Lesotho : survivre à l’ombre du géant sud-africain

La présence sud-africaine est partout visible au Lesotho. Des milliers de Basothos (ressortissants du Lesotho) travaillent chez le grand voisin. C’est aussi chez lui que le petit royaume, enclavé au cœur de l’Afrique du Sud, s’approvisionne en eau et électricité. Enfin l’Afrique du Sud partage généreusement avec le Lesotho les revenus d’une union douanière qui contribue de manière significative au budget du minuscule État. A quoi il faut ajouter l’omniprésence des sociétés sud-africaines dans des secteurs comme le commerce de détail, les assurances et la banque.

Mais cette ultra-dépendance, jusque là bénéfique, s’avère de moins en moins profitable. En dépit de modestes gains engrangés ces dernières années, le Lesotho reste l’un des pays les plus pauvres du monde. Le budget 2011-2012 aura été « le plus difficile que le gouvernement ait jamais adopté », reconnaît le ministre des Finances, Timothy Thahane. En cause : le ralentissement de la croissance économique, la hausse du taux de chômage et la baisse des revenus des travailleurs migrants qui perdent leurs emplois en Afrique du Sud. Le Lesotho est également confronté à la baisse de la production agricole et de l'espérance de vie, ainsi qu’à des taux élevés d'infection au VIH. Le pays a connu une baisse de 30 % des revenus domestiques et un déficit budgétaire monstrueux de 15 % au cours de l’exercice 2011-2012. Désormais, le gouvernement songe à solliciter des prêts auprès d’institutions financières internationales. Il espère aussi obtenir le soutien des bailleurs de fonds étrangers.

Une économie asphyxiée financièrement

Une chute drastique, l’an dernier, de sa quote-part au sein de l’Union douanière d'Afrique australe (SACU) a porté le coup le plus dur au budget. La SACU, l’union douanière la plus vieille du monde (elle a récemment célébré son centenaire), maintient le libre échange entre les pays membres (Afrique du Sud, Botswana, Lesotho, Swaziland et Namibie) et applique un tarif extérieur commun aux États non-membres. Les revenus sont gérés par l’Afrique du Sud suivant une formule convenue. Depuis 1969, la SACU assure plus de la moitié des revenus budgétaires du Lesotho. Avec la récente crise financière mondiale, les échanges entre les membres de la SACU ont considérablement diminué, réduisant de moitié les recettes douanières du Lesotho.

La diminution des envois de fonds des travailleurs migrants en Afrique du Sud est un autre coup dur, le Lesotho étant fortement dépendant de ces revenus extérieurs. Le rapport 2011 de la Banque Mondiale sur les migrations et les rapatriements de fonds indique qu’environ 457 500 Basothos vivaient à l’étranger en 2010, pour une population totale de 2,1 millions. La Banque estime aussi que les envois de fonds ont contribué à hauteur de 525 millions de dollars en 2010, soit 30 % du PIB du pays. Malgré la hausse des cours mondiaux des minéraux, l’Afrique du Sud traverse une petite récession ces dernières années. Cette situation a eu un impact majeur sur le Lesotho dont les sociétés ont été contraintes de licencier, notamment dans le secteur minier, des milliers d'employés, parmi lesquels des migrants Basothos, réduisant ainsi les envois d’argent que ces derniers effectuent chez eux.

Le secteur textile en crise

Le secteur du textile a également été affecté. La faible demande de vêtements aux États-Unis a réduit les recettes et contribué à creuser le déficit budgétaire. Dans le cadre de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), une loi américaine, le Lesotho est devenu l’un des plus grands exportateurs de textiles d’Afrique au Sud du Sahara. L’AGOA permet aux pays africains éligibles de vendre leurs textiles aux États-Unis en bénéficiant d’avantages tarifaires uniques. Mais la surévaluation du rand sud-africain – auquel la monnaie nationale, le loti, est arrimée – a affecté la compétitivité du deuxième plus grand employeur du Lesotho.

De plus, les autorités s’inquiètent du sort de l’industrie textile si une clause figurant dans l’AGOA n’est pas renouvelée après son expiration en septembre 2012. Cette clause permet aux pays éligibles à l’AGOA, notamment le Lesotho et le Kenya, de s’approvisionner en tissus auprès de pays tiers tels que la Chine sans perdre les avantages qu’offre l’AGOA. « Notre principal défi sera l’expiration de l’AGOA. Le secteur textile emploie 45 000 personnes dans le pays », explique le gouverneur de la Banque centrale. Les recettes d’exportation du textile constituent 20 % du PIB du Lesotho. Certaines sociétés de fabrication de vêtements ont déjà fermé à cause de la faiblesse de la demande.

La situation dans le secteur agricole est tout aussi déprimante. Trois Basothos sur quatre vivent de l’agriculture de subsistance. Mais la contribution de la production céréalière au PIB est passée de 4,8 % en 2000 à 1,8 % à peine en 2010, ajoute M. Thahane. Les Nations Unies tirent la sonnette d’alarme. La production agricole est en baisse et pourrait s’interrompre dans la majeure partie du pays si des mesures ne sont pas prises pour contrecarrer l’érosion et la dégradation des sols et remédier au déclin de leur fertilité.

L'espoir d'un avenir meilleur

En dépit des difficultés économiques, le Lesotho se porte moins mal que d’autres pays de la sous-région, tels que le Swaziland et le Zimbabwe. Et l’espoir d’inverser la tendance existe, si les politiques actuelles visant à donner à l’économie une nouvelle orientation s’avèrent efficaces. L’eau, déclarent affectueusement les Basothos, c’est « l’or blanc » du Lesotho. Les revenus provenant de la vente de l’eau dans le cadre du Lesotho Highlands Water Project devraient augmenter avec la construction du barrage de Metolong. Dans le cadre du projet relatif à l’eau, mis sur pied en partenariat avec l’Afrique du Sud, le Lesotho exporte l’eau vers sa province voisine du Gauteng à travers une série de barrages et tunnels creusés dans les montagnes. Le Gauteng, plaque tournante de l’économie sud-africaine, dispose de très peu d’eau et doit faire appel au Lesotho pour étancher sa soif. Ce projet de plusieurs milliards de dollars génère aussi suffisamment d’énergie hydroélectrique pour répondre à environ 90 % des besoins énergétiques du Lesotho.

Le Lesotho peut aussi compter sur les bénéfices des exportations minières, dans un contexte marqué par la flambée des cours mondiaux des métaux précieux. Les revenus issus des diamants, certes encore négligeables, sont en hausse. Le gouvernement envisage de générer davantage de revenus en taillant et en polissant les diamants sur place. Bonne nouvelle, on annonce une petite augmentation des revenus de la SACU en 2012. Toutefois, la portée de cette embellie dépendra essentiellement de la nouvelle formule de partage des revenus actuellement à l'étude. Les législateurs américains ont également présenté un projet de loi visant à prolonger l’AGOA. Si ce projet est voté, le Lesotho pourra compter sur un flux de revenus constant de ses exportations textiles vers les États-Unis, à condition cependant que l’économie américaine poursuive son redressement.

Le Lesotho cherche également à attirer les investisseurs étrangers. Selon l’édition 2011 du rapport Doing Business de la Banque mondiale qui évalue le climat des affaires dans les pays, le Lesotho est classé 138ème sur 183 pays en lice. S’il assouplit les restrictions commerciales, le gouvernement pourrait aisément attirer des investisseurs dans les secteurs de l’exploitation minière, du textile et du détail. Toutefois, des défis majeurs s’annoncent. Il y a notamment la probabilité d’une autre récession mondiale qui pourrait compromettre les programmes économiques pourtant bien conçus du Lesotho. Pour l’instant cependant, le minuscule royaume montagneux a compris les dangers de son ultra-dépendance vis-à-vis du grand voisin sud-africain.

 

Masimba Tafirenyika, article initialement paru sur Afrique Renouveau Magazine, revue de l'Organisation des Nations Unies consacrée à l'Afrique.

La difficile réforme foncière en Afrique : Cas du Lesotho

La difficile réforme foncière au Lesotho est un article écrit en 1986 par I.-V. Mashinini dans le magazine Politique africaine. Il est frappant par le fait qu’il reste d’actualité, par son à-propos et sa précision dans l’analyse de la situation agricole africaine et dans la position des problèmes.

L’article commence par le constat de la baisse de la production agricole africaine au cours des années 70 et la pénurie alimentaire aigüe qui en a résulté malgré l’importation de denrées alimentaires. Après avoir décrit les méfaits de cette politique d’importation sur l’agriculture locale, I.-V. Mashinini traite de l’ampleur prise dans les années 70 – 80 par la crise agricole africaine sur les plans social, économique et politique.

Afin de juguler cette crise, les chefs d’Etat africains ont adopté en 1980 le Plan de Lagos. Ce plan admet que le système de propriété foncière « communautaire » existant est une entrave à la croissance agricole. Ce plan a conduit à quelques projets de réforme foncière (Kenya, Botswana, Lesotho) dont la tendance principale est la privatisation. L’article analyse le cas du Lesotho.

En effet, afin d’augmenter sa trop faible production agricole, le Lesotho lance une réforme foncière en 1979. Trois formes de régime sont alors prévues :

        La concession : des droits sur la terre sont attribués d’après les procédures coutumières et sont cédés par héritage. Aucun fermage n’est demandé pour les biens concédés mais la concession peut être révoquée en cas de mauvaise gestion de la terre.

        Le bail : le bailleur dispose de droits personnels complets sur la terre qu’il peut donc vendre, sous-louer ou hypothéquer.

        La licence : qui ne s’applique que dans le cas de terres à usage agricole enclavées dans des zones urbaines.

La mise en œuvre de cette réforme foncière dans les zones rurales a été bloquée pour plusieurs raisons parmi lesquelles, on peut citer :

        une opposition entre les intérêts des leaders politico-administratifs traditionnels et ceux des politiciens et bureaucrates modernes

        le fait que cette réforme ait été imposée au pays par le haut (communauté internationale, groupe réduit d’entrepreneurs modernistes)

        l’absence de ressources financières et techniques nécessaires à la mise en œuvre.

Enfin, l’auteur expose les risques de la mise en œuvre d’une telle réforme foncière au Lesotho, avec au premier chef, une aggravation de la pénurie des terres du fait de la concentration de celle-ci dans quelques mains avec peu de possibilités de reconversion pour les 20 000 familles qui se retrouveraient sans terre.  D’autre part, les incitations à produire des surplus pour ceux qui accèdent à la terre seraient négligeables sans une réforme agraire qui toucherait à d’autres stimulants indispensables : les prix et la commercialisation. Cependant, la protection de la production locale au Lesotho semble difficile du fait de l’intégration de l’Afrique australe.

Retrouvez l’intégralité de cet article très intéressant et très instructif en suivant le lien : http://www.politique-africaine.com/numeros/pdf/021054.pdf

Tite YOKOSSI