Les enjeux de gouvernance de la ville de Dakar vus par son maire Khalifa Sall

Khalifa Sall, maire de la ville de Dakar, était de passage dans les locaux de Sciences-po Paris le 26 mars pour rencontrer des étudiants en gestion urbaine des grandes villes. Terangaweb en a profité pour recueillir les propos de l’édile de Dakar sur les enjeux de gouvernance et de développement auxquels est confrontée la capitale sénégalaise.

Khalifa Sall bonjour. Comment présenteriez-vous la ville de Dakar dont vous êtes le maire ?
Khalifa Sall :
Dakar est une ville avec un positionnement géographique et des infrastructures qui lui donnent de nombreuses opportunités. Pendant de nombreuses années, c’était la capitale de toute l’Afrique de l’Ouest. Dakar est une ville côtière, industrielle jusqu’aux années 1970, et jeune. Dans les années 1980, la ville a beaucoup évolué. Au Sénégal, on a connu une sécheresse qui a fait que la ville, belle et bien dessinée pour 400 000 habitants, s’est retrouvée avec 2 millions d’habitants – et tous les problèmes qui vont avec. L’essentiel de cette augmentation est un exode rural, une immigration interne due à l’absence de pluies dans le reste du pays. Ceux qui sont arrivés sont des gens sans éducation moderne, sans métier, sans culture urbaine. Ce qu’ils savent faire se résume essentiellement à la vente, et entraîne une croissance urbaine chaotique.
Avant la sécheresse, cette zone s’appelait le Cap Vert, et il y avait de nombreux marécages. On y produisait des légumes. La sécheresse a tout changé, et le chômage des jeunes a explosé. Les années 1980 – 2000 ont été aussi celles des politiques d’ajustement structurel, réduisant l’impact des politiques publiques, notamment dans les zones urbaines. A partir des années 2000, une nouvelle ville se construit après la période d’ajustements structurels qui s’est achevée avec une dévaluation – la monnaie a été divisée par deux. Le contexte international a fortement déterminé la suite de l’histoire avec notamment les Stratégies de Réduction de la Pauvreté (SRP). Les politiques nationales et internationales ont un impact sur les populations locales. En 2009, lorsque nous avons été élus, on avait une ville surpeuplée, mal lotie, un habitat non maîtrisé et une population désœuvrée.

Quelles sont les priorités de votre mandat ?
Khalifa Sall :
Je tiens tout d’abord à préciser dans quel courant de penser et d’action je me situe. Moi, je suis un socialiste socio-démocrate. Je prône la justice sociale associée à l’efficacité dans la gestion. J’ai fait partie du gouvernement et j’ai aussi été député : je connais l’échec et la difficulté.
Quand je suis devenu maire de Dakar, la première demande de la population était liée à l’emploi. Notre première priorité a donc été de donner du travail à la population, c’est la question de la capacitation des ressources humaines. Au Sénégal, nous considérons que notre population est la plus grande richesse nationale. La deuxième priorité qui s’est imposée à nous, c’est l’aménagement urbain. On a des problèmes d’assainissement, d’inondation, et de construction d’infrastructures. Dakar est une ville où les rues sont encombrées de machins ambulants, comme on les appelle chez nous.
A ces deux priorités, nous avons ajouté la question de la gouvernance. La gestion participative et la culture de la citoyenneté sont devenues des problématiques centrales de notre municipalité. Le budget est aujourd’hui consultable sur i

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nternet[1], et tous nos travaux sont des appels d’offre publics. La gestion est inclusive, et tout le monde est au courant de ce qu’il se passe.
En ce qui concerne la culture citoyenne, l’idée est que les gens sachent que quelqu’un est là parce qu’il a un projet, pas par clientélisme. La conscience citoyenne relève d’un travail politique et citoyen. A coté de la ville de Dakar, on a impliqué la société sénégalaise ; on a des conseils consultatifs, des organes qui regroupent tous les éléments de la société civile. C’est une structure de contrôle et de conseil qui relève de la gestion participative et permet de responsabiliser les populations. Ce ne sont pas de simples consommateurs, ce sont aussi des bénéficiaires.
Cette gouvernance là était essentielle, c’était une rupture qu’il fallait imposer. Pendant ces élections, j’ai battu le fils du président de la République et le président du Sénat ; donc je ne vais pas avoir le travail facile, mais on essaye d’être intelligents.

Quelle est votre marge de manœuvre par rapport au gouvernement central ?
Khalifa Sall :
Notre mairie est de gauche et fait face à un gouvernement de droite. C’est une cohabitation qui pose des difficultés. Ceci étant dit, il faut préciser que le Sénégal a une organisation décentralisée depuis l’indépendance. C’est un concept fondamental de la construction du pays. La décentralisation a beaucoup évolué et a abouti à une plus grande responsabilité des collectivités locales ; la dernière réforme a supprimé le contrôle a priori et celui a posteriori. Il y a uniquement un contrôle de légalité dans 3 ou 4 domaines, ce qui laisse beaucoup de marge aux autorités locales. Donc, grâce au code des collectivités locales, on a des domaines où l’on sait que nous sommes légitimes et avons des compétences déléguées. Pourtant, chaque jour nous sommes en conflit avec le pouvoir central. Heureusement, notre gestion transparente et participative nous a beaucoup aidés dans les conflits où l’opinion a tranché.

Comment travaillez-vous avec les acteurs économiques pour les pousser à investir dans votre ville ?
Khalifa Sall :
Ceux qui viennent investir veulent des conditions physiques et financières pour sécuriser leurs investissements. Dans notre gouvernance, on a fait des Partenariats Public-Privé une priorité. La mairie n’a pas vocation à faire certains investissements, mais on doit initier, intéresser et accompagner les investissements. En parallèle à cela, nous faisons les investissements nécessaires pour mettre en place les structures qui font défaut. Nous faisons 25 milliards de francs CFA d’investissements en promouvant des dossiers d’Appel d’Offre où l’on essaye de promouvoir la micro-entreprise et la micro-finance. Aujourd’hui, on développe les programmes à Haute Intensité de Main d’œuvre. Ainsi, par exemple, la ville de Dakar a acheté le matériel pour refaire le pavé, et on a recruté des jeunes que l’on va former à poser et entretenir le pavé. C’est un projet de démarrage : on leur donne un savoir-faire, on leur donne un métier, ils obtiennent des revenus.
Pour nos investissements, nous allons maintenant sur le marché sans passer par l’Etat ; les villes peuvent aller sur le marché financier et international pour lever des fonds. Mes investissements, je ne les fais pas avec l’argent de l’Etat, je les fais avec des fonds privés, de l’argent privé que j’ai obtenu en présentant une ville rentable où il y a des opportunités de profit. Les villes se sont émancipées et autonomisées.
Aujourd’hui, par la coopération décentralisée, on a construit la diplomatie des villes. Martine Aubry était à Dakar il y a 15 jours. Cette diplomatie est devenue une réalité politique qui est en train de devenir économique. C’est une très grande transformation.

Quelle est l’importance de l’aide internationale au développement pour une ville comme Dakar ?
Khalifa Sall :
L’aide est un échec. Quand la France donne 10 000 euros, près de 5 000 euros reviennent en France : les travaux sont fait par les Français, les études aussi. Nous, on doit développer un savoir-faire, pas juste l’infrastructure. Après 20 ans d’aide et d’ajustements structurels, on saurait si l’aide marche. Aujourd’hui, on bâtit un partenariat où je dis ce que je veux, vous me dites ce que vous pouvez m’apporter, on discute, on s’entend. A Bruxelles, je leur parle de la non efficacité de l’aide. Moi, je n’ai pas besoin d’argent : le développement de la ville, c’est nous qui devons le faire. Ce que nous attendons des partenaires c’est du gagnant-gagnant ; nous avons les conditions pour que vous fassiez de l’argent, venez. La politique internationale devrait se concentrer sur cela. Aujourd’hui, le paysan qui cultive du coton doit faire face au coton européen et étasunien subventionné. C’est là le vrai problème, la détérioration des termes de l’échange.

 

Propos recueillis par Marwa Belghazi

 


[1] Budget et comptes administratifs de la ville consultables sur la page officielle : http://www.villededakar.org/