Sur la terre d’Eburnie, le peuple gronde, mais reste faible, inactif et subit l’émergence à marche forcée. De loin il regarde les exilés politiques mourir, de loin il compte le nombre de jours de prison de nombreux anonymes. Face à cette situation, le peuple d’Eburnie pense avoir trouvé la voie : pour l’Ivoirien, la révolution sera numérique.
De profonds germes de contestation
Un pouvoir politique ne craint pas un peuple qui ne sait plus se battre pour ses droits. Au contraire, les mesures gouvernementales plus injustes les unes que les autres s’égrainent dans le silence désarmant d’un peuple qui semble avoir perdu son courage. Sur les marchés, les prix des denrées alimentaires sont au plus haut, les étudiants attendent toujours de pouvoir suivre leur formation dans des conditions décentes ; et même lorsqu’ils grondent pour le respect de leurs droits fondamentaux, ils sont victimes d’arrestations. La hausse des prix de l’électricité ne cesse de peser sur le budget des ménages. Le déguerpissement de nombreuses familles de leurs logements insalubres sans alternative crée de la frustration chez une population aux abois. Erigé en norme, le tribalisme refait surface et les scandales de corruption émergent (notamment dans la filière de l’anacarde).
Dans ce climat rempli de ressentiments, le pouvoir, qui se voulait différent de l’ancien régime, est loin d’être exemplaire. Sur le front politique, la réconciliation reste un mirage, les proches de l’ancien président sont toujours détenus dans les geôles sans jugement et sans avoir ne serait-ce que la chance de bénéficier des services d’un avocat. Dans les pays voisins, les exilés politiques continuent de mourir dans une profonde insouciance.
Face à ce tableau sombre, et malgré des indicateurs macroéconomiques qui affichent un niveau record depuis 10 ans, la première économie d’Afrique francophone (9% de croissance annuel moyen sur la période 2012-2015) est loin d’offrir à sa population l’émergence tant souhaitée.
Dans ce contexte, les Ivoiriens se réfugient sur internet, qui est devenu le mur de leurs lamentations, mais aussi le symbole de leur faiblesse. Les pétitions se suivent, les hashtags se succèdent, les statuts de contestation se multiplient, les vidéos s’enchaînent…En vain.
Une contestation en manque de leadership
La démission des élites ne se discute plus. Trop frileuses, elles ont choisi leur camp, celui de l’immobilisme. Elles refusent tout positionnement critique, tout effort de réflexion qui peut sembler désormais dangereux. Elles refusent d’assumer sa place et de mener son combat. Les réseaux sociaux leur servent à montrer qu’elles profitent de l’émergence bien réelle selon elles, n’en déplaise à toutes ces familles qui n’arrivent toujours pas à vivre décemment.
Le terrain de la contestation ayant été laissé vacant par les élites, celles-ci sont remplacées sur internet par des porte-paroles qui de part la faiblesse de leur argumentaire ne font qu’entériner le nivellement par le bas de notre société. On est loin de cette Côte d’ivoire des années 70 ou la contestation était portée par Zadi Zaourou ou encore le professeur Memel-Fotê.
S’organiser pour résister
Le peuple burkinabé a montré l’exemple en Afrique en se soulevant le 31 Octobre 2014 contre la violation de ses libertés fondamentales. Depuis longtemps la colère grondait, le peuple se lamentait et les signes avant coureur d’une révolte étaient visibles. Les vicissitudes de la vie ne parvenaient pas à éteindre la sourde révolte qui se préparait. Les soubresauts de l’affaire Norbert Zongo, les émeutes de la faim, les mutineries étaient les prémices d’une probable révolution. Porté par une société civile active et organisée au sein du collectif « Balai citoyen », le peuple burkinabé se préparait à entrer dans l’histoire par la grande porte.
Loin de l’inaction des fameux réseaux sociaux et de leur simulacre de révolution, c’est dans la rue que ce peuple va aller chercher et arracher le départ du maitre de Kossyam. Ce pouvoir qu’on croyait immuable, inébranlable a vertigineusement chuté. A l’instar du Balai Citoyen au Burkina Faso, la société civile ivoirienne doit s’organiser et faire émerger un réel contre-pouvoir pour empêcher que des décisions injustes soient prises en son nom, et à son insu.
Agir debout !
La société civile doit comprendre que face à la démission de ses représentants, elle doit prendre ses responsabilités en s’impliquant concrètement sur le terrain par l’emploi de tous les moyens pacifiques afin de faire entendre sa voix. Revendiquer, s’informer, manifester, boycotter, s’organiser, marcher, proposer, débattre.
Les réseaux sociaux doivent être utilisés de manière efficace, ils doivent servir de caisse de résonance aux revendications, ils doivent aider à mutualiser les forces et ne doivent en aucun cas remplacer la contestation frontale. Un hashtag aussi viral soit-il ne fera jamais fléchir un gouvernement.
Face à un pouvoir qui frôle parfois l’autoritarisme, le risque est grand, et les sacrifices à faire importants. Refuser de se confronter à un pouvoir, refuser de se lever, c’est accepter de subir demain les conséquences de notre léthargie. « L’esclave (le peuple) qui n’assume pas sa révolte ne mérite pas qu’on s’apitoie sur son sort, seule la lutte libère ».
Joël-Armel Nandjui