Congo RDC : loin des conflits, la peinture qui relie

Photo de l'exposition Paroles de Femmes à la Maison des Métallos, Paris.
Kushiripa. Coywright Matthieu Lombard

La première fois que j’ai entendu parler de peinture Kushiripa, c’était avec Manon Denoun, doctorante en anthropologie. Elle s’est penchée sur cette pratique qui consiste, entre le Congo Kinshasa et le nord de la Zambie, à agrémenter les façades des maisons avec des ornements divers. Ce qu’elles ont de particulier ? Elles sont une vitrine sur plusieurs mondes, elles sont différentes d’un village à l’autre, et surtout, elles cristallisent des relations. Entretien.

Une pratique domestique avant tout

Les décorations murales comme la peinture sont un phénomène assez répandu. On pourrait se demander en quoi celles de Mudenda, en Zambie, de Makwacha et de Calcielo, au Congo Kinshasa, sont particulières. Certaines de ces créations murales ont donné lieu à une exposition à la Maison des Métallos de Paris*, en mars 2014. On pouvait y voir, entre autres, des références à l’industrie pétrolière, des fleurs, des références à la bande dessinée. Une forme de résistance face à la mondialisation et au climat électrique qui règne dans la capitale du Congo Kinshasa ?

Manon Denoun n’est pas de cet avis : Je n’inscrirais pas ces pratiques dans la résistance. C’est  quelque chose de  propre à chaque village, c’est  le but de ma recherche. La première raison d’être de ces décorations est  domestique : à Calcielo, il y a quelques années, ce sont les habitants qui payaient un artisan pour réaliser des tableaux dans leurs maisons. En période pérenne, ils sont preneurs d’artisans. J’insiste sur la dimension domestique, qu’il ne faut pas sous-estimer ; c’est un foyer, on l’agrémente.

S'inscrire dans la mondialisation

Alors il s’agit probablement d’une manière de s’approprier les aspects de la mondialisation. Et cependant, il semble que chaque village, dans cette région de la Copperbelt, cultive son propre style :

MD : J’ai trouvé qu’il y avait des styles qui se renforçaient dans chacun des villages. On peut observer des bases et des motifs récurrents : les fleurs reviennent souvent, même si elles ne sont pas dessinées de la même manière. Des citations bibliques, des imprégnations Rastafari, de la part des jeunes qui font de la musique, et se projettent dans un idéal d’humanité  « peace and love ». Bob Marley  apparaît de temps à autre sur les façades.

Mais alors, comment cette pratique purement domestique s’est-elle retrouvée à la Maison des Métallos ? Les habitants ont-ils décidé d’exporter leur art ?

MD :  Le propre de ces décorations, c’est que c’est public, c’est une offrande aux passants. Parce que Makwacha est en bord de route, pas mal de voitures passent par cet axe. Il s’avère qu’un jour le directeur du centre culturel français de Lumumbashi est passé par cet axe routier, et s’est arrêté pour rencontrer les habitants. Une sorte de partenariat est né avec un collectif artistique de Lumumbashi, qui se sont mêlés aux habitants de Makwacha, et de ces échanges sont nées de plus en plus de décorations murales, travaillées par ces rencontres. A Makwacha, la décoration des maisons reprend beaucoup d'éléments figuratifs.

Faire tomber les clivages 

Exposition Paroles des femmes, Maison des Métallos, mars 2014.
Femme devant peinture murale. Copywright Picha

D’ailleurs, la plupart des œuvres exposées étaient réalisées par des femmes.. De quoi titiller la fibre féministe chez certaines d’entre nous, moi y compris. Très vite, l’idée d’une pratique artistique d’abord exclusivement féminine, sorte de revendication d’un espace propre aux femmes, me traverse l’esprit. Encore une fois, la réalité du terrain vient nuancer mes emportements :

MD : Si la pratique est principalement féminine, c’est parce qu’elle renvoie au soin de la maison, de l’habitat, chose traditionnellement dévolue à la femme. J'ai également rencontré des   hommes qui habitaient seuls et prenaient prennent plaisir à illustrer et enjoliver leur habitat.

Cette exposition au monde, cette ouverture artistique, n’ont-elles pas altéré, en quelque sorte, l’authenticité des oeuvres ?

MD: Je suis contre le procès d’intention concernant la production, cette sorte de clivage entre ce qui serait authentique et ce qui serait altéré. De manière subjective, je dirais que certaines choses sont très jolies… il est vrai que d'autres me paraissent vouloir plaire de manière trop évidente aux visiteurs. Des personnes sont sensibles et désirent encourager certains talents : reconnaître la dimension marchande ou l'influence d'une forme de mécénat n'enlève rien à la qualité et au plaisir associés à ces décorations. C'est une manière plus saine, à mon avis, d'aborder la question.

Poursuivez le voyage sur le blog de Manon Denoun.

* Cette exposition présente pour la première fois au public français l’art mural du village de Makwacha au sud de la province du Katanga en République démocratique du Congo (RDC).

A voir en Zambie : Le Moto Moto Museum, où sont conservées des traces de la pratique Kushiripa dans le cadre d’un rituel.