L’impunité au Mali : Vers une récidive des erreurs précédemment commises ?

dv1915456Depuis que le Mali a rompu avec le régime dictatorial du général Moussa Traoré (1968-1991), suite à la révolution du 21 mars 1991, la démocratie malienne instaurée par Alpha Oumar Konaré et perpétuée par Amadou Toumani Touré, était un exemple, et citée parmi les plus prometteuses d’Afrique. La crise que vit le pays depuis mars 2012, sans doute la plus importante de son histoire, a sérieusement fracturé la société malienne dans son ensemble, bouleversé le dispositif politique, et permis de dévoiler ce mirage démocratique longtemps vanté, qui était pourtant bâti sur des bases fragiles.

L’issue de cette crise devrait donner lieu à une réorganisation en profondeur de la société malienne, à une redéfinition de la politique et un véritable dialogue entre différents antagonistes afin d’aboutir, enfin, à un consensus et une paix réellement durable. Pour cela, il est indispensable d’éviter les solutions expéditives pour ne pas à nouveau commettre les mêmes erreurs que lors des précédentes crises.

L’impunité : solution de la crise malienne ?

Le Mali semble de plus en plus dans une impasse. Les décisions politiques "désespérées" du président Ibrahim Boubacar Kéita (élu en août 2013) pour amener le pays vers la paix paraissent inopportunes, et l’inextricabilité de la situation malienne est de plus en plus prononcée. Des décisions politiques inopportunes, car, dans l’intégralité du processus de résolution (entamé par l’élection présidentielle) de la crise malienne, les principales victimes (en particulier les populations du nord) semblent être totalement ignorées.

L’impunité qui a prévalu dans de précédentes crises au Mali, est l’une des principales causes de celle que traverse le pays aujourd’hui. Pourtant, le 2 octobre 2013, le gouvernement malien a procédé à la libération de 23 membres du MNLA et du Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA). Les mêmes actes avaient été posés sous la présidence d’Amadou Toumani Touré, qui mettait en liberté, sans aucune décision de justice, des terroristes arrêtés. Les mêmes éléments relâchés se trouvaient ensuite impliqués dans de nouvelles activités terroristes.

Toute la complication de la crise malienne réside dans les tensions existant entre les différentes communautés. Et c’est pourtant ce qui semble être ignoré par les dirigeants maliens. La réalité est qu’il existe aujourd’hui dans l’ensemble du Mali, et en particulier au nord, une indéniable dichotomie entre populations touarègues et non touarègues. De graves crimes ont sans doute été commis de part et d’autre. L’impunité sous prétexte d’une quelconque réconciliation, ne saurait être une base solide pour la paix, seule la justice permettrait d’y accéder. Le nouveau gouvernement malien aurait certainement dû mettre tout en œuvre, pour poursuivre et juger les auteurs des principales violations des droits humains commises, sans distinction de parties.

« Pour faciliter les négociations et dans le but d’accéder rapidement à la paix » dit-il, le ministre de la Justice malien a annoncé le 21 octobre 2013 la levée des mandats d’arrêt émis début février par le Procureur général près la Cour d’Appel de Bamako contre des membres du MNLA. Cette décision pourrait davantage aggraver la fracture entre les communautés, en exacerbant la frustration des victimes et le sentiment d’impunité en faveur des présumés auteurs.

La levée des mandats d’arrêt en question ne découle d’aucune décision judiciaire, ce qui fait qu’elle engendre ce sentiment d’impunité. En réponse à la gronde sociale contre la levée desdits mandats d’arrêts et la libération des membres de groupes armés, le président malien a fait clairement savoir lors de l’ouverture des Assises nationales sur le nord le 2 novembre 2013 à Bamako que « c’est le prix à payer pour la réconciliation », car, a-t-il dit : « j’ai été élu pour gérer le réel et non pas pour satisfaire le fantasme des uns et des autres ».

Toujours dans la logique d’une réconciliation nationale, le parti présidentiel (RPM) est allé jusqu’à inscrire sur sa liste aux élections législatives de 2013, un présumé criminel qui aurait une responsabilité dans le meurtre de dizaines de soldats maliens à Aguel Hoc.  Il s’agit du leader du HCUA et candidat du parti présidentiel dans le cercle d’Abeïbara (région de Kidal). La candidature de celui qui, autrefois, était président du groupe parlementaire d'amitié Mali-Algérie, aux élections législatives ne peut qu’attirer l’attention. Lors de la dernière rébellion touarègue, il avait rapidement déserté l’Hémicycle pour rejoindre la contestation touarègue, puis le groupe djihadiste Ansar Ed Dine.

Réconciliation nationale et lutte contre l’impunité

Le prélude d’une situation de stabilité absolue au Mali  est la réconciliation nationale. Pour la grande majorité de la population malienne, le nom « Touareg » est indissociable de la notion de rebelle, d’ennemi de l’État. Il faudrait donc amener l’ensemble des populations maliennes, à comprendre, à travers une véritable campagne de sensibilisation, qu’un Touareg n’est pas forcément un rebelle. Cela passe obligatoirement par une décision de justice, sanctionnant ceux d’entre eux ayant été impliqués dans des crimes contre l’Etat et contre des populations civiles. Les populations victimes de la crise, particulièrement dans les villes auparavant occupées par les groupes armées, ne peuvent qu’être exaspérées de voir libérés des responsables présumés de graves crimes commis : crimes contre l’humanité, crime de guerre, crimes à caractères racial, régionaliste et religieux, assassinats, rébellion, terrorisme…

Pour accéder à une paix durable, aucune solution politique ne devrait être adoptée au détriment des victimes et d’une justice indépendante.

 

Boubacar Haidara