En 2013, les flux d’IDE en direction de la Côte d’Ivoire ont plus que triplé par rapport à 2012, atteignant 621 millions d’euros (CEPICI). En 2014 et 2015, cette donnée devrait être encore plus importante. En outre le pays bénéficie de conditions allégées sur les marchés financiers (régional et international). Ses émissions de longue maturité (supérieur à 3 ans) sont sursouscrites à des taux relativement faibles par rapport à ses pairs de la région (6% en moyenne sur les émissions effectuées depuis 2013). Pour ses premières incursions sur le marché international, le pays a obtenu des taux relativement bas (5,625% pour la première portant sur 750 millions de dollars et 6,625% sur la seconde portant sur 1 milliard de dollars) là où les autres pays obtiennent des niveaux de rémunérations atteignant 10%.
Les partenaires bilatéraux mais aussi les institutions multilatérales se bousculent pour proposer des financements à la Côte d’Ivoire. Ainsi le pays a bénéficié en 2012 d’un C2D (contrat de désendettement et de développement) de la France et l’aide internationale qui a atteint son plus bas niveau durant la crise (100 millions de dollars) s’accélère, se situant à près d’un milliard de dollars en moyenne sur les 3 dernières années. La Chine ne compte pas être en marge. D’autres pays d’Asie tel que l’Inde et Singapour sont prêts à investir dans le pays. Les libanais, déjà fortement présents dans l’économie ivoirienne, tiennent à renforcer leur emprise. Les autres pays africains s’empressent d’acquérir des actifs en Côte d’Ivoire. Selon CEPICI, une bonne partie des investissements reçus par le pays en 2013 proviendraient de la sous-région ouest africaine. Les récentes visites du roi du Maroc à Abidjan portaient un cachet économique. Par ailleurs, toutes les multinationales qui souhaiteraient s’implanter en Afrique de l’ouest veulent désormais passer par la Côte d’Ivoire[1].
De toute évidence, la Côte d’Ivoire a le vent en poulpe (au-delà de l’affection qu’on peut porter au pays) que même les élections présidentielles d’octobre, qui inquiètent à raison des antécédents socio-politiques du pays ne semblent pas remettre en cause.
Qu’est ce qui explique cette attractivité de la Côte d’Ivoire et permettra-t-il d’améliorer les conditions de vie des populations ?
Une situation socio-politique tendue, mais sans danger. La Côte d’Ivoire a connu une période sombre dans son histoire et il serait difficile d’en faire pire. Avec les élections de 2011, le pays semble avoir tourné la page et cette situation tend à réconforter les investisseurs. Si le risque de heurtes n’est pas écarté après les élections à venir et que les défis sur le plan sécuritaire demeurent énormes, source d’instabilité ; il n’affecterait presque pas ou peu l’activité économique. Les tensions entre les différents partis ne se sont certes pas encore totalement dissipées et l’actualité des procès après les élections de 2011 est encore présente. Mais tout porte à croire que les populations sont plus aujourd’hui portées par leur avenir et la restauration de l’image « pays de paix » que leurs désaccords politiques. Selon des observateurs de France 24 à Abidjan, ces tensions qui se sont cristallisées avec une bagarre récente entre un « pro-Gbagbo » et un « pro-Ouattara » n’a fait que les choux gras de la presse et ne suffirait pas à inciter les populations à de la violence. Néanmoins, elle témoigne encore de la fragilité de cette stabilité politique, contenue aujourd’hui par le système en place, et qui pourrait à termes s’amplifier et plonger le pays dans une nouvelle crise.
Le réveil du géant, porté par une vision bien pilotée. La Côte d’Ivoire est la locomotive de la zone UEMOA, l’un des géants de l’Afrique de l’ouest en général, derrière le Nigéria, le Ghana et à côté du Libéria et de la Sierra Léone. La restauration de la situation socio-politique et la nécessité de reconstruire le pays, qui se sont traduites par un investissement public massif (10% en moyenne par an entre 2013 et 2015), a permis d’accélérer la croissance qui a atteint un taux de croissance de 8% en 2013 et 2014: la Côte d’Ivoire rattrape le retard qu’elle a accusé sur elle-même. Selon les prévisions du FMI, le pays devrait afficher un taux de croissance moyen de 6 à 7% entre 2015 et 2020. En outre, le taux de croissance de la population (2,6% par an selon les résultats du dernier recensement) est relativement faible vis-à-vis des perspectives de croissance ; ce qui se traduirait par une hausse (théorique) du pouvoir d’achat des populations : le PIB par tête passerait ainsi de 1403 USD en 2013 (2945 USD PPA) à presque 2000 USD (4500 USD PPA) en 2020. En outre, le pays dispose d’énormes potentialités dans presque tous les secteurs (de l’agriculture aux services) que les autorités ambitionnent de valoriser avec la mise en œuvre du plan Côte d’Ivoire Emergent.
L’investissement public, concentré notamment dans les infrastructures (électricité, transport, etc.) transforme le pays et permet d’y réaliser des affaires de façon durable. Plusieurs réformes entreprises par les autorités entretiennent ce renouveau : la mise en place d’un nouveau code d’investissement et de nouveaux instruments d’encadrement du secteur privé, notamment un cadre de dialogue secteur public – secteur privé, un guichet unique pour les formalités de création d’entreprises, un tribunal de commerce ainsi qu’une plateforme d’échanges pour centraliser les appuis des partenaires au développement à l’environnement des affaires. La solvabilité apparente des consommateurs, l’ouverture du pays sur le marché régional constituent autant de facteurs qui contribuent à renforcer l’attractivité du pays pour les investissements privés.
Une concurrence régionale inexistante. La Côte d’Ivoire bénéficie en outre de la situation défavorable de ses voisins. Hormis le Ghana et le Nigéria et dans une moindre mesure la Sierra Léone et le Libéria avec leur ressources minières, les autres pays de la région sont minés par des difficultés qui entachent leur attractivité auprès des investisseurs. Avec un Sénégal naturellement sous doté et qui souffre de problèmes énergétiques et d’infrastructures ; une situation sécuritaire instable dans le sahel (Mali, Burkina et Niger) ; le Togo et le Bénin qui sont devenu des plateformes commerciales pour le Nigeria et offrent (malgré leur potentiel) peu d’opportunités d’affaires avec des infrastructures défaillantes et un cadre institutionnel faible et non sécurisant, la Côte d’Ivoire se présente de loin comme le seul pays de la sous-région capable d’accueillir les investissements étrangers, et ce d’autant plus qu’elle ouvre la voie aux autres pays (Mali, Niger, Burkina). La boucle ferroviaire, qui sera prochaine réalisée par Bolloré, vient davantage conforter cette position de la Côte d’Ivoire.
Malgré cet engouement que suscite le pays, sa situation sociale n’a que très peu évoluée. « Les routes ne se mangent pas » disent les abidjanais. Cependant, ces routes les « feront manger » à termes (en 2020), à en croire le plan Côte d’Ivoire Emergent. En effet, la croissance actuelle est essentiellement portée par ces projets d’infrastructures et l’exportation mais ce sont ces infrastructures qui constitueront le socle de l’émergence du pays. Elles permettront aux entreprises de profiter des potentialités du pays, de s’orienter vers de la transformation, donc d’employer, de participer à la redistribution de la richesse et de réduire la dépendance du pays aux produits importés … du moins théoriquement. Si une sortie de crise n’est pas toujours synonyme de relève économique (cas du Libéria et de la Sierra Léone), le pari semble aujourd’hui relevé pour la Côte d’Ivoire et la pérennité de ses performances dépendra des choix de politique économique des autorités, notamment en matière de capital humain. Si pour l’heure, la politique de l’Etat en matière d’infrastructures est bien définie et visible, celle portant sur le renforcement du capital humain reste à préciser.
Loin de stigmatiser l’embellie économie et les transformations en cours en Côte d’Ivoire, il convient de signaler que l’attractivité du pays demeure fragile et pourrait être remise en cause par tout choc exogène, notamment sur le plan politique. Il urge donc de renforcer les mécanismes visant à sa pérennisation et à son appropriation par les acteurs économiques internes : inclusion financière, renforcement du capital humain, environnement des affaires sécurisant, fiscalité simple et renforcement des institutions.