Marius Nguié, Un yankee à Gamboma

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Marius Nguie, romancier congolais au Salon du livre de Paris 2014
Alors que des cercles s’organisent pour fêter 60 ans de littérature congolaise, j’ai une tendance naturelle à me tenir en marge de ce type de célébration.  Certes, cette littérature a toujours eu une place de choix dans mes lectures personnelles comme dans l’espace francophone. Si je commençais à citer des auteurs de renom venant de la rive droite du fleuve Congo, force serait de constater que la liste de ces hommes de lettres de talent ferait pâlir de nombreux amateurs. Il n’est d’ailleurs pas surprenant qu’un auteur comme Alain Mabanckou soit le fer de lance de la littérature francophone.

Mais depuis, quelque temps, j’ai le sentiment que les Henri Lopes, Wilfried N’Sondé, Emmanuel Dongala et autres sommités du monde littéraire international sont de véritables arbres feuillus qui cachent la médiocrité de la production de la génération censée prendre le relais. A quoi bon faire la fête alors, si ce n'est que pour s’autocongratuler sur des littératures nationales qui n’ont d’intérêt que pour celles et ceux qui n’ont pas compris la nécessité d’intégrer la mondialisation dans leur compréhension du monde. Que la balkanisation des espaces littéraires africains ne sert qu’à appauvrir ces littératures et à faire déserter de ces lieux, un lectorat déjà moribond ?

Cette introduction est quelque peu longue et disproportionnée quand l’internaute a conscience que l’ambition de ce billet n’est que de parler de l’ouvrage de Marius Nguié. Un yankee à Gamboma. Un texte original paru aux éditions Alma en 2014. Oui, ce texte m’inspire ce commentaire car cela faisait un bail que je n’avais pas lu d’un nouvel auteur congolais un projet surprenant dans tous les sens du terme. Et j’ose croire qu’il y a là un potentiel intéressant.

Qui a vécu dans les quartiers nord de Brazzaville sait à quoi renvoie la notion du yankee. En dehors de la figure glorieuse du vainqueur de la guerre de sécession étatsunienne, le yankee est pour Talangaï et Mikalou  ce que le loubard est à Adjamé ou Yopougon à Abidjan. Un brigand qui respecte des codes d'honneur, un glandeur de première qui a le mérite de se faire respecter par ses poings et son lingala costumizé. Le yankee de Gamboma, ville de l’intérieur de la république congolaise, ne répond pas tout à fait à ces critères. Marius Nguié raconte l’itinéraire d’un milicien cocoye* au service du président Lissouba, au milieu des années 90, qui fait régner la terreur à Gamboma et prend sous son aile un jeune natif de la ville, Nicolas. De cet « étranger » venu du sud du pays, nait une véritable relation qui n’empêche pas Benjamin, dit « Sous Off », de violer, de traumatiser la population. L’adolescent Nicolas, narrateur, s’attache et raconte les exactions et tribulations du milicien.

Marius Nguié n’hésite pas dans ce roman à mettre les mains dans le cambouis. Il nomme les hommes politiques, dénonce l’ethnocentrisme, évoque la corruption à coup de boîtes de sardines de son anti-héros, il décrit sans fioritures viols et assassinats. Il dénonce les maux et la violence politique et sociale d'une société congolaise très clivée par des mots et une langue qu'il réinvente. Ses personnages introduisent des expressions empruntées au lingala comme éboulement (1), verser (2), molassos (3). En cela, Marius Nguié s'inscrit dans la tradition littéraire congolaise irrévérencieuse devant la langue française et dont ses illustres aînés comme Henri Lopes ou Alain Mabanckou ont pris du plaisir à la dresser à la sauce congolaise. Le projet littéraire de Nguié dépasse toutefois les formules du français dit de Gamboma pour proposer au lecteur un bébé catapulté. En un seul jet, il semble avoir écrit ce livre.

Le sujet est donc très osé. Dans un Congo qui panse ses plaies dans une omerta désastreuse sur les épisodes douloureux de la guerre civile des années 90, le roman de Marius Nguié ne manquera pas d'heurter, de cliver et de questionner le congolais sur son vivre-ensemble. Il serait cependant une erreur de penser que ce texte n'interroge que les lecteurs d'un pays d'Afrique centrale. La fiction du bourreau interpelle n'importe quel lecteur. La relation trouble entre Nicolas et Sous Off est de ce point de vue passionnante et va à l'encontre du regard que la société de cette petite ville porte sur ces envahisseurs que Sous Off incarne à merveille. En filigrane, cette amitié étrange est une proposition de dialogue réelle entre congolais. De ce point de vue, ce roman est moins fermé, dans ce qu'il propose, que le fameux roman Johnny Chien Méchant d'Emmanuel Dongala. C'est du moins la lecture positive que j'en ai. Enfin, et pour terminer, Un Yankee à Gamboma est avant tout un hommage à cette ville que je découvre sous la plume de l'écrivain. Un voyage que seul un bon texte de fiction peut offrir.

LaRéus Gangoueus

Marius Nguié, Un yankee à Gamboma (Alma Editeurs)

  • (1) viol
  • (2) éjaculer
  • (3) femme aux moeurs légères
  • cocoye : milice sous le régime de Pascal Lissouba