Les agences de presse en Afrique: entretien avec le journaliste Ibrahima Bakhoum

sud_Ibrahima-Bakhoum Le défi de la production et du contrôle de l’information sur l’Afrique a très tôt été un enjeu pour les jeunes Etats du Continent. Une vingtaine d’années après la vague des indépendances, ces pays décidaient de mettre sur pied une agence panafricaine de presse pour ne plus seulement consommer l’information venue d’ailleurs. Cependant l’expérience a tourné court.
C’est de cet échec et d’autres aspects historiques dont nous parle le journaliste sénégalais Ibrahima Bakhoum dans cet entretien. Un éclairage bienvenu au vue de l’actualité, la crise au Mali notamment, qui a vu les Africains se contenter, une fois encore, de reprendre la production des médias occidentaux.

L’actuel directeur de publication de Sud Quotidien est un journaliste à l’ancienne. Il parle de son métier avec passion, surtout lorsqu’il aborde ses années d’agence, quinze ans pour être précis, et sa vision des formes que devraient revêtir la pratique journalistique.

Pouvez vous revenir sur les spécificités de l’agence de presse dans le monde de l’information ?

Vous savez, l’agence de presse est en fait la source principale d’information des journalistes quand ils ne sont pas sur le terrain eux-mêmes. C’est pourquoi on avait l’habitude de dire des agenciers que c’étaient les journalistes des journalistes. Non pas qu’ils écrivent mieux que d’autres, non pas qu’ils soient plus professionnels mais c’est la nature de leur organe, leur spécificité. Tout à fait au début, la première agence de presse, Reuters, envoyait ce qu’on appelait de l’information télégraphique. C’était un style très court, très alerte, Pour aller très vite et donner l’essentiel de l’information. On s’abonnait en fil par le téléscripteur. Donc on pouvait venir chercher l’information ; et le journaliste de quotidien, de périodique et de radio se chargeait de développer l’information à partir de ce que l’agence lui apportait. Voilà un peu ce que c’était, c’était vraiment la matière première du journalisme : collecter, traiter rapidement, être précis, honnête dans le traitement, envoyer. C’était ça la fonction de l’agence et c’est toujours la même chose.

Quel a été le contexte et le processus de création des agences de presse en Afrique ?

Il faut dire qu’en Afrique nous sommes tous, dans nos pays, héritiers ou de la Couronne britannique ou de la République française. Quelqu’un avait l’habitude de parler de l’APS (Agence de Presse Sénégalaise) comme de la doyenne des agences de presse en Afrique. Cette agence a été créée en avril 1959. Depuis il y en a eu beaucoup ; au fur et à mesure que les pays arrivaient à l’indépendance, ils en créaient. L’agence était considérée comme la voix du gouvernement et quand c’étaient des partis-Etat, la voix du parti au pouvoir. Tous les autres supports du pays étaient obligés de se brancher sur ce réseau là pour être informés. Si nous prenons le cas du Sénégal, parallèlement à l’agence nationale, il y avait des centres régionaux implantés à l’intérieur du pays, dans les capitales régionales, départementales où le public venait s’informer. Ce qui fait que ce sont les gens qui travaillaient dans ces centres régionaux qui ont été par la suite reconvertis en correspondants de l’agence nationale. Ailleurs en Afrique les gens ont essayé d’imiter la même chose : créer une agence, en faire la voix du gouvernement à côté de la radio. Certains n’avaient pas encore de journal mais au moins il y avait une radio qui était là. La radio a régulièrement été très présente. Par la suite les africains se sont rendus compte qu’avec l’influence des cinq majeurs, à l’époque : Reuters la britannique, AP et United Press International les américaines, TAS la soviétique, AFP la française, on avait voulu jusqu’ici leur donner l’information avec le regard, le commentaire, les préoccupations, les intérêts des autres. L’Afrique avait voulu être plus présente, l’agence panafricaine (PANA) a été lancée par l’OUA en 1979. Dakar a été retenue comme siège parce qu’on avait une technologie qui s’y prêtait et en plus il y avait l’expérience. Son premier directeur était un nigérien du nom de Cheikhou Ousmane Diallo.

Ne pensez vous pas qu’en passant d’une situation où ils recevaient tout des agences étrangères à une autre où ils distillaient l’information selon leurs intérêts, les Etats africains soient allés d’une extrémité à l’autre ?

Progressivement, en effet, la PANA recevait et traitait les informations émanant des agences nationales qui avaient des points de vue différents, devenant donc une sorte d’entonnoir qui déversait sur le grand public ce que les agences nationales disaient en terme de propagande.

Pourquoi un pays comme le Maroc a très vite senti l’avantage d’investir dans ce domaine et pas les autres?

En fait tout le monde a senti tout de suite cet avantage. Parfois il se pose seulement un problème de moyens. Le Maroc avait son Maghreb Arabe Presse mais à côté il y avait la Tunisie Afrique Presse, Algérie Presse Service, L’Agence de Presse Sénégalaise était là, la NAN au Nigéria, le MNA était au Caire. En fait tout le monde avait son agence.

Le Maroc avait estimé que si l’OUA voulait faire du Sahara Occidental un Etat indépendant ayant droit de regard sur tout ce qui concerne les dossiers africains, il n’y trouverait plus son compte. Il est sorti de l’OUA mais en sortant de l’organisation, dans le contexte de l’époque, on quittait aussi tout ce qui était contrôlé par elle y compris la PANA. Alors Rabat a continué avec sa MAP jusque dans les années 2000. A ce moment là, les autorités marocaines se sont rendues compte qu’il y avait peut-être intérêt à chercher à parler à l’Afrique avec sa propre voix, avec sa propre agence panafricaine. La MAP ne faisait pas l’affaire, peut- être en terme d’options. Les Marocains ont mis sur pied l’Agence de Presse Africaine. Il n’y avait que des sénégalais au départ, le siège étant à Dakar. Aujourd’hui, ses bureaux sont presque partout en Afrique et le groupe a des correspondants aux Etats Unis, en France, à Bruxelles…

Peut-on travailler librement dans une agence lorsqu’on sait que ceux qui la financent ont toujours des intérêts à préserver ?

Dans une agence comme dans toute autre chose, c’est la même chose partout. Celui qui met son argent quelque part a un intérêt à le mettre là pour une raison ou une autre. Les gens ont leurs intérêts, les gouvernements et les bailleurs ont également les leurs. Les journalistes doivent seulement rester professionnels. 

Pensez vous qu’aujourd’hui les agences et plus généralement la presse africaine prennent efficacement en charge les préoccupations du continent, compte tenu de la pression que les Etats exercent généralement sur elles ?

L’Etat ne peut fermer l’information. Elle circule partout, elle circulait avant, aujourd’hui encore plus notamment par les réseaux sociaux. Si un Etat pense qu’il faille fermer le vis à ces médias, les gens vont aller chercher l’information ailleurs. Dans tous les cas aujourd’hui il est devenu extrêmement difficile de fermer un pays. Il y en a qui le font mais en tout cas ça demande tellement de moyens que le mieux pour un gouvernement assez intelligent c’est, je crois, de libéraliser et de laisser les gens travailler. Maintenant il s’agira pour les journalistes d’être responsables et professionnels.

Qu’est ce qui vous a le plus marqué dans votre carrière de journaliste d’agence ?

Mais je ne saurai dire ce qui m’a marqué car il y a plein de choses qui vous marquent dans tout ça. J’ai l’expérience de l’Agence de presse sénégalaise puis celle de la période de collaboration avec la PANA. Il y a tellement de choses qui vous marquent dans une carrière comme ça. En tout cas professionnellement ça m’a appris à être concis, à aller très vite à l’information, à déceler une information dans une masse de choses. C’est un énorme avantage d’avoir été agencier.
 

Entretien réalisé pour Terangaweb – L’Afrique des Idées par Racine Demba. 

L’Afrique doit-elle avoir peur du Libéralisme?

Pour Jean-Paul Sartre, l’enfer c’est les autres. De manière récurrente, voire obsessionnelle, cette idée est reprise en Afrique par les intellectuels, et souvent appliquée contre les politiques importées sur leur continent. La pauvreté et le retard dans le processus de développement seraient, selon eux, justifiés par l’échec de tentatives successives de « greffes » politiques forcées. Le cœur serré, ils appellent alors les Africains à écrire un modèle qui leur soit propre. Or, nous le savons, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Pourtant, il semble intéressant, et utile, de se demander si l’enjeu n’est pas démotivant car hors de portée ?

Nous retrouvons là encore Jean-Paul Sartre non pour son œuvre littéraire mais pour sa pensée politique ; pour lui, en effet, si le système ne s’adapte pas, il suffit de changer l’Homme. Cette conception, totalement utopique, est une aberration anthropologique. Elle permet, toutefois, d’insister sur une dimension trop souvent oubliée par les politiques actuelles : le système doit découler des comportements naturels de l’être humain, et non de volontés particulières ; à terme, jouer à Dieu ne tient pas. L’orgueil de cette conception thaumaturgique est immense ; ses applications peuvent être terribles ; mais, rapidement, le système s’effondre et engendre des troubles dont les peuples doivent endurer les conséquences. Ainsi si l’on doit réinventer la roue à chaque fois que l’on prend la route, il est probable que l’on n’ira pas bien loin. Ouvrons n’importe quel travail de recherche dans le monde, nous y trouverons inévitablement une liste importante de références bibliographiques. La moindre « Histoire de la philosophie » suffit, par exemple, à rappeler que l’idée d’une société humaine autorégulée, et s’adaptant sous l’effet des contraintes extérieures (ce qui deviendra le marché, et la fameuse « main invisible ») existait déjà … 5 siècles avant Jésus-Christ. Cela signifie que l’on part toujours d’une base conçue par d’autres, et ce souvent sans le savoir ; or, si l’on peut pardonner à une personne d’ignorer toute l’histoire de la sagesse du monde, il convient de ne pas lui pardonner de choisir, volontairement, de perdurer dans cette ignorance. C’est d’ailleurs la base de tout progrès que de se remettre en question et sans cesse vouloir faire mieux.

Plutôt que de refouler en bloc les modèles importés, ne serait-il pas temps pour les intellectuels africains d’accepter de se remettre en cause et de rechercher les problèmes structurels du retard de leur économie ? De faire l’effort de se libérer des idées reçues qui les aveuglent et les éloignent d’une voie de progrès accessible ?

Depuis leur indépendance, les pays africains n’ont connu que des politiques dirigées par des gouvernements ayant des pouvoirs sans limite. Certains ont affirmé être socialistes, d’autres libéraux, mais la finalité a été la même : l’Etat décide de tout et la population reste captive de ses caprices évoluant au gré de ses « soutiens » internationaux. Toute politique planifiée par essence est vouée à l’échec, qu’elle soit importée ou pas. En effet, le marché s’adapte en permanence, étant, tout simplement, la combinaison de toutes les volontés individuelles ; il est en l’Homme, il est l’essence même de l’humanité : l’échange. Or, la planification va à l’encontre de cette dynamique permanente et peut s’apparenter à la pose d’un garrot sur une jambe : le sang cesse de circuler, les tissus meurent, il faut couper. L’économie fonctionne de même et les garrots de la planification la dégradent à chaque intervention. Dans un tel contexte, on peut comprendre le mal-être de ces intellectuels qui crient à l’invasion de modèles infructueux.

Ces mêmes intellectuels s’empressent cependant d’accuser les politiques libérales du chaos à travers un système immoral qui exploiterait les pauvres par les riches, à travers des monopoles qui écrasent les économies locales, des politiques de privatisation dangereuses, une mondialisation immorale, etc. Alors que l’intellectuel est censé éclairer les populations, on se rend compte que, malheureusement, par de telles communications ils les aveuglent et les oppriment dans une promiscuité intellectuelle atterrante. Que la démarche soit intentionnelle ou pas, la finalité est grave. Pourtant, le premier des intellectuels célèbres, Socrate, rappelait que la seule chose dont le Sage doit être sûr est qu’il ne sait rien et qu’il doit demeurer modeste quant à ses prises de position dans les décisions relatives à la vie d’un Peuple. Il est aussi préjudiciable à l’intérêt commun que des individus éclairés soutiennent des gouvernements corrompus et corrupteurs ; c’est en cautionnant les pires images, les pires situations, que s’instille dans les sociétés africaines tout ce, qu’ensuite, ces mêmes intellectuels vont critiquer.

S’ils faisaient preuve d’honnêteté, ces intellectuels se poseraient des questions de fonds : Le libéral peut-il s’accommoder de monopoles ? Aberration ! Les monopoles ne peuvent exister que s’ils sont protégés par des gouvernements forts et corrompus et cela est aux antipodes du libéralisme qui, lui et lui seul, prône haut et fort l’adaptation des productions aux besoins de la population (adaptation spontanée de l’offre à la demande) et la transparence. Les privatisations maladroitement présentées comme des dangers se sont résumées en Afrique à un passage d’un monopole d’Etat à un monopole privé et protégé. Ce n’est plus, en pareille situation, la loi du marché et de l’échange prônés par le militant libéral. Cette domination du riche sur le pauvre serait-elle le fait des politiques libérales ? N’a-t-on pas constaté dans les pays d’union soviétique une domination absolue d’un groupe de privilégiés sur un peuple écrasé ? N’est-ce pas justement un manque absolu de liberté individuelle qui permet à quelques dirigeants de dominer leur peuple, de le maintenir, par la concentration malsaine des instruments de production et de distribution, dans la misère ?

Une brève analyse peu poussée oblige à voir que dans le monde les pays les plus libres sont aussi les plus riches. L’inégalité demeure toujours mais, dans ces pays, la pauvreté est moindre. Au-delà, ce sont les pays les plus riches qui sont en tête de liste des donateurs dans le monde, il est donc difficile de parler d’immoralité totale. Pourquoi emporter l’opinion dans de fausses analyses ? Pour préserver le pouvoir absolu des pouvoirs en place ? Question certes malsaine mais qui mérite d’être posée. Ainsi, si les intellectuels trouvaient dans le libéralisme « non le meilleur des systèmes, mais le moins préjudiciable », ils accepteraient, enfin, de mobiliser leur sphère d’influence au profit des Peuples qu’ils prétendent éclairer et que, pour l’instant, ils contribuent par leur silence, ou leurs prises de positions favorables au tout-à-l’égo-étatique, à une concentration des pouvoirs et des richesses entre des mains toujours plus avides.

Il est clair que le libéralisme ne peut être responsable des maux du continent puisqu’il ne l’a pas connu depuis les indépendances. Alors que les politiques importées effraient, le libéralisme semble bien la voie indiquée. En effet, le fondement du libéralisme réside avant tout en l’Homme, en sa créativité, sa responsabilité, sa faculté à créer sa propre richesse, la propriété privée, son initiative individuelle. Le rôle de l’Etat pour le libéral se résume à la protection de l’activité humaine à travers la justice et la défense ; ces deux grands axes sont d’ailleurs rappelés par les religions du livre, le Judaïsme, le Christianisme, l’Islam. L’Etat doit seulement veiller à ce que les hommes puissent mener à bien leurs activités sans entraves inutiles. Or, la séparation de la sphère personnelle (je possède) de la sphère publique (si tu veux voler mon bien l’Etat doit me défendre afin d’éviter un cycle sans fin de vengeance et de justice privée), ne signifie en rien que les politiques aient un droit « sacré » à dire ce qui est bien ou pas, voire même qu’ils mobilisent les instruments de maintien de l’ordre, et de Justice, pour aliéner la population et la maintenir dans la servilité.

On peut donc définir le libéralisme comme un cadre épousant spontanément l’activité humaine car étant le système spontanément engendré par la rencontre d’au moins deux personnes, l’essence même et de notre nature, et de nos desseins. Dans un tel cadre, les populations s’expriment avec leurs propres cultures dans une flexibilité telle que l’on ne peut honnêtement parler de modèle importé ; le libéralisme ne peut d’ailleurs être « importé », puisqu’il n’a pas de forme figée mais, uniquement, des principes fondamentaux. Peut-on reprocher à l’Homme de vouloir être humain avant d’être un animal sociable ? Peut-on reprocher aux Peuples de vouloir vivre conformément à leurs habitudes ancestrales ? Peut-on reprocher, enfin, à nos enfants de chercher à se dépasser, sans cesse, sans qu’aucun pouvoir ne les en empêche ? Or, sur ces trois grandes questions, porteuses de tant d’autres, la pensée libérale rejoint les vœux déjà émis par les intellectuels ivoiriens qui, souvent, ont fait un rêve ; et ce rêve, nous le partageons depuis toujours puisqu’il est l’essence même de notre engagement.

 

Nicolas Madelénat di Florio et Gisèle Dutheuil de l'Audace Institut Afrique

Publié sur Pensées Noirées et Audace Institut Afrique