La participation de six Chefs d’Etat africains à la marche parisienne qui a suivi les récents actes terroristes en France a été largement critiquée sur le continent. Ils ont été traités de laquais de la France, peu émus par exemple par le massacre de 2000 personnes au Nigéria mais prompts à répondre à l’appel de leur « maître » François Hollande.
Je comprends leur émotion face à la mort tragique d’innocents journalistes sous les balles de barbares. Qu’ils aillent à Paris marcher ou condamner de leurs bureaux les actes terroristes m’importent peu au final. De toutes les façons, nos Chefs d’Etat dépensent si souvent l’argent du contribuable pour des sottises… Même si leurs motivations sont ailleurs, je leur accorde cette fois le bénéfice du doute. Les pauvres en prennent tellement que si, pour une fois, on peut les prendre au mot…
Pour être clair, qui veut marcher, aille le faire. Si cela peut aider certains à perdre du poids, c’est déjà cela de gagné !
Au-delà de la participation des présidents précités à la marche de Paris du 11 janvier, l’intérêt réside dans la suite à donner à l’acte. Quelle leçon en tireront nos « promeneurs du dimanche » après les larmes de Boni Yayi et la mine grave d’IBK ?
L’opinion publique africaine doit même saluer la présence expresse de ses présidents car dorénavant ils ne peuvent plus rester sourds aux appels pour le renforcement de la liberté d’expression et la garantie de l’existence d’une presse libre et indépendante chez eux.
Bongo, Faure et leurs compères ont reçu une leçon magistrale en une après-midi. François Hollande a marché sous le froid pour rendre hommage à des journalistes assassinés. Or, dans les pays de nos « marcheurs », l’état de la presse n’est pas reluisant. De façon globale, les journalistes demeurent souvent une cible privilégiée en Afrique.
Par exemple entre 2013 et 2014, neuf journalistes ont été assassinés en Somalie, selon RSF (Reporters Sans Frontières). La liste des journalistes tués sur le continent rappelle que le combat pour la liberté de la presse est plus qu’actuelle et doit nécessiter des efforts quasi quotidiens. « Journalistes incarcérés. Journalistes assassinés. Les voix des sans voix tuées. » Blondy parlait à nos consciences.
Les fantômes de Deyda Haidara, Norbert Zongo, Robert Chamwami Shalubuto , Sofiane Chourabi, Nadhir Guetari et tant d’autres femmes et hommes de média morts résonnent encore dans nos mémoires. Souvent dans l’impunité la plus totale. Cette impunité des crimes est une seconde mort des victimes.
Profitant de l’actualité, j’ai encore vu les enfants de Don Quichotte du web s’insurger contre le « deux poids deux mesures » et se draper du manteau d’activistes ardents défenseurs d’une Afrique sans cesse « déshumanisée ». Ils m’ennuient à un point…
Je leur demande, à ceux-là, s’ils avaient dénoncé l’assassinat au Cameroun du blogueur Eric Lembele du fait de son orientation sexuelle ? Qui a mené une campagne pour demander au gouvernement camerounais de faire la lumière sur cette affaire dont on n’identifiera sans doute jamais les auteurs ? Les « pédés » ont moins de droit à la vie que les victimes de Baga ? Leur reniez-vous leur simple humanité ? Liberté d’expression me dites-vous ? Chiche !
Alors, si après cette marche, nos présidents si prompts à défendre sur les rives de la Seine la liberté d’expression ne s’érigent plus en rempart contre tous les actes de fragilisation de la démocratie chez eux, ils auront été les auteurs d’une farce de mauvais goût.
J'espère qu'après avoir marché avec 3 millions de personnes, ils vont lutter davantage pour la liberté de la presse en Afrique. C’est le minimum qu’on pourra désormais leur demander.
Apparemment c'est mal parti. Après avoir participé à la marche républicaine du 11 janvier, Macky Sall a interdit au Sénégal la distribution du numéro de Charlie Hebdo qui a suivi l'attentat. Où est la logique ? Cette contradiction est juste fascinante et renseigne sur l'état d'indigence intellectuelle de cette classe politique.
De Samir Kassir au Liban à Zongo au Burkina, la presse demeure une cible à abattre. Quand les ennemis de la liberté veulent commettre leur forfait en silence et loin des regards, ils s’en prennent d’abord aux témoins du temps qui passe, ceux qui informent, témoignent et forgent ainsi la conscience de l’opinion. Dans l’Algérie des années 90, les journalistes payèrent un lourd tribut à la terreur du GIA.
Aujourd’hui, défendre le chroniqueur Kamel Daoud victime d’une fatwa lancée par un idiot est un devoir au même titre que s’insurger contre toutes les menaces à la liberté de conscience et d’expression. Défendre la liberté de la presse, son droit à la provocation, à l’irrévérence et à l’impertinence, c’est croire en la démocratie et en ses valeurs de tolérance même si cela heurte notre foi.
Pour nous tous en Afrique, et pour nos six « promeneurs du dimanche » en particulier, les événements de Charlie Hebdo doivent inviter à une réflexion sur la place que l’on accorde à la liberté d’expression, au rôle crucial que joue la presse dans la confection d’une démocratie réelle et puissante dans un pays.
Hélas, au contraire, une hiérarchisation des victimes fait le lit des réactions d’une grande partie de l’opinion. En aucune manière, les journalistes de Charlie Hebdo ne peuvent être supérieurs à la petite fille que les barbares de Boko Haram ont utilisé comme projectile pour commettre leur abject forfait.
Mais nullement les morts juifs tués par la folie d’Amedy Coulibaly ne peuvent être placés en dessous des victimes innocentes en Afrique. Au Kivu ou en Casamance, A Maiduguri ou à Kidal. A Tripoli ou au Darfour. J’ai déjà écrit sur ces pages qu’une hiérarchisation des crimes (selon leur gravité) était possible, mais qu’aucune hiérarchisation de la douleur des familles n’était acceptable.
La victimisation d’une grande partie de l’opinion publique africaine traduit un complexe d’infériorité, un malaise face à l’inaction de nos dirigeants, en premier au Nigéria, incapables d’enrayer une grave menace depuis des décennies. Si la jeunesse d’Afrique a attendu la mort des journalistes de Charlie Hebdo et la marche qui l’a suivie pour se rendre compte qu’elle devait se sentir concernée par les massacres de Boko Haram, elle ne mérite pas qu’on la respecte ; elle ne mérite pas qu’on la félicite ni qu’on la fustige. Elle aura mérité seulement qu’on la méprise.
Des manifestations ont été organisées dans plusieurs pays africains et en Europe pour, disent-ils, crier « Je suis Africain », « je suis nigérian »… Pour s'insurger contre la Une de Charlie Hebdo, des églises ont été calcinées et des personnes tuées. Non, pas en mon nom ! Si notre horizon indépassable est de toujours être dans la réaction, l’amertume et le suivisme, alors non merci. Je ne suis pas de cette Afrique là. Je prône l’afro-responsabilité.
PS : Qui des « six promeneurs » ou de Goodluck Jonathan (absent de Paris) dont le compte Facebook postait des photos du mariage de sa fille pendant le massacre de Baga aura davantage fait mal à l’Afrique ?
Hamidou Anne