A l’heure où certains débattent sur la nature de la transition qu’a connu l’Egypte la semaine dernière (un coup d’Etat ? une seconde révolution ?), la situation économique de l’Egypte continue de se dégrader. Le premier ministre du gouvernement de transition, Hazem el Beblawi, économiste de son état, devra entre autres redresser l’économie égyptienne. Analyse des cinq défis qui l’attendent.
Le prêt FMI se fait encore attendre
Cela fait deux ans que les autorités égyptiennes déclarent qu’elles n’ont jamais été aussi proches d’un accord, et l’on pourrait croire que le staff du Fonds Monétaire International a pris un abonnement Washington-Le Caire. Mais telle l’arlésienne, le prêt (4,8 milliards de dollars) n’a toujours pas été formalisé : le FMI demandait un plan de réformes structurelles, au coût social élevé, que le président Morsi n’a pas eu le courage de mener. En avril 2013, le principal interlocuteur du FMI, le vice-ministre des Finances Hany Kadry Dimian a démissionné, ce qui a eu un impact négatif sur la conduite des discussions avec Washington. Les récentes déclarations du porte-parole du FMI, Gerry Rice, ont fait état de l’embarras du FMI, qui même s’il affirme être en contact avec les hauts fonctionnaires du Ministère des Finances égyptien, semble avoir adopté une position attentiste. Il convient de rappeler que le prêt FMI est déterminant pour stabiliser l’économie égyptienne, car de nombreux bailleurs de fonds, notamment l’Union Européenne, ont fait de son obtention une condition pour attribuer leur soutien financier.
Les réserves de blé sont au plus bas
L’Egypte est le premier importateur de blé au niveau mondial, avec 83 millions de bouches à nourrir. Avec 10 millions de tonnes de blé importées chaque année, le pays subventionne encore largement le pain, vendu quelques centimes d’euros le kilo. Ce pain subventionné est essentiel pour la survie de la plupart des familles égyptiennes, une pénurie en 2008 avait d’ailleurs provoqué des émeutes de la faim au Caire. La situation actuelle est critique, l’Egypte ne disposant plus que de 500 000 tonnes de blé importé et ne s’est plus approvisionnée sur les marchés internationaux depuis février dernier. Le gouvernement égyptien avait alors affirmé que le pays s’appuierait davantage sur ses récoltes, alors que la production intérieure est insuffisante et affectée par les pénuries d’essence qui diminuent les rendements des récoltes. La FAO a d’ores et déjà lancé une alerte concernant l’impact de la baisse des réserves de devise sur les stocks de blé du pays.
L’Egypte vit la plus grave crise énergétique de son histoire
Les coupures d’électricité et les pénuries d’essence au Caire et en province sont un des facteurs du mécontentement de la population égyptienne vis-à-vis de Mohamed Morsi. Contrairement à ce qu’annoncent certains journaux, ces deux phénomènes n’ont pas soudainement disparu depuis la mise en place du gouvernement de transition. Les coupures d’électricité sont la conséquence de centrales électriques anciennes et mal entretenues et surtout d’une consommation nationale en constante augmentation. Le fait que l’électricité soit lourdement subventionnée, pour les particuliers comme pour les industriels, ne fait qu’aggraver le problème. Quant à l’essence, la déconnection de son prix vente final vis-à-vis des cours mondiaux a progressivement aggravé le déficit public, et la récente suppression des subventions sur l’octane 95 n’a pas réglé le problème, les consommateurs ayant alors privilégié l’octane 80, ou le diesel. Rappelons que 40% du budget de l’état égyptien est dédié aux différentes subventions.
Les investissements étrangers se sont évaporés et les touristes ont disparu
Les deux principales sources de devises étrangères, à savoir les recettes tirées des investissements directs étrangers (IDE) et du tourisme se sont taries. Avant la révolution de 2011, les IDE s’élevaient en moyenne à 6.5 milliards de dollars. Au deuxième trimestre 2012, ils ont atteint 0.3 milliards de dollars, conséquence de la prudence des investisseurs de l’Union Européenne et du Golfe. Le secteur du tourisme, d’habitude résilient, traverse une crise sans précédent : le nombre de touristes en 2012 était en baisse de 25% par rapport à 2010, dans un pays où le secteur contribue à hauteur de 25% des devises, et emploie 12% de la population active. L’instabilité politique des deux dernières années (manifestations au Caire et insécurité dans le Sinaï) ainsi que des déclarations maladroites sur la volonté de promouvoir un « tourisme islamique » ont fait disparaître l’Egypte des catalogues de voyage européens.
La livre égyptienne s’est effondrée
La diminution des devises étrangères a eu comme impact immédiat une dévaluation lente et progressive de la livre égyptienne, qui a perdu 15% de sa valeur depuis l’arrivée de Morsi au pouvoir fin juin 2011. Le glissement de la livre a entraîné une forte inflation, notamment sur l’alimentation, qui a grevé le budget des ménages égyptiens et fortement amputé leur pouvoir d’achat. La pénurie de devises se fait sentir au quotidien : difficile pour les détenteurs de comptes en dollars dans des banques égyptiennes d’accéder à leurs économies, et les entreprises égyptiennes peinent à trouver des banques en mesure de leur ouvrir des lettres de crédit pour financer leurs importations.
Un an après l’élection de Morsi, le constat est sans appel : l’économie égyptienne est au plus mal, malgré les perfusions en dollars et en gaz qataries. Le grand projet de Morsi, pompeusement appelé « projet Renaissance » a échoué, et laisse l’Egypte dépendante de l’aide internationale, qui tarde à venir. Le gouvernement de transition de Hazem el Beblawi devra inévitablement prendre les mesures sociales que le gouvernement précédent a sans cesse repoussées, au risque de fragiliser sa légitimité déjà contestée.
Yasmine Rigaud