Pour un développement sain des marchés financiers africains

Y a-t-il des marches financiers[1] en Afrique ? Si oui, à quoi servent-ils ? Relèvent-ils le défi d’aider le continent dans son processus de développement ? Quelles mesures doivent être prises pour que ces marchés se développent sainement ? La série d’articles sur les marchés financiers que nous vous proposons répond à ces questions.

Après un tour rapide de l’expansion des marchés financiers en Afrique et un exposé de leurs avantages et inconvénients, nous concluons cette série avec les mesures à prendre pour un développement harmonieux de ces marchés.

520871-001Un meilleur cadre juridique et règlementaire

L’environnement légal et réglementaire qui régit le cadre de fonctionnement des bourses du continent laisse a désirer. En cause, des droits de propriété mal définis, des difficultés chroniques à faire respecter les contrats et une protection légale déficiente. Cette situation a notamment pour corollaire une forte concentration du secteur bancaire, un faible taux d’intermédiation, des taux d’intérêt requis trop élevés et des appels de garantie qui entravent l’accès au crédit.

Il faut donc mettre en place des structures juridiques fortes et compétentes pour protéger les investisseurs, faire respecter les contrats et les droits de propriété qui doivent être mieux définis. Il ne fait aucun doute que tout ce qui va dans le sens d’une meilleure stabilité économique et d’une amélioration de la confiance des investisseurs et de l’environnement des affaires participe du développement des marchés financiers.

Aussi faut-il que ces marchés se développent en évitant autant que possible les excès qu’ils engendrent dans les pays développés et qui peuvent être très déstabilisateurs pour l’économie réelle des pays africains – comme nous l’avons indiqué dans le troisième article de cette série. Il faut donc que les institutions de régulation prennent la mesure de la complexité et des risques associés aux produits et opérations qu’ils autorisent afin qu’une régulation ferme et adéquate adapte l’instrument boursier au contexte des économies africaines. Pour l’instant, les produits autorisés sur les marchés sont essentiellement des actions et des obligations, il y a très peu de place pour les produits dérivés. Au fur et à mesure du développement des économies, un recours pourra être fait à des produits plus complexes notamment pour améliorer la couverture des risques mais cette démarche devra être progressive et prudente.

Un meilleur système financier

Il faut également renforcer les services bancaires et la bancarisation car il n’est pas de marchés de capitaux forts et développés quand le secteur bancaire est encore immature. Le secteur doit donc être mieux ouvert à la concurrence tout en étant davantage  régulé – à travers les contrôles de ratios prudentiels par exemple. L’offre bancaire de produits d’épargne et d’emprunt doit également s’adapter aux besoins locaux.

Une autre mesure qui s’impose, consiste à utiliser le dynamisme du secteur financier informel déjà en place et à en accroître le volume d’activité. Les institutions de microcrédit par exemple doivent être plus formalisées et incitées à élargir leur gamme de produits financiers destinée aux PME. Pour toucher une population plus importante[2], il faut que des outils financiers innovants soient développés notamment en utilisant des technologies comme la banque par téléphone très développée au Kenya notamment.

Ce souci d’adaptation au contexte local doit également se ressentir dans l’organisation des bourses locales. Ces dernières devraient proposer un segment réservé aux entreprises de taille moyenne comme c’est déjà le cas au sein de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM). Ainsi, les bourses pourront augmenter le nombre des entreprises cotées et réduire le manque chronique d’instruments financiers adaptés aux PME, largement majoritaires sur le continent et qui préfèrent souvent rester dans le secteur informel, faute de services financiers taillés pour elles.

Pour développer la base des investisseurs, les gouvernements africains devraient prendre des mesures pour inciter la création de fonds d’investissement, de fonds de pension et de caisses de retraites qui sont de puissances capteurs d’épargne et d’éminents détenteurs de titres financiers.

Des bourses mieux organisées et plus intégrées

Sur le plan opérationnel, il faut que les bourses africaines automatisent leurs opérations et passent aux systèmes électroniques. Ce n’est pas le cas pour l’extrême majorité des bourses du continent. Cette automatisation réduit les coûts de transaction, améliore la liquidité et réduit les risques liés aux systèmes manuels. Au Nigéria, la bourse a adopté en 2013 le système X-Stream du groupe NASDAQ OMX, ce qui a permis à la plateforme de gagner en vitesse et en efficacité.

La taille des économies sur lesquelles s’appuient ces marchés financiers est un déterminant important de leur développement. Même avec un bon pilotage macroéconomique et institutionnel, certains pays africains sont tout simplement trop petits pour espérer avoir une bourse avec des niveaux de capitalisation, d’échanges et de liquidité importants. Il est donc nécessaire d’aller vers une plus grande intégration des marchés financiers en suivant l’exemple de la BRVM[3] et de la BVMAC[4].

Un article[5] paru dans Afrique Renouveau résume bien la situation en matière d’intégration des bourses africaines : “Bien que les avantages qui résultent de l’intégration régionale soient évidents (marché de plus grande taille, coûts moins élevés et accroissement des liquidités), celle-ci ne bénéficie pas encore des conditions optimales pour se développer. D’après les experts financiers, il faudrait pour ce faire que les pays africains harmonisent leurs lois commerciales et leurs normes comptables, mettent en place des monnaies convertibles et instaurent entre eux un système de libre-échange. Le nationalisme tient ici un rôle non négligeable, les pays africains ayant tendance à considérer les places boursières comme des symboles nationaux et, de fait, ils ne sont pas pressés d’en abandonner le contrôle.”

Une plus grande intégration de ces bourses sera également un pas de plus vers une meilleure intégration africaine. L’accord de partenariat entre l’indice boursier britannique (FTSE) et 16 des 22 membres de l’Association des Bourses Africaines (ASEA) en 2012 consiste l’une des dernières tentatives importantes en matière d’intégration. Selon Siobhan Cleary, la directrice de la stratégie et des politiques publiques de la Bourse de Johannesburg, « l’index aidera à améliorer la visibilité des bourses africaines tout en donnant aux investisseurs la possibilité d’accéder aux actions africaines ».  C’est le genre d’initiatives qui devrait essaimer dans tout le continent.

 

Tite Yokossi

Sources :

Secteur Privé & Développement, la revue de PROPARCO, Numéro 5. Mars 2010. Les marchés financiers en Afrique : véritable outil de développement ?

Document de travail pour la réunion ministérielle de la table ronde d’experts de l’initiative NEPAD – OCDE, 11-12 Novembre 2009. Afrique : développer les marchés financiers pour la croissance et l’investissement

Jeune Afrique. 20 Décembre 2012. Les marchés financiers doivent être une véritable alternative au financement bancaire

http://www.nextafrique.com/blogs/afro-business-360/dix-mesures-pour-booster-les-marches-financiers-africains

http://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/ao%C3%BBt-2012/promouvoir-la-croissance-gr%C3%A2ce-aux-march%C3%A9s-financiers-africains

 

 


[1] Les marchés financiers souvent appelés bourses sont des lieux où s’échangent des instruments financiers tels que les actions et les obligations. Ces lieux sont de plus en plus virtuels car les marchés financiers murs agrègent les offres et les demandes des acteurs, déterminant ainsi un prix ou une cotation qui est transmise en temps réel, grâce aux révolutions des TIC à tous les acteurs sans plus nécessiter la présence physique de ces derniers dans une même salle.

 

[2] Moins de 20% des particuliers, en Afrique subsaharienne, disposent d’un compte en banque.

 

[3] La Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) créée en 1996 et basée à Abidjan regroupe 8 pays d’Afrique de l’Ouest : Bénin, Burkina-Faso, Guinée-Bissau, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal et Togo.

 

[4] La Bourse des Valeurs Mobilières de l’Afrique Centrale (BVMAC), sise à Libreville, est commune à la République Centrafricaine, au Tchad, au Congo, au Gabon et à la Guinée Equatoriale. 

 

[5] http://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/ao%C3%BBt-2012/promouvoir-la-croissance-gr%C3%A2ce-aux-march%C3%A9s-financiers-africains