elle constituait en outre un coup d’arrêt, un vrai appel à la réalité, montrant l’impact du putsch du 22 mars 2012 sur les processus de communication interne au sein de l’armée malienne et de la toute-puissance de ce corps sur l’État malien.  Les mutins, principalement des sous-officiers maliens, réclamaient des promotions militaires et une revalorisation de leurs émoluments. Le retrait de la liste des bénéficiaires des promotions annuelles lors de la fête d’indépendance du Mali (22 septembre), de sous-officiers ayant contribué au putsch du 22 mars, retrait supposé ou actuel, a sans doute généré des frustrations au sein de ce corps.

Ibrahim Boubacar Keïta, qui a souvent été qualifié de « candidat de la junte » (on se souvient de la proclamation de la victoire d’IBK lors du premier tour de la présidentielle par le Ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation et membre de la junte, ce qui avait déclenché des vives protestations chez les partisans de Soumaïla Cissé) par ses opposants avait l’occasion de montrer ce qu’il en était de ses assertions. Et il faut admettre que la réponse de l’État malien a été expéditive. De Paris où il se trouvait, le Kankélétigui déclare que « Kati ne ferait plus peur à  Koulouba ». La réaction et les engagements de son gouvernement attestent qu’il a été digne de son surnom.

L’opération « Saniya» marquait, plus que les élections présidentielles, la fin de la période de transition au Mali. La junte toisait toujours l’État malien même si elle n’existait plus « de jure ».  À travers ce déploiement de force, l’État malien a restauré l’ordre et son autorité dans un Kati aux mains de la junte pendant 18 mois, mettant fin à cette excroissance et à tous les amalgames qu’elle causait. En effet, l’arrestation et le désarmement des mutins  et le retour des arsenaux privés de certains sous-officiers et officiers, sous l’autorité de l’Intendance, montraient à souhait la nouvelle réalité qui se profilait. L’éviction de Sanogo hors du camp Soundiata Keïta de Kati; la dissolution du Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité qu’il présidait et l’arrestation des anciens hommes forts de la junte tels que le capitaine Amadou Konaré et le colonel Youssouf Traoré (présumés instigateurs du coup de main avorté du 30 septembre) sont autant de signaux forts annonçant le rétablissement de l’autorité de l’État sur l’armée malienne. Malgré la médiation de la CEDEAO, Dioncounda Traoré a dû composer pendant toute la transition avec l’autorité parallèle illégale mais toute-puissante du CNRDRE.

Avec une junte autant décrédibilisée par son inaction  au nord et par ses rivalités avec les autres structures militaires maliennes (comme les bérets verts de la garde présidentielle d’ATT), l’opération « Saniya » a été la conclusion de ce chapitre de l’histoire politique malienne. La mise en place au mois d’octobre d’un nouveau commandement militaire au camp Soundiata Keita signale bien la fin de la  partie. Mais non des défis pour IBK.

Rétablir la justice et mettre fin à l’impunité

Si l’État malien a apporté une réponse rapide et expéditive à ces troubles pour éviter tout débordement, les défis n’en demeurent pas moins énormes au septentrion. L’opération Serval a permis de disperser les troupes d’AQMI et d’intimider le MNLA sans pour autant détruire toute capacité de nuisance totale de ces organisations.  Déjà les troubles ont repris dans le nord avec les attentats-suicides à Tombouctou et la destruction d’un pont à Gao revendiqués par le MUJAO. Ces évènements signalent assez fort que la situation dans le Nord est loin d’être réglée et que l’armée malienne a aujourd’hui plus que jamais un rôle à jouer dans la stabilité du pays.

De même, des disparitions forcées et des exécutions sommaires  ont eu lieu durant la mutinerie de Kati  et durant le cadre de l’opération Saniya. Plusieurs sous-officiers coupables d’avoir défié l’autorité de Sanogo ont ainsi disparu durant les jours suivants, au fond des puits ou dans les morgues des hôpitaux environnants. Il ne suffit pas d’arrêter les mutins et d’installer une nouvelle hiérarchie militaire à Kati, répondant directement à Koulouba. La légitimité de l’État malien ne pourrait être établie sans que justice ne soit faite sur ces évènements. La volonté manifestée de tirer au clair les nombreux cas d’exécution est de bonne augure. L’impunité qui a marqué la période de transition ne saurait être cautionnée par déni ou par complaisance. Il faut croire que la récente convocation de Sanogo par la justice malienne constitue une manifestation de la fin de cet état de fait  et la « mort politique » d’un militaire qui s’est hissé au pouvoir en se faisant le porte-voix des frustrations de ces camarades.

Il faudra certainement du temps  pour que la culture républicaine puisse se réimposer à tous les niveaux de l’armée malienne. Le coup d’État du 22 mars 2012 avait créé une autorité parallèle, excroissance indépendante de l’État malien. La reprise en main par l’État malien de la chose militaire et la volonté de justice qui se manifeste ne sont que des préalables à l’établissement de sa souveraineté totale sur l’intégralité de son territoire. Le MNLA se cantonne à Kidal et les militants islamistes annoncent leur vivacité à travers des attentats dans le nord. Ce qui est certain, c’est qu’il faudra plus que des frustrations sur les promotions pour venir à bout de ces défis.

Ousmane Aly Diallo


Mali: L'effet IBK à l'épreuve des faits

MNLA KidalAu lendemain de l’élection d’Ibrahim Boubacar Keita nous disions (ici) qu’il serait, dans un premier temps, attendu principalement sur trois fronts : Kati, Kidal et le statut du Nord-Mali. Si sur le premier point évoqué, le nouveau président a rapidement imposé son autorité en reprenant la ville-garnison et en isolant le général Sanogo, pour les deux autres la tâche semble plus ardue.

Le président Keita était en visite d’État en France lorsqu’a éclaté, à Kati, une mutinerie. Sous prétexte d’avoir été oubliés lors de décisions ayant notamment abouti à la promotion du capitaine Sanogo au grade de général, des éléments ayant participé au putsch du 22 mars venaient de reprendre les armes. Dans la foulée, ils prenaient en otage un colonel de l’armée venu négocier avec eux. Le spectre d’un nouveau bain de sang et par la même un nouveau coup porté à l’autorité de l’Etat malien planait ainsi sérieusement.

De retour au pays IBK annonce, le 18 septembre dernier, lors d’une adresse solennelle à la nation : le désarmement de tous les éléments de la garnison, la dissolution du comité censé restructurer l’armée malienne que dirigeait le général Sanogo et le retour à l’orthodoxie par le respect stricte de la hiérarchie militaire. Des déclarations suivies d’effets puisque depuis lors l’armée est au garde à vous et les éléments de l’ex-junte ont été soit tués dans ce processus de reprise en main, soit mis aux arrêts, soit menacés de poursuites.

Avec l’assassinat, samedi 2 novembre, des deux journalistes de RFI, Gislaine Dupont et Claude Verlon à Kidal, cette ville est revenue au-devant de l’actualité. Le jeu trouble de la France dans la gestion du cas de cette localité du nord depuis le début de l’opération Serval avait déjà commencé à alimenter la polémique.

Comme l’a rappelé, pour le déplorer, le ministre malien de la Défense Soumeylou Boubèye Maïga, les  forces maliennes (au nombre de 200, le nombre maximum autorisé par le MNLA) « n’ont pas une marge d’action, qui leur permettrait d’être en permanence présentes sur les différents axes »    De plus le contingent de la Minusma (200 soldats également) est plus ou moins cantonné avec des effectifs insuffisants ainsi que des problèmes logistiques liés à l’immensité du territoire à couvrir.

Le drapeau du MNLA flotte sur le palais du gouverneur de Kidal qui est obligé de squatter une chambre de la mairie et des ministres en visite dans la ville se sont récemment fait chasser par des jets de pierres. Le MNLA a obtenu avec la bienveillance de la France que lui soit confié, dans le cadre des accords d’Ouagadougou signés par les autorités de la transition, la sécurité de la ville au grand dam du président Keita. Ce dernier, depuis son élection, réitère  chaque fois qu’il en a l’occasion, sa conviction que la situation à Kidal est inadmissible. Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française vient d’ailleurs d’annoncer l’arrivée de 150 militaires français sur place pour renforcer la force Serval alors que dans le même temps il n’est nulle part question d’un déploiement des forces maliennes dans la ville. Les éléments de la Minusma se font eux très discrets. Kidal ressemble de plus en plus à une cité-État à l’intérieur de l’Etat malien.

Les négociations de paix avec le MNLA ne semblent, quant à elles, pas très bien parties malgré les récents États généraux de la décentralisation et autres Assises du Nord organisées par le gouvernement. Les dissensions entre gouvernement et groupes rebelles paraissent insurmontables, les deux parties se renvoyant la responsabilité de l’impasse dans les négociations entamées sur la base d’un pré-accord signé en juin. Leurs points de vue divergent aujourd’hui plus qu’hier sur le futur statut du Nord. Les rebelles réclament une autonomie dont IBK ne veut entendre parler. Un analyste local résume la situation ainsi : « au Sud, l'opinion publique est très majoritairement opposée à un statut spécifique pour le Nord et n'accepte qu'une décentralisation poussée. Au Nord, les rebelles pressés eux aussi par leur base, réclament "un minimum d'autonomie", Autant dire qu’on n’est pas loin de l’impasse.

Ibrahim Boubacar Keita laisse le chantier de la relance de l’activité économique à son Premier ministre, le banquier Oumar Tatam Ly, pour se consacrer à ses promesses phares de campagne : le retour de l’autorité de l’Etat et la paix dans le Nord. Toutefois bien qu’ayant réussi un premier pari avec un début de normalisation dans l’armée, il lui faudra plus que la bonne volonté affichée jusqu’ici pour reprendre Kidal au MNLA et à la France et pour obtenir, de l’ensemble des mouvements rebelles du Nord, une paix durable.

Racine Demba