Lambert Mendé : la voix de son Maître !

Bien avant la théorie aujourd’hui en vogue de la post-vérité ; avant l’invention des faits alternatifs avatars du trumpisme triomphant, il y avait Lambert Mendé.

Lorsqu’en septembre 2016 de violentes manifestations hostiles au président de la RDC, Joseph Kabila, ont fait des dizaines de morts à Kinshasa, Lambert Mendé « ministre porte-parole du gouvernement » est apparu pour dire : « L'ordre sera respecté et les honnêtes citoyens seront protégés ». Ceux qui sont morts parce qu’ayant marché pour réclamer plus de démocratie se voyaient ainsi exclus du champ des « honnêtes citoyens ».  Quand, il y a quelques semaines, une vidéo montrait des soldats de l’armée congolaise tuant des miliciens désarmés, parfois couchés à même « la terre gorgée de sang » et devant  « les képis qui ricanent » comme aurait dit le poète David Diop, Lambert Mendé a, du bout des lèvres, qualifié le massacre d’ « excès ». Les activistes des mouvements citoyens sénégalais Y’en a marre et burkinabè Balai citoyen arrêtés lors d’une visite dans le pays, en mars 2015, en même temps que des membres de la société civile congolaise, seront accusés de s’être livrés à des « manœuvres de déstabilisation et d’atteinte à la sûreté de l’Etat ».

Aux oreilles de Lambert Mendé, les termes « droits de l’homme » et « libertés » résonnent comme autant de menaces contre lesquelles il faut livrer bataille à grand renfort de bruit et de fureur feinte. Ce personnage est l’incarnation de toutes les voix de leurs maîtres, quel que soit l’endroit d’où elles parlent, dont la parole balaye à la fois les faits et les souffrances des victimes. C’est le verbe qui dégage le cadavre en touche, les mots qui anéantissent la mémoire des malheureux tombés sous les balles de l’oppression.

Le syndrome Mendé, c’est la défense de l’indéfendable. L’absolution de l’odieux crime par de savantes circonlocutions. Le masque de l’affabilité cachant mal le cynisme devenu banal. La violence d’un humour macabre qui a besoin du sang des innocents pour se hisser sur la scène du théâtre montée au dessus de celle du crime et nous dire que le bourreau n’est pas celui dont il porte la parole mais celui qui est six pieds sous terre.

A travers le monde, le spectacle de manifestations réprimées dans le sang et de militaires qui exécutent face caméra des hommes et des femmes désarmés est affligeant mais hélas récurrent. Il est déjà difficile de mesurer son impuissance face à tant d’inhumanité vouée à demeurer impunie. Mais le plus insupportable, c’est de voir Lambert Mendé – ou ses frères jumeaux le burundais Willy Niamitwe et le gabonais Alain Claude Bilie Bi Nzé, par exemple – débouler et nous dire, en somme, avec sa faconde et son emphase, que l’assassiné l’a bien cherché, que le manifestant emprisonné n’avait qu’à rester chez lui, que le citoyen n’en est pas un, qu’il est en fait un sujet ; l’entendre répéter que le monde se porterait mieux si on laissait l’homme qui le paye pour ses aptitudes de mauvais conteur réprimer et s’éterniser au pouvoir à son aise.

Sur le continent africain et ailleurs, les Lambert Mendé pullulent, tapis dans les palais ou pas loin, recrutés par des chefs d’Etat incompétents pour ajouter le mensonge à l’échec, le mépris à l’irresponsabilité. Est atteint du syndrome Mendé, le politicien, le journaliste, l’avocat, l’artiste ou tout autre laudateur et flagorneur payé à insulter l’intelligence de celui qui l’écoute en lui assurant que tout va bien quand le braquage se déroule et que le sang coule sous ses yeux.

Leur métier ? Nettoyer  de la conscience collective les forfaits dont nous sommes tous les jours témoins. Leur arme ? La parole publique : de la prestation audiovisuelle à l’article de presse en passant par le tweet. Les contre-vérités qu’ils colportent sont démenties par les faits ? Ils inventeront des faits nouveaux ou se réfugieront dans le déni, le tout sous un vernis de respectabilité dont eux seuls ne se rendent compte du craquement.

Ou alors si, ils s’en aperçoivent mais n’en ont cure. Nous sommes aussi à l’ère de la post-respectabilité, celle de l’honorabilité alternative. 

Racine Assane Demba