L’Afrique a-t-elle peur de la page blanche?

Lecteurs peu nombreux, prix élevés des livres, politiques publiques de promotion du livre quasi inexistantes : de nombreux freins au développement de l’industrie du livre africain subsistent. Ce déclin n’est pourtant pas inévitable et représente un réel potentiel économique pour le continent.

En Afrique du Sud, la célèbre librairie Boekehuis va fermer ses portes à la fin du mois (source AFP). La « maison des livres » est pourtant l’une des librairies les plus fréquentées de Johannesbourg, mais n’a jamais été rentable selon son propriétaire. Le cas de cette librairie est assez emblématique de la situation de l’industrie du livre en Afrique, qui peine à conquérir des lecteurs.

Les freins économiques au développement de l’industrie du livre sur le continent sont nombreux, le premier étant évidemment le faible pouvoir d’achat du lecteur moyen, qui une fois les dépenses essentielles effectuées, ne dispose que d’un budget limité pour acheter des livres. Du fait de la faiblesse des tirages lancés par les maisons d’édition africaines, le prix à l’unité d’un livre reste très élevé, et ce même pour les classes moyennes. En Afrique du Sud, un livre de poche coûte environ 10 euros, alors que les salaires les plus modestes atteignent à peine 300 euros. Seuls quelques best-sellers permettent à une maison d’édition de faire un retour sur investissement convenable, ce qui ne permet pas à cette dernière de s’orienter vers une baisse des prix. Au-delà du manque d’investissements des grands groupes internationaux dans l’édition africaine, l’industrie est confrontée au taux d’analphabétisme élevé de certains Etats africains, et surtout à la pénurie de librairies et de bibliothèques. On peut d’ailleurs s’interroger sur les causes du fossé entre le nombre d’écoles et et le nombre de bibliothèques, relativement faible, sur le continent. Dans les années 1960, les bibliothèques ont principalement été créées par les représentations diplomatiques étrangères dans le cadre de leur politique culturelle, via les centres et les instituts culturels. Ces bibliothèques sont toujours ouvertes aujourd’hui et rencontrent un certain succès auprès des lecteurs francophones ou anglophones, les pays africains n’ayant que peu investi dans des infrastructures culturelles alternatives.

L’Afrique du Sud est pourtant, avec le Nigéria, le pays où l’industrie du livre est la plus dynamique, avec des maisons d’édition qui publient les auteurs nationaux. Les deux pays ont bien résisté à la crise internationale avec le maintien des ventes de livres à un niveau relativement stable, et l’industrie a bénéficié du développment du commerce sur Internet et du livre électronique. Toutefois les livres vendus sont majoritairement des livres de langue anglaise, directement importés du Royaume-Uni ou des Etats-Unis. 

En Afrique francophone, le constat est moins encourageant, avec une production nationale très limitée, et un faible intérêt de l’Etat pour valoriser le secteur de l’édition, les taxes sur les livres étant souvent élevées. Le principal débouché des maisons d’édition locales, le livre scolaire est même de plus en plus trusté par les éditeurs européens, capables d’offrir des tirages élevés dans des délais serrés et disposant des ressources financières nécessaires pour pré-financer les commandes des Etats africains. La plupart des auteurs africains francophones cherchent d’ailleurs à se faire publier en France, afin de toucher un lectorat plus vaste et friand de littérature africaine, comme en témoigne le succès d'Alain Mabanckou ou de Yasmina Khadra.

Certains diront que le développement d’une industrie du livre dynamique, capable d’éditer des auteurs africains, est loin d’être une priorité face aux autres défis que doit relever le continent. L’essor d’un lectorat africain permettrait pourtant de stimuler l’impression de livres localement, en structurant une filière de production à même de recruter un personnel technique qualifié et de favoriser la production intellectuelle à l’échelle du continent. Le développement de nouvelles technologies, tel que le livre électronique, pourrait constituer une alternative au coût à l’unité élevé des livres et encourager leur diffusion au-delà des capitales, dans des territoires peu équipés en points de vente et en librairies. Face à la disparition progressive de la culture de la lecture en Afrique, la responsabilité incombe aux gouvernments d’avoir une politique du livre volontariste en développant les réseaux de bibliothèques et en soutenant les maisons d’édition africaines, la priorité étant à l’évidence la redéfinition des politiques d’alphabétisation et des efforts plus soutenus en matière d’accès à l’éducation primaire.

Le déclin de l’industrie africaine du livre n’est donc pas inévitable, et il suffit de constater le succès de la presse sur le continent pour se persuader du formidable potentiel représenté par le secteur. Les maisons d’édition africaines doivent donc faire des efforts pour adapter leurs publications à la demande des lecteurs, tout en étant soutenues par des politiques éducatives pertinentes au niveau national. Le cliché de la tradition de l’oralité africaine n’a déjà que trop perduré.

Leïla Morghad