Décrocher le Bac, au pays de Kandia

Kandia Camara« Vive l’école ivoirienne »… C’est par cette formule que Kandia Camara, ministre de l’éducation nationale, a conclu son annonce des résultats de la session 2013 du Baccalauréat. Le Kandia-bashing est devenu une spécialité d’une partie des Ivoiriens, depuis la nomination de l’ancienne championne de Hand-ball au gouvernement. Les saillies de la ministre sont nombreuses : arrestation des cours, capturation, corrigeurs d’examen, recrutation des enseignants. Au point où l’application et les précautions de langage de la ministre au cours des derniers mois, sont pénibles à voir : on sent l’effort et la concentration. Beaucoup se sont précipités dans la brèche, trouvant en elle le maillon faible du gouvernement ivoirien sous Alassane Ouattara. S’il n’y avait que ça.

Avant d’être une ministre de l’éducation souffrant de nombreuses lacunes en français, Kandia Camara a été professeur d’anglais pendant plus de vingt ans – comme son CV, mis en ligne sur le site du gouvernement s’empresse de le rappeler[1]. Ce qui devrait surprendre et inquiéter c’est moins le fait qu’elle se soit retrouvée au gouvernement – que des générations de collégiens aient eu à souffrir le professeur Camara pendant autant d’années. Il faut plus de qualités pour faire un instituteur moyen qu’un bon ministre de l’éducation. Mais admettons… Si le cabinet entourant la ministre est bon, tout n’est pas perdu. Hélas…

L’annonce même des résultats du bac 2013 constitue un exercice de manipulation assez cru que la presse ivoirienne n’a même pas daigné corriger : le taux de réussite étant passé de 25.22% en 2012 à 33.58% cette année, « une hausse de 08.36% » selon la ministre qui s’en félicite… Le premier collégien venu sait bien qu’il s’agit plutôt d’une hausse de 33% du taux de réussite [(33.58-25.22)/25.22 = 0.33] La ministre a accompli un miracle en un an, sans que personne ne s’en aperçoive… A moins qu’il s’agisse simplement d’une kantiatisation de l’école ivoirienne, un affaissement du niveau, une autre régression vers le plus petit dénominateur commun.

J’exagère à peine : ce type d’erreur est assez fréquent. Soit. Mais il est évident que cette annonce n’a pas été rédigée par la ministre elle-même, mais par un membre de son équipe. Si les conseillers en charge de combler les handicaps de la patronne sont eux-mêmes incompétents. Quiconque pense qu’il n’y a pas grande différence entre 8% et 33% devrait me contacter, j’aimerais lui emprunter de l’argent.

 Sur le sujet du baccalauréat en tant que premier diplôme universitaire, il est impossible d’avoir une opinion tranchée. Les extraordinaires taux de réussite constatés en Europe (Entre 70% et 90%) sont difficiles à imaginer en Afrique. Ils seraient d’ailleurs probablement catastrophiques étant donné le surpeuplement des résidences et amphithéâtres universitaires dans bien des pays africains.

Pourtant, n’y a-t-il pas quelque chose d’indécent dans les taux de réussite au bac faméliques que l’on constate dans certains pays africains ?

Taux de réussite au bac

 

Depuis 2008, en moyenne (non-pondérée) plus de 75% des candidats au baccalauréat en Côte d'Ivoire ont échoué. Les taux d'échecs sur la même période se situaient entre 60 et 65% au Sénégal, au Bénin et au Burkina Faso. Depuis 2010, l'examen du baccalauréat au Mali comporte 7 matières – contre 4 précédemment – en conformité avec les critères en place dans les autres pays de l'UEMOA. Cette réforme, introduite juste avant le déclenchement de la crise, n'a rien fait pour améliorer les taux de réussite au Mali : en 2012 et 2013, à peine plus d'un candidat au baccalauréat sur dix a été reçu.

Une réponse cynique à ce désastre serait d'admettre la possibilité que moins de la moitié des élèves atteignant la terminale (ce qui représente seulement une minorité de chaque classe d'âge, dans la plupart de ces pays) méritent d'aller à l'université. Mais cette réponse n'est pas suffisante.

Le sophisme implicite dans ce type d'argument est l'idée qu'il n'existe qu'une seule solution pour accroître le taux de réussite au bac, étant donné le niveau des élèves : abaisser le niveau de difficulté des examens. Hors, rien dans ce "niveau" n'est donné. Chaque année, ces élèves ayant subi grèves de professeurs, suspensions de cours, manuels et cours désuets, professeurs absents et mal formés sont lancés à l'assaut du bac : advienne que pourra.

La vraie mesure ici n'est pas le taux de réussite, mais l'adéquation de la formation reçue aux exigences de l'examen, et des carrières auxquels il donne accès. L'ajustement peut se faire de deux façons : la plus facile consisterait à relâcher les critères de réussite, la plus exigeante et la seule qui vale la peine serait d'élever le niveau des élèves – et de leurs enseignants.

En Côte d'Ivoire cette tâche a été confiée à Kandia Camara : la recrutation et l'évaluement des professeurs peuvent commencer!

 


[1] La consultation des CV des membres du gouvernement ivoirien est un immanquable moment d’hilarité que je recommande à tous. Il y a Alain Lobognon, ministre de la jeunesse qui a pour objectif de « servir, bien servir, [s]on pays, la Côte d’Ivoire » et qui a « internet [et l’] informatique » comme centres d’intérêt ; Kaba Nialé, ministre des finances – pourtant surdiplômée et compétente – qui prend quand même la peine de préciser qu’elle parle, lit et écrit le français ; Toure Gaoussou, ministre des transport qui mentionne ses années d’école primaire (EPP Odienne) entre 1960 et 1965 ; Patrick Achi, ministre des infrastructures qui n’a pas voulu qu’on le reconnaisse sur son CV ; Moussa Dosso, ministre de l’industrie, dont le CV est aux couleurs du drapeau (orange-blanc-vert), Kobenan Adjoumani, ministre des ressources animales qui, pour ceux que ça intéresse, a quand même reçu une « formation en communication du ‘training video’ de présetation efficace de Dale Carnegie à Paris ; Charles Diby, ministre des affaires étrangères dont le CV débute par son numéro de matricule. Etc.