Fiction-Miroir-Réalité et vice versa : Le cas Nollywood (2)

photo de tete E-interview SH

Ken, une amie sénégalaise – peut-être la connaissez-vous, elle est entre autres l’auteure du Baobab Fou, de la Folie et la Mort, de Aller et Retour – m’a confié attendre l’interview de Shari Hammond.

Shari, notre sœur ghanéenne-ougandaise qui était entre ses deux pays pour des raisons professionnelles, a, dès qu’elle a pu convenablement s’installer, pris le temps de nous consacrer un peu du sien. Polyglotte, je lui ai emprunté les mots des langues qu’elle parle ou perfectionne pour vous souhaiter mukulike (luganda), tusemerirwe kukulora (lutooro), akwaaba (twi et ga), wilkommen (allemand), welcome (anglais), bienvenue dans une réalité – celle d’une femme africaine, instruite, professionnelle, globe-trotter, intelligente, comme me l’a dit un certain ambassadeur honoraire en parlant d’elle – bienvenue dans une réalité qui n’est point fiction.

Pour mémoire, ceci est la suite de mon papier diffusée dimanche 6 juillet. Papier dans lequel je vous entretenais via une interview avec Serge Noukoue, de la deuxième édition du Nollywood Week Festival qui a eu lieu du 5 au 8 juin au cinéma parisien l’Arlequin.

Cet évènement a été l’occasion de me faire des nœuds au cerveau, pour reprendre l’expression d’une autre amie, en voulant analyser l’interpénétration entre fiction et réalité. En attendant de partager avec vous mes réflexions profondes, je vous remercie de trouver dans les lignes qui suivent mon e-interview avec Shari Hammond, Responsable Partenariats au sein de l’association Okada Media. Association qui organise le Nollywood Week Festival.

Clic-Text-Send avec Shari Hammond, Responsable Partenariats

Shari HammondGaylord Lukanga Feza : Shari, quel est votre parcours ? Votre histoire ? Votre relation avec les industries créatives ?

Shari Hammond : J’ai fait des études de droit international en me focalisant sur l’Afrique. J’ai toujours aimé me cultiver en lisant, aller à des expositions et découvrir différents artistes. Je m’interrogeais beaucoup sur les différentes scènes artistiques africaines et j’ai donc débuté en m’impliquant dans une revue en ligne d’art contemporain africain (Afrikadaa), en 2011. Par la suite, j’ai rencontré Serge et les autres co-fondateurs de la Nollywood Week.

Dernièrement, j’ai pu collaborer au sein d’un festival d’arts littéraires en Ouganda (Writivism).

Promouvoir, stimuler et développer les industries créatives africaines, qu’il s’agisse des arts visuels, du monde de l’édition ou du cinéma s’avère être pour moi une nécessité, de par leurs contributions au panthéon culturel et à l’essor économique d’un pays.

GLF : Votre formation vous a-t-elle été utile dans vos activités ?

SH : Ma formation de juriste m’a donné discipline et organisation dans mes activités. Il m’est plus facile par exemple de rédiger et relire des contrats de partenariats et autres. Ou encore de prendre en compte les diverses options et mesures juridiques à garantir.

GLF : Quels conseils pouvez-vous donner à ceux qui voudraient se lancer dans les industries créatives, pour leur éviter des écueils ?

SH : Je dirai juste qu’il faut oser relever ses manches et se mettre à la tache dès que l’on a une vision de ce que l’on veut accomplir. Avoir une idée c’est bien, mais une vision c’est mieux. La vision est cette feuille de route qui permettra à tout entrepreneur culturel de ne pas flancher dans les moments difficiles, car il y en a, comme dans toute entreprise. Ce genre d’industrie souffre hélas d’un manque de financements et cela est encore plus difficile en Afrique. Il faut croiser les bonnes personnes : Celles qui croiront en votre projet et qui seront prêtes à s’investir moralement et financièrement.

GLF : Comment choisissez-vous vos partenaires ? Je pense notamment à Total qui a soutenu l’évènement et à l’Arlequin qui l’a de nouveau accueilli.

SH : Nous aimons travailler avec des personnes qui mettent en avant des produits et services de qualité à destination d’une audience africaine ou portée vers l’Afrique. Des personnes qui ont conscience du potentiel et des évolutions, tout comme des avancées exceptionnelles qui ont lieu sur le continent. Des personnes, des mécènes qui promeuvent cette Afrique-là.

Nous ne sommes pas restrictifs quant à nos collaborations. Nous souhaitons stimuler des relations sur le long terme avec des entreprises qui ont fait leurs preuves et qui ne lésinent pas sur la qualité et le respect de leurs clients.

Notre rencontre avec Total a eu lieu par le biais de nos partenaires de l’Association France-Nigéria en 2013. Nous avons depuis engagé de multiples discussions afin de mieux connaître les valeurs et visions de chacun. La Fondation Total a décidé de nous soutenir cette année en raison de notre contribution à un dialogue interculturel et parce que nous créons de nouveaux accès pour de nouvelles audiences.

Le Cinéma l’Arlequin, lieu emblématique au cœur de Paris, nous a donné notre chance lors de la première édition et nous ont fait confiance après cette première réussite. Leur soutien tout au long de la préparation à l’aboutissement du Festival nous a été précieux et nous leur remercions à nouveau pour cela.

GLF : A qui, à quoi seront alloués les bénéfices de ce festival ?

SH : Une chose à savoir est que les festivals de cette envergure ne font pas encore de bénéfices. Le peu d’argent récolté sera affecté à la préparation de l’édition prochaine et à des activités connexes de l’association portant le Festival : Okada Media.

Mother of GeorgeGLF : Présente la journée de samedi au festival, j’ai pu constater l’engouement du public. Nombreux sont ceux à qui on a répondu « Séance complète ! », même pour celles du lendemain. Où tous ceux qui n’ont pu se rendre au festival ou accéder aux différentes séances, peuvent-ils retrouver les films de la sélection ?

SH : En effet, comme dans la plupart des festivals, il est préférable de bien identifier les projections auxquelles on veut assister et prendre son billet dès que possible. Beaucoup de séances ont affiché complet et nous en sommes ravis. Ce festival a pu proposer des premières de films inaccessibles en France et le public qui y était présent a témoigné de son intérêt et de son envie de voir plus de films provenant de l’industrie nigériane.

Notre plus grand souhait, ainsi que celui des directeurs et producteurs présents lors du festival, est d’avoir ces films disponibles sur le plus de plateformes possibles. Des partenaires comme Canal + ou Nollywood TV envisagent d’acquérir les droits de diffusion de certains de ces films. Il reste donc à attendre et voir.

GLF : Si c’était à refaire que changeriez-vous à cette édition 2014 ? Peut-on déjà prendre rendez-vous pour l’année prochaine ?

SH : Question difficile ! Les challenges ne sont là que pour nous faire grandir et nous en apprendre. J’accentuerais peut-être plus la communication, notamment pour inviter le public à prendre ses billets dès la veille du Festival ou en Early Bird comme nous l’avions déjà fait.

Oui. Vous pouvez déjà prendre rendez-vous pour l’année prochaine avec, nous l’espérons, encore plus de films qui vous toucheront et encore plus de rencontres avec ceux qui font Nollywood.

GLF : Le cinéma, grâce à une technique et des moyens de diffusion, met à notre disposition des images, des sons, nous dépeignant un tableau vivant, imitant ou distinguant la réalité. Quelle est selon vous le rôle de ceux qui créent ces images ?

SH : Le cinéma porte bien son surnom de septième art.

Le cinéma étant un art, il est là pour sublimer, dévoiler, dépeindre ou adapter une réalité. L’artiste, ici le réalisateur ou le producteur n’a le devoir que de suivre sa propre ambition et vision, même si cet art est un vecteur considérable d’influences que nous ne pouvons négliger. C’est pour cela qu’il y aura toujours des messages plus ou moins directs dans les films. Le rôle des créateurs selon moi n’est pas d’aboutir à une mission spécifique, mais de faire ce qu’ils font avec brio et ardeur, en définitive de laisser leur marque en ne cessant d’inspirer.

GLF : Shari Hammond, merci.

SH : Merci à vous

Propos recueillis par Gaylord Lukanga Feza

Développer l’industrie du cinéma en Afrique

une_cinemaLorsqu’on observe les budgets colossaux des films américains, on arrive vite à la conclusion que l’industrie cinématographique peut contribuer à créer beaucoup d’activités économiques, voire d’emplois. De même, quand on considère le contenu des films américains et leur influence sur le rayonnement international des Etats-Unis, on ne peut que conclure à l’importance stratégique du cinéma dans la visibilité internationale d’une nation. C’est aussi à la même conclusion qu’on arrive lorsqu’on prend en compte « l’exception culturelle » Française. Dès lors, il convient d’accorder une place plus importante à l’industrie cinématographique dans les réflexions sur le développement de l’Afrique.

La bonne nouvelle, c’est que l’Afrique n’a plus besoin d’aller chercher loin les recettes pour développer son industrie cinématographique. Aujourd’hui, le Nigéria offre un exemple à suivre à travers son industrie cinématographique communément appelé « Nollywood ». Cependant, à l’heure actuelle, nous savons très peu de la conjonction de facteurs qui a conduit à l’émergence et au succès grandissant de cette industrie au Nigéria. Pourquoi n’avons-nous pas observé le même succès dans d’autres pays ? Qu’est ce qui a fait la différence ? Le succès Nigérian est-il transposable dans d’autres pays africains ?

Les quelques rares publications sur l’émergence de Nollywood nous fournissent quelques réponses à ces questions. Cependant, celles-ci ne nous semblent pas satisfaisantes. L’un des ouvrages qui examine cette question avec beaucoup d’adresse est celui de Pierre Barrot intitulé « Nollywood : Le phénomène de la vidéo au Nigéria ». A partir de l’article dont il a fait l’objet sur ce site web on y apprend que la présence d’investisseurs locaux, l’acquisition des nouvelles technologies et l’utilisation optimale des ressources sont les trois principaux facteurs qui expliqueraient le succès nigérian. A y voir de près, on constate que toutes ces conditions sont également réunies dans plusieurs autres pays comme le Ghana, le Kenya ou l’Afrique du Sud. Cependant, en dépit des multiples tentatives qui sont faites dans ces pays pour développer l’industrie du cinéma, le succès n’est pas encore au rendez-vous.

L’une des conditions que nous avons identifiée et qui semble expliquer le succès nigérian est l’économie d’échelle. Ce paramètre économique qui baisse significativement les coûts unitaires de production à mesure que le marché potentiel s’élargit permet d'expliquer l’émergence de l’industrie cinématographique au Nigéria. C’est elle qui a permis de rentabiliser les productions coûteuses du cinéma et d’inciter les investisseurs locaux à placer leurs actifs dans ce secteur. C’est aussi elle qui a incité les entrepreneurs à adopter les nouvelles technologies pour profiter davantage les économies d’échelles. Enfin, c’est elle qui a induit l’utilisation optimale des ressources pour satisfaire aux exigences de rentabilité des investisseurs.

Etant le pays le plus peuplé d’Afrique avec plus de 168 millions de personnes en 2012, loin devant l’Egypte et l’Ethiopie (87 millions), le Nigéria présente cette particularité démographique nécessaire à l’activation des économies d’échelle qui sont très importantes dans l’industrie cinématographique. Il en est de même pour le succès croissant de Hollywood qui peut se permettre de financer des films très coûteux, mais de très bonne qualité, vendus dans le monde entier.[1] A elles seules, les économies d’échelles induites par la démographie exceptionnelle du Nigéria peuvent expliquer les trois facteurs identifiés dans les publications actuelles comme sources de l’émergence du cinéma au Nigéria.

Compte tenu du caractère exogène de cette cause, il en résulte que le succès nigérian sera difficile à répliquer dans d’autres pays africains. Même en tenant compte des perspectives démographiques, très peu de pays africains seraient en mesure de faire émerger une industrie de production cinématographique comme celle du Nigéria. Par conséquent, il serait intéressant de voir une convergence des politiques de la culture entre les pays africains de manière à soutenir la montée en puissance de Nollywood comme le hub du cinéma africain à l’échelle mondiale. Cela passera par davantage de collaborations entre les cinéastes nigérians et ceux des autres pays africains. Cette tendance est actuellement en cours entre le Ghana et le Nigéria où l’on observe que des acteurs nigérians et ghanéens jouent dans le même film. En plus, la contribution des Etats africains à la formation des ressources humaines et à la mise en place des infrastructures nécessaires à la production ne serait plus que souhaitable.

Nonobstant la conclusion à laquelle nous sommes parvenus, il n’en demeure pas moins que le mystère persiste sur les mécanismes microéconomique, politique et social qui ont assuré le succès de  Nollywood non seulement au Nigéria mais de plus en plus dans toute l’Afrique. Des réflexions plus poussées méritent d’être menées sur la question afin d’accompagner le développement de cette industrie si capitale dans le processus du développement. Me permettant de compléter cette citation attribuée à Edouard Herriot, je dirai que la culture n’est pas seulement ce qui reste quand on a tout oublié ; mais c’est aussi ce qu’il y a d’original à partager avec les autres ; le cinéma en est une.

 

Aller plus loin :

NOLLYWOOD : La réussite made in Nigeria

 

Georges Vivien Houngbonon

 

 

 

 

 

 


[1] La production du film Avatar a coûté 387 millions de dollars US. (cf. Wikipédia)

 

 

 

 

 

FESPACO : la biennale du cinéma africain en marche

fespaco 2013Le premier « Festival de Cinéma Africain de Ouagadougou » vit le jour en 1969 grâce à la volonté et à l’engagement d’amoureux du 7ème art, parmi lesquels Alimata Salembéré, François Bassolet, Claude Prieux et un certain nombre d'illustres anonymes. Rebaptisé FESPACO (Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou) en 1972, le FESPACO s'est très vite hissé au rang du plus grand rendez-vous du cinéma d'Afrique francophone. Trois objectifs sous-tendent cette manifestation : 1/ Favoriser la diffusion de toutes les œuvres du cinéma africain ; 2/ Permettre les contacts et les échanges entre professionnels du cinéma et de l'audiovisuel ; 3/ Contribuer à l'essor, au développement et à la sauvegarde du cinéma africain, en tant que moyen d'expression, d'éducation et de conscientisation. En vingt-trois éditions réalisées en 44 ans, le FESPACO n’a cessé de grandir et de gravir les échelons avec au moins une innovation à chaque nouvelle édition. Il a grandi en quantité avec l’augmentation du nombre de films dans les compétitions officielles et du nombre de festivaliers ; il a grandi aussi en qualité avec l’émergence d’une génération « caméra» faisant de cet art une véritable vitrine d’exposition de tout le savoir-être et le savoir-faire africain.

Cette 23ème édition s’est inscrite dans la dynamique des précédentes bien que marquée par une crispation sécuritaire et l’hésitation de certains festivaliers, du fait du conflit voisin au Nord Mali. Tenu sous le thème de « Cinéma africain et politiques publiques en Afrique » le FESPACO à attribué 6200 accréditations et a présenté 101 films provenant de 35 pays d’Afrique et de sa diaspora dans la compétition officielle et 68 films hors compétition. Dans la catégorie « fiction-long métrage », où est décerné l’Etalon d’or de yennenga, la plus haute distinction, 20 films étaient en compétition.

cérémonie ouverture fespacoLa cérémonie d'ouverture 

Samedi 23 février 2013, dans un stade du 04 août loin de ses grands jours, le public a assisté à une cérémonie d’ouverture très sobre. La soirée avait pris pour thème « Wakatt (le temps) ». A travers une représentation chorégraphique bien enlevé, les spectateurs ont pu voyager dans le temps à la découverte du patrimoine culturelle antique et contemporain de l’Afrique. Les artistes musiciens n’étaient pas en reste. Flavour du Nigéria a le plus égaillé le public avec son « ashao». Il a pu faire bouger les premières dames Chantal Compaoré du Burkina et Sylvia Bongo du Gabon (pays invité d’honneur à cette édition) présentes dans les tribunes. Des artistes nationaux tels que Grèg et Sana Bob on également apporté leur touche à la soirée.

Le MICA (Marché International du Cinéma et de la Télévision Africains)

Le MICA est sans doute l’espace le plus stratégique et le plus intéressant pour les spécialistes du 7ème art. Il s'agit d'un espace professionnel de vente et d’achat des œuvres cinématographiques et vidéographique. Mais c'est avant tout un cadre de rencontres, de promotions et d’échanges ouvert aux aux professionnel du cinéma du monde entier. Installé à l’hôtel Azalai, ce marché a permis à des centaines de réalisateurs, de comédiens, de techniciens de la télévisions, de producteurs, de promoteurs et d’administrateurs du cinéma…de se rencontrer, de se parler, de partager leurs expériences et de faire de bonnes affaires.

Les espaces de rencontre

Initier pour la première fois à l’édition de 1973, les espaces de rencontres du FESPACO sont une véritable tribune d’expression pour les professionnels du cinéma. Organisés sous forme de colloque, ils permettent de mener des réflexions approfondies sur le thème du festival et sur d’autres thèmes parallèles. Pour cette année, c’est le Comptoir Burkinabè des Chargeurs (CBC), qui a accueilli les 26 et 27 février derniers les spécialistes du cinéma africains autours du thème central « cinéma africain et politique publique ». Quatre table-rondes ont détaillé cette thématique : « état des lieux des politiques publiques d’aide aux productions cinématographiques et audiovisuelles dans les pays africains » ; « Du constat à l’action : la contribution au niveau communautaire et des institutions » ; « Du constat à l’action : les solutions au niveau des Etats» ; « Du constat à l’action : la contribution des institutions financières/l’axe juridique ». Ces table-rondes ont été l'occasion de scruter à la loupe les maux qui minent le cinéma africain. Le constat phare qui en est ressorti est que les Etats Africains ne s’impliquent pas assez dans l’émergence et le développement du 7ème art. Pour plus de visibilité et de compétitivité sur le marché mondial, l’industrie du cinéma doit donc être renforcée en qualité et en quantité, à l’image de ce qui se fait en Afrique du sud et au Nigéria, pays qui ont un train d'avance en Afrique sur ce sujet. Comme à chaque clôture des colloques du FESPACO, des doléances ont été formulées pour qu’en ambassadeur du cinéma, chaque participant en soit le relais dans son pays.

etalondorL’Etalon d’or de Yennenga

De la première édition à la présente, les pays africains se sont succédés sur la plus haute marche du podium à la conquête de l’étalon d’or de Yennenga, la plus prestigieuse des récompenses. Crée en 1972, ce prix reste la convoitise de tous les cinéastes. Le premier trophée fut remporté par le célèbre réalisateur Nigérien Oumarou Ganda avec son film « Le Wazzou polygame ». « PEGASE » du réalisateur Marocain Mohamed MOUFTAKIR avait suscité en son temps bien des frissons et conquit le cœur du jury à la 22ème édition. Pour cette année l’Etalon en galopant a pris la direction du pays de la Téranga. Alain Gomis vient d’inscrire son nom au panthéon des plus grands cinéastes d’Afrique avec son film « Tey » (aujourd'hui) sacré Etalon d’or de Yennenga. Il empoche la coquette somme de dix millions de franc CFA plus le trophée remis des mains du président Blaise Compaoré. Pour sa première, le Sénégal rentre dans le palmarès de l’Etalon de Yennenga avec la manière puisque « La pirogue » de Moussa Touré a remporté l’Etalon de bronze. Le FESPACO 2013 aurait donc été très fructueux pour le Sénégal. Quant à l’Etalon d’argent, il a pris le chemin de l’Algérie avec le film « Yema » de Djamila Sahraoui.

Les défis à relever

La maturité du FESPACO dans le circuit des plus grands festivals de films africains est avérée. Mais des défis énormes restent à surmonter. Ainsi par exemple de la question épineuse du site siège de l'évènement, dont les travaux peinent à s’achever. Le 15 janvier dernier un incendie dévastateur a réduit en cendre la cinémathèque en construction. Des décisions concrètes et définitives doivent être prises pour que cette infrastructure soit livrée dans sa totalité avant l’édition prochaine. Il en va de la crédibilité de la manifestation. Aussi les Etats africains manquent de politique réelle de cinéma laissant les réalisateurs et tous ceux exerçants dans ce domaine face à eux même et obligés de se battre doublement pour faire valoir leurs idées. Des orientations dans ce sens sont donc très attendues par tous. C’est ce que semble comprendre les responsables culturels africains, d’où le thème de la présente édition «Cinéma africain et politiques publiques ». La Cote d’Ivoire, fortement représentée à Ouagadougou, a décrété 2013 comme année du cinéma et le Gabon invité d’honneur a annoncé une panoplie de mesures pour le cinéma Gabonais. Il faut espérer que ces initiatives aideront à répondre à la première des préoccupations des réalisateurs et des producteurs, le financement. Le FESPACO doit enfin constituer un tremplin, une couverture pour tous les acteurs du cinéma. Il est panafricain, comme son nom l’indique, mais la dénomination doit être à la hauteur des ambitions. Soutenir, former, motiver…tous les acteurs du cinéma africains doit devenir le leitmotiv central de la manifestation. Bon vent au FESPACO et vive le cinéma africain. 

Ismaël  Compaoré

NOLLYWOOD : La réussite made in Nigeria

En juin 2007 sortait un film documentaire réalisé par Franco Sacchi et Roberto Caputo intitulé This is Nollywood. Ce documentaire, récompensé au Raindance Film Festival de Londres la même année, retrace la naissance et le développement de l’industrie du cinéma au Nigéria. On y apprend comment une industrie générant plus de 250 millions de dollars l’année a pu voir le jour sur le continent le plus pauvre de la planète. On y apprend également comment Nollywood est devenue en l’espace de quelques années seulement la troisième puissance cinématographique au monde en nombre de films après Bollywood en Inde (Iere) et Hollywood aux Etats-Unis (IIe).

A travers cet « exemple-symbole »je tâcherai de vous présenter une Afrique que l’on ne montre pas souvent : une Afrique qui marche, qui crée des emplois et offre de nouvelles perspectives. Cela étant dit, il faudra, de la même manière, se pencher sur les contraintes sociales et économiques agissant comme des freins à l’exploitation de toutes les capacités existantes pour le développement de cette industrie fleurissante.

La fin des années 80 est une période trouble à Lagos où la violence et l’insécurité qui l’accompagne  se trouvent partout dans les rues. Une fois la nuit tombée il devient dangereux de se hasarder hors de son domicile. Dans ce contexte et de manière extrêmement rapide, la majeure partie des lieux de vie sociale sont désertés : bars, restaurants, jusqu’aux lieux de cultes. Il en est de même pour les rares salles de cinéma que compte alors la ville. S’organise alors un système d’import massif de films vidéo venus d’Inde et des Etats-Unis. Face à cette concurrence prestigieuse, la production cinématographique locale s’effondre.

Au début de l’année 1990, un scénariste Okey Ogunjiofor, tente de trouver un réalisateur pour son histoire intitulée Living In Bondage, qui, comme son nom l’indique,  traite avant tout du rapport de l’homme au pouvoir et de la volonté des dirigeants de conserver leurs populations dans l’obscurantisme. Si le réalisateur est finalement trouvé en la personne de Chris Obi Rapu, reste encore à le produire. Ken Nnebue, déjà connu dans le milieu, décide de produire le film mais une nouvelle stratégie s’initie en ce qui concerne la commercialisation. La production décide en effet que le film ne sortira pas sur grand écran craignant que la faible fréquentation des salles  ne lui permette pas de rentrer dans ses frais. Le film est alors copié sur VHS uniquement et livré aux kiosques. Au début de l’année 1992 sort la cassette Living In Bondage. Le succès est immense. Nollywood est née.

Aujourd’hui l’industrie du film de Lagos est la troisième puissance cinématographique mondiale en terme de nombre de sorties derrière les deux géants Bollywood et Hollywood. Avec un budget global de 250 millions de dollars par an Nollywood produit plus de 1800 films par an et livre dans les kiosques plus de 30 films par semaines ! Cette production intensive comble une forte demande estimée à plus de 100 millions de consommateurs et permet dans le même temps de créer plusieurs milliers d’emplois. Quels sont donc les facteurs aillant permis un tel essor ?

On peut dégager trois éléments permettant d’entendre la réussite de Nollywood. Tout d’abord, il y a des entrepreneurs locaux qui investissent massivement dans la production des films. On retrouve aujourd’hui à Lagos, environ 300 producteurs prêts à investir chaque jour dans de nouveaux projets cinématographiques. Il y a ensuite l’acquisition des nouvelles technologies. Les caméras digitales ont laissé place aux caméras HD et les supports ne sont plus VHS mais quasiment intégralement DVD. Enfin, l’utilisation optimale des ressources s’avère être également un facteur de réussite. La durée moyenne d’un tournage est de 12 jours pendant que le budget moyen qui est alloué à un long métrage est de 15 000 dollars. La post- production est rapide et peu coûteuse pour des retombées financières immédiates. Un bon film vendra en moyenne 50 000 copies tandis qu’un véritable succès se vendra à plus du double. Le lieu physique symbolisant le mieux cette réussite est sans aucun doute l’Idumtao Market. Ce quartier de Lagos entièrement transformé en centre géant du 7e art nigérian, où les stars aiment flâner afin de tester leur popularité, abrite plusieurs dizaines de magasins tous consacrés à la vente de DVD et de produits dérivés.

Malgré cette réussite il faut noter que Nollywood se trouve encore loin derrière ses deux ainées et qu’il existe certains facteurs freinant son développement.

La réussite de Nollywood reste toute relative. Bien qu’il serait mal venu de tenter de la mettre sur un pied d’égalité avec ses concurrentes il est intéressant de noter par la comparaison chiffrée l’écart, pour ne pas dire le gouffre, qui subsiste entre l’industrie du cinéma nigérian et ses deux principales rivales. Si, comme il a déjà été dit plus tôt, le cinéma nigérian génère 250 millions de dollars par an, le cinéma indien lui en génère 1,3 milliards et l’Américain… 51 milliards toutes productions confondues (films, séries etc.). Le film le plus cher de Nollywood a nécessité un budget de 89 000 dollars tandis que son pendant américain Avatar a mobilisé un budget de 460 millions de dollars. Enfin, l’exposition internationale n’est pas encore assurée puisqu’il n’existe pas, à ce jour, de cérémonie de récompenses semblable aux Filmfare Awards (Bollywood) ou aux mondialement connus Oscars (Hollywood).

Au-delà de ce retard, des facteurs endogènes viennent perturber le développement du cinéma au Nigéria.

Tout d’abord, le piratage, massivement répandu dans la capitale, met à mal la vente des DVD malgré les contrôles répétés des distributeurs. Si le piratage existe partout ailleurs, il fait des dégâts tout particulièrement à Nollywood où les recettes ne proviennent quasi-exclusivement que de la vente de DVD puisque les sorties en salles représentent un pourcentage infime des films. Il existe également un problème d’infrastructures puisque dans le quartier de Surelere, quartier qui abrite les bureaux de production, les salles de montage, il n’existe pas de studio de tournage où il serait possible d’installer des décors virtuels. Tous les tournages se font donc sous décors naturels ce qui entraîne une nouvelle complication : le racket. Bien souvent les réalisateurs doivent payer les chefs de bandes des différents quartiers de la ville, pour obtenir le droit de tourner sur leurs « territoires » ce qui peut parfois grever lourdement le budget du film. Enfin, le manque de professionnalisme de certains acteurs peut entraîner du retard dans les commandes. S’il existe de nombreux films, les mêmes acteurs se retrouvent sur beaucoup d’affiches. Ils acceptent souvent plusieurs tournages à la fois ce qui entraîne un absentéisme répété, donc du retard, donc une perte d’argent.

 

 

Si Nollywood est économiquement intéressant à étudier, son intérêt social n’est pas à négliger. Pourquoi ce cinéma nigérian est-il si populaire ? Ce sont les sujets qui y sont abordés qui le rendent attractif. On y parle de la prostitution, du sida, de la guerre, de la religion. Des thèmes auxquels la population est confrontée tous les jours. Cette attractivité s’opère aussi par la variation dans la manière d’aborder ces thèmes : tantôt par le drame, tantôt par la comédie, tantôt par la romance. La popularité des films de Lagos est telle qu’elle se diffuse petit à petit en dehors des frontières du pays pour toucher en premier lieu les pays anglophones d’Afrique comme le Ghana, le Libéria ou encore la Zambie. Cette passion commence également à toucher la diaspora noire des Etats-Unis et d’Europe où les jeunes notamment s’intéressent aux différentes productions.

Dix-huit ans après sa création Nollywood a convaincu le Nigéria et se lance, avec ses armes, à la conquête du monde. L’industrie du cinéma nigérian est devenue si populaire quelle est aujourd’hui un instrument stratégique crucial pour certaines institutions. La maison de production évangéliste Mount Zien Faith Ministries produit exclusivement des films dont le thème est la religion et dont les scénarii mettent en avant les évangélistes face aux autres obédiences religieuses. En réponse, quelques maisons de production musulmanes, avec de puissants mécènes, se sont créées à Lagos ces dernières années.

Giovanni C. DJOSSOU

Sources : Nollywood : le phénomène vidéo par Pierre Barrot Nollywood par Hugo Pieter www.thisisnollywood.com