Bilan d’étape sur la place boursière de Kigali

Le Rwanda Stock Exchange (RSE) a été officiellement lancé le 31 janvier 2011 avec l'introduction en bourse de la brasserie Bralirwa. Cette première cotation d'une entreprise nationale aura été une belle réussite. Avec une demande très supérieure à l’offre de titres proposée (taux de souscription de 274 %), les investisseurs se sont pressés pour acquérir les actions mises en vente. Un optimisme partagé par M. Pierre Célestin Rwabukumba, coordinateur en chef des activités au RSE lorsqu'il souligne que "la bourse du Rwanda est celle qui se développe le plus vite au sein de la sous-région". La Banque de Kigali (depuis le 1er septembre 2011) a depuis rejoint la Bralirwa à la cote, et d'autres entreprises nationales devraient prochainement suivre le mouvement.

Un an plus tard, quel premier bilan tirer de cette expérience inédite, notamment du point de vue actionnarial (environ 10.000 comptes-titres enregistrés) ? La performance exceptionnelle enregistrée par la Bralirwa, dont le cours de l'action est passé de 136 Frw [environ 0.23 $] au moment de la souscription à plus de 320 Frw [environ 0.53 $] aujourd'hui, a tout naturellement généré dans son sillage un intérêt spéculatif grandissant.

Un premier bilan actionnarial en demi-teinte

Très suivie, l'introduction en bourse de la Banque de Kigali aura été là aussi un franc succès. Mais depuis sa mise sur le marché il y a plus de 5 mois, le titre de la seconde société rwandaise cotée en Bourse fait du surplace autour de 125 Frw [environ 0.21 $], son cours d'introduction. La valeur avait pourtant clôturé à 190 Frw le 1er septembre 2011, son premier jour de cotation, en raison de la forte demande initiale pour les actions BK. Certains actionnaires de fraîche date ne peuvent cacher leur désappointement. Un employé d’une institution financière étatique résidant à Rwamagana indique ainsi avoir acquis 12.000 actions de la Banque de Kigali (BK) au moment de la souscription pour un montant de 1.5 millions Frw (environ 2.500 $). Comme d'autres, il reconnaît avoir acheté des actions BK en raison notamment du précédent Bralirwa. A ce titre, il se déclare "bien entendu déçu, car s'attendant à un résultat tout autre". Il ajoute toutefois que cette contrariété temporaire ne remet aucunement en cause "sa conviction d'avoir acquis des titres d'une institution solide" et conclue en assurant "qu'il continuera toujours à recommander l'investissement en Bourse comme un moyen de placement profitable sur le long terme".

Jean de Dieu Sekibibi, entrepreneur actif dans la construction à Kigali, abonde dans le même sens. Client de longue date à la Banque de Kigali et également instruit du succès initial de la Bralirwa, il s'est aussi décidé à parier sur l'avenir du premier établissement bancaire du pays en achetant 40.000 actions pour une mise de 5 millions de Frw au moment de l'introduction en bourse de la BK (environ 8.300 $). Il aurait lui aussi espéré un autre dénouement, mais aucune trace de regret ne transparaît dans sa voix. "Qui ne risque rien n'a rien" dit-il, et il poursuit en expliquant "qu'en tant que chef d'entreprise, il est sensible à la notion de cycles, au fait qu'il y a toujours des hauts et des bas. En Bourse, comme partout ailleurs". Il note aussi que "la culture de l'épargne au travers de placements en actions est totalement nouvelle au Rwanda", de même "qu'il faudra du temps pour que le grand public soit familiarisé, et que le marché gagne en maturité". Il conclue par la nécessité selon lui pour les professionnels du secteur de "fournir un effort important en matière de pédagogie et de communication".

Un marché en maturation et des perspectives solides

Interrogé sur ces différents points, M. Pierre Célestin Rwabukumba du Rwanda Stock Exchange, qui considère l'institution "comme une activité relevant du service public", convient que les réserves émises par certains investisseurs depuis le lancement officiel de la bourse l'année dernière sont tout à fait compréhensibles (peu de valeurs encore cotées, faible volume de transactions, nécessité de mieux éduquer les actionnaires et de plus communiquer, performances boursières erratiques) et qu'elles traduisent bien les difficultés rencontrées par une place financière naissante. Des désagréments passagers qui selon M. Rwabukumba "seront progressivement résorbés, au fur et à mesure de la maturation de la place boursière rwandaise. Le compartiment des valeurs va être amené à s'élargir progressivement, plusieurs sociétés souhaitant rejoindre à terme la cote, ce qui augmentera mécaniquement l'activité du marché. Et la vulgarisation progressive de l'investissement en Bourse amènera une amélioration et une sophistication accrue des prestations proposées aux épargnants. Avec à la clé plus de communication et de transparence", détaille ainsi M. Rwabukumba. Quant à la désillusion relative de certains actionnaires, le coordinateur principal du Rwanda Stock Exchange se veut pédagogue en insistant sur "la nécessité de remettre les éléments en perspective". Il indique ainsi qu'il serait "prématuré de prononcer un jugement définitif sur la performance boursière d'une action après seulement quelques mois, et que le succès rencontré a contrario par le titre Bralirwa devrait permettre à tout un chacun d'avoir une vision plus juste et nuancée de ce qu'est l'investissement en Bourse, avec ses attraits et ses risques".

Le revers et l’avers d’une même médaille, celle du placement financier. Une méthode d’épargne qui doit encore gagner ses lettres de noblesse au pays des mille collines. Les parcours boursiers divergents de la Bralirwa et de la BK constituent en tous les cas une bonne illustration de la nature aléatoire et incertaine des marchés financiers ; lieux de rencontre permanents entre acheteurs et vendeurs où les cours sont déterminés par l’intemporelle loi de l’offre et la demande. Que les acheteurs soient avides d’acquérir des titres et surclassent leur contrepartie vendeuse, le cours des actions montera. Que les vendeurs veuillent se défaire de leurs titres pour diverses raisons (besoins pécuniaires pressants, crainte de dévalorisation future de leurs actions…) et dépassent en nombre les acheteurs potentiels, une spirale baissière des cours sera mécaniquement enclenchée. Une logique boursière implacable qui n’est pas toujours comprise par les nouveaux actionnaires. S’agissant de la dissimilitude des performances entre les deux sociétés nationales cotées, les différentes sources professionnelles sollicitées (autorités boursières et courtiers) s’accordent en règle générale à avancer les éléments suivants : La brasserie Bralirwa est dans son domaine d’activité en situation de quasi-monopole, alors que la Banque de Kigali doit faire face à un environnement bancaire plus dur et compétitif, comparativement moins profitable. De même, la communication institutionnelle du brasseur vis-à-vis de ses actionnaires est vue comme plus efficace et claire, notamment s’agissant de la politique liée au versement des dividendes (parts des profits reversés aux actionnaires). Des éléments factuels qui expliquent probablement en grande partie l’évolution respective des deux valeurs jusqu’à maintenant.

Une chose est sure néanmoins : Il y a une réelle volonté de disposer à terme d'une place financière active. La bourse de Kigali devrait dès cette année passer à un système de cotation entièrement automatisé et électronique, et la régulation boursière du pays met déjà celui-ci au diapason des standards internationaux. Sur un laps de temps aussi court, les progrès sont évidents. Mais il reste encore beaucoup à faire. "Mettre en place un marché de capitaux digne de ce nom prend du temps et nous n'en sommes qu'à la phase initiale. Le défi est de taille, mais l'environnement économique au Rwanda est bon, les opportunités nombreuses et les perspectives prometteuses" conclue M. Rwabukumba. Une opinion qui fait écho à celle de M. Sekibibi qui indique en définitive "qu'acheter des actions de sociétés rwandaises, c'est simplement parier sur le développement futur de notre pays". "Et de ce point de vue, je suis plus que jamais optimiste !", achève t'il avec le sourire.

 

Jacques Leroueil

A lire du même auteur sur ce sujet : Rwanda, un marché boursier naissant : partie 1 et 2