Marie-Cécile Zinsou, Présidente de la Fondation Zinsou dédiée à l’art africain

Terangaweb : Comment vous est venue l’idée de la création d’une fondation dédiée à l’art africain ?

Marie-Cécile Zinsou : J’ai eu l’idée de la création d’une fondation en 2004 lorsque j’étais professeur d’histoire de l’art au village SOS pour des jeunes béninois orphelins qui avaient entre 10 et 16 ans. Il y avait un vrai engouement pour l’art et une passion absolue pour la culture. J’ai donc promis à mes élèves de les amener au Musée pour voir des artistes contemporains. Et là je me suis rendu compte que j’avais fait une énorme erreur puisqu’en 2004, le musée le plus proche du Bénin où l’on pouvait voir des artistes contemporains était le Kunst Palace de Düsseldorf qui présentait alors Africa Remix. Et quand il y a 80 enfants béninois à amener à Düsseldorf, ce n’est pas une mince affaire.

Alors plutôt que de les amener à Düsseldorf, je me suis dit qu’il valait mieux amener l’exposition de Düsseldorf dans des villes béninoises comme Cotonou ou Abomey-Calavi. En fait, voir des expositions d’artistes africains à Paris ou dans les villes européennes n’est pas difficile mais le problème reste de donner une visibilité à ces mêmes artistes sur le continent africain. C’est donc dans cette optique que nous avons créé la Fondation au départ. L’objectif est de faciliter l’accès des enfants à l’art et à la culture en général avec pour idée de présenter la culture africaine en terre africaine. Il est important de pouvoir parler de notre culture qui est immensément riche et reconnue par tous.

L’intérêt c’est aussi d’avoir quelque chose qui place l’Afrique sur la marche la plus élevée du podium. On ne peut pas nier la culture de l’Afrique ni le travail de ses artistes. Il s’agit d’un travail d’avant-garde sur plusieurs siècles. Ce sont des choses dans lesquelles nous excellons et il y a toute cette partie qui fait de l’Afrique un continent passionnant.

Terangaweb : Quel a été le parcours de la fondation depuis sa création ?

Marie-Cécile Zinsou : A La première exposition – qui a recueilli beaucoup de visiteurs et qui nous a encouragé à continuer – on a commencé avec Romuald Hazoumé. Cette exposition portait sur le travail d’un artiste béninois immensément reconnu, qui a gagné le grand prix de la Dokumenta 12 de Kassel, dont les œuvres ont été achetées par le British Museum et sont présentes dans les collections nationales anglaises et françaises.

Cela a permis à d’autres artistes majeurs de se concentrer sur la fondation et d’y voir un intérêt. C’est ainsi que nous avons présenté Malick Sidibé juste avant qu’il ne gagne le Lion d’or lors de la biennale de Venise. Nous avons aussi présenté des artistes de l’avant garde sur Bénin 2059 (à quoi ressemblera le Bénin et l’Afrique en 2059 ?), des artistes béninois comme Dominique Zinkpé, Aston, Quenum, etc. des artistes jeunes et  brillants.

On a aussi créé progressivement une collection de 600 pièces qu’on a présentées dans les expositions récréations et manifestes. Ces 600 pièces portent sur les artistes de tout le continent et sur des médiums très différents (photo, peinture, dessin, sculpture, etc.). Cette collection est en développement permanent et nous permet de donner une visibilité très forte aux artistes africains sur le continent.

Par ailleurs, nous recevons également des expositions venant de l’étranger. On a notamment reçu la première exposition africaine du Quai Branly en Afrique ainsi que des Basquiat, ce qui n’était pas particulièrement évident car aucun collectionneur ne s’imaginait prêter des Basquiat en Afrique et on en a quand même eu 64 qu’on a présentés pendant 3 mois à un public subjugué. 

Terangaweb : Et vous n’avez pas eu du mal à gagner en crédibilité et à attirer des partenaires  comme le Quai Branly?

Marie-Cécile Zinsou : Non et en plus c’est le Quai Branly qui est venu nous noir en nous faisant part de son souhait de présenter une exposition en Afrique et en nous demandant la manière dont il fallait s’y prendre. En réalité, la Fondation Zinsou s’est très vite mise à des standards internationaux pour pouvoir échanger avec des institutions tels que le Quai Branly.

Terangaweb : C’est un pari qui est un peu osé de promouvoir la culture en Afrique, êtes vous satisfaite ?

Marie-Cécile Zinsou : On s’est basé sur ce que veulent les gens et on a aussi essayé d’évoluer avec notre public. Ce qui est intéressant c’est qu’au départ il n’y avait pas de public de musée et maintenant on grandit avec lui.  L’institution s’adapte à son public, ce qui ne constitue pas une démarche tout à fait classique mais plutôt celle de quelqu’un comme moi qui à la base n’est pas conservateur de musée. Je suis exactement dans la situation du visiteur et quand je crée une exposition, je le fais en me disant « quand j’entre dans un musée, je sais ce que j’ai envie que l’on m’apporte ».

Terangaweb : Est-ce qu’il existe un vrai engouement du public pour voir  les expositions ?

Marie-Cécile Zinsou : Ah oui, 3 millions de personnes en 6 ans (ndlr : sur un pays de 9 millions d’habitants), je pense qu’on peut appeler cela un vrai engouement du public. Soit dit en passant, notre public est essentiellement composé d’enfants de moins de 18 ans et défavorisés. On pense que les enfants les plus modestes sont ceux qui ont le plus de mal à avoir accès à leur culture puisque ne leur sont offerts que très peu de moyens à cet effet. Il est donc important de les former très tôt et de leur donner l’envie de découvrir davantage leur culture. 

Terangaweb : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Marie-Cécile Zinsou : Il ne s’agit pas de vraies difficultés car on est en Afrique et les choses s’organisent paradoxalement plus vite qu’ailleurs. Par exemple je viens d’avoir les fonds pour monter une nouvelle mini-bibliothèque parce que Sotheby’s a décidé d’en ouvrir une autre et cela va se faire en décembre. Je ne connais aucune autre région du monde où cela peut se faire en moins de 3 mois. En plus nous avons la chance d’avoir une structure de décision assez rapide et d’être dans un pays comme le Bénin dans lequel on exécute très vite les choses. A ce niveau, il n’existe donc pas de réelles difficultés. 

Les difficultés résident plutôt dans les a priori de la classe politique qui pense que l’art n’est pas important ou ceux des gens qui estiment qu’en Afrique il faut plutôt des associations contre le Sida plutôt que pour l’art. Ce sont donc des a priori à combattre mais les gens désarment très vite. 

Terangaweb : Et quelles sont vos perspectives ?

Marie-Cécile Zinsou : Nous allons développer des bibliothèques car elles sont essentielles pour soutenir l’accès à la culture. On travaille sur l’accès des tout petits à la lecture comme une chose naturelle et pas seulement une aptitude que l’on acquiert à l’école. Nous souhaitons que le livre fasse partie de la vie de ces petits enfants et devienne donc une évidence. C’est à cet effet que nous développons un réseau de bibliothèques. Nous en avons déjà quatre et nous espérons pouvoir en ouvrir deux autres dans les prochains mois. Nos partenaires, comme Sotheby’s et Enrico Navarra qui nous avait déjà prêté des Basquiat pour nos expositions, apprécient beaucoup l’aspect très concret de leur aide et le fait de voir leurs projets se développer au quotidien. 

Ce qui est formidable, c’est aussi que les partenaires qui nous soutiennent s’inscrivent dans une relation à long terme. Par exemple toutes les entreprises qui ont sponsorisé les premiers évènements de la Fondation continuent encore aujourd’hui de nous accompagner.

Terangaweb : De façon plus générale, quel est le regard que vous portez sur la philanthropie en Afrique ?

Marie-Cécile Zinsou : Je pense qu’il faut que les gens fassent des choses même si elles pensent que leur action est restreinte. Si je prends l’exemple des bibliothèques, cela touche à peu près 160 enfants par jour, ce qui n’est pas du tout négligeable. Le coût pour monter ce type de projet s’élève entre 10 000 et 15 000 euros, ce qui est largement faisable. Mais les gens, lorsqu’elles ont 10 000 euros, ne pensent pas spontanément à venir voir des organismes comme le nôtre pour développer ce type de projet. Notamment au sein de la diaspora, il faudrait que les gens apprennent à faire des choses à leur échelle, même si cela paraît être une petite échelle, car on trouve toujours un petit projet concret qui peut avoir un impact non négligeable sur la vie des populations. Il y a quelque chose d’intéressant à développer sur la philanthropie de chacun et qui ne demande pas des moyens exubérants. Chacun peut faire quelque chose qui améliore la vie des siens.

Interview réalisée par Tite Yokossi et Nicolas Simel