Respirez, vous êtes au parc Al Azhar

Coincé au Caire parce que vos amis vous ont laissé tomber pour le weekend Mer Rouge, avec au programme 15 heures de minibus pour 2 heures de plage ? Pas grave, allez donc faire un tour au parc Al Azhar et vous aérer les poumons pour la modique somme de 7 EGP (moins d’un euro).

Le parc Al Azhar, c’est un peu le projet de développement urbain idéal, la success story qu’on aime décrire dans les conférences sur Le Caire et l’urbanisation durable. Selon la légende, l’Aga Khan, en visite au Caire, aurait vu de son balcon la colline Darassa, jonchée d’ordures, au milieu d’un quartier populaire délaissé par les pouvoirs publics et aurait dit : « c’est là où je veux construire mon parc ». Et comme Son Altesse a les moyens de ses ambitions et de la suite dans les idées, le parc a été inauguré 20 ans plus tard, à la suite de travaux colossaux : nettoyage de la décharge, traitement et remblaiement du terrain de 30 hectares, installation de bassins artificiels en sous-sol, entre autres. Les travaux ont permis de mettre au jour une section de l’ancienne muraille ayyoubide de la ville, qui était partiellement enfouie sous les déchets.

Le parc, c’est aussi un beau projet de développement intégré : la fondation Agha Khan ne s’est pas contentée de créer le parc, qui a revalorisé le quartier voisin de Darb Al Ahmar, mais a aussi consacré des fonds pour restaurer les monuments islamiques du quartier. Des dizaines d’habitants ont été embauchés pour construire le parc, et d’autres pour l’entretenir.

Contrairement aux autres parcs du Caire, plutôt populaires, tout le monde se rend à Al Azhar, quelle que soit son origine sociale : le ticket d’entrée à 7 EGP est accessible à tous ou presque, et de nombreuses familles s’offrent cette sortie pendant le weekend. Les familles modestes pique-niquent, et les plus chanceux vont se sustenter aux cafés et restaurants du parc. Dans une ville où les classes sociales se mélangent rarement, le parc est parvenu à attirer des profils différents, et on croise parfois des touristes, qui n’en reviennent pas de pouvoir se promener dans l’indifférence la plus totale.

Plus d’infos sur la genèse du projet ici : http://www.akdn.org/publications/2007_aktc_egypt.pdf

Leïla Morghad

Bienvenue au Club

Le club de sport au Caire (« el nadi »), c’est bien plus qu’un complexe sportif où on peut s’adonner à son sport préféré. Dans une société où les appartenances sociales sont assumées et revendiquées, le club représente un lieu de socialisation où on est enfin entre soi, où on passe son temps dans un espace clos, et pourtant en plein cœur du Caire.

Depuis la fin du 19ème siècle et la création du premier club, celui du Gezira sur l’île de Zamalek, ces lieux représentent pour la bourgeoisie égyptienne des espaces de socialisation protégés, où le sport n’est qu’un prétexte pour se retrouver entre gens « de bonne famille ». Un club au Caire, c’est une sorte de ghetto miniature où on peut y passer la journée sans s’aventurer en dehors des grilles, car l’heureux membre a à sa disposition tous les services dont il a besoin : restaurants, cafés et même coiffeur.

Comment faire partie d’un club et pouvoir glisser avec une fierté à peine dissimulée au détour de sa conversation avec un client ou un collègue « ce matin, je faisais comme d’habitude mon jogging au club et… » ? Première solution : avoir la chance d’être né dans une famille aisée, membre du club depuis des générations et qui a juste à renouveler tous les ans pour une somme raisonnable sa cotisation et payer des sommes dérisoires pour les extras (location des courts de tennis, salle de gym etc). Deuxième solution : patienter gentiment sur la liste d’attente du club plusieurs années, puis verser un droit d’entrée exhorbitant (20 000 euros) pour entrer dans le saint des saints. Une adhésion à vie, ça se mérite. Troisième solution : être un résident étranger, et s’acquitter de plus d’une centaine d’euros par mois pour avoir le droit de fouler la pelouse du club, et payer ensuite pour toutes les activités supplémentaires. On n’est alors que membre temporaire du club, et accessoirement une vache à lait pour renflouer la trésorerie de ce dernier.

Si vous n’êtes pas membre du club, vous pouvez toujours acheter un ticket à la journée qui vous donne juste le droit d’entrer et sans accès aux équipements, à un prix suffisamment dissuasif pour les curieux ou les touristes d’un jour.

Que fait-on au club ? Tout. On s’y promène, on marche (ne pas s’étonner si certains marchent en tenue de sport sur la piste de course), on nage, on mange et surtout on discute. Pour les collégiens et les lycéens, c’est une des rares occasions où on peut s’éloigner des parents pour passer du temps entre « jeunes », pendant que les familles discutent. C’est aussi une formidable opportunité pour réseauter et faire des affaires : dans une atmosphère plutôt décontractée, on échange son avis sur les dernières transactions financière, la situation économique du pays, et on étoffe son carnet de contacts.

Le Caire compte 4 clubs principaux: le Gezira à Zamalek, le Shooting Club à Mohandessin, et ceux de Maadi et Heliopolis. L’adhésion à un club fait partie des composantes du statut social des familles, et s’affiche au même titre que les biens matériels et le train de vie. Quand une famille déménage dans un autre quartier de la capitale, il est rare qu’elle abandonne son adhésion, qui se transmet de génération en génération comme un précieux héritage.

Leïla Morghad

Un balcon sur le Nil

Habiter sur une péniche au Caire, c’est souvent le rêve ultime de tout expat’ désireux de mener une vie de bohème paisible et de s’isoler un peu du vacarme ambiant et de la pollution. Oui, mais seulement voilà, derrière la vision idyllique d’une vie sur le Nil, se cache la réalité quotidienne.

La plupart des péniches au Caire se situent près de la place Kit Kat, à Imbaba. La place étant accessoirement une station de minibus, le niveau de décibel rivalise avec celui de l’aéroport, sans compter que le trafic sur la corniche est toujours dense, sauf bien sûr le vendredi matin. Imbaba est un quartier populaire du Caire, qui fait face à Zamalek, île bourgeoise où se concentrent ambassades, expatriés, et familles égyptiennes fortunées. Le Nil sépare donc ces deux zones bien différentes, et c’est côté Imbaba que sont amarrées une dizaine de péniches. Ces dernières sont dans un plus ou moins bon état, selon le bon vouloir du propriétaire.Certaines péniches sont fraîchement repeintes, meublées avec goût, avec parquet et joli balcon, d’autres sont plus rustiques, et rafistolées avec des planches en bois. Une des péniches a d’ailleurs brûlé l’année dernière. Maalesh (pas grave), l’étage vient d’être reconstruit, avec de jolies planches. Ces péniches, « awamat » en arabe, sont en fait dépourvues de moteur, et disposent de toutes les commodités de la vie moderne: électricité, eau courante, téléphone fixe et satellite TV. Seule la bonbonne de gaz dénote la différence avec un appartement “en dur”.

Parmi les joies de la vie sur une péniche, outre la vue incroyable sur le Nil, on peut citer l’impression de tranquillité et la sensation d’être en dehors de la ville, un sentiment d’évasion bien agréable dans cette ville polluée et bruyante. En revanche, les désagréments sont tout aussi nombreux: une chaleur étouffante l’été (climatiser une péniche est aussi efficace que climatiser son balcon), la visite de nombreuses bestioles indésirables (cafards, fourmis géantes, rats, lézards, moustiques) et puis un léger sentiment d’insécurité: rien de plus facile que de cambrioler une péniche en venant du Nil !

Les péniches étaient initialement habitées par des intellectuels ou des artistes, désireux de mener une vie plus libre et de s’affranchir du regard moralisateur de la société. Elles abritaient aussi des cabarets au début du 20ème siècle (dont le célèbre cabaret Kit Kat, qui a donné son nom à la place) et d’autres lieux de débauche. L’écrivain égyptien Naguib Mahfouz décrit d’ailleurs cette ambiance dans son roman Dérive sur le Nil. Progressivement, crise du logement au Caire oblige, les péniches ont été habitées par des familles désireuses de trouver un logement plus abordables. L’engouement des étrangers pour ce type de logement exotique a fait flamber les prix, et la quasi totalité des péniches de Kit Kit sont désormais habitées par des Européens ou Américains en quête d’un logement original.

Malgré tous les désagréments du quotidien, vivre sur une péniche, ne serait-ce que quelques semaines, reste une expérience unique, d’autant que les péniches disponibles se font très rares.

Leïla Morghad

Vous pouvez suivre les pérégrinations de Leïla au Caire sur son blog : cairoinshallah

Taxi ? Taxi ! Retour sur une success story au Caire

Au Caire, impossible de les éviter. Khaled Khamissi en a même fait un livre intitulé « Taxi » paru en 2009, où il relate les conversations qu’il a eues avec les chauffeurs de taxi lors de ses déplacements quotidiens. Seulement voilà, à cause (entre autres) des quelques 50 000 taxis qui circulent dans le Grand Caire, l’atmosphère  était devenue irrespirable. L’Etat a alors lancé un ambitieux programme de remplacement de taxis, appuyé par les bailleurs de fonds. Retour sur les différentes phases du projet et premières conclusions.

En 2008, est lancé le Plan national de remplacement de Taxis en Egypte. La ville qui sera désignée pour le projet pilote est l’agglomération du Caire, où les véhicules de transport urbain sont responsables de près de 90% des émissions au monoxyde de carbone. Plusieurs bailleurs de fonds soutiennent alors le projet : la Banque africaine de développement (BAD), la Banque mondiale, l’agence de développement japonaise JAICA , l’Union européenne, ainsi que des fonds du Golfe. Il était urgent d’agir : la pollution au Caire devenait maximale, le nombre de véhicules étant en constante augmentation et plus prosaïquement, la productivité des travailleurs était impactée négativement , avec des temps de transport atteignant souvent deux heures par jour.

La première phase du projet  a consisté à remplacer les taxis du Caire datant de plus de 20 ans par des véhicules neufs. Le parc de taxis est en effet ancien en Egypte, avec une ancienneté moyenne de 32 ans, et plus de 60% des véhicules qui ont plus de 22 ans. Les chauffeurs de taxi, sur la base du volontariat, ont pu acquérir un nouveau véhicule avec une réduction de 25% sur le prix habituel et bénéficier d’une subvention publique et d’exonération de taxes. Un microcrédit de 7000 € à un taux raisonnable (7%) était proposé pour convaincre les plus réticents. L’objectif affiché était de remplacer près de 45 000 taxis  sur une période de 28 ans.  L’opération a été un succès : en 2009, près de 16 000 nouveaux véhicules avaient été livrés, et les données parlent d’elles-mêmes : réduction de 57 000 tonnes de CO2 et 30% d’économies d’essence. Lors de la deuxième phase du projet, 30 000 véhicules vont être remplacés, pour répondre à une forte demande, stimulée par des conditions d’accès au crédit très incitatives.

Au-delà des impacts directs et visibles de tous comme la réduction de la pollution et l’amélioration du trafic,  le projet comporte également des impacts indirects significatifs sur le long terme. La population ciblée est non seulement les chauffeurs de taxi eux-mêmes, mais aussi et surtout leurs familles, et les propriétaires des taxis possédant des véhicules de plus de 20 ans d’âge, dont au moins la moitié sont des femmes.  Les estimations de la BAD faisaient état d’une hausse du revenu moyen de 40% à l’issue du projet  grâce aux économies d’essence réalisées , à l’usage de gaz naturel au lieu d’essence, et à la baisse des frais d’entretien du véhicule. Le projet visait également à créer des emplois grâce au recyclage des anciens véhicules par des filières locales, mais également grâce à la construction des nouveaux véhicules : embauche d’ouvriers sur les sites de montage automobile, chez les fournisseurs de pièces détachées et chez les garagistes .

Au niveau des financements, le coût total du projet se chiffre à 270 millions de dollars. La BAD a contribué à hauteur de 90 millions de dollars via un prêt, le reste étant financé par le gouvernement Egyptien. Les prêts aux propriétaires de taxi sont octroyés par la Banque Sociale Nasser, une banque publique égyptienne. La subvention versée par l’Etat (660 €) à chaque propriétaire participant au programme doit être impérativement utilisée comme acompte du prêt, et afin de dissuader emprunteurs de ne pas honorer leur dette, la banque reste propriétaire du véhicule jusqu’au remboursement complet du prêt.

S’il est encore tôt pour dresser un bilan définitif du projet, force est de constater que ce méga projet  a tenu ses promesses en termes de véhicules remplacés  et de réduction de la pollution urbaine. Il suffit de se promener dans les rues du Caire pour constater que la plupart des anciens taxis, noir et blanc, omniprésents il y 5 ans, sont désormais en minorité. Les passagers des taxis ont également gagné en tranquillité : les nouveaux taxis blancs sont tous équipés d’un compteur , qui s’il n’est pas trafiqué et que le chauffeur accepte de l’enclencher, évite de négocier le prix de la course à l’infini.

Evidemment, la pollution du Caire n’a pas disparu, alimentée par les millions de véhicules qui parcourent la ville quotidiennement. Mais un projet d’une telle ampleur montre qu’il est possible d’agir à grande échelle et durablement : le projet sera d’ailleurs dupliqué à Alexandrie, deuxième ville du pays, et d’autres pays arabes (Maroc, Yemen) ont fait part de leur intérêt vis-à-vis d’une initiative de ce genre. D’autres projets de ce type sont actuellement en cours en Egypte, comme le remplacement de la flotte des bus publics. Le président élu cette semaine, qui avait fait des embouteillages au Caire un de ces axes de campagne, devra honorer ses promesses.

 Leïla Morghad

Le Caire: ville en fusion, ville en révolution

Il en est des villes comme des caractères ; il y a toujours un trait saillant qui définit la personnalité. Pour le Caire, c’est le poids de la Masse. Cette Masse qui donne à toute action, à tout regard, à toute parole une dimension tout à fait différente : lourde, conséquente, Qâhira[1]. Une masse qu’il vaut mieux avoir en notre faveur plutôt que de se la mettre à dos.

Avec 20 millions d’habitants, c’est la plus grande mégapole du continent africain, capitale administrative et économique de l’Egypte. A lui seul, le Grand Caire regroupe 22% de la population nationale et 43% de la population urbaine du pays. Continue reading « Le Caire: ville en fusion, ville en révolution »