Pour que les Grandes Muettes africaines se taisent!

Une fois de plus, le continent africain s’est mis à l’honneur en organisant une nouvelle édition de sa compétition favorite : le coup d’État militaire. A Bamako, les hommes en treillis ont une fois de plus mis à genoux une république à l’allure très démocratique. C’est l’occasion de s’interroger sur la rentabilité économico-politique de l’existence d’une armée dans les pays africains…

 La mission première de l’Armée est d’assurer la sécurité de l’État. L’Armée est censée protéger celui-ci des menaces d’envahissement ou d’atteinte à son intégrité par des forces extérieures. Si les conflits armés internationaux diminuent de manière constante dans le monde, la puissance de l’Armée demeure une arme de dissuasion massive et d’affirmation de sa puissance économique.

 Des spécificités dans le rôle de la « grande muette » peuvent néanmoins apparaître en fonction du niveau de développement du pays. Dans les pays développés, au-delà de la dissuasion passive, les armées servent souvent à défendre les intérêts du pays hors de ses frontières. De nombreux ivoiriens, irakiens et libyens ont encore le souvenir du passage des armées française et américaine. En maintenant l’influence des pays développés dans les pays moins avancés, l’armée permet, en toute discrétion, de maintenir la sécurité intérieure par la sécurisation des approvisionnements en matières premières (cas du pétrole de Lybie pour les puissances occidentales).

Dans les pays émergents, la consolidation de la puissance militaire et la maîtrise de la fabrication d’armes (de destruction massive) peut permettre à des économies émergentes d’affirmer leur puissance économique et de mettre en avant le sérieux nécessaire au suivi de plans souvent très longs de construction d’une filière technologique militaire performante.

 Les investissements dans le secteur de la Défense peuvent aussi se révéler hautement productifs, par les progrès scientifiques qu’ils engendrent. Le secteur de la Défense est perçu comme un secteur fortement concurrentiel où le seul moyen de triompher est l’innovation. Il faut avoir la mémoire courte pour oublier qu’Internet a été conçu pour faciliter les échanges entre les chercheurs du Département de la Défense américain. En France, les innovations produites chez Thales, EADS et Dassault dans l’aviation militaire sont très souvent une projection des avancées de l’aviation civile.

 Dans le contexte des pays africains, on peut s’interroger sur la nécessité pour elles de choyer une composante si capricieuse de la population. Dans le contexte mondial actuel (depuis un bon moment d’ailleurs), la puissance d’une nation se mesure à sa puissance économique et non pas à sa puissance militaire (n’en déplaise au trublion Ahmadinedjad). Il n’existe quasiment plus de conflit armé international (dans lequel deux pays s’affrontent) dans le monde, encore moins en Afrique. A quoi servent donc les armées dans les pays africains ?

Malheureusement, la dure loi des statistiques fait que le degré de sensibilisation de la population militaire aux notions de démocratie et d’expression pacifique de ses griefs est exactement le reflet du degré de sensibilisation de la population restante du pays. Si la population dans son ensemble n’a pas été éduquée au concept de démocratie et de respect des institutions, il y a de fortes chances que les militaires ne le soient pas non plus. A la différence des autres corps de la population, l’Armée possède des arguments de choix… Dès lors, l’équation est simple : dès que les militaires ne sont plus contents du sort qui leur est réservé par le pouvoir en place, ils le renversent et entretiennent de fait, même si le pouvoir est remis à des civils, une sorte de terreur sur le pouvoir qui se doit de répondre à ses moindres attentes.

 Finalement, l’Armée sert uniquement au Chef de l’État à se protéger… des mutins de l’Armée !!

 Que faut-il donc faire ? Continuer à entretenir l’armée pour finalement se protéger d’elle-même ? Une idée pourrait être de « sous-investir » dans l’armée afin de lui ôter toute capacité de nuisance interne. Une fois que les populations auront intégré de manière durable les concepts de partage de pouvoir et de démocratie, on pourra recommencer à renforcer l’armée. Celle-ci pourrait alors jouer le rôle qu’elle joue dans les pays émergents et dans les pays développés. Dans l’état actuel des choses, aucun pays africain ou faiblement démocratique ne peut se permettre de négliger les revendications de ses forces armées. Mais qu’on la fasse taire cette « grande muette ».

Ted BOULOU

Crédit photo: essor.ml