Interview avec Mouhamadou Lamine Yade, Professeur associé au CESAG

Ce mois ci, la rubrique Economie et Finances vous propose l’interview du Dr Mouhamadou Lamine YADE, professeur d’économie associé au CESAG. Il revient ici sur la situation économique plus ou moins confuse du Sénégal. Vous y trouverez également des explications concernant des termes que vous avez eu l’occasion d’entendre ces derniers temps, peut-être à tort qui sait…Cependant, vous serez les seuls aptes à en juger!

Terangaweb: Il y a quelques mois, avec les crises économiques et financières, les pays africains, dont le Sénégal, ont été durement touchés. Comment expliquer l’ampleur de ce phénomène dans nos pays?

M. Yade: Par rapport à la crise financière, les retombées négatives ne sont pas encore ressenties dans nos pays car ils ne réellement connectés aux places financières internationales. Ce sera probablement une bombe à retardement. La crise économique qui existe dans pays est due à notre incapacité à générer réellement de la richesse dans nos économies et une forte dépendance de l’extérieur.Objet Inconnu

Terangaweb: Durant cette même période, le taux d’inflation s’est aussi considérablement élevé…Quelles risquent d’être les conséquences sur le long terme pour le Sénégal?

M. Yade: Avec la flambée des prix du pétrole observée, amenant en quelque sorte une certaine inflation, il y aura à long terme deux conséquences majeures pour nos économies :

– Cela contribuera déjà à accentuer notre manque de compétitivité par rapport au reste du monde, car ne l’oublions pas : nous ne participons pratiquement pas au commerce mondial.

– Puis à réduire le pouvoir d’achat des ménages qui devient de plus en plus faible, et qui pourrait conduire à la baisse de la consommation : ce qui ralentirait fortement l’économie.

Terangaweb: Pouvez-vous nous décrire la relation entre inflation et récession ou d’autres crises susceptibles d’affecter l’économie d’un pays?

M. Yade: Il n’y a pas de relation entre inflation et récession mais la récession peut être issue d’une inflation soutenue et persistante dans une économie. Cependant, il faudrait regarder les autres grandeurs macroéconomiques telles que l’investissement, le chômage, etc.

Terangaweb: Depuis quelques temps, on entend parler de “dépassement budgétaire”, que signifie exactement cette expression?

M. Yade: Cela signifie que le budget qui a voté et dégagé par l’administration publique (ministère du budget) n’a pas suffi par rapport aux dépenses de l’Etat. Ce dernier étant obligé de faire fonctionner les différents secteurs de l’économie demandent souvent des rallongements budgétaires pour accomplir sa tâche au cours de l’année. Par contre de « déficit budgétaire » est calculé à la fin de l’année après avoir eu réellement connaissances des recettes obtenues par les administrations centrales de l’Etat.

Terangaweb: Pensez-vous qu’à ce stade et compte tenu des nombreux problèmes que traverse le pays, une dévaluation de la monnaie soit envisageable ? Ou au cas contraire, quelle situation pourrait conduire à une dévaluation ?

M. Yade: C’est une chose qui est envisageable car nous ne sommes pas compétitif et que l’un des buts de la dévaluation est d’améliorer cette compétitivité par les exportations. Mais, il faudrait que la consommation des produits locaux soit importante.

Terangaweb: Des structures comme l’APIX ont été crées pour “booster” l’activité économique. Quelles observations pouvez-vous faire concernant l’investissement au Sénégal ? Les chiffres avancés traduisent-ils la réalité ?

M. Yade: Elle n’a pas remplie totalement sa mission car en matière d’investissement, il faudrait qu’elle soit utile rentable dans le moyen et long terme. Cet investissement doit être dans les secteurs d’activité pouvant doper la productivité des entreprises, surtout des PME-PMI, réduire le chômage, améliorer le cadre de vie des agents économiques.

Par contre, les chiffres annoncés peuvent traduire la réalité mais compte tenu de la situation économique et des préoccupations des ménages, il est difficile de les faire avaler la nécessité de ces investissements qui sont très importants surtout en matière d’infrastructures, moteur d’un bon développement économique.

Terangaweb: L’Etat a retiré sa subvention sur le riz et le sac qui coutait environ 13 000 F Cfa vaut actuellement 25 000 F Cfa, soit une augmentation de près de 100%. Voilà déjà une conséquence sur le court terme, à quoi faudrait-il s’attendre sur le moyen voire long terme ? Que pourrait-il en être du gaz ?

M. Yade: Si dans le moyen terme le prix du riz sr le marché mondial ne baisse pas, il faudrait s’attendre à une hausse continue de ce produit car les importateurs ne vont jamais vendre à perte. Pour le gaz, tout dépendra de l’évolution du baril de pétrole mais ces jours ci avec la crise financière qui plombe les économies occidentales le baril du pétrole baisse. Peut être que les autorités vont le faire répercuter sur le prix au détail mais, à mon avis, c’est quelque chose qui n’est pas probable car l’Etat est à la quête de recettes et c’est un canal pour lui.

Terangaweb: On assiste également à l’émergence de structures de micro finance (ou Système de Financement Décentralisé). Quel peut être l’apport de ce genre de structure pour l’économie sénégalaise ?

M. Yade: C’est un outil très important et indispensable pour nos économies. C’est eux qui peuvent canaliser le maximum possible le secteur informel qui est d’un côté nuisible à l’économie, surtout en matière monétaire, financière et donc d’investissement. C’est un secteur où il ya énormément de capitaux thésaurisés ou qui sont investis dans des domaines non rentables.

Terangaweb: Et enfin, comment voyez-vous l’avenir de l’économie du Sénégal et quelles perspectives seraient, selon vous, à envisager pour sortir d’une situation que l’on pourrait qualifier de fragile ?

M. Yade: C’est un avenir assez sombre. Il faut une bonne gouvernance de nos économies, faire des politiques de jeunesse amenant à la création d’emploi, assainir les secteurs clé de l’économie (la santé, l’éducation, la recherche, l’agriculture, l’énergie et l’industrie), alléger considérablement les dépenses administratives, adopter une politique de rigueur en matière de justice (justice équitable), etc.

Propos recueillis par Mame Diarra Sourang

Quand l’Afrique rencontre Friedman

La face cachée du capitalisme
Seule une crise, réelle ou supposée, peut produire des changements. Lorsqu’elle se produit, les mesures à prendre dépendent des idées en vigueur dans le contexte. Telle est, me semble-t-il, notre véritable fonction : trouver des solutions de rechange aux politiques existantes et les entretenir jusqu’à ce que des notions politiquement impossibles deviennent politiquement inévitables.
Milton Friedman, 1982
 
Dans son ouvrage édité en 1962, Capitalisme et liberté, Milton Friedman défend l’idée selon laquelle le capitalisme est l’unique moyen de construire une société libre. Il soutient ainsi qu’il n’y a aucun moyen pour améliorer la situation de l’homme de la rue qui arrive à la cheville des activités productives libérées par un système de libre entreprise. Plus tard, en 1980, dans La liberté du choix, il s’attachera à démontrer la supériorité du libéralisme économique sur les autres systèmes économiques tels que l’interventionnisme et ceux en rapport avec les idées prônées par le marxisme.
 
Il convient, bien évidemment, de préciser ce sur quoi repose la doctrine libérale prônée par Friedman. Dans un tel monde, l’économie n’est bridée par aucune contrainte et aucune ingérence de la part de l’État n’est tolérée car les marchés s’autorégulent. Auteur de The Shock Doctrine paru en 2007, Naomi Klein résume la doctrine de Friedman en ces termes :
« Premièrement, les gouvernements doivent faire sauter toutes les règles et les régulations qui se dressent sur le chemin de l’accumulation des profits. Deuxièmement, ils devraient vendre tous les biens qu’ils possèdent, et que des entreprises pourraient gérer dans un but lucratif. Troisièmement, ils devraient radicalement diminuer le financement des programmes sociaux. »
 
Pour Friedman, un « traitement de choc » est le seul remède possible pour la mise en place d’un système libéral et ce sur le long terme. Il s’agit, somme toute, d’imposer immédiatement après un choc (sans égard à sa nature) des réformes économiques douloureuses pendant que la population est trop occupée à assurer sa survie pour se révolter. Toujours est-il que dans ce contexte, la terreur devient un élément prépondérant de la transition vers une économie de marché. Ce qu’il qualifie de « traitement de choc » n’est, pour d’autres, qu’un « capitalisme du désastre. » Selon Naomi Klein, cette théorie développée par M. Friedman permettrait d’annihiler les capacités critiques de la population pour faire passer des mesures économiques drastiques pouvant par là même porter atteinte aux libertés fondamentales des individus.
 
Le remède préconisé par Friedman semble se transposer parfaitement à l’époque où nous vivons, et en Afrique tout particulièrement. Les gouvernements l’ont certes modernisée, mais l’idée principale a traversé les années sans prendre une seule ride : profiter d’une crise pour s’autoriser tous les excès. La récente crise financière reste un exemple très éloquent, surtout au sein des pays africains où les prix sont montés en flèche ; sans parler du chômage et de la pauvreté.
 
La Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International : des institutions pro-Friedman ?
 
Friedman ne croyait pas particulièrement au FMI et à la BM bien qu’elles furent bien positionnées pour appliquer sa théorie des crises. Toutefois, pour certains comme Davison Budhoo, ancien économiste du FMI, l’ajustement structurel tel que pratiqué par le FMI dans les années 80-90 pouvait être assimilable à de la torture dans la mesure où l’institution faisait fi des conséquences que pourraient avoir sa politique sur les populations des pays concernés.
 
Ces programmes visaient, lors de leur mise en place, à augmenter les exportations des pays endettés en vue de leur donner des liquidités qui devaient, par la suite, servir à rembourser les prêts accordés. Quantité d’économies africaines ont à cette époque bénéficié de ces programmes (Sénégal, Ghana…). Le FMI exigeait le plus souvent de ces pays qu’ils dévaluent leur monnaie tout en procédant à des coupes budgétaires sur les dépenses en services sociaux, en soins de santé et dans le secteur de l’éducation ; sans compter les privatisations et les baisses de salaires qui suivirent. L’application des ces mesures aura ainsi contribué à faire croître les inégalités dans la quasi totalité des pays concernés. À partir de ce moment, le FMI et la BM ne se contentaient plus de leur rôle de supervision, mais se retrouvaient à gérer les pays eux-mêmes. Malheureusement, il est déplorable que pareille chose continue de se produire pour la plupart des pays africains.
 
 Les modèles économiques ne sont pas éternels. À certains moments, ils sont utiles ; à d’autres, ils deviennent désuets et doivent être abandonnés.
Michel Camdessus
 
Dans presque tous les pays, Afrique comprise, où ont été appliqués les fondements de cette doctrine ultralibérale, et ce, à la suite de crises, les résultats se sont révélés être un échec cuisant — l’exemple le plus marquant étant celui du plan économique proposé par les Chicago Boys au Chili après l’accession au pouvoir du Général Pinochet. La principale conséquence du « traitement de choc » tel que préconisé par Friedman a toujours été et restera l’accroissement des inégalités socio-économiques. La libéralisation à outrance n’est, de toute évidence, pas un modèle à appliquer aux pays africains au risque de voir leur situation s’empirer. Un crédit illimité auprès du FMI ne nous sera d’aucune utilité si nos gouvernements ne font preuve de plus d’efficacité.
 
Nous devons souligner qu’il n’est pas exclu que la mise en place d’une économie de marché soit une réussite, à condition que celle-ci se fasse progressivement. La grande majorité des économies africains, mais aussi des pays émergents, dont la Chine, en sont de bons exemples. Mais la question qui se pose est la suivante : que faire quand ce « capitalisme du désastre » s’opère déjà et appauvrit les sociétés africaines qui en sont victimes ? Si la doctrine de l’ultralibéralisme nous a enseigné une chose, il s’agit de jamais laisser les politiques décider seuls des changements auxquels nous aurons à faire face. Il est donc de la responsabilité et du devoir de tout un chacun d’agir et de faire entendre sa voix. À cette fin, l’information reste la seule arme dont nous disposons. C’est en étant informés que nous pouvons comprendre et prévenir les dérives des politiques qui dirigent nos pays.
 
 
Mame Diarra Sourang

Chômage et pauvreté : un cercle vicieux?

«Nous faisons semblant d’avoir des politiques et elles ne sont pas crédibles, nous faisons semblant d’agir et on se rend compte qu’on ne touche pas le problème de fond et aujourd’hui nous avons fabriqué une société de chômeur, une société de personnes qui ont du mal à vivre». Ibrahima Sall.

Invité à la Rfm*, M. Sall, économiste sénégalais, a révélé que le Sénégal n’avait jamais eu de politique de chômage. Une remarque qui, je dois l’avouer, éveillât ma curiosité.

L’intérêt réside surtout dans le fait qu’elle pousse au questionnement et interpelle sur de nombreux aspects concernant la problématique du chômage : quelle est l’étendue du fléau ? Quelles en sont les causes? Il est entendu que le sujet dont il est question est très vaste et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, il sera traité en deux parties. Le premier volet qui sera abordé dans ce présent article permettra de faire une description assez globale du problème, à savoir la situation actuelle du chômage au Sénégal et ses principales causes.

Commençons par quelques chiffres…

Selon le CIA World Factbook publié en janvier 2009, 54% de la population sénégalaise vivait avec moins de 1$ par jour.

Qu’en est-il des autres indicateurs de développement? Le bilan n’est guère reluisant : une croissance du PIB qui passe de 5.5% en 2005 à 2.2% en 2009, un taux de chômage de la population totale 11.1% en 2006 et un taux d’alphabétisation de 42%, pour ne citer que ceux là. On ne peut évidemment être choqué lorsque l’on connaît le contexte économique du Sénégal même s’il est dur de s’imaginer que ces données sont quasiment restées inchangées depuis 2005. Un cercle vicieux : tel serait la description que l’on pourrait donner à la relation existant entre chômage et pauvreté d’une part et développement économique de l’autre.

Dans un rapport publiée par le Bureau sous-régional pour l’Afrique de l’Ouest de la Commission des Nations Unies pour l’Afrique en 2010, le Sénégal s’est vu attribuer l’une des meilleures performances économiques d’Afrique subsaharienne des cinq dernières années avec un taux de croissance moyen de près de 7%. Toutefois, le bureau conclue en soulignant «le taux de chômage élevé et endémique» du pays qui représenterait une entrave à l’éclosion du potentiel des jeunes. Plus généralement, le fort taux de chômage constituerait une menace à la stabilité mais également aux perspectives de développement socio-économique.

Près de 48% de la population active (entre 15 et 24 ans) est sans emploi; il est donc légitime de se poser la question à savoir : quels sont les facteurs à l’origine du chômage au Sénégal?

 

 

Les principaux déterminants du chômage au Sénégal

Nous pouvons, tout d’abord, citer le taux élevé d’analphabétisation. Il y a de cela quelques années (2006), seulement 42% de la population était alphabétisée. Dans un document intitulé  «Les Déterminants du chômage au Sénégal : le rôle de l’éducation» et publié en 2005 par Mamadou Cissé, il est fait état de la relation entre niveau d’éducation et chômage.

La littérature empirique a montré que sur le plan national, l'éducation permet d'améliorer la croissance économique par le dynamisme du capital humain. Elle permet donc de lutter contre le chômage par la création d'opportunités d'emploi. L’éducation augmente les chances d’obtenir un emploi réduisant ainsi la probabilité de chômage. Paradoxalement, il se trouve que 57% des demandeurs d’emploi n’ont pas de diplômes.

Ce qui nous amène à un second facteur déterminant du chômage : l’inadéquation entre le système éducatif et les besoins du marché du travail. En effet, 28.8% des travailleurs vivent avec moins de 1 dollar par jour et plus de 50% avec moins de 2$ par jour. Il est donc important de s'intéresser au niveau et à la structure des emplois selon les qualifications requises. En outre, le chômage important des jeunes diplômés ajouté à une baisse de la probabilité d’insertion dans les secteurs modernes, pousse bien évidemment à s’interroger sur la qualité de l’éducation et sa pertinence par rapport aux besoins des employeurs. On se rend également compte que le secteur formel n’offre que peu d’emplois contrairement à celui informel qui en fournirait plus de 50%.

La situation du secteur de l’éducation s’est fortement améliorée ces dernières années et ceci grâce au fait que l’État lui consacre une importante partie de son budget. Malgré les améliorations notées dans ce domaine, les structures de planification ne sont toujours pas en accord avec les réalités du marché du travail et passer par l’enseignement supérieur reste, pour les demandeurs d’emploi, la seule porte de sortie. En effet, les politiques publiques sont si peu incitatives que seule une faible proportion d’entre eux détient un diplôme universitaire (environ 1,6%).

Comme nous l’avons vu tout au long, le chômage est actuellement un facteur important lorsqu’on en vient à parler de développement économique. Son impact est plus sérieux d’un point de vue macroéconomique et il est le plus souvent lié à l’éducation au même titre qu’aux politiques publiques. En effet, la conséquence majeure du chômage est la pauvreté; et bien entendu, qui dit pauvreté, dit forcément faible productivité économique.  Nous y reviendrons dans la seconde partie de l’article qui sera ainsi consacrée à un diagnostic global de la pauvreté de même qu’à une étude plus approfondie du problème. Nous parlerons également des méthodes de lutte contre ce phénomène et discuterons plus amplement des toutes nouvelles stratégies en matière de réduction de pauvreté, telles que l’inclusion des personnes vivant avec un handicap.

Mame Diarra Sourang

Interview avec Mouhamadou Lamine Yade, Professeur associé au CESAG

Ce mois ci, la rubrique Economie et Finances vous propose l’interview du Dr Mouhamadou Lamine YADE, professeur d’économie associé au CESAG. Il revient ici sur la situation économique plus ou moins confuse du Sénégal. Vous y trouverez également des explications concernant des termes que vous avez eu l’occasion d’entendre ces derniers temps, peut-être à tort qui sait…Cependant, vous serez les seuls aptes à en juger!

 

Terangaweb: Il y a quelques mois, avec les crises économiques et financières, les pays africains, dont le Sénégal, ont été durement touchés. Comment expliquer l’ampleur de ce phénomène dans nos pays?

M. Yade: Par rapport à la crise financière, les retombées négatives ne sont pas encore ressenties dans nos pays car ils ne réellement connectés aux places financières internationales. Ce sera probablement une bombe à retardement. La crise économique qui existe dans pays est due à notre incapacité à générer réellement de la richesse dans nos économies et une forte dépendance de l’extérieur. Continue reading « Interview avec Mouhamadou Lamine Yade, Professeur associé au CESAG »