Le système financier malgache

Madagascar sort de cinq ans de crise politique. Dans ce contexte délicat, il est utile de faire le point sur la santé du système financier. Il croît à partir d'une petite base et des risques apparaissent mais restent contenus. Les réformes visant à soutenir le développement du secteur financier sont néanmoins essentielles dans la mesure où il ne peut actuellement soutenir la diversification et la croissance économiques du fait d'un accès restreint aux financements. Un système financier plus développé permettrait de renforcer l'effet des politiques publiques, tant budgétaires que monétaires, et de faire de l'accès au crédit un moteur de la croissance. Il est nécessaire de renforcer la surveillance, d’améliorer la mise en place de la réglementation et de définir un cadre de résolution des crises pour assurer la stabilité financière.

  1. Panorama

Evolution du taux de change

Ces dernières années, Madagascar a enregistré une volatilité considérable des  flux de la balance des paiements. Cette volatilité était imputable à des investissements de grande échelle dans des projets miniers  et à l’instabilité économique causée par la récente crise. Il est donc difficile de porter un jugement définitif sur la stabilité et la compétitivité extérieures de Madagascar. Si les modèles du taux de change ne donnent pas une évaluation claire de la valorisation, d’autres preuves plus larges mettent en exergue l’insuffisance de la compétitivité.

 

Répercussion du taux de change à Madagascar

On estime que la répercussion du taux de change sur les prix intérieurs se situe aux environs de -0.35 à son pic, chiffre similaire aux estimations pour les autres pays d’Afrique subsaharienne. Il est également prouvé que les chocs plus marqués sur le taux de change ont une répercussion plus prononcée sur les prix que les chocs de moindre envergure. Cela suggère que les autorités devraient laisser le taux de change réagir aux chocs au lieu de laisser les déséquilibres s’accumuler ce qui finira par déboucher sur des corrections plus perturbatrices.

 

La mobilisation des recettes fiscales à Madagascar

Le ratio des recettes fiscales de Madagascar est l’un des plus faibles d’Afrique subsaharienne, et est loin de répondre aux besoins de développement importants du pays. L’objectif du gouvernement est de porter le ratio des impôts au PIB à 14 % environ à moyen terme. Pour y parvenir, il faudra prendre des mesures visant à élargir l’assiette de l’impôt, notamment en limitant les incitations fiscales, en faisant mieux respecter les obligations fiscales et en réduisant les possibilités d’évasion fiscale. Pour encourager la morale fiscale, ces efforts devront aller de pair avec une amélioration des services publics. 

 

  1. Recommendations

 

Comme c'est le cas dans de nombreux pays à faible revenu, le secteur bancaire domine le système financier malgache.

Dans l'ensemble, les banques sont en bonne santé mais il existe des poches de vulnérabilité, notamment chez les acteurs les plus récemment arrivés. Les nombreuses IMF offrent des services financiers restreints aux foyers à faible revenu, contribuant ainsi au renforcement de l'accès au système financier. Le reste du secteur financier national se constitue principalement des compagnies d'assurance. Il n'y a pas de marché boursier et le marché obligataire ne finance que l'état. L'analyse comparative montre que le système financier malgache n'est pas particulièrement inhabituel, vu les caractéristiques structurelles du pays.

Le système bancaire est stable mais comporte des poches de vulnérabilité, les principaux risques étant la concentration des crédits et la qualité des actifs; le secteur de la microfinance mérite un suivi minutieux.

Les ISF semblent indiquer que les banques sont, dans l’ensemble, suffisamment capitalisées, rentables et liquides. La profondeur financière s'est renforcée ces dernières années et correspond globalement aux caractéristiques structurelles du pays. Il reste néanmoins une marge d'approfondissement, ce qui faciliterait la mise en œuvre de la politique budgétaire et permettrait de gérer plus facilement la volatilité et de soutenir les investissements et la croissance. Le secteur de la microfinance doit être suivi de près, en particulier la gouvernance des IMF, la fermeture récente d'une institution étant un signal d'alarme clair.

 

La réglementation micro-prudentielle et la surveillance des banques et institutions de micro financement pourrait être renforcée.

Ce processus est déjà en cours avec le renforcement de l'équipe à la Commission de la Supervision Bancaire et Financière (CSBF). De nombreuses lacunes identifiées dans le PESF de Madagascar (2005) et de nombreuses analyses et recommandations faites à l'époque restent pertinentes. Une mesure importante serait de renforcer la surveillance internationale et de signer des arrangements administratifs avec des autorités de surveillance étrangères.

De plus, il ne suffit pas, pour avoir une bonne surveillance d'avoir un cadre réglementaire solide, qui existe déjà à Madagascar, mais il faut vouloir agir et le pouvoir, ce qui semble actuellement moins évident. La capacité d'action doit exister en droit et en fait. Les autorités de surveillance doivent avoir des ressources adéquates, du personnel compétent et en nombre suffisant et doivent rendre des comptes pour contrebalancer leur indépendance opérationnelle.

 

Les autorités sont incitées à améliorer la qualité de leurs statistiques et à avoir une vision plus globale du système financier et des risques systémiques.

En janvier 2013, la banque centrale a constitué une division de la stabilité financière dont le rôle est d'assurer un suivi macro prudentiel du secteur financier et d'identifier les principaux risques systémiques en mettant sur pied un système d'alerte précoce. Il est essentiel de développer cette compétence  alors que le système financier se complexifie, avec des interconnexions de plus en plus nombreuses entre banques et non-banques. Comme la crise mondiale l'a montré, avoir une vision systémique des choses permet aux autorités de surveillance de compléter leur approche micro prudentielle en intégrant les externalités qui s'accumulent. Il faudrait renforcer encore cette fonction. Le prochain Rapport sur la stabilité financière, résultant d'une autoévaluation, est un moyen de faire avancer une analyse de ce type.

 

Un autre domaine d'analyse potentiel est le cadre de prévention et de résolution des crises.

Le fait que des banques théoriquement insolvables puissent poursuivre leurs opérations ou qu'il faille plusieurs années pour fermer de telles banques pourrait illustrer des faiblesses dans le cadre de résolution des défaillances bancaires. Il sera important de définir un système de prévention des crises financières et des régimes spéciaux de résolution pour fermer les établissements bancaires.

Les récents évènements qui se sont déroulés dans la Grande Ile, notamment l’accueil des sommets du COMESA et le plus récent sommet de la francophonie vont apporter une bouffée d’air à l’économie malgache, il reste maintenant au gouvernement de bien gérer les investissements et les dons octroyés par les partenaires mondiaux de Madagascar afin d’éviter de replonger dans la série de crise qu’a connu le pays depuis son indépendance jusqu’aujourd’hui.

 

Omar Ibn Abdillah

 

Vol à vif, le roman à paraître de Johary Ravaloson

ADI_Vol a vifQuand commence la lecture du roman Vol à vif de l’écrivain malgache Johary Ravaloson, le lecteur que je suis a du mal à trouver ses repères. On se retrouve embarqué dans une situation particulièrement exotique : l’univers des voleurs de zébus de l’arrière pays malgache. D’ailleurs, on est pris par ce vol à vif, dans lequel l’écrivain nous narre le détail de l’action tout en nous présentant les différents personnages. Les brigands ourdissent leur plan et le mettent à exécution avec une certaine réussite. Ils arrivent même à semer leurs poursuivants dans un premier temps. Naturellement, et c’est tout l’intérêt du roman, un paramètre difficile à anticiper pour ces voleurs va être celui de l’intervention d’un hélicoptère pour permettre aux forces de l’ordre d’améliorer leur traque des voleurs.

Portraits du jeunesse  désoeuvrée

Johary Ravaloson prend le temps de décrire les membres de cette bande de jeunes désoeuvrés. On découvre des personnages marqués pour les plus charismatiques d'entre eux par une forme de nihilisme. N’hésitant pas, par une action d’éclat, à choisir la mort plutôt que l’enfermement… Tibaar, le plus jeune du groupe assiste impuissant à l’exécution de ses compagnons. Par les hauteurs qui surplombent le lieu de l’affrontement, Tibaar s’extrait miraculeusement des griffes des forces de l’ordre, avec l’aide d’un papangue, sorte de milan malgache. La plume de Ravaloson est si sensible, si maîtrisée, si proche de ces jeunes délinquants qu’on se prend d’empathie pour ces personnages froidement abattus par la police. Il y a dans cette première phase du roman, une poétique sur la violence sourde qui, dans cette campagne reculée de Madagascar, fait étrangement écho au texte du guinéen Hakim Ba, Tachetures (Editions Ganndal). Il y a nihilisme. 

Des voleurs de zébus à l'intrigue de succession

Deux histoires se superposent pourtant. Au forfait des Dahalo (voleurs de zébus), Johary Ravaloson oppose une histoire plus ancienne. Celle du bannissement d’un nouveau né au sein du clan des Baar. Sur fond d’intrigue, d’héritages, de manipulation de Markrik, un des tous premiers cadres formés à la sauce occidentale, successeur naturel du chef traditionnel des Baar et qui nourrit de nombreuses ambitions à cheval entre deux mondes. Le nouveau né étant selon les oracles de ce clan porteur de malédictions mais aussi un prétendant à la succession, Markrik qui est en même temps le père de l’enfant, veut à tout prix la mort de l’enfant.

Quand j’ai dit tout cela, je n’ai rien dit. Car, tout l’art de Johary Ravaloson  est dans la construction de son histoire, dans les rapprochements de ces séquences de narration qui au début de la lecture  peut faire penser à des nouvelles totalement indépendantes. Quel lien peut-il y avoir entre ces jeunes voleurs de zébus et les intrigues de palais de Markrik? Il faut le lire.

Des mondes qui s'effondrent encore…

J’aimerais souligner les nombreux points forts de ce roman. La première force de ce roman réside dans la spiritualité qui sous-tend le propos de Johary Ravaloson. Un des personnages au centre de ce roman est un prêtre Baar dont la prise de parole ou la réflexion explique l’empreinte spirituelle de ce roman. Un ancrage dans le culte des Ancêtres, dans l’animisme sous tend le propos de l’auteur malgache. Cet ancrage se traduit aussi par une description minutieuse et profonde des us et coutumes baar avec des points de notre point de vue actuel ne manqueront pas d’interpeler le lecteur. Comme le fait que les enjeux communautaires priment sur la vie d’un nourrisson qu’on est prêt à livrer à des fourmis dévoreuses. Ce qui d’une certaine manière n’est pas sans me rappeler le propos de Chinua Achebe où les igbos pour les mêmes raisons allaient abandonner des bébés jumeaux dans le bois sacré à la merci des bêtes sauvages, pour l’intérêt du clan.

Johary RavalosonJohary Ravaloson fait toucher au lecteur le poids de certains choix communautaires, le prix du bannissement et de l’exclusion mais aussi l’émergence d’une singularité, de l’individualisme. C’est une détermination à malgré tout être en quête de l’amour et du regard favorable des autres. Des interrogations de la fatalité, son sens. La figure de Tibaar va donc très intéressante à suivre. Ce roman est tellement riche. J’aborderais deux autres points :

L’écriture est totalement au service des personnages. Elle est poétique et je l’imagine portant la langue des Baar (si ce groupe ethnique n’est pas une fiction), la philosophie de ce peuple. Elle porte avec la même exigence chaque phase du roman.

Le travail d’orfèvre de Ravaloson s’exprime aussi dans la conclusion du roman et dans les perspectives extrêmement ouvertes qu’il propose à ses personnages avec une interaction entre le mythique et le temporel. 

Que dire d’autres? Beaucoup. Mais je suis sur un blog régi par des règles de publications. Donc, je vous prierai de vous faire une idée et de parler de ce roman autour de vous. Un texte qui sera publié aux éditions réunionaises  Dodo vole.


Johary Ravaloson, Vol à vif
Editions Dodo vole, à paraître en février 2016

Source photo – Vents d'ailleurs

Nouvelles chroniques de Madagascar

Les Editions Sépia ont une nouvelle fois eu la bonne initiative de publier des nouvelles – ici quatre – d’écrivains de la grande île, auteurs qui pour la plupart sont très peu connus du lectorat ; pour certains il s’agit de leur première publication. Quelle excellente manière de pénétrer la multitude des facettes de Madagascar – si tant est que cela soit possible -, et de leur donner corps en accordant voix au chapitre à ses nouvellistes de talent ; car, il s’agit bien d’auteurs de qualité dont il est question ici avec une préférence avouée pour Hery Mahavanora et sa nouvelle, Au Nom du Père, et Johary Ravaloson, Antananarivo, ainsi durant les jours pluvieux. Chroniques de vies ordinaires. Sépia permet à ces auteurs francophones de se faire entendre dans une nation où écrire dans notre langue est l’exception : aucune institution locale favorisant l’expression française n’y est encouragée pour des raisons à la fois culturelle et historique. A noter l’excellente préface de Dominique Ranaivoson, un modèle d’introduction pressant le lecteur à se perdre dans des réalités insulaires certes parfois dramatiques mais toujours d’une grande richesse.

Pour la première nouvelle, celle de Hery Mahavanora, l’introspection douloureuse d’un homme d’âge mur qui par hasard dans les rubriques nécrologiques de son quotidien apprend enfin l’identité de son géniteur ; lui dont la bâtardise et l’ignorance de son père l’a tant fait souffrir dans une société puritaine ; une plaie douloureuse qui l’a amené sans cesse à se surpasser – exigence de la réussite dans les études – et fuir cette île, aller loin, très loin, en France, et y trouver l’anonymat, la paix.

« Mais la véritable libération est venue avec ma rencontre de Krouri, plusieurs années plus tard, quand toutes ces humiliations et ces états d’âme n’étaient plus que de mauvais souvenirs, et que ma rage de réussir m’avait permis d’accéder à une position sociale enviable. Sacré Krouri ! Bâtard comme moi, mais fier de l’être et transcendant son état comme un don du ciel. Je le revois me dire que les bâtards étaient meilleurs que les autres car confrontés aux difficultés qu’ils devaient surmonter. (…) Merci à Krouri ! Je lui dois ma sérénité et ma fierté retrouvées. Gloire aux bâtards ! Ceux qui ont souffert le martyr pour remplir des fiches de renseignements dans leur enfance et qui ont essuyés les sarcasmes et humiliation de la part de leurs compagnons de jeu à cause de cette anomalie. Ceux qui ont cherché en vain un réconfort paternel dans les moments difficiles. Ceux qui ont sombré, à court d’arguments et de ressources morales, et n’ont pas résisté. Ceux qui ont transcendé cette humiliation, transmutation à la manière de la pierre philosophale. Gloire à vous… mes frères et sœurs dans l’adversité. Je mesure aujourd’hui seulement le chemin parcouru. », pp. 18 et 19.

Dans la seconde nouvelle – excellente ! -, Antananarivo, ainsi durant les jours pluvieux (…), l’auteur déroule le fil narratif à partir d’un taxi de la capitale et va de client en client (putes, vahazas et autres) pris dans les méandres de leurs réflexions et de leur solitude ; il en va ainsi du conducteur, faim au ventre, se devant absolument de rentrer avec quelques monnaies pour payer la location du taxi et attendant nuitamment sur une des collines cerclant la ville avec le vague à l’âme dans sa contemplation.

« Une nuit d’avance. Je me réveillai tenaillé par la faim. Les étoiles d’Antananarivo luisaient dans la pleine endormie. Je cherchais à deviner ses aspérités qui la caractérisaient en me repérant aux artères de lumières. Elle s’étendait maintenant sur des kilomètres et, si on confondait par temps clair ses lumières avec celles des astres à l’horizon, on discernait aussi des trous noirs qui pouvaient tout aussi bien correspondre à des terrains boisés, marécageux ou ésidus de rizières échappant encore aux tentacules de la construction qu’à des uartiers cachés par une butte ou tout simplement subissant un délestage de la JIRAMA, la compagnie nationale d’électricité. », p. 41.

La nouvelle de Désiré RazaFinjato, Tahiry, De Madagascar au Djebel algérien, nous emmène loin : un autre continent, une autre époque, la guerre d’Algérie. Appelé sous le drapeau français à combattre le FLN, Tahiry le malgache, personnage torturé, a en mémoire les événements révolutionnaires malgaches de 1947 – environ 80 000 des siens sont tués sur ordre de l’Etat Français. Impossible de déshonorer les morts ; unique chemin de recours, jouer double jeu, guerroyer de facto pour l’indépendance de l’Algérie. Mais à son retour, comment faire comprendre à sa famille honteuse d’avoir un fils venant de l’armée impérialiste qu’il était bien au contraire un résistant, un combattant des indépendances ! Impossible… le départ solitaire et infortuné du village vers la ville.

La solitude est un des fils conducteurs des trois précédents récits, triste fatalité que rompt la dernière nouvelle, Doublement un, de Cyprienne Toazara. A la tonalité résolument optimiste de ce conte naît l’union maritale d’un Malgache, le colonisé, revenant de France après la guerre à une vazaha (Blanche) française : surprise de la famille et des villageois d’autant plus que le
couple a décidé de s’installer au village. Une seule ombre au tableau, mais de taille, aucun enfant après des mois d’union. Dès lors, aux arts religieux et autres pratiques magiques pour réparer ce tort qui ne peut venir que de la femme (!) ; le fruit de la réconciliation des peuples, la naissance de l’enfant métisse, ne semble cependant rien devoir aux ancêtres bien aimés….
Vous avez dit conte ?!

Ce recueil de nouvelles ne tombe pas dans les clichés miséreux que pourrait colporter une certaine littérature de compassion : la tristesse, la solitude et le sentiment de fatalité n’empêchent pas l’ensemble des acteurs à se battre et vivre dignement. Autre point à souligner, la permanence du jugement familial – voire du village : toute action individuelle est pesée et soupesée à la lumière des intérêts et de la réputation de la famille, entité indivisible ; une autorité communautaire à laquelle il n’est possible d’échapper qu’en partant pour la ville, Antanarivo, la Babylone malgache, ou pour les plus « chanceux » à l’étranger. Que dire de plus pour encourager le lecteur à s’embarquer pour la grande île de l’océan Indien si ce n’est de se munir de chacun des recueils de cette collection qui a le grand mérite d’embrasser au plus près de son corps Madagascar. Et tant pis si quelques maladresses d’écriture s’y glissent.

Nouvelles Chroniques de Madagascar, Sélectionnées et présentées par
Dominique Ranaivoson
, Editions Sepia, 2009, 146 p.

Hervé Ferrand, article initialement paru sur son blog

Histoire de la langue malagasy

Mon intention est de donner un minimum de ce qu’il faut savoir de la langue malagasy actuelle à l’intention du plus grand nombre plutôt que des spécialistes. Force est de constater que la plupart des locuteurs de cette belle langue ignorent son histoire, c’est-à-dire sa formation et son évolution.

Le terme malagasy
Au départ, l’adjectif dérivé du nom de pays Madagascar était madécasse. Ce terme, utilisé pour la première fois par les tribus du Sud de la Grande l’Ile s’est transformé en malagasy, parce que dans cette partie du pays, souvent le son ‘de’ se transforme en ‘le’ ou ‘la’. Les Français arrivés à la fin du XIXe siècle comme colonisateurs ont francisé le mot malagasy, devenu ainsi malgache ! Entre l’adjectif madécasse-malagasy et la francisation «malgache», le rapport (linguistique) n’est pas évident. D’aucuns pensent que «malgache» a été forgé à dessein, peut-être pour donner une connotation péjorative au mot ; «malagasse» conviendrait mieux et serait moins suspect.

Langue et dialectes
Il y a 18 dialectes à Madagascar, un chiffre correspondant au nombre des tribus malagasy. Evidemment, je fais une simplification. Il y a peut-être plus de dialectes que de tribus car dans certaines régions, plusieurs clans font partie d’une même tribu et parlent leurs dialectes. Et toutes les tribus forment une seule ethnie, au sens premier du terme, l’ethnie malagasy. Ces dialectes ont, par définition, un substrat commun mais aussi des traits caractéristiques les distinguant les uns des autres. En termes plus simples, les dialectes malagasy sont des variantes d’une même langue. Elles varient dans l’espace et aussi dans le temps.
Le substrat vient du Pacifique, et fait partie des langues austronésiennes parlées aussi en Asie du Sud-Est. Il a été enrichi, entre autres, par des mots bantus et swahili, mais aussi plus tard des mots anglais et français. Par ailleurs, je suis tenté de trouver des traces sémitiques dans la langue malagasy. Car la structure des mots, par exemple les substantifs par leurs suffixes qui souvent désignent le possessif, fait penser aux substantifs dans la langue hébraïque.

La langue malagasy actuelle
Il y a deux thèses populaires qu’il faut considérer avec prudence. La première développe l’idée de l’existence de plusieurs langues, plutôt que des dialectes, à Madagascar. Or nous savons qu’un Malagasy de l’extrême sud de l’Ile qui va à l’extrême nord, c’est-à-dire à 1600 km de chez lui, parlera correctement le dialecte du nord en quelques semaines. Les difficultés qu’il rencontrera se situent essentiellement au niveau du vocabulaire et de la prononciation. Un exemple peut appuyer cette idée : un texte traduit par les missionnaires lazaristes au XVIIe siècle dans le dialecte Mahafaly, une tribu du sud, aux environs de Tolagnaro actuel, est intelligible aujourd’hui aux autres tribus de l’Ile. Il avait la substance de la langue malagasy commune. La deuxième thèse affirme que le dialecte merina, de l’une des tribus du centre, est devenu la langue officielle de Madagascar. Cette thèse ressemble à une simplification de la formation d’une langue officielle. Certains l’adoptent sans doute par manque d’information.

Le processus de la formation de la langue officielle malagasy suit les mêmes règles qu’ailleurs. Deux exemples suffisent pour l’expliquer. Nous savons que la France a plusieurs langues –plutôt que des dialectes. Le breton est une langue celtique que ses locuteurs partagent en partie avec les Gallois et les Ecossais. Nous pouvons également citer le catalan qui a des affinités avec les langues d’origines latines, l’occitan et bien d’autres langues. Il fallait attendre la Renaissance et surtout la Réforme du XVIe siècle pour que le français devienne la langue officielle et ce, grâce en grande partie à la traduction de la Bible dans cette langue. La traduction de la Bible en français est donc un facteur unificateur car à côté de leurs langues maternelles, les Français parlaient la langue officielle. Nous considérons ainsi le XVIe siècle comme le siècle de l’envol de la littérature française avec comme acteurs principaux Rabelais, Du Bellay, Ronsard, Marot (le protestant), Théodore de Bèze (l’assistant du Réformateur Jean Calvin) et bien d’autres. L’Allemagne a connu le même processus bien avant la France. Grâce à la traduction d’abord du Nouveau Testament par le Réformateur Martin Luther et plus tard de toute la Bible, ce grand pays au départ hétérogène a une langue commune, l’allemand. 

Le cheminement de la langue malagasy
Nous partons donc de l’idée qu’il y a plusieurs dialectes à Madagascar. Ils ont les mêmes origines et gardent le même substrat. Ils se sont progressivement enrichis des mots étrangers, mais souvent pas de la même manière, puisque les dialectes varient, comme nous l’avons dit, dans le temps et dans l’espace. Quand les missionnaires de la London Missionary Society sont arrivés sur la côte est, dans la ville de Toamasina actuelle, la plus grande ville de la région Betsimisaraka en août 1818, ils ont décidé d’aller plus à l’intérieur de la Grande Ile pour arriver à Antananarivo, la plus grande ville de la région Merina certainement pour des raisons stratégiques. Antananarivo était en effet la capitale du Royaume de Madagascar –mais certains royaume n’étaient pas encore acquis à l’unification par le roi Radama I. Pour eux, il fallait y commencer l’œuvre missionnaire.

Ces missionnaires ont entrepris la traduction de toute la Bible en malagasy. En juin 1835, les Malagasy avaient la Bible dans leur langue. Il est évident que le malagasy de la Bible est très proche du dialecte merina par le vocabulaire, les phonèmes, la prononciation et les idiomes, les traducteurs côtoyant quotidiennement les Merina au milieu desquels ils vivaient. Ils étaient aussi proches de la famille royale soucieuse de la sauvegarde et du développement des us et coutumes, et surtout de la langue. C’est d’ailleurs à cette époque que l’Etat a adopté l’alphabet latin au détriment du Sorabe, l’écriture arabe ! Nous pouvons bien imaginer que des mots (et leur graphie) et des concepts ont été inventés, comme au temps de Luther qui traduisait le Nouveau Testament et des réformateurs français qui traduisaient toute la Bible. Comme en Allemagne et en France au XVIe siècle, la littérature malagasy dans sa forme moderne est née grâce en grande partie à la traduction de la Bible. Elle s’est développée et s’est enrichie de nouveaux concepts et de nouveaux mots empruntés ou tout simplement forgés. Actuellement elle est capable de dire l’essentiel.

Un autre cheminement
Nous pourrions imaginer un autre scenario quant au développement de la langue malagasy. Les missionnaires de la LMS auraient pu rester à Toamasina –du nom d’un missionnaire Thomas Bevan, en région Betsimisaraka ! Ils auraient alors traduit la Bible dans un malagasy très proche du dialecte Betsimisaraka, notamment en vocabulaire et en prononciation. Les autres tribus pourraient alors comprendre ce malagasy avec un petit effort de leur part. Le malagasy officiel serait légèrement différent de ce qu’il est actuellement.

Le malagasy de l’avenir
Comme toutes les langues, le malagasy se forme et se forge tout au long de l’histoire. Certes, elle est riche dans certains domaines comme dans les relations humaines, mais elle doit se laisser enrichir par l’apport des dialectes qui ont des termes précis, mais aussi des sons, des diphtongues et des idiomes que la malagasy officiel n’a pas. Les locuteurs de la langue malagasy, actuellement au nombre de 19 à 20 millions, et les éducateurs en particuliers, doivent accepter la dialectique entre le malagasy officiel et le dialecte, entre le développement de cette langue qui unit tous les Malagasy, et la sauvegarde des dialectes qui expriment la diversité dans cette unité. 

 

Solomon Andria